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01/04/1992 | CEDH | N°15754/89

CEDH | LAFUE contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15754/89 présentée par Gilbert LAFUE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 1er avril 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G. H. THUNE

MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDE...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15754/89 présentée par Gilbert LAFUE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 1er avril 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G. H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 28 juillet 1989 par Gilbert LAFUE contre la France et enregistrée le 13 novembre 1989 sous le No de dossier 15754/89 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 21 mars 1991 et les observations en réponse présentées par le requérant le 22 mai 1991 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
15754/89 - 2 -
EN FAIT Le requérant, né en 1930 à Foix, est docteur en médecine et réside à Toulouse. Devant la Commission, il est représenté par Me Florence Lyon-Caen, avocat à Paris. Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le requérant était employé, en tant que médécin du travail, par les Services Régionaux d'Action Sociale du sud de la France (S.R.A.S.) depuis 16 ans et demi lorsqu'il fut licencié le 22 juillet 1975. La commission de contrôle des S.R.A.S., composée de 12 membres (le président, 3 délégués patronaux et 8 délégués ouvriers), avait été saisie d'une demande d'autorisation préalable par l'employeur, conformément aux dispositions des articles D. 241-1 et suivants du Code du travail, qui prévoient notamment que la commission doit se prononcer à la majorité de ses membres. Elle émit le vote suivant : 5 votes favorables au licenciement, 3 abstentions et 4 refus de vote. Se fondant sur les résultats de ce vote, le président des S.R.A.S. procéda au licenciement du requérant, après l'avoir entendu dans le cadre de l'entretien préalable au licenciement prévu par le Code du travail. Le requérant considéra que pareil vote ne réunissait pas la majorité absolue exigée selon lui par les textes, que l'autorisation de licenciement aurait dû être demandée à l'inspection du travail, et qu'à défaut, son licenciement était entaché d'irrégularité. Deux instances distinctes furent alors engagées ; une instance civile introduite par le requérant devant les juridictions prud'homales en contestation de la mesure de licenciement et une procédure pénale suite à une plainte de syndicats professionnels pour non respect par l'employeur des règles de licenciement des médecins du travail.
1. Instance civile
a) Assimilant son licenciement à une voie de fait, le requérant s'adressa le 24 juillet 1975 au juge des référés de Toulouse pour obtenir sa réintégration. Par ordonnance du 4 août 1975 confirmée le 18 février 1976 par la cour d'appel de Toulouse, le juge des référés se déclara incompétent.
b) Le 16 mars 1976, le requérant saisit le tribunal d'instance de Toulouse, statuant en matière prud'homale, d'une demande de réintégration et, subsidiairement, d'une demande d'indemnités pour licenciement abusif. Après tentative de conciliation contradictoire le tribunal décida par jugement rendu le 9 septembre 1976 que le licenciement du requérant était régulier et fondé. Il valida l'offre de paiement d'indemnités faite par les S.R.A.S. au requérant et débouta celui-ci du surplus de ses demandes. Le 21 décembre 1976, le requérant et un syndicat de médecins du travail interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d'appel de Toulouse. Dans un arrêt en date du 4 août 1977, la cour d'appel considéra que le litige portait non pas sur le défaut d'observation des règles de procédure spéciales imposées pour le licenciement des médecins du travail, mais sur l'interprétation donnée par l'employeur et contestée par le requérant de l'article D 241-11 du Code du travail régissant la décision de la commission de contrôle. Elle releva que la Chambre criminelle de la Cour de cassation était saisie de la question de la légalité de l'article D 241-11 du Code du travail et conclut devoir considérer que, jusqu'à preuve du contraire, le texte en cause avait été légalement pris. A la différence des premiers juges, elle interpréta l'article D 241-11 comme requérant la majorité absolue, et jugea que le licenciement du requérant était irrégulier en la forme et devait donner lieu à l'allocation d'indemnités. La cour d'appel considéra toutefois que l'erreur commise par l'employeur ne justifiait pas la réintégration du requérant. Elle accueillit l'intervention du syndicat, et lui alloua un franc symbolique à titre de réparation de son préjudice. La chambre sociale de la Cour de cassation fut saisie le 17 octobre 1977 d'un pourvoi du requérant, qui conclut le 15 février 1978 et d'un pourvoi de l'employeur, qui conclut le 26 décembre 1977. De nouveaux mémoires furent présentés le 10 mars 1978 par le requérant et le 15 octobre 1978 par l'employeur. Par arrêt rendu le 7 février 1979, la Cour de cassation cassa et annula l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse qui, en violation du principe "le criminel tient le civil en état" énoncé par l'article 4 al. 2 du Code de procédure pénale, avait statué alors qu'une instance pénale relative aux mêmes faits était en cours (voir ci-après par. 2). Par délibération spéciale prise en chambre de conseil, elle renvoya la cause et les parties devant la cour d'appel de Pau. L'instance pénale prit fin le 16 février 1982 par arrêt de la Cour de cassation. Le 21 septembre 1983, les parties furent convoquées pour l'audience publique et solennelle prévue le 3 novembre 1983 devant la cour d'appel de Pau.
c) Par arrêt du 30 novembre 1983, la cour d'appel de Pau jugea le licenciement régulier et fondé et confirma le jugement du 9 septembre 1976. Le 6 janvier 1984, le requérant, un collègue médecin également licencié et le syndicat national professionnel des médecins du travail saisirent la Cour de cassation. Le 21 mars 1984, le requérant déposa son mémoire ampliatif. Le 9 janvier 1986, les S.R.A.S. présentèrent leur mémoire en défense. Le 28 mars 1986, le conseiller rapporteur désigné le 10 janvier 1986 déposa son rapport. Le 15 juin 1986 fut désigné l'avocat général.
15754/89 - 4 - Par arrêt du 10 décembre 1986, la Chambre sociale de la Cour de cassation joignant les pourvois dit que la résolution de la commission de contrôle devait, pour être adoptée, avoir été prise à la majorité absolue. Elle cassa et annula l'arrêt de la cour d'appel de Pau et renvoya les parties devant la cour d'appel d'Agen.
d) La cour d'appel d'Agen fut saisie le 24 février 1987 par le requérant. Le 31 août 1987, les parties furent convoquées à l'audience solennelle du 2 décembre 1987. Le 9 novembre 1987, le requérant déposa ses conclusions. Le 26 novembre 1987, l'avocat de la partie adverse sollicita le renvoi de l'audience en raison du dépôt tardif des conclusions des appelants. Le 2 décembre 1987, l'affaire fut renvoyée à l'audience du 6 janvier 1988. Le 23 décembre 1987, l'avocat de la partie adverse déposa ses conclusions. Après audience solennelle du 6 janvier 1988, la cour d'appel d'Agen prononça le 3 février 1988 un premier arrêt. Elle décida que le licenciement du requérant était nul dès lors que l'accord de la commission de contrôle, tel que jurisprudentiellement interprété, n'avait pas été préalablement obtenu, et commit un expert pour l'évaluation du préjudice matériel et financier subi par le requérant du fait de son manque à gagner. Un rapport d'expertise fut déposé le 3 octobre 1988. Par un deuxième arrêt rendu le 1er février 1989, la cour d'appel d'Agen accorda au requérant 300 436 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 50 000 F en réparation de son préjudice moral. 371 000 F ont été réglés au titre des intérêts.
2. Instance pénale
a) Saisi d'une plainte de syndicats médicaux et d'un procès-verbal de l'inspection du travail, le procureur de la république poursuivit, le 5 septembre 1976, l'employeur du requérant, en sa qualité d'entrepreneur de travaux publics, pour infraction à la réglementation protectrice des médecins du travail. Le tribunal de police de Toulouse joignit à cette affaire une deuxième cause engagée contre l'employeur du requérant pris en sa qualité de président des S.R.A.S. Celui-ci souleva devant le tribunal l'exception d'illégalité de l'article D 241- 11 du Code du travail. Par jugement du 10 novembre 1976, le tribunal de police de Toulouse estima que les textes ne spécifiaient pas si la majorité requise doit être relative ou absolue. Il relaxa l'employeur du requérant au motif que la contravention était insuffisamment caractérisée. Sur appel des syndicats, la cour d'appel de Toulouse considéra par arrêt du 24 février 1977 que l'article D 241-11 dont la violation était reprochée à l'employeur était illégal, elle le relaxa en jugeant qu'il avait respecté la procédure de droit commun en matière de licenciement. La cour d'appel déclara irrecevable les constitutions de partie civile de deux unions syndicales. Le 25 février 1977, les parties civiles saisirent la Cour de cassation d'un pourvoi. Par arrêt rendu le 9 mai 1978, la Chambre criminelle de la Cour de cassation annula la décision du 24 février 1977 pour méconnaissance des textes constitutionnels et des articles du Code du travail et absence de justification sur le prononcé de l'irrecevabilité des constitutions de partie civile des unions syndicales demanderesses. La Cour de cassation renvoya l'examen de la cause à la cour d'appel de Pau.
b) Par arrêt du 2 mai 1979, la cour d'appel de Pau releva que la décision de relaxe prononcée par le tribunal de police de Toulouse était définitive. Elle estima qu'il n'y avait pas lieu de retenir le moyen tiré de l'illégalité des textes invoqués et considéra que n'était pas punissable le fait pour l'employeur d'avoir fondé sa décision de licenciement sur une délibération prise à la majorité relative. Statuant sur l'appel des parties civiles, la cour estima qu'il n'était pas nécessaire de rechercher la recevabilité de principe de leur appel et confirma le jugement. Le 3 mai 1979, les parties civiles déposèrent un pourvoi . Par arrêt du 4 mars 1980, la Chambre criminelle de la Cour de cassation interpréta l'article D 241-11 du Code du travail comme requérant la majorité absolue pour l'adoption des résolutions de la commission de contrôle. Elle cassa et annula l'arrêt de la cour de Pau pour méconnaissance du sens et de la portée des textes. Elle renvoya la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.
c) Par arrêt du 20 mars 1981, la cour d'appel de Lyon déclara recevable l'action des parties civiles, écarta l'exception d'illégalité soulevée par l'employeur et jugea que celui-ci avait commis l'infraction reprochée en ne saisissant pas l'inspection du travail préalablement au licenciement. Elle condamna l'employeur du requérant à des réparations civiles du chef d'infraction à la réglementation concernant la médecine du travail. Le 25 mars 1981, le président des S.R.A.S. saisit la Cour de cassation d'un pourvoi qui fut rejeté par arrêt du 16 février 1982.
GRIEFS Le requérant se plaint de ce que sa cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable ni par les juridictions pénales devant lesquelles la procédure a duré six ans, ni surtout par les juridictions civiles devant lesquelles la procédure a duré selon lui près de 14 ans. Il invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 28 juillet 1989 et enregistrée le 13 novembre 1989. Le 7 novembre 1990, la Commission, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter cette requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à lui présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé du grief portant sur la durée de la procédure pour licenciement abusif. Le Gouvernement a présenté ses observations le 21 mars 1991 après avoir bénéficié d'une prorogation de délai. Le requérant y a répondu le 22 mai 1991. Le 1er juillet 1991, la Commission a décidé de renvoyer la requête à une Chambre.
EN DROIT Le requérant se plaint de la durée des procédures civile et pénale et invoque les dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui garantit à toute personne le droit "à ce que sa cause soit entendue ... dans un délai raisonnable". La Commission constate que les deux procédures avaient toutes deux pour objet la mesure de licenciement. En ce qui concerne la période à prendre en considération, la Commission relève que le point de départ de la procédure doit à tout le moins être fixé au 16 mars 1976, date de la saisine du tribunal d'instance de Toulouse statuant en matière prud'homale. Elle s'est achevée par un arrêt de la cour d'appel d'Agen du 1er février 1989 fixant le montant des dommages-intérêts à allouer au requérant. Selon le requérant, ce laps de temps ne saurait passer pour raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le Gouvernement combat cette thèse et attribue la durée de la procédure à la complexité juridique du dossier et aux comportements des parties. Selon la jurisprudence constante de la Cour et de la Commission, le caractère raisonnable de la durée d'une procédure relevant de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard en particulier aux critères suivants : la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, par exemple, Cour Eur. D.H., arrêt Vernillo du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 12-13, par. 30). Faisant application de ces critères, la Commission estime que ce grief doit faire l'objet d'un examen sur le fond. En conséquence, elle ne saurait déclarer la requête manifestement mal fondée. La Commission constate d'autre part que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés Le Secrétaire de la Le Président Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 15754/89
Date de la décision : 01/04/1992
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : partiellement recevable

Analyses

(Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : LAFUE
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-04-01;15754.89 ?

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