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12/05/1992 | CEDH | N°13770/88

CEDH | AFFAIRE MEGYERI c. ALLEMAGNE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE MEGYERI c. ALLEMAGNE
(Requête no13770/88)
ARRÊT
STRASBOURG
12 mai 1992
En l’affaire Megyeri c. Allemagne*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
L.-E. Pettiti,
C. Russo,
R. Bernhardt,
J. De Meyer,

N. Valticos,
Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, ...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE MEGYERI c. ALLEMAGNE
(Requête no13770/88)
ARRÊT
STRASBOURG
12 mai 1992
En l’affaire Megyeri c. Allemagne*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
L.-E. Pettiti,
C. Russo,
R. Bernhardt,
J. De Meyer,
N. Valticos,
Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 février et 25 avril 1992,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 19 avril 1991, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 13770/88) dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont un citoyen hongrois, M. Zoltan Istvan Megyeri, avait saisi la Commission le 22 octobre 1986 en vertu de l’article 25 (art. 25). Désigné devant la Commission par l’initiale "M.", il a ultérieurement consenti à la divulgation de son identité.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration allemande reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et a sollicité l’autorisation, que le président de la Cour lui a octroyée, d’être représenté par M. K. Bernsmann, professeur de droit dans une université allemande (article 30). Par la suite, il a indiqué ne plus vouloir que ce juriste agît en son nom et a demandé à plaider lui-même sa cause. Le président a refusé, mais lui a offert la possibilité de choisir un autre représentant dans un délai déterminé. L’intéressé n’en ayant pas usé, le président a décidé que la procédure continuerait sans lui.
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 23 avril 1991, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, Sir Vincent Evans, M. C. Russo, M. N. Valticos, Mme E. Palm, M. I. Foighel et M. F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). MM. L.-E. Pettiti et J. De Meyer, suppléants, ont remplacé ultérieurement Mme Bindschedler-Robert et Sir Vincent Evans, qui avaient donné leur démission et dont les successeurs à la Cour étaient entrés en fonctions avant l’audience (articles 2 par. 3 et 22 par. 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier adjoint l’agent du gouvernement allemand ("le Gouvernement") et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).
Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 9 septembre 1991. Le 10 décembre, le tuteur (Vormund - paragraphe 12 ci- dessous) du requérant a déposé pour le compte de celui-ci, en vertu de l’article 50 du règlement, combiné avec l’alinéa k) de l’article 1, certaines prétentions au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention; il les a précisées le 14 février 1992.
Par une lettre du 20 décembre 1991, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué s’exprimerait de vive voix.
Le 12 février 1992, la Commission a produit plusieurs pièces; le greffier l’y avait invitée sur les instructions du président.
5. Ainsi qu’en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 26 février 1992, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Le 28 janvier 1992, le président avait autorisé les membres de la délégation du Gouvernement à employer la langue allemande (article 27 par. 2 du règlement).
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. J. Meyer-Ladewig, Ministerialdirigent,
ministère fédéral de la Justice,  agent,
H.A. Stöcker, Ministerialrat,
ministère fédéral de la Justice,  conseiller;
- pour la Commission
M. A. Weitzel,  délégué.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, M. Meyer-Ladewig pour le Gouvernement et M. Weitzel pour la Commission.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE L’ESPÈCE
6. Citoyen hongrois, M. Megyeri vit en Allemagne depuis 1975.
7. En novembre 1981, il fut provisoirement interné dans un hôpital psychiatrique après l’introduction d’une procédure tendant à cette fin.
Le 14 mars 1983, le tribunal régional (Landgericht) de Cologne, devant lequel l’avait représenté un avocat commis d’office, ordonna de le placer dans un tel établissement en vertu de l’article 63 du code pénal. Selon lui, le requérant avait accompli des actes qui s’analysaient en infractions pénales (attitude insultante, coups et blessures, résistance à la police, comportement créant un risque pour la circulation et délit de fuite), mais dont on ne pouvait le tenir pour responsable parce qu’il souffrait d’une psychose schizophrène avec des signes de paranoïa. S’appuyant en particulier sur une expertise médicale, le tribunal déclara que l’intéressé constituait un danger pour la collectivité, car il fallait s’attendre à le voir se livrer à de nouveaux actes illicites graves.
8. Le 7 septembre 1984, le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Cologne se prononça dans l’une des nombreuses instances engagées par le requérant au sujet de son internement: il le jugea incapable de mener lui-même (betreiben) une procédure judiciaire. Il trouvait si manifeste l’existence de troubles mentaux qu’il ne s’imposait pas de recourir à une expertise.
9. Le 3 septembre 1984 puis le 5 août 1985, le tribunal régional d’Aix-la-Chapelle, se référant à l’article 67 e par. 2 du code pénal (paragraphe 16 ci-dessous), prescrivit la poursuite de l’internement. Dans la seconde décision, il constata que les hallucinations de M. Megyeri avaient empiré et suggéra d’entamer une procédure de mise sous tutelle (Entmündigungsverfahren).
Le 3 mars 1986 le requérant, qui avait tenté de faire rouvrir la procédure pénale dirigée contre lui (paragraphe 7 ci-dessus), invita le tribunal régional à remplacer l’avocat qui y avait agi en son nom et à lui indiquer pourquoi celui-ci n’avait pas assisté au contrôle ultérieur de sa détention. Le tribunal l’informa par écrit, le 12 mars, que la loi n’exigeait pas en pareil cas la représentation des internés par des avocats d’office.
10. Le 7 juillet 1986, le tribunal régional examina derechef, conformément à l’article 67 e par. 2, la question de la libération à l’essai du requérant et la trancha par la négative. Renvoyant à sa décision du 5 août 1985, il estima prématuré de vérifier si l’intéressé ne commettrait pas d’infractions une fois sorti de l’hôpital. Il se fondait entre autres sur le rapport écrit de trois experts, dont deux médecins de l’établissement, d’où il ressortait que la santé mentale de l’intéressé s’était encore dégradée, qu’il ne consentait pas à subir un traitement et qu’il témoignait d’une nette propension à un comportement agressif et à la violence. Le tribunal tirait aussi argument de sa propre impression de M. Megyeri: entendu par lui le 7 juillet, ce dernier avait formulé de nombreuses doléances et prétendu être quelqu’un d’autre. S’appuyant sur la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht - paragraphe 17 ci-dessous), le tribunal régional jugea le maintien de l’internement proportionné à l’objectif visé: protéger la collectivité. Il nota enfin qu’une procédure de mise sous tutelle se trouvait pendante.
Le 2 septembre 1986, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Cologne écarta le recours immédiat (sofortige Beschwerde) du requérant contre cette décision.
L’intéressé ne fut pas représenté par un conseil dans la procédure de 1986 relative à son élargissement éventuel. Il avait soulevé auparavant la question de l’assistance d’un avocat (paragraphe 9 ci-dessus), mais il ne paraît pas avoir explicitement invité le tribunal régional ou la cour d’appel à lui en désigner un et ils n’en parlèrent pas dans leurs décisions. Aux dires de l’agent du Gouvernement, il y a lieu de présumer qu’ils avaient examiné le problème d’office puisque le droit allemand impose pareille nomination dans certaines circonstances.
11. Le 10 février 1987, un comité de trois membres de la Cour constitutionnelle fédérale - lequel, conformément à la pratique habituelle en pareil cas, n’avait pas tenu d’audience - refusa de statuer sur le recours (Verfassungsbeschwerde) de M. Megyeri contre les décisions du tribunal régional et de la cour d’appel, au motif qu’il n’avait pas assez de chances de prospérer. Selon la Cour constitutionnelle, la non- désignation d’un conseil par les tribunaux dans la procédure de 1986 ne pouvait soulever aucune objection en droit constitutionnel, car jusque-là il n’avait pas été manifeste que sa maladie rendait le requérant inapte à se défendre lui- même (paragraphe 18 ci-dessous). Toutefois, l’image clinique se stabilisant et le terme de la détention n’étant pas prévisible, pareille désignation entrerait en ligne de compte à l’avenir (in Betracht kommen wird).
12. Le 19 mars 1987, le tribunal d’instance (Amtsgericht) de Cologne résolut de mettre l’intéressé sous tutelle. Après avoir ouï celui-ci et eu égard à une expertise de juillet 1986, il estima que M. Megyeri souffrait de graves troubles mentaux l’empêchant de gérer ses affaires.
13. Dans les procédures de contrôle postérieures à mai 1987, un avocat d’office représenta le requérant. Le 4 juillet 1988, le tribunal régional ordonna la poursuite de l’internement, mais réduisit à six mois le délai de réexamen de la situation car on escomptait que le traitement médical améliorerait l’état de santé de l’intéressé.
14. Le 4 janvier 1989, le tribunal régional, attachant une importance particulière à la circonstance que celui-ci se trouvait désormais sous tutelle, ordonna de le libérer, avec mise à l’épreuve, à la date du 8 mai 1989. Il fixa à trois ans la durée de la surveillance de la conduite de M. Megyeri, auquel il enjoignit de ne pas quitter son lieu de résidence sans l’accord du service de probation.
15. Depuis lors, le requérant vit dans un pavillon ouvert d’un établissement psychiatrique de Cologne. Ses demandes en restitution de sa capacité juridique ont échoué jusqu’ici, au motif que son état ne s’est pas amélioré.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Internement dans un établissement psychiatrique
16. Les dispositions suivantes du code pénal (Strafgesetzbuch) jouent un rôle en l’espèce.
Article 67 d par. 2 (Suspension de l’internement, avec mise à l’épreuve)
"En l’absence de prévision d’une durée maximale (...), le tribunal suspend l’internement, avec mise à l’épreuve, dès que l’on peut raisonnablement vérifier si l’interné n’accomplira plus d’acte illégal en dehors de l’hôpital psychiatrique. La suspension s’accompagne d’un contrôle de la conduite de l’intéressé."
Article 67 e (Contrôle de l’internement)
"1. Le tribunal peut vérifier à tout moment s’il y a lieu de suspendre l’internement, avec mise à l’épreuve. Il doit le faire avant l’expiration de certains délais.
2. Les délais sont:
- d’un an [pour l’internement] dans un établissement psychiatrique;
17. Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale (arrêt du 8 octobre 1985 - 2 BvR 1150/80, 2 BvR 1504/82 - Entscheidungssammlung des Bundesverfassungsgerichts, vol. 70, pp. 297 et ss.), le principe de proportionnalité régit l’internement d’une personne et son maintien dans un hôpital psychiatrique. Le juge qui statue sur une libération à l’essai doit prendre en compte, notamment, le risque d’infractions pénales graves (erheblich), la conduite et le comportement délictueux passés de l’interné, les changements observés en l’espèce depuis la décision d’internement et les conditions de vie futures de l’intéressé. Plus longtemps dure l’internement, plus la proportionnalité appelle un contrôle rigoureux.
B. Désignation d’un défenseur
18. La question de la défense d’un accusé par un avocat se trouve régie par l’article 140 du code de procédure pénale (Strafprozessordnung). Le paragraphe 1 énumère plusieurs cas précis de participation obligatoire d’un conseil; le paragraphe 2 dispose:
"Dans les autres cas, le président désigne, sur demande ou d’office, un défenseur lorsqu’en raison de la gravité de l’acte ou de la complexité des données de fait ou de droit de la cause, le concours d’un défenseur paraît nécessaire ou que l’inculpé ne peut manifestement pas se défendre lui-même (...)"
Le paragraphe 2 s’applique par analogie à la procédure de contrôle prévue à l’article 67 e du code pénal.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
19. Dans sa requête du 22 octobre 1986 à la Commission (no 13770/88), M. Megyeri formulait des doléances concernant plusieurs séries de procédures relatives à son internement dans un établissement psychiatrique; il invoquait les articles 2 à 14, 17 et 18 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 5, art. 6, art. 7, art. 8, art. 9, art. 10, art. 11, art. 12, art. 13, art. 14) de la Convention, 1 et 2 du Protocole no 1 (P1-1, P1-2) et 2 du Protocole no 4 (P4-2).
20. Par une décision partielle du 12 octobre 1988, la Commission a ajourné l’examen du grief dirigé contre la procédure de 1986 devant le tribunal régional d’Aix-la- Chapelle et la cour d’appel de Cologne, qui portait sur la libération éventuelle de l’intéressé; elle a déclaré irrecevable le surplus de la requête. Le 10 juillet 1989 elle a rayé celle-ci du rôle, estimant que M. Megyeri n’entendait pas la poursuivre. Toutefois, le 13 février 1990 elle l’y a réinscrite et l’a retenue.
Dans son rapport du 26 février 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention en ce que nul avocat ne fut commis d’office pour assister le requérant dans ladite procédure.
Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 par. 4 (art. 5-4) DE LA CONVENTION
21. Devant la Commission, M. Megyeri alléguait que la non- désignation d’un avocat chargé de l’assister en 1986 pendant l’examen, par le tribunal régional d’Aix-la-Chapelle et la cour d’appel de Cologne, de la question de son élargissement éventuel, avait enfreint l’article 5 par. 4 (art. 5-4), ainsi libellé:
"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."
La Commission conclut à l’existence d’une telle violation. Le Gouvernement déclare comprendre la préoccupation du requérant, mais doute de la possibilité de fonder un constat de manquement sur des motifs du type de ceux qu’avance la Commission. Il reconnaît pourtant que l’on pourrait aboutir au même résultat si l’on se plaçait dans la "perspective plus générale" qui lui semblerait se recommander, à savoir qu’il y a lieu de nommer un avocat en pareil cas, sauf circonstances particulières.
22. Parmi les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour sur l’article 5 par. 4 (art. 5-4) figurent les suivants:
a) Un aliéné détenu dans un établissement psychiatrique pour une durée illimitée ou prolongée a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire "à des intervalles raisonnables" un recours devant un tribunal pour contester la "légalité" - au sens de la Convention - de son internement (voir, entre autres, l’arrêt X c. Royaume-Uni du 5 novembre 1981, série A no 46, p. 23, par. 52).
b) L’article 5 par. 4 (art. 5-4) exige que la procédure appliquée revête un caractère judiciaire et offre à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint; pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (voir, en dernier lieu, l’arrêt Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, série A no 185-A, p. 13, par. 30).
c) Les instances judiciaires relevant de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) ne doivent pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) prescrit pour les litiges civils ou pénaux. Encore faut-il que l’intéressé ait accès à un tribunal et l’occasion d’être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation. Des garanties spéciales de procédure peuvent s’imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte (arrêt Winterwerp c. Pays-Bas
du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 24, par. 60).
d) L’article 5 par. 4 (art. 5-4) n’exige pas que les individus placés sous surveillance à titre d’"aliénés" s’efforcent eux-mêmes, avant de recourir à un tribunal, de trouver un homme de loi pour les représenter (même arrêt, p. 26, par. 66).
23. En conséquence, une personne détenue dans un établissement psychiatrique pour avoir accompli des actes constitutifs d’infractions pénales, mais dont ses troubles mentaux empêchent de la juger responsable, doit, sauf circonstances exceptionnelles, jouir de l’assistance d’un homme de loi dans les procédures ultérieures relatives à la poursuite, la suspension ou la fin de son internement. L’importance de l’enjeu pour elle - sa liberté -, combinée à la nature même de son mal - une aptitude mentale diminuée -, dicte cette conclusion.
24. Quant à la condition mentale de M. Megyeri, la Cour rappelle qu’à l’origine de l’internement se trouvait un constat du tribunal régional de Cologne, opéré le 14 mars 1983 dans une procédure pénale où un avocat d’office avait représenté le requérant: on ne pouvait tenir celui-ci pour responsable de ses actes, car il souffrait d’une psychose schizophrène avec signes de paranoïa (paragraphe 7 ci- dessus).
En juillet 1986, le tribunal régional d’Aix-la-Chapelle possédait des expertises d’après lesquelles l’intéressé avait subi une nouvelle dégradation de son état, ne consentait pas à se prêter à un traitement et témoignait d’une nette propension à un comportement agressif et à la violence (paragraphe 10 ci-dessus). Diverses décisions judiciaires antérieures allaient dans la même direction: incapable de mener une instance judiciaire, M. Megyeri présentait des troubles mentaux si manifestes que nulle expertise ne s’imposait sur ce point (tribunal administratif de Cologne, 7 septembre 1984; paragraphe 8 ci-dessus); ses hallucinations s’étaient aggravées et il fallait engager une procédure de mise sous tutelle (tribunal régional d’Aix-la-Chapelle, 5 août 1985; paragraphe 9 ci-dessus).
25. L’une des questions à trancher lors du contrôle de 1986 consistait à déterminer si le requérant, au cas où on le libérerait à l’essai, risquerait de se livrer à des actes illicites semblables à ceux qui avaient provoqué la décision initiale d’internement. A ce sujet, le tribunal régional d’Aix-la-Chapelle ne se contenta pas d’examiner le rapport de trois experts: il entendit l’intéressé en personne, afin de se former sa propre opinion sur lui (paragraphe 10 ci-dessus). Il est pour le moins douteux que M. Megyeri ait su, par ses propres moyens, ordonner et bien exposer des arguments en sa faveur sur ce thème, qui exigeait des connaissances et compétences médicales.
La Cour doute encore plus qu’il ait pu à lui seul aborder de manière adéquate le problème juridique en jeu: la poursuite de l’internement serait-elle proportionnée à l’objectif recherché (la protection de la collectivité), au sens envisagé par l’arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale du 8 octobre 1985 (paragraphe 17 ci-dessus)?
26. Il échet de relever enfin qu’en juillet 1986, le requérant avait déjà passé plus de quatre ans dans un établissement psychiatrique. Comme le veut le droit allemand (paragraphe 16 ci-dessus), les tribunaux examinaient son dossier chaque année; la procédure de 1986 devant le tribunal régional d’Aix-la-Chapelle entrait dans cette série (paragraphes 9-10 ci-dessus). Si des considérations différentes peuvent valoir, quant à la nécessité de désigner un avocat, lorsqu’un détenu sollicite son élargissement plus souvent qu’à des "intervalles raisonnables" (paragraphe 22 a) ci-dessus), il n’en allait donc pas ainsi en l’occurrence.
27. L’analyse qui précède ne révèle nullement que l’assistance d’un homme de loi ne correspondît pas à une nécessité en l’espèce, quand bien même M. Megyeri n’aurait pas invité explicitement le tribunal régional d’Aix-la-Chapelle ou la cour d’appel de Cologne à le doter d’un conseil dans les instances en cause (paragraphes 10 et 22 d) ci-dessus). La Cour n’aperçoit pas non plus d’autres circonstances spéciales qui la conduiraient à une conclusion différente.
Partant, il y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4).
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
28. Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
A. Dommage matériel
29. Au nom du requérant, son tuteur revendique d’abord une indemnité, à chiffrer par la Cour, pour préjudice matériel sous la forme d’un manque à gagner, car M. Megyeri aurait pu recouvrer la liberté plus tôt puis trouver un emploi si un avocat l’avait assisté dans la procédure litigieuse.
30. Les contrôles ultérieurs de la détention de l’intéressé, pour lesquels un conseil le représenta, n’ayant pas débouché sur son élargissement (paragraphe 13 ci-dessus), la Cour ne saurait présumer que l’examen de juillet 1986 aurait abouti à un résultat plus favorable pour lui si on l’avait pourvu d’un défenseur à cette occasion. Avec le Gouvernement, elle constate donc qu’aucun lien de causalité ne se trouve établi entre l’infraction à l’article 5 par. 4 (art. 5-4) et le dommage matériel allégué. Elle n’estime pas davantage pouvoir considérer que M. Megyeri a subi une perte réelle de chances à raison de la violation relevée.
Il y a donc lieu d’écarter la demande.
B. Dommage moral
31. Le tuteur sollicite en outre la réparation d’un tort moral, qu’il évalue à 25 000 marks allemands, montant qui tient compte aussi de la durée de la procédure.
L’agent du Gouvernement reconnaît que l’absence d’avocat a pu placer le requérant dans une situation déplaisante, mais il se demande si ce dernier se satisferait de n’importe quelle décision que la Cour prendrait conformément à sa jurisprudence en la matière.
Le délégué de la Commission estime, lui, que ce préjudice appelle l’octroi d’une somme à fixer par la Cour.
32. Faute d’avoir eu l’assistance d’un avocat lors du contrôle de sa détention en 1986, l’intéressé doit avoir éprouvé un certain sentiment d’isolement et de désarroi. Statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), la Cour lui alloue 5 000 marks allemands à ce titre.
C. Frais et dépens
33. Enfin, le tuteur réclame le remboursement de 23 940 marks allemands, soit les honoraires du professeur Bernsmann (21 000 marks) pour la représentation du requérant devant la Commission et dans la phase initiale de la procédure devant la Cour (paragraphe 2 ci-dessus), plus la taxe sur la valeur ajoutée correspondante (2 940 marks).
Selon l’agent du Gouvernement, le professeur Bernsmann ne possède à cet égard aucune créance exécutoire contre le requérant, lequel ne jouit pas de la capacité de contracter. En toute hypothèse, il s’agirait d’un montant dépassant de loin ce que l’on peut exiger dans des instances internes comparables.
Pour le délégué de la Commission il échet d’accueillir la demande, sauf à déduire toute somme perçue par la voie de l’assistance judiciaire; bien qu’assez élevé, le chiffre avancé ne serait pas nettement disproportionné.
34. La Cour a examiné la question à la lumière des principes qui ressortent de sa jurisprudence. A ses yeux, il faut tenir les frais en cause pour "réellement exposés" par le requérant: non seulement l’intervention du professeur Bernsmann dans la procédure de Strasbourg n’a soulevé aucune objection du côté du Gouvernement, mais le tuteur de M. Megyeri l’a approuvée en incluant ce point dans ses revendications. Le Gouvernement ne conteste pas non plus la "nécessité" de ces frais. Enfin, la Cour, non liée en ce domaine par les barèmes ou normes internes, n’estime pas, vu les circonstances de l’espèce, que les honoraires soient déraisonnables par leur taux.
Le requérant a donc droit au remboursement de 21 000 marks allemands moins les 6 900 francs français payés par le Conseil de l’Europe, par la voie de l’assistance judiciaire, du chef de la rétribution du professeur Bernsmann; tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée viendra augmenter le solde.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention;
2. Dit que l’Allemagne doit payer au requérant, dans les trois mois, 5 000 (cinq mille) marks allemands pour dommage moral et, pour frais et dépens, 21 000 (vingt et un mille) marks allemands, moins 6 900 (six mille neuf cents) francs français et plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 12 mai 1992.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
* L'affaire porte le n° 63/1991/315/386.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 237-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT MEGYERI c. ALLEMAGNE
ARRÊT MEGYERI c. ALLEMAGNE


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 5-4 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Parties
Demandeurs : MEGYERI
Défendeurs : ALLEMAGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 12/05/1992
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 13770/88
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-05-12;13770.88 ?
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