La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/05/1992 | CEDH | N°14940/89

CEDH | S. contre le PORTUGAL


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 14940/89 présentée par V.S. contre le Portugal __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 19 mai 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président en exercice F. ERMACORA E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil

HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 14940/89 présentée par V.S. contre le Portugal __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 19 mai 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président en exercice F. ERMACORA E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. J.C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 16 janvier 1989 par V.S. contre le Portugal et enregistrée le 26 avril 1989 sous le No de dossier 14940/89 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement le 20 septembre 1990 et les observations en réponse présentées par le requérant le 2 novembre 1990 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant portugais né en 1917. Il est employé de banque à la retraite et réside à Evora (Portugal). Pour la procédure devant la Commission le requérant est représenté par Me Amado Rodrigues, avocat à Lisbonne. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit :
1. Le 12 novembre 1975 alors qu'il se trouvait au volant de sa voiture accompagné de M. Martins Moreira, le requérant a été victime d'un accident de la route, près d'Evora. Informé de l'accident par la police locale, le parquet près du tribunal d'Evora engagea des poursuites pénales contre les deux conducteurs, pour dommages corporels involontaires. Les poursuites ont été classées en 1975 à la suite d'un décret-loi d'amnistie. A la suite de l'accident le requérant dut être hospitalisé jusqu'au 31 mai 1976 et subit plusieurs interventions chirurgicales. Le requérant a une jambe plus courte que l'autre et est handicapé à 58%. Depuis l'accident il n'a plus travaillé.
2. Le 20 décembre 1977 le requérant et M. Martins Moreira introduisirent devant le tribunal de première instance d'Evora une action civile en dommages-intérêts contre F.T., conducteur de l'autre véhicule, A.R., propriétaire de ce dernier, la société commerciale "A. G. LDA" et la compagnie d'assurance I. Il demanda la condamnation solidaire des parties défenderesses à lui payer 536.345 escudos. Le 1er octobre 1982 le tribunal de première instance d'Evora déclara partiellement fondée l'action introduite par le requérant et par M. Martins Moreira et condamna solidairement les parties défenderesses à verser au requérant, à titre de dommages-intérêts, le montant de 540.000 escudos ainsi que 732.000 escudos à M. Martins Moreira, la compagnie d'assurance I. ne devant toutefois verser que 200.000 escudos du montant global (limite maximale de l'assurance). La question de l'indemnisation pour les frais encourus par le requérant à cause des déplacements en voiture qu'il avait dû faire pour recevoir des soins à la suite de l'accident, ne se trouvant pas en l'état, elle fut réservée pour la procédure ultérieure d'exécution ("liquidação em execução de sentença"). Le 13 octobre 1982 le requérant et M. Martins Moreira interjetèrent appel (apelação) contre ce jugement, pour autant qu'il fixait le montant de l'indemnité, devant la Cour d'appel d'Evora. Le 19 octobre 1982 la société défenderesse "A.G. LDA" interjeta également appel contre ce jugement. Le 30 mai 1985 la Cour d'appel d'Evora donna partiellement raison à M. Martins Moreira mais débouta le requérant. Le 13 juin 1985 la société défenderesse "A.G. LDA" introduisit un recours contre cet arrêt devant la Cour suprême et le 11 juillet 1985 le requérant et M. Martins Moreira introduisirent à leur tour un recours subordonné (subordinado). Le 5 février 1987 la Cour suprême rendit son arrêt et accueillit partiellement le recours des demandeurs en leur accordant une indemnité supplémentaire, résultant de leur invalidité permanente, à déterminer lors de la procédure ultérieure d'exécution.
3. Le 28 octobre 1987, le requérant et M. Martins Moreira introduisirent une procédure d'exécution contre les défendeurs. Ils prièrent le tribunal d'Evora d'assurer le versement de la fraction déjà chiffrée de l'indemnité et énumérèrent les biens saisissables de la société "A.G. LDA". Le 18 novembre 1987 le juge ordonna la saisie des biens énumérés et décida d'envoyer une commission rogatoire au tribunal de Lisbonne à cette fin. Le 18 janvier 1988 le tribunal de Lisbonne constata que la société "A.G. LDA" faisait l'objet d'une procédure de faillite et que de ce fait la saisie des biens était impossible. Le 23 décembre 1988 le requérant énuméra les biens saisissables appartenant à A.R. Certains de ces biens se trouvant à Arranhó le requérant demanda par ailleurs qu'une commission rogatoire soit adressée au tribunal compétent. Le 4 janvier 1989 le juge ordonna la saisie des biens énumérés se trouvant dans le ressort d'Evora et l'envoi d'une commission rogatoire au tribunal de Vila Franca de Xira pour la saisie des biens s'y trouvant. Les 8 et 17 mars 1989 le tribunal d'Evora effectua la saisie des biens de M. A.R., dont un immeuble, situés dans ce ressort. Le 30 mars 1989, faisant valoir qu'ils étaient mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, la femme de M. A.R. s'adressa au juge pour lui demander d'effectuer la séparation de son patrimoine de celui de son mari. Elle demanda la suspension de l'instance jusqu'à ce que le partage des biens du couple soit effectué (1). Le partage des biens s'est poursuivi jusqu'au 19 décembre 1989, date à laquelle la procédure prit fin au moyen d'un règlement amiable établi entre le requérant et M. Martins Moreira d'une part et le défendeur M. A.R. d'autre part, aux termes duquel M. A.R. versa aux demandeurs la somme de 8 500 000 escudos à titre de dédommagement total. --------- (1) Aux termes de l'article 85 du Code de procédure civile, lorsque la saisie est effectuée sur des biens faisant partie du patrimoine commun d'un couple, le conjoint qui n'est pas le débiteur peut demander le partage des biens. Dans ce cas, l'exécution est suspendue jusqu'au partage. Si par contre le conjoint ne se prévaut pas de cette faculté, l'exécution se poursuit normalement. ----------
GRIEFS Le requérant se plaint de la durée de la procédure qu'il a introduite en décembre 1977 devant le tribunal de première instance d'Evora. Il invoque la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 16 janvier 1989 et enregistrée le 26 avril 1989. Le 7 juin 1990, la Commission, en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à lui présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien- fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations le 20 septembre 1990 et le requérant y a répondu le 2 novembre 1990. Le 26 février 1991, la Commission a décidé de renvoyer la requête à une Chambre. Le 13 mai 1992, la Deuxième Chambre a décidé de se dessaisir de l'affaire en faveur de la Commission plénière.
EN DROIT Le requérant se plaint de la durée de la procédure civile qu'il a introduite le 20 décembre 1977 devant le tribunal de première instance d'Évora et dont la procédure d'exécution, introduite le 28 octobre 1987 devant ce même tribunal, ne s'est achevée que le 19 décembre 1989. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose notamment : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... dans un délai raisonnable, par un tribunal ... qui décidera ... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ..." Le Gouvernement soutient que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n'est applicable qu'aux procédures portant sur des "contestations" sur des droits et obligations de caractère civil. En l'espèce, la procédure portant sur une "contestation" sur les droits du requérant a pris fin le 5 février 1987 par l'arrêt de la Cour suprême. Par contre, la procédure qui a débuté le 28 octobre 1987 en vue de l'exécution de ce jugement ne porte pas sur une contestation relative à des droits et obligations de caractère civil et n'est pas couverte par les dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Cela étant, le Gouvernement conclut que la requête est tardive puisqu'elle a été soumise à la Commission le 16 janvier 1989, alors que la décision interne définitive est celle qui a été rendue le 5 février 1987 par la Cour suprême, et incompatible ratione materiae en ce qui concerne la procédure d'exécution déclenchée le 28 octobre 1987 et terminée le 19 décembre 1989. Le requérant combat cette thèse et affirme que même pendant la procédure d'exécution il y a contestation sur des droits de caractère civil qui peut faire obstacle à leur exercice. La procédure ne s'achèverait qu'avec le paiement de l'indemnité demandée et celle-ci ne peut être obtenue que dans le cadre de la procédure d'exécution, qui ne serait qu'une "phase" de l'instance. Cela étant, la requête n'est pas tardive. La Commission constate tout d'abord qu'aussi bien la procédure civile que la procédure d'exécution portent sur une contestation relative aux droits du requérant de caractère civil (voir Cour eur. D.H., arrêt Martins Moreira du 26 octobre 1988, vol. A n° 143, p. 16, par. 44). S'agissant de la règle des six mois, la Commission note que la procédure d'exécution a pris fin le 19 décembre 1989, date à laquelle un règlement amiable est intervenu entre les parties en cause. Il s'ensuit qu'en ce qui concerne cette procédure, la règle des six mois n'a pas été méconnue. La question pourrait se poser de savoir si la requête est irrecevable pour autant que le requérant se plaint de la procédure civile qui s'est terminée le 5 février 1987, à savoir plus de six mois avant l'introduction de la requête à la Commission. La Commission note à cet égard que dans l'affaire Martins Moreira la Cour européenne des Droits de l'Homme a estimé que le "délai" visé à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention couvre aussi bien la procédure civile que la procédure ultérieure d'exécution (arrêt Martins Moreira précité). Elle constate également qu'en l'espèce il s'agit d'une procédure d'exécution qui a été introduite plus de six mois après la fin de la procédure civile, c'est-à-dire à une date où une requête séparée concernant la procédure civile aurait déjà été irrecevable pour non-respect de la règle des six mois. Dans ces circonstances, on peut se demander si les organes de la Convention peuvent ultérieurement examiner au fond un grief concernant le déroulement de cette même procédure civile. Toutefois, la Commission estime que la question qui se pose à cet égard doit être vue non comme un problème du respect de l'article 26 (art. 26) de la Convention mais comme se rapportant à la détermination de la date qui doit constituer le point de départ du délai visé à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il n'y a donc pas lieu de retenir l'exception soulevée par le Gouvernement concernant le non-respect de l'article 26 (art. 26) de la Convention. En ce qui concerne le bien-fondé, le Gouvernement se limite à souligner que la procédure d'exécution n'a pas dépassé le "délai raisonnable" et que les retards indéniables sont dus au comportement du requérant. Le requérant, quant à lui, estime que le laps de temps écoulé ne saurait passer pour "raisonnable" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission constate que la détermination du début de la période pertinente doit relever de l'examen du fond de l'affaire. La procédure civile a commencé le 20 décembre 1977, et si cette procédure devait être prise en considération, la date pertinente serait le 9 novembre 1978, date de la prise d'effet de la déclaration du Portugal reconnaissant le droit de recours individuel (voir arrêt Martins Morreira précité, par. 43). Si, par contre, il y avait lieu de tenir compte uniquement de la procédure d'exécution, le point de départ serait le 28 octobre 1987, date à laquelle cette procédure a été introduite. Dans les deux hypothèses, la fin de la période pertinente se situe au 19 décembre 1989. Selon sa jurisprudence constante, en examinant le caractère raisonnable de la durée d'une procédure, la Commission doit prendre en considération la complexité de l'affaire, le comportement des parties et la manière dont l'affaire a été conduite par les autorités compétentes. Après avoir examiné l'argumentation des parties, la Commission estime que le grief tiré de la violation de cette disposition soulève des problèmes de droit et de fait suffisamment complexes pour que leur solution doive relever d'un examen du bien-fondé de la requête. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire adjoint Le Président en exercice de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 14940/89
Date de la décision : 19/05/1992
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Parties
Demandeurs : S.
Défendeurs : le PORTUGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-05-19;14940.89 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award