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10/02/1993 | CEDH | N°18312/91

CEDH | R.K. contre les PAYS-BAS


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 18312/91 présentée par R.K. contre les Pays-Bas __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 février 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MART

INEZ J.-C. GEUS M. K. ROG...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 18312/91 présentée par R.K. contre les Pays-Bas __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 février 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. GEUS M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre, Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 27 mars 1991 par R.K. contre les Pays-Bas et enregistrée le 6 juin 1991 sous le No de dossier 18312/91 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant est un ressortissant turc, né en 1959. Il est vendeur et réside à Zaandam (Pays-Bas). Devant la Commission, il est représenté par Me A.G. Van der Pas, avocat à Amsterdam. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le 16 mars 1988, le requérant fut arrêté en compagnie de deux autres prévenus à Amsterdam. Il fut ultérieurement inculpé, de même qu'un dénommé Y., d'avoir vendu à deux reprises de l'héroïne, à savoir 495 grammes le 8 mars 1988 et 450 grammes le 16 mars 1988. Interrogé sur les faits en présence de son avocat par le juge d'instruction (rechter-commissaris) les 26 avril et 6 mai 1988, le requérant reconnut avoir effectué les transactions reprochées en compagnie d'Y. La drogue avait été livrée à un certain John - en réalité un pseudo-acheteur, officier (hoofdagent) assermenté de la police communale d'Amsterdam connu sous le code "A 117" et une autre personne, un certain Frits, en réalité un informateur de la police connu sous le code "informateur 434" ("informant 434"). Ce dernier avait le 29 février 1988 informé les enquêteurs de la police municipale que quelqu'un lui avait signalé l'existence d'une personne cherchant des acheteurs d'héroïne. Agissant sur instruction des enquêteurs de la police communale chargée de l'affaire, l'informateur 434 avait alors établi les premiers contacts avec Y. et avait également participé aux transactions. Le 11 mai 1988, le juge d'instruction, accompagné des avocats du requérant et de Y., entendit A 117 et l'informateur 434. Ces deux personnes étaient placées dans une pièce distincte de celle où se trouvait le juge d'instruction et les avocats. Une liaison sonore avait été aménagée entre les deux pièces et un agent de la police communale d'Amsterdam avait certifié au juge que les personnes se trouvant dans l'autre pièce étaient bien A 117 et l'informateur 434. Ce dernier ne voulut donner aucune indication sur sa profession. Il refusa également de confirmer ou d'infirmer qu'il était lié avec la police communale d'Amsterdam. Il refusa en outre de répondre à une question d'un avocat concernant la personne par l'intermédiaire de laquelle il aurait été mis en contact avec Y. Une première audience eut lieu devant le tribunal régional (Arrondissementsrechtbank) d'Amsterdam le 29 juin 1988. Lors de la seconde audience le 21 octobre 1988, le tribunal recommença l'examen de l'affaire eu égard au fait qu'il était autrement composé qu'en date du 29 juin. L'avocat du requérant, après avoir signalé qu'elle avait déjà en vain fait pareille demande au procureur (Officier van justitie) par lettre du 14 octobre 1988, demanda l'audition de A 117 et de l'informateur 434 par le tribunal ou par le procureur de la Reine, expliquant qu'il était nécessaire de découvrir l'identité de la personne qui avait mis l'informateur 434 en contact avec Y., afin d'établir s'il y avait eu ou non provocation de sa part. Après délibération, le tribunal rejeta la demande. Il releva que le requérant avait toujours affirmé avoir été incité à agir par Y., tandis que celui-ci soutenait que le requérant l'avait incité à agir. Il ne semblait nullement que le requérant et Y. aient été provoqués par la personne mise en cause. Le tribunal nota à cet égard qu'il ne ressortait pas des déclarations du requérant et d'Y. que ladite personne ait joué un rôle d'une quelconque importance. Le tribunal reprit ensuite l'instruction de l'affaire et procéda, entre autres, à l'audition du requérant qui confirma les aveux faits devant le juge d'instruction. Par jugement du 4 novembre 1988, le tribunal régional déclara établies les préventions à charge du requérant, se fondant sur les aveux de ce dernier, les déclarations de A 117 et de l'informateur 434, ainsi que sur des procès-verbaux relatant les dépôts de la drogue par A 117 et les résultats des examens de laboratoire faits suite à ces dépôts. Le requérant fut condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement. Le requérant et le ministère public interjetèrent appel. Lors de la première audience devant la cour d'appel (Gerechtshof) d'Amsterdam, l'avocat du requérant demanda à la cour l'audition de A 117 et de l'informateur 434, après avoir signalé qu'elle avait déjà fait pareille demande au procureur-général (procureur-generaal) d'Amsterdam par lettre du 23 mars 1989. Il précisa à cet égard que si la personne ayant mis l'informateur 434 en contact avec Y. n'était pas K., c'est-à-dire l'homme avec lequel ils avaient eu des contacts en vue de la vente d'héroïne, il se posait la question du rôle de ladite personne qui aurait pu approcher Y. pour l'inviter à vendre de l'héroïne. Dans cette hypothèse pouvait se poser la question d'une éventuelle provocation. Elle allégua que la comparution des deux témoins était nécessaire pour clarifier ces points. Après avoir suspendu l'audience et délibéré sur ce point, la cour d'appel rejeta la demande. Elle rappela d'abord que ces deux personnes avaient été entendues comme témoins par le juge d'instruction et que l'avocat du requérant avait eu, à cette occasion, l'opportunité de leur poser des questions. Elle ajouta qu'il ne ressortait pas des procès- verbaux d'audition de ces personnes qu'elles auraient pu apporter des informations utiles sur la question d'une éventuelle provocation suggérée par le requérant. Elle ajouta qu'il n'existait dans le dossier répressif aucun élément de fait suggérant une éventuelle provocation et releva que le requérant n'avait fait état d'aucun fait ou circonstance de nature à l'étayer. La cour d'appel reprit ensuite l'examen de l'affaire et procéda, entre autres, à l'audition du requérant qui admit sa participation aux transactions des 8 et 16 mars 1988, confirmant sa déclaration devant le juge d'instruction. La cour tint une seconde audience le 19 mai 1988. Par arrêt du 2 juin 1989, la cour d'appel d'Amsterdam déclara établies les préventions à charge du requérant, se fondant pour l'essentiel sur les mêmes éléments que ceux retenus par le tribunal régional. Le requérant fut condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement. Par arrêt du 2 octobre 1990, la Cour suprême (Hoge Raad) rejeta un pourvoi du requérant qui se plaignit entre autres de la non-audition de A 117 et de l'informateur 434. A cet égard, la Cour suprême releva, entre autres, que la condamnation se fondait en grande partie sur d'autres éléments de preuve, parmi lesquels les aveux du requérant, qui correspondaient pour l'essentiel avec les éléments de preuve recueillis de source anonyme.
GRIEF Le requérant se plaint du fait que les tribunaux du fond néerlandais l'aient condamné en se fondant sur des déclarations écrites de A 117 et de l'informateur 434, c'est-à-dire des témoins anonymes, sans qu'il ait eu pleinement la possibilité de les interroger sur tous les points pertinents pour l'établissement des faits. Il rappelle que l'informateur 434 avait refusé de répondre à certaines questions posées par son avocat lors de l'audition du 11 mai 1988. Il ajoute que le juge d'instruction ne connaissait pas l'identité de ces deux personnes, de sorte qu'il n'a pu s'assurer de leur crédibilité ou vérifier si ceux-ci avaient effectivement des raisons sérieuses de se sentir menacés, circonstance qui justifiait de ne pas dévoiler leur identité ou celle de la personne ayant mis l'informateur 434 en relation avec Y. Il est d'avis que la comparution de A 117 et de l'informateur 434 était déterminante pour l'établissement d'une possible provocation. Il invoque l'article 6 par. 1 et 3 d) de la Convention.
EN DROIT Le requérant se plaint du fait que les tribunaux du fond néerlandais l'aient condamné en se fondant, entre autres, sur des déclarations écrites de deux témoins anonymes sans qu'il ait eu pleinement la possibilité de les interroger sur tous les points pertinents pour l'établissement des faits. Il invoque l'article 6 par. 1 et 3 (art. 6-1, 6-3) de la Convention. La partie pertinente de l'article 6 (art. 6) de la Convention est ainsi libellée : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) (...) 3. Tout accusé a droit notamment à : (...) d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge." La Commission rappelle en premier lieu que les exigences du paragraphe 3 de l'article 6 (art. 6) représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1 (voir notamment Cour eur. D.H., arrêt Kostovski du 20 novembre 1989, série A n° 166, p. 19 par. 39 ; Cour eur. D.H., arrêt Windisch du 27 septembre 1990, série A n° 186, p. 9 par. 23). Elle examinera le grief du requérant sous l'angle des deux textes combinés. La Commission rappelle ensuite que la question de la recevabilité des moyens de preuve relève au premier chef des règles du droit interne et qu'il revient en principe aux juridictions nationales d'apprécier les éléments de preuve recueillis par elles. La tâche des organes de la Convention consiste à rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (cf. notamment arrêt Lüdi du 15 juin 1992, par. 43, à paraître dans série A n° 238). D'après la jurisprudence constante de la Cour, les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne saurait les accepter que sous réserve des droits de la défense; en règle générale, les paragraphes 3 d) et 1 de l'article 6 (art. 6-1, 6-3-d) commandent d'accorder à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard (cf. arrêt Asch du 26 avril 1991, série A n° 203, p. 10 par. 27 ; arrêt Lüdi précité, par. 47). Dès lors, la déclaration d'un témoin ne doit pas "toujours se faire dans le prétoire et en public pour pouvoir servir de preuve : utiliser de la sorte des dépositions remontant à la phase de l'instruction préparatoire ne se heurte pas en soi aux paragraphes 3 d) et 1 de l'article 6 (art. 6), sous réserve du droit de la défense" (cf. Cour eur. D.H., arrêt Kostovski précité, p. 20 par. 41). La Commission constate d'abord que la présente affaire se distingue des affaires Kostovski et Windisch (voir Cour eur. D.H. arrêts Kostovski et Windisch précités) où les condamnations incriminées reposaient sur des déclarations de témoins anonymes. En l'espèce, il s'agissait d'un officier de police assermenté, accompagné d'un informateur de la police qui agissait suite aux instructions d'autres officiers de police. Le juge d'instructioin n'ignorait pas la mission de A 117 et le rôle de l'informateur 434. Si les juridictions de jugement n'ont pas entendu A 117 et l'informateur 434, ces deux personnes ont été entendues le 11 mai 1988 par le juge d'instruction, accompagné par l'avocat du requérant. Le requérant a donc eu une occasion adéquate et suffisante de contester les témoignages de ces deux personnes. Le simple fait que l'avocat du requérant n'ait pas reçu de réponse à ses questions concernant la profession de l'informateur et ses liens avec la police, ainsi qu'à ses questions concernant l'identité de la personne l'ayant mis en contact avec Y. n'est pas de nature à entraîner, de l'avis de la Commission, une limitation du droit du requérant à un débat contradictoire. La Commission relève à cet égard que la cour d'appel a estimé qu'il n'existait dans le dossier répressif aucun élément de fait suggérant une éventuelle provocation et ajouté que le requérant n'avait fait état d'aucun fait ou circonstance de nature à l'étayer. Le fait que le juge d'instruction n'a pas pu s'assurer de l'identité de ces personnes n'est pas non plus déterminant en l'espèce, dès lors qu'un agent de la police communale d'Amsterdam, officier de police assermenté, lui avait certifié que les personnes avec lesquelles il était en liaison sonore étaient bien A 117 et l'informateur 434. La Commission rappelle sur ces deux points qu'elle a déjà estimé que "dans le cadre de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire peuvent être, en effet, amenés à recueillir des confidences de personnes ayant un intérêt légitime à garder l'anonymat" et que "si cet anonymat devait être refusé et si ces personnes devaient être obligées de comparaître à l'audience, nombre de renseignements nécessaires à la répression des infractions pénales ne seraient jamais portés à la connaissance des autorités responsables de poursuites" (N° 8718/78, déc. 4.5.79, D.R. 16 p. 200). La Commission relève enfin que pour établir le comportement culpeux du requérant, la cour d'appel s'est principalement basée sur les aveux du requérant, réitérés tout au long de la procédure dirigée contre lui. La Cour suprême a relevé à cet égard que ces aveux correspondaient pour l'essentiel avec les éléments de preuve recueillis de source anonyme. Dès lors, les témoignages litigieux ne constituaient point le seul élément sur lequel les juges avaient appuyé leur conviction (cf. Cour eur. D.H., arrêt Asch précité, p. 11, par. 30). Eu égard à ces circonstances, l'examen des faits critiqués ne permet pas à la Commission de déceler l'apparence d'une atteinte aux droits de la défense garantis par l'article 6 par. 3 (art. 6-3) de la Convention ou d'une violation du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition. Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Parties
Demandeurs : R.K.
Défendeurs : les PAYS-BAS

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission
Date de la décision : 10/02/1993
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18312/91
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-02-10;18312.91 ?

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