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31/03/1993 | CEDH | N°17062/90

CEDH | BARRE contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 17062/90 présentée par François et Marie-Josée BARRE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ

J.-C. GEUS M. NOWICKI ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 17062/90 présentée par François et Marie-Josée BARRE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. GEUS M. NOWICKI M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 1er août 1990 par François et Marie-Josée BARRE contre la France et enregistrée le 24 août 1990 sous le No de dossier 17062/90 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 1er juillet 1992 et les observations en réponse des requérants présentées le 24 août 1992 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, de nationalité française, est né en 1954. Il est cadre et actuellement détenu à la maison d'arrêt de Fresnes. La requérante, de nationalité française, est née en 1953 et exerce la profession de comptable. Elle est actuellement détenue à la maison d'arrêt des femmes de Ste Geneviève des Bois. Dans la procédure devant la Commission, ils sont représentés par Maître Christian Etelin, avocat au barreau de Toulouse. Les faits de la cause, tels que présentés par les parties, peuvent se résumer ainsi. Dans le cadre d'une information ouverte contre X. le 2 juin 1986 du chef d'infraction à la législation sur les stupéfiants, le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Toulouse délivra au Commissariat central de Toulouse deux commissions rogatoires ordonnant la mise sur table d'écoutes des lignes téléphoniques personnelle et professionnelle de M. B. soupçonné d'appartenir à un réseau de trafiquants de drogue. Le 1er octobre 1986, M. B. fut interpellé par les services de police et avoua qu'il se livrait effectivement à un trafic d'héroïne. Il proposa alors de prendre contact téléphoniquement avec son fournisseur afin d'établir la véracité de ses propos. Sur accord du magistrat instructeur, la proposition de M. B. fut mise en oeuvre et conduisit le 9 octobre 1986 à l'arrestation des requérants. Devant le tribunal correctionnel de Toulouse, l'un des prévenus, Mme E., souleva l'exception de nullité des procès-verbaux relatifs aux appels téléphoniques passés par M. B. et ayant permis son inculpation. Devant le tribunal correctionnel les requérants s'associèrent aux conclusions présentées par leurs co-accusés. Par jugement du 5 août 1987, le tribunal estima : "qu'en reprenant contact avec son fournisseur le 1er octobre 1986, M. B. a été amené à provoquer la commission d'une infraction supplémentaire. Il n'est donc pas contestable que les éléments de preuve recueillis à cette occasion ont été obtenus par des procédés déloyaux. De même si les écoutes téléphoniques ou enregistrement des conversations sont admis en droit français, c'est sous la condition expresse que ce moyen soit mis en oeuvre sans artifice, ni stratagème et que les droits de la défense soient garantis. Or, il est constant que M. B. a téléphoné à Barre ... sous le contrôle de la police, dans le but de tendre un piège à celui-ci. En conséquence, l'exception soulevée ... est fondée." Sur appel du Ministère public, le 7 août 1987, la cour d'appel de Toulouse, par arrêt du 26 novembre 1987, réforma le jugement du 5 août 1987 au motif que "la mise sur écoute des lignes téléphoniques de M. B. par l'officier de police judiciaire agissant dans le cadre de la commission rogatoire du magistrat instructeur, mesure susceptible d'arrêter la continuation d'une infraction et d'en identifier le ou les auteurs constitue un acte régulier d'information ... que ces conversations téléphoniques ne peuvent en aucun cas constituer une provocation à la commission d'un délit nouveau mais simplement un moyen de constatation d'un délit d'habitude ... que les appels téléphoniques de M. B. n'avaient pour but que la recherche d'identification des différents auteurs de l'infraction qu'il avait mis en cause, de constater sa commission une nouvelle fois et d'en empêcher la perpétration, qu'il ne s'agit nullement comme l'ont soutenu les défenseurs des prévenus, d'un procédé déloyal, de mise en oeuvre d'artifice ou stratagème de guet apens, de provocation de commission d'une nouvelle infraction." Quant au fond, la cour d'appel, par arrêt du 24 novembre 1988, condamna chacun des requérants à cinq ans de prison, ainsi qu'à des pénalités douanières. Les requérants se pourvurent en cassation à l'encontre des arrêts du 26 novembre 1987 (portant sur l'annulation des actes de procédure) et du 24 novembre 1988 (portant sur le fond) rendus par la cour d'appel de Toulouse. Par arrêt du 5 février 1990, la Cour de cassation déclara irrecevable le moyen tiré de l'illégalité des écoutes téléphoniques au regard de l'article 8 de la Convention considérant que les requérants ne pouvaient se prévaloir du jugement du tribunal correctionnel, quant à l'exception de nullité, celle-ci ayant été invoquée non pas par les requérants, mais par l'un des prévenus, Mme E.. La Cour de cassation rejeta par ailleurs les pourvois dont elle était saisie.
GRIEFS Les requérants contestent la légalité des écoutes téléphoniques qui ont conduit à leur arrestation. Ils invoquent à cet égard les dispositions de l'article 8 de la Convention. Ils soutiennent ensuite que la Cour de cassation, en déclarant irrecevable l'exception de nullité des écoutes téléphoniques soulevée devant elle, a méconnu le fait qu'ils s'étaient associés aux conclusions de leurs co-accusés, et qu'ils pouvaient dès lors être considérés comme ayant soulevé devant le tribunal correctionnel et avant toute défense au fond, l'exception de nullité. Ils estiment n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 1er août 1990 et enregistrée le 24 août 1990. Le 13 janvier 1992, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs tirés des articles 8 et 6 (équité de la procédure) de la Convention. Elle a le même jour déclaré irrecevable le grief tiré de la durée de la procédure (article 6 par. 1). Le Gouvernement a présenté ses observations le 1er juin 1992, après une prorogation du délai. Les observations en réponse ont été présentées par les requérants en date du 24 août 1992, après une prorogation du délai.
EN DROIT Les requérants contestent la légalité d'écoutes téléphoniques qui, selon eux, ont conduit à leur condamnation. Ils considèrent que ces écoutes constituent une ingérence injustifiée dans l'exercice du droit au respect de leur vie privée et de leur correspondance, en violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention, ainsi libellée : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." Les requérants se plaignent en outre de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce que la Cour de cassation, en déclarant irrecevable l'exception de nullité des écoutes téléphoniques soulevée devant elle, a méconnu le fait qu'ils s'étaient associés aux conclusions de leurs co-accusés et qu'ils pouvaient de ce fait être considérés comme ayant soulevé devant le tribunal correctionnel et avant toute défense au fond l'exception de nullité. Le Gouvernement soulève deux exceptions d'irrecevabilité.
1. La première concerne la requérante. A cet égard le Gouvernement soutient qu'elle ne peut se prétendre victime au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention car elle ne serait ni victime directe, puisqu'elle n'a jamais été écoutée personnellement, ni victime potentielle puisqu'elle a eu accès à tout le dossier d'instruction et a donc pu exercer son contrôle sur toutes les mesures prises par le juge dans le cadre de l'information, ni enfin victime indirecte parce qu'elle n'a pas été mentionnée dans les conversations enregistrées et qu'elle n'a pas subi de préjudice personnel dans sa vie privée du fait de ces écoutes. Le Gouvernement estime donc que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention. La Commission rappelle tout d'abord que selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, les conversations téléphoniques se trouvent incluses dans les notions de "vie privée" et de "correspondance" au sens de l'article 8 (art. 8). L'interception de conversations téléphoniques s'analyse, dès lors, en une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice d'un droit garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8) (Cour. eur. D.H., arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21, par. 40, arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82, p. 30, par. 64 et plus récemment, arrêts Kruslin et Huvig du 24 avril 1990, série A n° 176, respectivement p. 20, par. 26 et p. 52, par. 25). En l'espèce, la Commission observe que la ligne de la requérante n'a pas été mise sur table d'écoutes, et que la requérante n'a pas été écoutée personnellement, ni même mentionnée dans les conversations captées et enregistrées. La Commission considère donc que les écoutes téléphoniques en cause n'ont pas constitué une ingérence dans la vie privée de la requérante, qui ne peut ainsi se prévaloir de la qualité de victime. En outre, la Commission note l'étroite corrélation entre les deux griefs de la requérante, l'illégalité alléguée des écoutes télépho- niques pouvant porter atteinte à l'équité de la procédure au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Elle en conclut que le défaut de qualité de victime de la requérante au titre de l'article 8 (art. 8), se répercute sur le grief tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission estime dès lors que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable comme étant incompatible ratione personae avec les dispostitions de la Convention au sens de son article 27 par. 2 (art. 27-2).
2. La deuxième objection du Gouvernement est tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant n'a pas régulièrement soulevé devant les juridictions internes le grief tiré de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il s'est borné à soulever le moyen devant la Cour de cassation, qui l'a rejeté pour forclusion. En effet, celle-ci a fait application de l'article 385 du Code de procédure pénale qui dispose que "les exceptions tirées de la nullité soit de la citation, soit de la procédure antérieure, doivent à peine de forclusion, être présentées avant toute défense au fond." Dans ces conditions, la Cour de cassation ne pouvait que constater la forclusion. Pour le Gouvernement et selon une jurisprudence constante des organes de la Convention, doit être assimilée à un défaut d'épuisement des voies de recours internes une voie de recours irrégulièrement introduite. Tel est bien le cas en l'espèce. Dès lors, de l'avis du Gouvernement, le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Quant au grief tiré de l'article 6 (art. 6) de la Convention et selon le Gouvernement, force est de constater qu'il n'a jamais été soulevé devant les juridictions françaises. Dès lors, le requérant ne peut soutenir pour la première fois devant la Commission européenne une prétendue violation de la Convention à laquelle les tribunaux français n'ont pas été mis en mesure de remédier. Le requérant conteste cette argumentation. Il estime, contrairement aux affirmations du Gouvernement qui soutient qu'il n'y a pas eu erreur de la part des juridictions internes, que d'une part cette erreur existe et que, d'autre part, elle a entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention, et que, dès lors, la Commission est compétente. En effet, il estime être victime à la fois d'une erreur de fait et d'une erreur de droit car l'exception de procédure relative à l'irrégularité des écoutes téléphoniques a bel et bien été soulevée in limine litis par son avocat, son grief a été présenté oralement devant le tribunal correctionnel, puis par écrit devant la cour d'appel et la Cour de cassation. Il s'ensuit, selon le requérant, que la décision de la Cour de cassation limite l'effet direct des droits découlant de la Convention en imposant de nouvelles obligations procédurales, et porte ainsi atteinte à ses droits. La Commission relève que la Cour de cassation a déclaré irrecevable l'exception de nullité des écoutes téléphoniques soulevée devant elle par le requérant en raison de ce que ladite exception avait été soulevée devant le tribunal correctionnel uniquement par l'un des prévenus, Mme E., et que le requérant ne pouvait en conséquence s'en prévaloir. La question pourrait se poser de savoir si le recours devant la Cour de cassation était en tout état de cause voué à l'échec. A cet égard, la Commission rappelle qu'elle a eu l'occasion d'affirmer à maintes reprises qu'est dispensé d'exercer un recours interne celui qui établit qu'en vertu de la jurisprudence ce recours est voué à l'échec (voir par exemple N° 8345/78, déc. 6.3.80, D.R. 19 p. 230). La Commission relève qu'à l'époque où les tribunaux ont statué dans le cas d'espèce, les juridictions françaises n'ont estimé contraires à l'article 8 (art. 8) de la Convention ou au droit interne stricto sensu que des écoutes accompagnées d'un artifice ou stratagème (voir notamment Cour de cass. Ch. crim. 4.11.87, 15.2.88 et 15.3.88) ou réalisées sans commission rogatoire, au stade de l'enquête préliminaire (voir notamment Cour de cass. Ch. crim. 13.6.89, Bull. N° 254 pp. 635-637) ou dans des conditions demeurées obscures au mépris des droits de la défense (voir cour d'appel de Paris, Ch. d'acc. 31.10.84, GP 1985 sommaires pp. 94-95). Dans tous les autres cas, les juridictions ont tantôt constaté l'absence de violation, tantôt déclaré le moyen irrecevable pour des raisons diverses. En l'espèce, il échet de constater que le tribunal correctionnel a estimé que les écoutes étaient illégales car accompagnées d'un stratagème. La cour d'appel, quant à elle, a conclu à l'absence d'un quelconque stratagème. La Commission estime, au vu des circonstances propres de l'affaire, que si la Cour de cassation avait statué au fond, elle aurait pu juger, à l'instar du tribunal correctionnel, qu'il y avait eu en l'espèce stratagème ou artifice et donc constater une violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Cette voie de recours n'était pas manifestement vouée à l'échec, et la Commission considère que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes, en conformité avec l'article 26 (art. 26) de la Convention, dans la mesure où il n'a pas personnellement invoqué l'irrégularité des écoutes téléphoniques devant les juridictions du fond avant de saisir la Cour de cassation. Quant au grief tiré d'une violation du droit à un procès équitable au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention, la Commission note que, dans la mesure où il est étroitement lié au grief tiré de l'article 8 (art. 8) , le requérant doit également être considéré comme n'ayant pas épuisé les voies de recours internes, et ce d'autant plus qu'il n'a jamais expressément soulevé ce grief devant les juridictions internes. La Commission estime dès lors que cet aspect de la requête doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K.ROGGE) (S. TRECHSEL)


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) PEINE DEGRADANTE


Parties
Demandeurs : BARRE
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission
Date de la décision : 31/03/1993
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17062/90
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-03-31;17062.90 ?

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