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31/03/1993 | CEDH | N°18005/91

CEDH | LANDRA contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE sur la requête No 18005/91 présentée par Thierry LANDRA contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ

J.-C. GEUS M. NOWICKI M. ...

SUR LA RECEVABILITE sur la requête No 18005/91 présentée par Thierry LANDRA contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. GEUS M. NOWICKI M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 20 mars 1991 par Thierry LANDRA contre la France et enregistrée le 27 mars 1991 sous le No de dossier 18005/91 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 29 juin 1992 et les observations en réponse présentées par le requérant le 31 juillet 1992 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant, de nationalité française, est né en 1962 et réside à Cagnes-Sur-Mer. Il est sans profession. Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Maître Claire Waquet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Les faits, tels que présentés par les parties, peuvent se résumer ainsi : Le 23 octobre 1987, une information fut ouverte à l'encontre de M. R. des chefs d'escroqueries, vols, recels, complicité d'escroqueries, usage de fausses plaques d'immatriculation. Au vu des éléments recueillis dans le cadre des investigations, le juge d'instruction près le tribunal de grande instance d'Agen soupçonna l'existence d'un réseau de trafiquants de voitures volées ou accidentées et ordonna en conséquence par commissions rogatoires des 1er et 25 février 1988, la mise sur table d'écoutes de certaines personnes susceptibles d'être impliquées dans ledit trafic. L'enregistrement d'appels téléphoniques conduisit à l'inculpation du requérant. Le 23 mai 1990, le juge d'instruction, sur demande du requérant, saisit la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Agen faisant valoir l'illégalité des écoutes téléphoniques au regard des dispositions du droit interne et de la Convention européenne des droits de l'Homme. Par arrêt du 20 juin 1990, la chambre d'accusation estima que "les conditions de retranscription et de conservation du support des conversations écoutées sont conformes aux exigences qui selon la Cour européenne se déduisent du texte de la Convention." Le requérant se pourvut en cassation à l'encontre dudit arrêt, invoquant le défaut de clarté et de précision de la loi française réglementant la mise sur table d'écoutes, contrairement aux exigences posées par l'article 8 par. 2 de la Convention. Par arrêt du 26 novembre 1990, la Cour de cassation estima que: "les écoutes et enregistrements litigieux trouvent une base légale dans les articles 81 et 151 du Code de procédure pénale; qu'ils peuvent être effectués à l'insu des personnes intéressées, qui ne sont pas seulement celles sur qui pèsent les indices de culpabilité, s'ils sont opérés pendant une durée limitée, sur l'ordre d'un juge et sous son contrôle en vue d'établir la preuve d'un crime ou de toute autre infraction portant gravement atteinte à l'ordre public, et d'en identifier les auteurs; qu'il faut en outre que l'écoute soit obtenue sans artifice ni stratagème et que sa transcription puisse être contradictoirement discutée par les parties concernées, le tout dans le respect des droits de la défense; que ces prescriptions auxquelles il n'est pas établi qu'il ait été dérogé en l'espèce, répondent aux exigences de l'article 8 par. 2 de la Convention." GRIEFS Le requérant conteste la légalité des écoutes téléphoniques ordonnées par le juge d'instruction près le tribunal de grande instance d'Agen et allègue à cet égard la violation de l'article 8 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 20 mars 1991 et enregistrée le 27 mars 1991. Le 13 janvier 1992, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 29 juin 1992, après deux prorogations du délai. Les observations en réponse du requérant sont parvenues le 31 juillet 1992.
EN DROIT Le requérant allègue que la mise sur table d'écoutes, sur commission rogatoire du juge d'instruction, et l'interception de conversations téléphoniques dont il a fait l'objet, constituent une ingérence injustifiée dans son exercice du droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, en violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention, ainsi libellée : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." Le Gouvernement défendeur estime qu'en l'espèce le grief du requérant est dénué de fondement. Il reconnaît que les conversations interceptées entre le requérant et ses interlocuteurs constituent une ingérence dans la vie privée du requérant. Cependant, il estime qu'en l'espèce, à la différence des affaires Kruslin et Huvig, la qualité de la "loi" était, au moment où la Cour de cassation a statué, conforme au regard des exigences prévues par l'article 8 (art. 8) de la Convention telles que définies par la jurisprudence de la Cour européenne. La Cour européenne ayant admis dans ses arrêts Kruslin et Huvig l'existence d'une base légale en droit interne, ainsi que l'accessibilité de la loi, le Gouvernement se contente de démontrer qu'en l'espèce l'exigence tenant à la qualité de la loi était remplie. Cette opinion est motivée par trois éléments. D'une part, le Garde des Sceaux avait, dès le 27 avril 1990, transmis à tous les chefs de juridictions une circulaire visant à mettre en conformité la pratique des tribunaux avec la jurisprudence de la Cour européenne. Il y indiquait notamment qu'il appartenait "aux juridictions du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, d'élargir leur contrôle sur les modalités de mise en oeuvre des écoutes téléphoniques, telles que précisées par la Cour européenne". Pour le Gouvernement, c'est bien dans ce sens que le contrôle a été effectué par la Cour de cassation dans la présente affaire. D'autre part, il résulte de cette circulaire que le Garde des Sceaux entendait faire appliquer les règles définies dans les arrêts précités immédiatement et directement à tous les cas d'écoutes téléphoniques dont étaient saisies les autorités judiciaires dès le 24 avril 1990, date des arrêts précités de la Cour européenne. Enfin, la Cour européenne avait déjà rendu ses arrêts Kruslin et Huvig et la Cour de cassation avait également déjà eu l'occasion d'appliquer les principes jurisprudentiels dégagés par la Cour avant de rendre son arrêt dans la présente affaire le 26 novembre 1990. La Cour de cassation, dans son arrêt du 15 mai 1990 (arrêt Bacha), ainsi que dans les arrêts qui ont suivi et notamment celui du 23 octobre 1990 (arrêt Picaud) avait en effet défini, pour tenir compte de la jurisprudence européenne, des critères de contrôle des écoutes téléphoniques en fonction des garanties mises à l'exercice de l'ingérence telles qu'elles avaient été précisées par la Cour européenne au paragraphe 35 de son arrêt Kruslin. L'antériorité de l'arrêt Bacha par rapport à la présente affaire renforce le critère de prévisibilité de la loi qui n'existait pas suffisamment dans les affaires Kruslin et Huvig. Dès lors, le Gouvernement estime que l'exigence de prévisibilité existait bien dans la présente affaire. Enfin, le Gouvernement estime qu'en l'espèce l'ingérence dans la vie privée du requérant était parfaitement justifiée au regard du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) de la Convention. En effet, outre les garanties judiciaires dont les interceptions se sont accompagnées comme toutes les interceptions effectuées à cette époque, il convient de souligner que la Cour de cassation a énoncé les garanties qu'elle avait déjà eu l'occasion de dégager dans son arrêt Bacha et a renforcé ses garanties en fonction du cas d'espèce. La Cour de cassation a ainsi précisé que les écoutes et enregistrements téléphoniques ne peuvent être ordonnés "qu'en vue d'établir la preuve d'un crime ou de toute autre infraction portant gravement atteinte à l'ordre public" et que leurs "transcriptions puissent être contradictoirement discutées par les parties concernées, le tout dans le respect des droits de la défense". Enfin, la Cour de cassation a ajouté que les écoutes et enregistrements doivent être opérés "pendant une durée limitée". Pour le Gouvernement, il est indéniable que l'écoute était justifiée en l'espèce, s'agissant en effet de découvrir les auteurs d'un trafic important portant sur des dizaines de véhicules volés. Par ailleurs, l'écoute a été ordonnée sur la base d'éléments solides, la découverte de documents administratifs, partiellement calcinés, et l'existence d'une autre procédure qui, bien que distincte, avait néanmoins des liens étroits avec la présente procédure. Dès lors, le Gouvernement estime que l'ingérence dans la vie privée du requérant était nécessaire à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales. Le requérant conteste cette argumentation. Il soutient que, contrairement aux affirmations du Gouvernement, on ne saurait considérer en l'espèce la loi française comme suffisante au regard des exigences de la Convention. En effet, ni la jurisprudence, ni la circulaire du Garde des Sceaux du 27 avril 1990, ne peuvent être considérées comme constituant la "loi" au sens de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Par ailleurs, les précisions apportées par la Cour de cassation sont de peu de signification si l'on considère que c'est précisément l'écoute déclarée nulle par la Cour européenne, dans son arrêt Kruslin, que la Cour de cassation valide trois semaines plus tard dans son arrêt Bacha. En outre, le requérant souligne que pratiquement aucune annulation d'écoute n'a eu lieu depuis les arrêts précités de la Cour européenne. Enfin, la nouvelle loi intervenue en la matière en date du 10 juillet 1991 ne saurait être prise en compte puisqu'elle est postérieure aux écoutes litigieuses. A présent, la Commission est appelée à rechercher si la mise sur table d'écoutes et l'interception de conversations téléphoniques dont le requérant a fait l'objet, constituent une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance au sens de l'article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention qui puisse se justifier au regard du paragraphe 2 de ladite disposition. La Commission rappelle tout d'abord que selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, les conversations téléphoniques se trouvent incluses dans les notions de "vie privée" et de "correspondance" au sens de l'article 8 (art. 8). L'interception de conversations téléphoniques s'analyse, dès lors, en une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice d'un droit garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8) (Cour. eur. D.H., arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21, par. 40, arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82, p. 30, par. 64 et plus récemment, arrêts Kruslin et Huvig du 24 avril 1990, série A n° 176, respectivement p. 20, par. 26 et p. 52, par. 25). La Commission a procédé à un examen préliminaire des arguments des parties, à la lumière notamment des arrêts précités de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Elle estime que la requête pose de sérieuses questions au regard du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8- 2), notamment la question de savoir si les normes juridiques nationales qui constituent la base légale de la mesure en question indiquent avec assez de clarté l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine considéré et offrent un degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique (voir arrêts Kruslin et Huvig précités, respectivement par. 36 et 35). Ces questions ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête mais nécessitent un examen au fond. Dès lors la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 18005/91
Date de la décision : 31/03/1993
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) PEINE DEGRADANTE


Parties
Demandeurs : LANDRA
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-03-31;18005.91 ?

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