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30/06/1993 | CEDH | N°16130/90

CEDH | AFFAIRE SIGURDUR A. SIGURJÓNSSON c. ISLANDE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE SIGURDUR A. SIGURJÓNSSON c. ISLANDE
(Requête no16130/90)
ARRÊT
STRASBOURG
30 juin 1993
En l’affaire Sigurdur A. Sigurjónsson c. Islande*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
B. Walsh,

R. Macdonald,
Mme  E. Palm,
MM.  J.M. Morenilla,
F. Bigi,
G. Mifsud Bonnici,
J. Makarczyk,
...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE SIGURDUR A. SIGURJÓNSSON c. ISLANDE
(Requête no16130/90)
ARRÊT
STRASBOURG
30 juin 1993
En l’affaire Sigurdur A. Sigurjónsson c. Islande*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
B. Walsh,
R. Macdonald,
Mme  E. Palm,
MM.  J.M. Morenilla,
F. Bigi,
G. Mifsud Bonnici,
J. Makarczyk,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 février et 24 juin 1993,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 10 juillet 1992, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 16130/90) dirigée contre la République d’Islande et dont un ressortissant de cet État, M. Sigurdur A. Sigurjónsson, avait saisi la Commission le 22 décembre 1989 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration islandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 11 (art. 11).
2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et désigné son conseil (article 30).
3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. Thór Vilhjálmsson, juge élu de nationalité islandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 26 septembre 1992, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. B. Walsh, Mme E. Palm, M. J.M. Morenilla, M. F. Bigi, M. G. Mifsud Bonnici et M. J. Makarczyk (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43), en présence du greffier. Par la suite, M. R. Macdonald, suppléant, a remplacé M. Matscher, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
4.  Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement islandais ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le représentant du requérant au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 1er décembre 1992 et celui du Gouvernement le 15.
Le 14 janvier 1993, le secrétaire de la Commission l’a informé que le délégué s’exprimerait de vive voix.
5.  La veille, la Commission avait produit divers documents que le greffier lui avait demandés sur les instructions du président. A des dates diverses s’échelonnant du 16 février au 5 mars, Gouvernement et requérant ont déposé plusieurs pièces et, pour le second, des précisions sur ses prétentions au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
6.  Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 22 février 1993, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. Thorsteinn Geirsson, secrétaire général
du ministère de la Justice et des Cultes,  agent,
Gunnlaugur Claessen, avocat général
du gouvernement islandais,  conseil,
Markús Sigurbjörnsson, professeur,  conseiller;
- pour la Commission
M. H. Danelius,  délégué;
- pour le requérant
M. Jón Steinar Gunnlaugsson, avocat
près la Cour suprême,  conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Thorsteinn Geirsson et Gunnlaugur Claessen pour le Gouvernement, M. Danelius pour la Commission et M. Jón Steinar Gunnlaugsson pour le requérant, ainsi que des réponses à ses questions.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.  Citoyen islandais, M. Sigurdur A. Sigurjónsson exerce la profession de chauffeur de taxi et réside à Reykjavik.
8.  Le 24 octobre 1984, "le service émetteur de licences" (dénommé depuis lors comité de surveillance des taxis - "le comité"; paragraphes 18 et 20 ci-dessous) lui délivra une licence pour exploiter un taxi. Il en décida ainsi en vertu de la loi no 36/1970 sur les véhicules de location à moteur à la disposition du public ("la loi de 1970") et l’arrêté no 320/1983 ("l’arrêté de 1983") pris par le ministre des Transports en application de l’article 10 de la loi (paragraphe 18 ci-dessous).
Le requérant avait sollicité une licence au moyen d’un formulaire imprimé, adressé à l’Association des conducteurs de véhicules automobiles Frami ("la Frami") et renfermant une déclaration aux termes de laquelle il avait connaissance de l’obligation de cotiser à la Frami en en devenant membre.
Lors de l’octroi de la licence, l’intéressé s’engagea à respecter les conditions fixées par l’arrêté de 1983, étant entendu qu’un manquement pouvait entraîner une mesure de suspension ou de retrait. Parmi elles figurait celle de demander à s’affilier à la Frami (article 8 de l’arrêté de 1983), ce qu’il avait fait le 26 septembre 1984.
9.  Après son adhésion à la Frami, le requérant acquitta ses cotisations jusqu’en août 1985; il interrompit alors ses versements. La Frami l’avertit en conséquence, le 5 février 1986, qu’elle comptait les exclure, lui et son véhicule, des services de stations de taxis tant qu’il n’aurait pas réglé son dû (article 27 des statuts de la Frami).
Par une lettre du 14 février 1986, il répondit qu’il ne souhaitait pas appartenir à la Frami; il se refusait à l’obligation d’en rester membre et de lui payer des cotisations. Il expliquait en outre avoir accepté la licence "sans se renseigner d’abord sur [sa] situation juridique quant à l’adhésion" parce qu’il n’avait pas assez d’argent pour mener les démarches nécessaires. De plus, il avait préféré s’épargner une longue procédure qui eût retardé la délivrance de la licence.
10.  Le 30 juin 1986, le comité prononça le retrait de celle-ci à la demande de la Frami, en particulier parce que le requérant avait cessé de cotiser.
11.  Le lendemain, M. Sigurdur A. Sigurjónsson écrivit au ministère des Transports ("le ministère") pour protester contre cette décision et réclamer un sursis jusqu’à l’issue d’une instance judiciaire qu’il voulait entamer.
12.  Dans sa réponse du 17 juillet 1986, le ministère confirma la révocation en se référant aux articles 7 et 12 de l’arrêté no 293/1985 (paragraphe 18 ci-dessous). Il communiqua au chef de la police de Reykjavik une copie de sa missive.
13.  Par une lettre du 28 juillet 1986 à ce dernier, l’avocat du requérant l’informa que son client estimait le retrait illégal, envisageait de saisir les tribunaux et priait la police de ne pas s’immiscer dans ses activités de chauffeur de taxi. Le 1er août, elle n’en intercepta pas moins le requérant, alors qu’il se trouvait au volant, et enleva les plaques signalant le véhicule comme une voiture de location à la disposition du public.
14.  Le 18 septembre 1986, le requérant assigna le comité et le ministère devant le tribunal civil de Reykjavik, l’invitant à constater la nullité du retrait.
Le tribunal le débouta le 17 juillet 1987.
15.  L’intéressé se pourvut devant la Cour suprême.
Siégeant le 15 décembre 1988 en formation plénière de sept juges, elle écarta à l’unanimité la thèse, fondée sur l’article 73 de la Constitution, selon laquelle on ne pouvait le contraindre à demeurer à la Frami. Selon elle, il ressortait des travaux préparatoires que cette disposition entendait garantir seulement le droit de "fonder des associations", et non de ne pas s’affilier. Le demandeur n’avait pas réussi à démontrer en quoi, interprété ainsi, l’article 73 se heurtait aux clauses pertinentes des instruments internationaux. Enfin, on ne pouvait déduire de ce texte qu’il était illégal de faire dépendre de l’adhésion à une association l’octroi d’une licence donnant accès à l’exercice d’une profession.
A une majorité de quatre juges, la Cour annula pourtant le retrait de la licence de l’intéressé, au motif que l’arrêté de 1983 manquait de base légale dans la mesure où il érigeait l’appartenance à un syndicat en condition de délivrance d’une licence (paragraphe 8 ci-dessus).
16.  A la suite de l’arrêt de la Cour suprême, l’Althing (le Parlement islandais) adopta une nouvelle législation - la loi no 77/1989 sur les véhicules de location à moteur à la disposition du public ("la loi de 1989") - qui subordonne les licences d’exploitation à la qualité de membre d’un syndicat. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 1989 (paragraphe 18 ci-dessous).
17.  Le 4 juillet 1989, le requérant écrivit à la Frami une lettre dont il transmit une copie au ministère. Il déclarait qu’eu égard à la nouvelle législation, il n’avait pas d’autre choix que de s’affilier et consentait donc à verser des cotisations. En même temps, il soulignait que cette adhésion allait à l’encontre de ses voeux et intérêts; non seulement les statuts de la Frami renfermaient des clauses opposées à ses opinions politiques, mais elle utilisait les cotisations de ses membres pour oeuvrer au détriment de ses intérêts à lui. Il ajoutait que la nouvelle législation prévoyant l’affiliation obligatoire était incompatible avec la Convention et il exprimait l’intention de soulever le problème à Strasbourg.
II.  DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Introduction
18.  À l’époque où le requérant en obtint une, les licences d’exploitation de taxi se trouvaient régies par la loi de 1970 et l’arrêté de 1983. Ce dernier fut modifié par l’arrêté no 293/1985 ("l’arrêté de 1985"): l’organisme dénommé à l’origine "service émetteur de licences" s’appela désormais comité de surveillance des taxis (paragraphe 20 ci-dessous).
En 1989, la loi de 1989 sur les véhicules de location à moteur à la disposition du public et l’arrêté no 308/1989 ("l’arrêté de 1989") vinrent remplacer la loi de 1970 et l’arrêté de 1985. La requête initiale de l’intéressé à la Commission ne concernait que la situation postérieure au 1er juillet 1989, date de l’entrée en vigueur de la législation de 1989 (annexe II au rapport de la Commission, sous la rubrique "griefs").
B. Organisation et administration des licences d’exploitation de taxi
19.  L’article 4 de la loi de 1989 habilite le ministère à limiter, à la demande d’un syndicat (stéttarfélag) de conducteurs et sur recommandation des conseils municipal et régional compétents, le nombre des véhicules de location à moteur à la disposition du public dans le périmètre considéré.
L’article 8 de l’arrêté de 1989 prévoit un tel plafonnement. Il précise notamment que dans le secteur de la Frami, à savoir Reykjavik et six communes avoisinantes, il ne peut y avoir plus de 570 taxis. Cette restriction s’opère au moyen de la délivrance de licences; chaque titulaire est tenu, entre autres conditions, de posséder un véhicule pour passagers et de l’exploiter en personne comme taxi à titre d’occupation professionnelle principale (articles 7 de la loi de 1989 et 8 de l’arrêté de 1989). Les services de taxi dans la zone en question devaient être assurés à partir d’une station agréée par le conseil municipal (article 2 de la loi de 1989).
20.  Dans tout secteur assujetti à une limitation du nombre de véhicules à la disposition du public, il est constitué un comité de surveillance des taxis. Il comprend trois membres désignés par le ministre des Transports, dont l’un sur proposition du syndicat concerné et un autre sur celle du conseil municipal; le troisième a la qualité de président (article 10 de la loi de 1989). Le comité établit son règlement intérieur, sous réserve de l’homologation du ministre; il adopte ses décisions à la majorité et adresse un rapport annuel au ministre (articles 10 de la loi de 1989 et 9 de l’arrêté de 1989).
Sa tâche consiste à contrôler, dans le ressort du syndicat dont il s’agit, l’application des lois et règlements relatifs à l’exploitation des véhicules de location à moteur à la disposition du public, l’octroi et le retrait des licences ainsi que la manière dont les stations de taxis assurent leurs services (article 10 de la loi de 1989).
21.  La Frami, dénommée Hreyfill jusqu’en 1959, fut fondée en 1936 par les conducteurs automobiles professionnels de Reykjavik. Ses statuts, qu’elle peut modifier elle-même d’après leur article 32, ne sont pas soumis à l’approbation du Gouvernement. Selon l’article 2, elle a pour objet 1) de protéger les intérêts professionnels de ses membres et promouvoir la solidarité parmi les chauffeurs de taxi professionnels; 2) de déterminer et négocier les horaires de travail, les salaires et les tarifs de ses adhérents, ainsi que de formuler des revendications en la matière; 3) de chercher à maintenir le nombre des taxis dans certaines limites; 4) de représenter ses affiliés devant les pouvoirs publics.
Les statuts sont en cours de révision.
22.  L’arrêté de 1989 attribue aux syndicats tels que la Frami certaines fonctions administratives, à savoir:
a) suggérer des limitations du genre de celles que mentionne le paragraphe 19 ci-dessus (article 4 de la loi de 1989);
b) jouer le rôle de dépositaires des licences (article 13 de l’arrêté de 1989);
c) agréer les véhicules destinés à servir de taxis (article 14 de l’arrêté de 1989);
d) dans la mesure restreinte que précise l’arrêté de 1989, réglementer les dérogations temporaires à l’obligation, pour le titulaire d’une licence, d’exploiter en personne son propre véhicule, et statuer sur les demandes de pareille dispense (articles 9 de la loi de 1989 et 16 de l’arrêté de 1989).
23.  D’après les renseignements fournis par le Gouvernement, la Frami exerce en outre les activités suivantes:
a) elle supervise l’exécution des services de taxi;
b) elle signale au comité les cas de manquement d’un titulaire aux conditions de sa licence;
c) elle organise le fonctionnement des taxis de manière à garantir qu’ils puissent répondre aux besoins sensiblement plus élevés des fins de semaine;
d) elle veille à ce que les titulaires de licence respectent leurs obligations en matière d’enregistrement, d’assurance et de frais à payer;
e) elle fixe les tarifs des services de taxi, sous réserve de l’accord des autorités chargées du contrôle des prix.
La Frami ne participe pas à des négociations collectives pour le compte de ses membres et n’est donc pas affiliée à la Fédération islandaise du Travail.
C. Affiliation obligatoire
24.  Aux termes de l’article 5 de la loi de 1989, dans toute zone rattachée à un syndicat et soumise à une limitation du nombre des voitures de location à la disposition du public (paragraphe 19 ci-dessus), les exploitants de véhicules de même catégorie doivent être membres du même syndicat. Dans un secteur où il existe un syndicat de chauffeurs de taxi, on ne peut exploiter un taxi sans posséder une licence.
D’après l’article 8 de la loi de 1989, seules peuvent en obtenir une les personnes ayant adhéré au syndicat concerné ou demandé à s’y inscrire. De l’article 8 de l’arrêté de 1989 (paragraphe 19 ci-dessus), il ressort que la Frami est l’association compétente pour les chauffeurs de taxi de Reykjavik. L’affiliation reste exigée après octroi d’une licence.
25.  Si le titulaire d’une licence enfreint les lois ou règlements relatifs aux véhicules de location à moteur à la disposition du public, le comité peut lui adresser un avertissement, suspendre sa licence ou, en cas de manquements graves ou répétés, la lui retirer et lui infliger une amende; dans l’hypothèse d’un retrait, l’intéressé peut solliciter une nouvelle licence, sous certaines conditions, au bout de cinq ans (articles 9 et 13 de la loi de 1989 et 18 de l’arrêté de 1989).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
26.  M. Sigurdur A. Sigurjónsson a saisi la Commission le 22 décembre 1989. Il invoquait l’article 11 (art. 11) de la Convention (droit à la liberté d’association) ou, en ordre subsidiaire, les articles 9 (art. 9) (droit à la liberté de pensée et de conscience), 10 (art. 10) (droit à la liberté d’expression) et 13 (art. 13) (droit à un recours effectif).
27.  La Commission a retenu la requête (no 16130/90) le 10 juillet 1991.
Dans son rapport du 15 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle déclare estimer:
a) par dix-sept voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 11 (art. 11);
b) à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas de rechercher séparément s’il y a eu violation des articles 9 et 10 (art. 9, art. 10);
c) à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13).
Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
28.  À l’audience du 22 février 1993, le Gouvernement a invité la Cour à dire que, comme il l’avait soutenu dans son mémoire du 15 décembre 1992, il n’y a pas eu méconnaissance de la Convention en l’espèce.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 11 (art. 11)
29.  D’après le requérant, l’obligation d’adhérer à la Frami sous peine de perdre sa licence a enfreint l’article 11 (art. 11) de la Convention, ainsi libellé:
"1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article (art. 11) n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État."
Le Gouvernement combat cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
A. Sur l’existence d’une ingérence dans un droit garanti par l’article 11 (art. 11)
1. Sur le point de savoir si la Frami est une "association"
30.  Le Gouvernement affirme que la Frami ne constitue pas un "syndicat" ni même une "association", au sens de l’article 11 (art. 11), mais une organisation professionnelle de droit public. Il invoque pour l’essentiel les arguments suivants:
a) Bien que non établie par la loi, la Frami exercerait certaines fonctions définies par celle-ci, ou nées de la pratique, et servirait non moins l’intérêt général que les intérêts de ses membres (paragraphes 22-23 ci-dessus). Elle serait donc le degré administratif le plus bas d’une hiérarchie se composant, en sus d’elle-même, du comité et du ministère.
b) Il ne s’agirait pas d’une organisation de salariés représentant ses membres dans les conflits avec leur employeur, ou participant à des négociations collectives, et elle ne serait pas affiliée à la Fédération islandaise du Travail. Au contraire, elle recruterait principalement ses membres parmi des artisans indépendants et fixerait elle-même les tarifs de leurs services, dont toute modification exigerait l’accord des autorités chargées du contrôle des prix.
31.  Avec le requérant et la Commission, la Cour estime ces éléments insuffisants pour qu’il faille considérer la Frami comme une association de droit public échappant à l’empire de l’article 11 (art. 11). Assurément, la Frami remplit des tâches que la législation applicable prévoit dans une certaine mesure et dont profitent non seulement ses membres, mais aussi le public (paragraphes 22-23 ci-dessus). Cependant, le contrôle de la mise en oeuvre des règles pertinentes incombe au premier chef à un autre rouage, le comité, habilité en plus à délivrer des licences et à en prononcer la suspension ou révocation (paragraphes 20 et 25 ci-dessus). Créée conformément au droit privé, la Frami a toute latitude pour décider de ses objectifs, de son organisation et de ses méthodes. D’après ses statuts, à la vérité anciens et en cours de révision, elle a pour but de protéger les intérêts professionnels de ses adhérents et promouvoir la solidarité parmi les chauffeurs de taxi professionnels; de déterminer et négocier les horaires de travail, les salaires et les tarifs de ses membres, ainsi que de formuler des revendications en la matière; d’essayer de maintenir le nombre des taxis dans certaines limites et de représenter ses affiliés devant les pouvoirs publics (paragraphe 21 ci-dessus). Partant, elle est d’abord une organisation de droit privé, que l’on doit donc tenir pour une "association" aux fins de l’article 11 (art. 11).
32.  Il n’y a pas lieu de rechercher si elle peut aussi passer pour un syndicat au sens de l’article 11 (art. 11) car le droit, garanti par ce texte, de créer des syndicats ou de s’y inscrire constitue un aspect particulier du droit plus large à la liberté d’association, et non un droit distinct (voir, entre autres, l’arrêt Schmidt et Dahlström c. Suède du 6 février 1976, série A no 21, p. 15, par. 34).
2. Sur le point de savoir si le droit revendiqué par le requérant était couvert par l’article 11 (art. 11)
33.  Le Gouvernement reconnaît, avec l’arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni du 13 août 1981 (série A no 44, pp. 21-22, par. 52), que l’aspect négatif de la liberté d’association de chacun ne sort pas complètement du domaine de l’article 11 (art. 11), mais ce dernier ne lui paraît pas englober le droit, pour le requérant, de ne pas adhérer à la Frami. Il faut, d’après lui, interpréter pareil droit négatif de manière restrictive eu égard à un passage des travaux préparatoires, cité dans ledit arrêt, d’où il ressortirait que l’on a omis à dessein d’insérer dans la Convention une règle générale, calquée sur l’article 20 par. 2 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies, de 1948, selon laquelle nul ne peut être obligé de faire partie d’une association (ibidem, paras. 51-52).
En outre, la présente affaire se distinguerait de celle de 1981 sur les points suivants:
a) MM. Young, James et Webster étaient engagés depuis longtemps quand leur employeur conclut avec les syndicats les accords incriminés - avec pour conséquence qu’ils devaient soit s’affilier, soit perdre leur travail. Il en irait tout autrement en l’espèce: la condition d’appartenance aurait existé avant l’octroi d’une licence au requérant en 1984, moment où il aurait consenti sans réserve et sans contrainte à rejoindre la Frami. Sans doute peut-on déduire de l’arrêt de la Cour suprême de décembre 1988 (paragraphe 15 ci-dessus) que le droit islandais ne l’astreignait pas à s’inscrire à la Frami en 1984, mais il n’y en avait pas moins une obligation de fait. Quoi qu’il en soit, le requérant restait entièrement libre de l’accepter ou de chercher un emploi dans un autre secteur.
b) Les objections qu’il élevait contre son affiliation à la Frami ne pourraient se comparer à celles de MM. Young et Webster, lesquels s’opposaient aux orientations et activités de syndicats et, pour l’un d’eux, à leur obédience politique.
c) Il ne s’agirait pas ici d’une organisation de caractère politique. Au contraire, l’affaire de 1981 avait trait à un type d’association - un syndicat - fréquemment rattaché à des partis politiques ou mêlé d’une autre manière à la politique, risquant ainsi de s’immiscer dans l’exercice par ses membres de libertés protégées par la Convention, notamment la liberté d’opinion.
Selon le Gouvernement, la Cour dépasserait son arrêt Young, James et Webster, et viderait de substance le passage précité des travaux préparatoires, si elle jugeait que la protection de l’article 11 (art. 11) s’étend au cas du requérant.
34.  Pour celui-ci et la Commission, il y a eu ingérence dans le droit à la liberté d’association. D’après le délégué, une saine interprétation de l’extrait pertinent des travaux préparatoires consiste à dire qu’il appartient aux organes de la Convention d’apprécier si et dans quelle mesure l’article 11 (art. 11) consacre un tel droit négatif.
35.  Quant à la question de la portée générale du droit litigieux, la Cour relève d’abord que si l’arrêt susmentionné a pris en compte les travaux préparatoires, il ne leur a pas attribué une importance décisive; ils y ont plutôt servi d’hypothèse de travail (voir, par exemple, pp. 21-22, paras. 52 et 55: "Quand bien même (...)" et "A supposer que l’article 11 (art. 11) ne garantisse pas l’élément négatif de cette liberté à l’égal de l’élément positif (...)"). D’ailleurs, si l’obligation d’adhérer se fondait, pour MM. Young, James et Webster, sur un accord entre leur employeur et les syndicats, celle de M. Sigurdur A. Sigurjónsson découlait de la loi. Aux termes des articles 5 et 8 de la loi de 1989 et 8 du règlement de 1989, il ne pouvait se voir délivrer une licence sans appartenir à une association désignée, la Frami; il n’avait pas le loisir d’en rejoindre une autre ou d’en fonder une à cette fin. En outre, le non-respect de cette condition pouvait entraîner le retrait de la licence et donner lieu à une amende. Pareille affiliation obligatoire qui, on se le rappelle, concernait une association de droit privé, ne se rencontre pas dans le droit de la grande majorité des États contractants. Au contraire, beaucoup de systèmes internes fournissent des garanties qui, d’une manière ou d’une autre, protègent la liberté d’association sous son aspect négatif, c’est-à-dire la liberté de ne pas adhérer à une association ou de s’en retirer.
Un degré croissant de consensus se dégage aussi en la matière au niveau international. Comme le relève la Commission, en sus de l’article 20 par. 2 de la Déclaration Universelle, déjà cité (paragraphe 33 ci-dessus), l’article 11 par. 2 de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée en décembre 1989 par les chefs d’État ou de gouvernement de onze États membres des Communautés européennes, dispose que "tout employeur et tout travailleur a la liberté d’adhérer ou de ne pas adhérer" à des organisations professionnelles ou syndicales, "sans qu’il puisse en résulter pour lui un dommage personnel ou professionnel". De surcroît, le 24 septembre 1991 l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a voté à l’unanimité une recommandation préconisant notamment d’insérer une phrase en ce sens à l’article 5 de la Charte sociale européenne de 1961 (Quarante-troisième session ordinaire, deuxième partie, 18-25 septembre 1991, compte rendu officiel des débats, vol. II, p. 502, et Textes adoptés par l’Assemblée, annexe à la recommandation 1168 (1991), p. 5). Malgré l’absence de clause expresse, le Comité d’experts indépendants chargé de surveiller la mise en oeuvre de la Charte estime que cet instrument englobe un droit négatif; il a désapprouvé plusieurs fois des pratiques de closed shop constatées dans certains États parties, dont l’Islande. Quant à cette dernière, il a pris en compte, entre autres, les faits de la présente espèce (conclusions XII-1, 1988-1989, pp. 112-113, dudit comité). Sur quoi le Comité gouvernemental de la Charte sociale a adressé à l’Islande un avertissement, par dix voix contre quatre et deux abstentions (voir son 12e rapport, du 22 mars 1993, au Comité des Ministres, paragraphe 113).
Par ailleurs, selon la doctrine du Comité de la liberté d’association du Conseil d’administration du Bureau international du Travail (BIT), des mesures de sécurité syndicale prescrites par la loi, notamment en exigeant l’appartenance à un syndicat, seraient incompatibles avec la Convention no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ainsi que la Convention no 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective (Recueil de décisions et principes dudit comité, 1985, paragraphe 248).
Il faut rappeler à cet égard que la Convention est un instrument vivant, à interpréter à la lumière des conditions d’aujourd’hui (voir, entre autres, l’arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 40, par. 102). Il échet donc de considérer que l’article 11 (art. 11) consacre un droit d’association négatif. La Cour ne croit pas devoir rechercher en l’occurrence si ce droit s’y trouve inclus à l’égal du droit positif.
36.  Au sujet des circonstances de la cause, le Gouvernement plaide qu’il était déjà obligatoire de rejoindre la Frami quand le requérant obtint sa licence, en 1984, mais l’argument ne convainc pas la Cour. Elle ne peut accorder beaucoup de poids au fait qu’avant de se voir délivrer la licence, l’intéressé avait consenti à s’affilier; ce serait pure conjecture que de se demander s’il eût agi de la sorte en l’absence de la condition d’adhésion fixée par le règlement de 1983 (paragraphe 8 ci-dessus) - dépourvu de base légale d’après un arrêt ultérieur de la Cour suprême (paragraphe 15 ci-dessus) - encore que sa conduite depuis août 1985 suggère une réponse négative (paragraphes 9-17 ci-dessus). Rien n’établit non plus qu’une telle obligation existât pour une autre raison. D’ailleurs, la nécessité de s’affilier n’apparut nettement qu’à l’entrée en vigueur, le 1er juillet 1989, de la loi de 1989. Depuis lors, le requérant se trouve forcé de demeurer membre de la Frami, sans quoi il risquerait de perdre sa licence comme le montre de manière éclatante la révocation de celle-ci en 1986 (paragraphe 10 ci-dessus). En l’occurrence, pareil type de coercition atteint la substance même du droit que protège l’article 11 (art. 11) et constitue en soi une ingérence dans cette liberté (arrêts Young, James et Webster précité, pp. 22-23, paras. 55 et 57, et Sibson c. Royaume-Uni du 20 avril 1993, série A no 258-A, p. 14, par. 29).
37.  Qui plus est, les objections de M. Sigurdur A. Sigurjónsson se fondent en partie sur son désaccord avec la politique de ladite association, favorable à la limitation du nombre des taxis et, partant, de l’accès à la profession; selon lui, des libertés personnelles étendues, y compris la liberté professionnelle, servent mieux les intérêts de son pays qu’une réglementation par l’État. La Cour estime donc pouvoir ici examiner l’article 11 (art. 11) à la lumière des articles 9 et 10 (art. 9, art. 10): la protection des opinions personnelles compte parmi les objectifs de la liberté d’association qu’il garantit (arrêt Young, James et Webster précité, pp. 23-24, par. 57). Les pressions exercées sur le requérant pour le contraindre à rester à la Frami représentent un élément supplémentaire touchant à l’essence même d’un droit énoncé à l’article 11 (art. 11); partant, il y a eu ingérence là aussi. L’argument tiré par le Gouvernement du caractère apolitique de la Frami manque de pertinence à cet égard.
3. Récapitulation
38.  La Cour estime ainsi, avec le requérant et la Commission, que les mesures dénoncées s’analysent en une ingérence dans le droit à la liberté d’association telle que la consacre le paragraphe 1 de l’article 11 (art. 11-1).
Semblable ingérence enfreint l’article 11 (art. 11) si elle ne répond pas aux impératifs du paragraphe 2 (art. 11-2).
B. Sur le point de savoir si l’ingérence se justifiait au regard du paragraphe 2 de l’article 11 (art. 11-2)
39.  La plainte du requérant aux organes de Strasbourg ne porte que sur la période postérieure à l’entrée en vigueur, le 1er juillet 1989, de la législation de 1989 (paragraphe 18 ci-dessus). Nul ne conteste qu’après cette date, l’obligation litigieuse était "prévue par la loi" et poursuivait un but légitime à savoir, comme l’a constaté la Commission, la protection des "droits et libertés d’autrui". La Cour n’aperçoit aucune raison d’en disconvenir.
40.  En revanche, requérant et Commission combattent la thèse du Gouvernement selon laquelle l’ingérence était "nécessaire dans une société démocratique".
Se référant à ses arguments résumés aux paragraphes 30 et 33 ci-dessus, le Gouvernement soutient en particulier que vu le statut des titulaires de licence, artisans indépendants, la qualité de membre créait un lien vital entre eux et la Frami, laquelle ne pouvait assurer le contrôle lui incombant sans l’adhésion de chacun des titulaires de licence de son ressort. Il ne serait pas souhaitable de confier ces tâches aux stations de taxis, car nombre de celles-ci appartiendraient aux titulaires de licence eux-mêmes et ne jouiraient donc pas de l’autorité voulue; les leur attribuer commanderait non seulement des mesures législatives, mais une modification radicale des relations entre stations et titulaires de licence. Il ne siérait pas davantage d’investir un organe public desdites fonctions, leur exercice par la Frami étant plus commode et moins onéreux.
41.  La Cour rappelle d’abord que l’obligation querellée découlait de la loi et que sa violation risquait d’entraîner le retrait de la licence du requérant. Celui-ci a donc subi un type de contrainte qui, encore une fois, se rencontre rarement dans la communauté des États contractants et que l’on doit à première vue considérer comme incompatible avec l’article 11 (art. 11) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A no 43, p. 27, par. 65).
A n’en pas douter, la Frami jouait un rôle au service non seulement des intérêts professionnels de ses membres, mais aussi de l’intérêt général, et que tout titulaire de licence de son ressort fût tenu d’y adhérer a dû l’aider à remplir sa mission de surveillance. La Cour n’a pourtant pas la conviction que l’obligation en cause fût nécessaire à l’exécution de ces tâches. En effet, le contrôle du respect des dispositions applicables relevait au premier chef du comité (paragraphe 20 ci-dessus). Ensuite, l’affiliation ne représentait nullement l’unique moyen concevable de forcer les titulaires de licence à s’acquitter des devoirs et responsabilités qui pouvaient aller de pair avec les fonctions correspondantes; ainsi, l’exercice efficace de certaines de celles que prévoyait la législation en vigueur (paragraphe 22 ci-dessus) n’exigeait pas une affiliation obligatoire. Enfin, rien n’établit qu’une autre raison empêchât la Frami de protéger les intérêts professionnels de ses membres sans contraindre le requérant à une adhésion contraire à ses propres opinions (voir, entre autres, les arrêts Schmidt et Dahlström, p. 16, par. 36, et Young, James et Webster, pp. 25-26, par. 64, précités).
Eu égard à ce qui précède, les motifs avancés par le Gouvernement, bien que pouvant passer pour pertinents, ne suffisent pas à montrer qu’il était "nécessaire" d’astreindre le requérant à rejoindre la Frami, sous peine de perdre sa licence et en dépit de ses convictions personnelles. En particulier, nonobstant la marge d’appréciation de l’Islande, les mesures incriminées se révèlent disproportionnées à l’objectif légitime poursuivi. Partant, il y a eu méconnaissance de l’article 11 (art. 11).
II.  SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DES ARTICLES 9 ET 10 (art. 9, art. 10)
42.  Le requérant estime, avec la Commission, qu’un constat de manquement aux normes de l’article 11 (art. 11) dispenserait de rechercher séparément s’il y a eu aussi transgression des articles 9 et 10 (art. 9, art. 10).
43.  Les ayant pris en compte dans le contexte de l’article 11 (art. 11) (paragraphes 37 et 41 ci-dessus), la Cour souscrit à cette manière de voir.
III.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
44.  Devant la Commission, le requérant, sans invoquer d’autres arguments que sur le terrain de l’article 11 (art. 11), alléguait la violation de l’article 13 (art. 13), mais devant la Cour il a déclaré se rallier à la conclusion de la Commission d’après laquelle il n’y a pas eu infraction à ce dernier.
45.  La Cour ne croit pas devoir examiner la question d’office.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
46.  M. Sigurdur A. Sigurjónsson réclame une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50), aux termes duquel
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
Le requérant demande non pas la réparation d’un dommage, mais le remboursement de 3 128 626 couronnes islandaises de frais et dépens se décomposant ainsi:
a) 78 941 pour la traduction d’observations et documents présentés devant la Commission et la Cour;
b) 55 460 pour le voyage de son avocat à Strasbourg, aux fins de comparution devant la Cour;
c) 2 994 225 pour 370 heures de travail (à raison de 6 500 couronnes l’heure, plus 24,5 % de taxe sur la valeur ajoutée) accomplies par l’avocat pour les procédures de Strasbourg.
47.  Le Gouvernement n’élève aucune objection sur les deux premiers points et consent à verser un montant raisonnable pour le troisième, si la Cour constate un manquement.
48.  La Cour estime les postes a) et b) nécessaires et raisonnables quant à leur taux; il échet de les rembourser en entier, moins la somme correspondante que le Conseil de l’Europe a déjà payée par la voie de l’assistance judiciaire, à savoir 7 813 francs français.
Quant au poste c), la Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’accorder au requérant 2 000 000 couronnes islandaises dont il faut déduire 7 050 francs français perçus du Conseil de l’Europe pour honoraires.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par huit voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 11 (art. 11);
2.  Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi l’affaire sur le terrain des articles 9 et 10 (art. 9, art. 10);
3.  Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas davantage de rechercher s’il y a eu violation de l’article 13 (art. 13);
4.  Dit, à l’unanimité, que l’Islande doit dans les trois mois verser au requérant, pour frais et dépens, 2 134 401 (deux millions cent trente-quatre mille quatre cent une) couronnes islandaises, moins 14 863 (quatorze mille huit cent soixante-trois) francs français à convertir en couronnes islandaises au cours applicable à la date du prononcé du présent arrêt;
5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais*, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 30 juin 1993.
Rolv RYSSDAL
Président
Pour le Greffier
Herbert PETZOLD
Greffier adjoint
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente de M. Thór Vilhjálmsson.
R. R.
H. P.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
(Traduction)
Dans l’affaire Young, James et Webster c. Royaume-Uni*, sur laquelle la Cour a statué en 1981, j’ai voté avec une minorité qui n’apercevait aucune violation de l’article 11 (art. 11) de la Convention. A mon sens, le libellé de cet article ne saurait se lire comme garantissant une liberté d’association dite négative. Il ne contient nulle mention de pareille garantie.
* Note du greffe: arrêt du 13 août 1981, série A no 44.
Cela revêt une importance particulière parce que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948, se trouve citée dans le préambule de la Convention européenne. Il proclame que notre Convention a pour objectif de prendre "les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration Universelle". En outre, les travaux préparatoires montrent que les rédacteurs de la Convention n’étaient pas prêts à y inclure à l’époque la liberté négative d’association. Aucun des dix protocoles n’a modifié cet état de choses.
Même si d’autres peuvent être plus qualifiés que moi pour interpréter l’arrêt de 1981, je me risque à dire que les circonstances très spéciales de l’affaire précitée font de lui un précédent obscur.
La présente cause révèle à mon avis que la liberté classique d’association, explicitement consacrée à l’article 11 (art. 11) de la Convention, diffère par essence de la liberté négative d’association. La liberté protégée par la Convention figurait à l’origine parmi les fondements de la liberté et de l’activité politiques. Depuis lors, à la faveur de cette liberté, les syndicats, de même que leurs efforts pour améliorer le sort de leurs membres, ont pris de l’extension. L’affaire islandaise pendante devant la Cour prouve que dans certaines circonstances, on ne discerne pas clairement si la liberté négative d’association peut servir les intérêts des personnes concernées d’une manière comparable aux bienfaits manifestes de la liberté classique. Selon le droit islandais, le requérant, M. Sigurdur A. Sigurjónsson, avait l’obligation d’adhérer à une association de droit privé, la Frami, investie de certaines responsabilités dans le fonctionnement des services de taxi. Il s’agissait là d’un élément d’un système que l’on pourrait qualifier, selon l’usage d’aujourd’hui, de "subsidiarité". Il y a des arguments pour et contre pareille obligation légale d’appartenir à une association. Les organes institués par la Charte sociale européenne de 1961 examinent en ce moment la situation de l’Islande en la matière. Notre Cour n’a pas à prendre parti dans le débat. Sa seule tâche consiste à décider si l’article 11 (art. 11) de la Convention s’applique en l’espèce. La liberté négative me semble si particulière, et si nettement distincte de la liberté positive d’association, qu’une interprétation juridique de l’article (art. 11) ne saurait la faire tomber dans son champ d’application. En conséquence, et sur la même base qu’en 1981, je conclus à la non-violation.
* L'affaire porte le n° 24/1992/369/443.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 264 de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.
* Note du greffier: par dérogation à la pratique habituelle (articles 26 et 27 par. 5 du règlement), le texte français n'a été disponible qu'à partir de septembre 1993; il fait cependant foi lui aussi.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT SIGURDUR A. SIGURJÓNSSON c. ISLANDE
ARRÊT SIGURDUR A. SIGURJÓNSSON c. ISLANDE
ARRÊT SIGURDUR A. SIGURJÓNSSON c. ISLANDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
ARRÊT SIGURDUR A. SIGURJÓNSSON c. ISLANDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 11 ; Non-lieu à examiner l'art. 9 ; Non-lieu à examiner l'art. 10 ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 11) LIBERTE DE REUNION ET D'ASSOCIATION, (Art. 11-2) INGERENCE, (Art. 11-2) PREVUE PAR LA LOI


Parties
Demandeurs : SIGURDUR A. SIGURJÓNSSON
Défendeurs : ISLANDE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 30/06/1993
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16130/90
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-06-30;16130.90 ?

Source

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