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25/11/1993 | CEDH | N°14282/88

CEDH | AFFAIRE ZANDER c. SUÈDE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE ZANDER c. SUÈDE
(Requête no14282/88)
ARRÊT
STRASBOURG
25 novembre 1993
En l’affaire Zander c. Suède*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
B. Walsh,
A. Spielmann,
Mme  E. Palm,
MM

.  I. Foighel,
A.N. Loizou,
M.A. Lopes Rocha,
D. Gotchev,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greff...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE ZANDER c. SUÈDE
(Requête no14282/88)
ARRÊT
STRASBOURG
25 novembre 1993
En l’affaire Zander c. Suède*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
B. Walsh,
A. Spielmann,
Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
A.N. Loizou,
M.A. Lopes Rocha,
D. Gotchev,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 juin et 25 octobre 1993,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 11 décembre 1992, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 14282/88) dirigée contre le Royaume de Suède et dont deux citoyens suédois, M. Lennhart et Mme Gunny Zander, avaient saisi la Commission le 2 septembre 1988 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer à l’instance et ont désigné leur conseil (article 30).
3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit Mme E. Palm, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 29 janvier 1993, le vice-président, M. R. Bernhardt, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. R. Bernhardt, B. Walsh, A. Spielmann, I. Foighel, A.N. Loizou, M.A. Lopes Rocha et D. Gotchev, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement suédois ("le Gouvernement"), l’avocat des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire des requérants le 4 mai 1993 et celui du Gouvernement le 5. Le 18 mai, le secrétaire de la Commission l’a informé que le délégué n’y répondrait point par écrit.
A diverses dates s’échelonnant du 18 mai au 21 juin 1993, la Commission a produit plusieurs documents que le greffier avait sollicités sur les instructions du président; les requérants en ont déposé eux aussi.
5.  Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 22 juin 1993, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. C.H. Ehrenkrona, sous-secrétaire adjoint
aux Affaires juridiques, ministère des Affaires étrangères,  
agent,
U. Andersson, sous-secrétaire aux Affaires juridiques,
ministère de l’Environnement,  conseiller;
- pour la Commission
M. F. Martinez,  délégué;
- pour les requérants
Me S. Michelson, avocat,  conseil,
M. S. Hemrå,  conseiller.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Ehrenkrona, M. Martinez et Me Michelson, ainsi que des réponses à ses questions.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. M. Lennhart et Mme Gunny Zander, citoyens suédois, sont mari et femme et résident à Gryta (commune de Västerås).
7.  Depuis 1966, ils y possèdent une propriété jouxtant un terrain sur lequel une société - Västmanlands Avfallsaktiebolag ("la VAFAB") -stocke et traite entre autres des déchets domestiques et industriels. Le 1er juillet 1983, la commission des autorisations pour la protection de l’environnement (koncessionsnämnden för miljöskydd, "la commission des autorisations") délivra à la VAFAB un premier permis pour exercer ses activités à cet endroit, en vertu de la loi de 1969 sur la protection de l’environnement (miljöskyddslagen 1969:387, "la loi de 1969").
8.  En 1979, on avait découvert que des déchets contenant du cyanure avaient été déversés sur la décharge; les analyses de l’eau potable provenant d’un puits voisin avaient révélé une concentration excessive en cyanure. La commission de l’hygiène (hälsovårdsnämnden, dénommée par la suite miljö - och hälsoskyddsnämnden) de Västerås avait alors interdit d’utiliser cette eau et alimenté provisoirement le propriétaire du terrain concerné, tributaire du puits, en eau potable de la commune.
En octobre 1983, de nouvelles analyses établirent la présence d’une trop forte quantité de cyanure dans six autres puits proches de la décharge, dont l’un se trouvait sur la propriété des intéressés. Aussi défense fut-elle faite d’en consommer l’eau et fournit-on temporairement aux propriétaires des terrains, dont les requérants, de l’eau potable de la commune.
Toutefois, en juin 1984 l’Agence nationale de l’alimentation (livsmedelsverket) recommanda de relever de 0mg01 à 0mg1 par litre le taux maximal de cyanure toléré. A partir de février 1985, la municipalité cessa donc de ravitailler en eau les propriétaires dont il s’agit.
9.  En juillet 1986, la VAFAB invita la commission des autorisations à lui renouveler sa licence et à la laisser étendre ses activités sur la décharge. Les requérants et d’autres propriétaires exigèrent que l’octroi du permis s’accompagnât d’une mesure de précaution, au sens de l’article 5 de la loi de 1969 (paragraphe 12 ci-dessous): l’obligation, pour la VAFAB, de leur livrer gratuitement de l’eau potable, car l’activité projetée comportait et continuerait de comporter un danger de pollution pour leur eau.
10.  Le 13 mars 1987, la commission des autorisations accueillit la requête de la VAFAB et rejeta celle de l’ensemble des propriétaires en cause, au motif qu’il n’y avait sans doute, du point de vue de l’eau, aucun lien entre la décharge et les puits. Elle ajouta que malgré un risque éventuel de pollution, elle estimait déraisonnable de subordonner le permis à une mesure aussi générale que celle réclamée par les plaignants.
Elle posa cependant certaines conditions, dont une analyse minutieuse de l’eau des puits à des intervalles réguliers et la communication des résultats aux propriétaires. S’il s’avérait que l’on avait lieu de soupçonner une pollution de l’eau par la décharge, il incomberait à la VAFAB de s’employer immédiatement à fournir de l’eau aux propriétaires selon les consignes de la préfecture (länsstyrelsen).
11.  Contestant lesdites conditions, les requérants attaquèrent cette décision devant le gouvernement. Statuant en dernier ressort (paragraphe 13 ci-dessous), il rejeta leur recours le 17 mars 1988.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La loi de 1969
12.  L’article 1 de la loi de 1969 qualifie d’activité dangereuse pour l’environnement, aux fins de celle-ci, toute utilisation des terres pouvant provoquer notamment une pollution de l’eau.
Aux termes de l’article 5,
"Quiconque mène ou entend mener une activité dangereuse pour l’environnement, doit adopter les mesures protectrices, se conformer aux restrictions à l’activité et prendre les autres précautions pouvant raisonnablement s’imposer pour éviter ou réparer les effets dommageables de celle-ci. L’obligation de remédier à de tels effets subsiste après la cessation de l’activité.
Pour apprécier l’étendue des obligations découlant du premier paragraphe, il faut considérer ce qui est techniquement réalisable à l’égard de l’activité dont il s’agit, ainsi que les intérêts publics et privés en jeu.
Pour maintenir un équilibre entre les divers intérêts, il faut accorder un poids particulier, d’un côté à la nature de la zone risquant de subir des perturbations et à l’incidence de celles-ci, de l’autre à l’utilité de l’activité, au coût des mesures protectrices et aux autres répercussions financières des précautions en cause."
13.  Si la commission des autorisations accepte une activité dangereuse pour l’environnement, sa décision doit préciser laquelle et sous quelles conditions (article 18). Toute personne concernée peut l’attaquer devant le gouvernement (article 48). A l’époque où il a débouté les intéressés (paragraphe 11 ci-dessus), ses décisions n’étaient pas susceptibles de contrôle judiciaire (pour plus de précisions, voir en particulier l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 19-20, par. 50). Depuis l’entrée en vigueur, le 1er juin 1988, de la loi sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives, la légalité de diverses décisions du gouvernement peut se discuter devant la Cour suprême administrative. Les requérants n’ont toutefois pu en profiter en l’espèce, la loi ne rétroagissant pas.
14.  La commission des autorisations se compose d’un président et de trois autres membres, tous désignés par le gouvernement. Le président doit être rompu aux questions juridiques et avoir exercé des fonctions judiciaires. Les autres membres doivent avoir, l’un des compétences et de la pratique dans le domaine technique, le deuxième de l’expérience dans des activités relevant de la Direction nationale de la protection de l’environnement (naturvårdverket) et le troisième dans le secteur de l’industrie (article 11 de la loi de 1969).
15.  L’article 34 ouvre la possibilité de saisir le tribunal foncier (fastighetsdomstolen), formation spéciale du tribunal de première instance (tingsrätten), d’une plainte relative à une activité dangereuse pour l’environnement. Pareille plainte peut tendre, par exemple, à faire subordonner celle-ci à des mesures de protection ou de précaution.
Aux termes de l’article 22, en revanche, le titulaire d’une licence délivrée en vertu de la loi de 1969 ne peut se voir ordonner de suspendre l’activité en question, ni de prendre des mesures de précaution au-delà de celles qu’a pu prescrire le permis. Les exceptions énumérées aux articles 23 à 25, 29 et 40 ne jouent pas ici.
B. La loi de 1986 sur les dommages à l’environnement
16.  D’après l’article 3 de la loi de 1986 sur les dommages à l’environnement (miljöskadelagen 1986:225, "la loi de 1986"), quiconque a subi un dommage corporel ou autre, à la suite de la pollution d’eaux souterraines ou de cours d’eau, peut réclamer une indemnité devant le tribunal foncier. La demande peut se diriger contre la ou les personnes à l’origine de l’activité nuisible (article 6).
L’octroi d’une réparation dépend de l’existence d’une forte probabilité de lien causal entre l’activité dénoncée et le préjudice (article 3). Que l’activité ait été tolérée en vertu de la loi de 1969 n’exclut pas une responsabilité au titre de celle de 1986.
Contre la décision du tribunal foncier sur une demande d’indemnité, un recours s’ouvre devant la cour d’appel (hovrätten) et, moyennant autorisation, devant la Cour suprême (Högsta domstolen).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
17.  M. et Mme Zander ont saisi la Commission le 2 septembre 1988. Ils invoquaient l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, en ce qu’ils ne disposaient d’aucune possibilité de contrôle judiciaire de la décision autorisant la VAFAB à accroître ses activités sur la décharge.
18.  La Commission a retenu la requête (no 14282/88) le 14 octobre 1991. Dans son rapport du 14 octobre 1992 (article 31) (art. 31), elle relève à l’unanimité une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
19.  A l’audience du 22 juin 1993, le Gouvernement a invité la Cour, comme déjà dans son mémoire du 5 mai 1993, à constater l’absence de manquement aux exigences de la Convention.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
20.  Les requérants reprochent au droit suédois de ne leur avoir offert, à l’époque des faits, nul recours judiciaire contre la décision du gouvernement, du 17 mars 1988, qui confirmait celle de la commission des autorisations, du 13 mars 1987 (paragraphe 11 ci-dessus). Ils allèguent la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), aux termes duquel
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)"
21.  Le Gouvernement conteste l’applicabilité de ce texte à la procédure dont il s’agit, tandis que la Commission souscrit à la thèse des intéressés.
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
1. Existence d’une "contestation" sur un "droit"
22.  La Cour rappelle que selon les principes dégagés par sa jurisprudence (voir, entre autres, les arrêts Skärby c. Suède du 28 juin 1990, série A no 180-B, p. 36, par. 27, et Kraska c. Suisse du 19 avril 1993, série A no 254-B, p. 48, par. 24), il lui faut d’abord rechercher s’il y avait "contestation" sur un "droit" que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice; enfin, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour un tel droit.
23.  D’après le Gouvernement, l’affaire Zander se distingue sur des points importants de litiges antérieurs où la Cour a constaté la présence d’une contestation sur un droit de caractère civil. Ces dissemblances justifieraient une conclusion opposée.
Pour commencer, la procédure dont la Cour doit connaître aurait trait à la délivrance par les autorités publiques d’un permis à un tiers, et non à un différend entre elles et une personne revendiquant pareille licence.
Ensuite, malgré leurs allégations selon lesquelles la pollution de leur eau potable a déprécié leur propriété et leur a causé divers autres désagréments, les requérants n’auraient pas essayé d’obtenir un contrôle judiciaire en réclamant devant le tribunal foncier une indemnité sur la base de la loi de 1986 (paragraphe 16 ci-dessus), recours qui remplirait les exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Ladite loi leur aurait donné droit à réparation s’ils avaient pu établir un dommage - perte de valeur de leur propriété, par exemple - résultant des activités de la VAFAB sur la décharge. Peut-être pour éviter des frais de justice, ou en raison de la difficulté de prouver un préjudice, ils auraient choisi d’inviter la commission des autorisations, en vertu de la loi de 1969, à subordonner le permis à des mesures de précaution; or la question ne se prêterait pas à un contrôle judiciaire.
Saisie de leur demande, la commission des autorisations aurait eu pour seule tâche de déterminer si l’activité pour laquelle la VAFAB avait sollicité son agrément créerait un danger sérieux pour l’eau de leur puits et si les conditions réclamées s’imposaient. D’après le Gouvernement, la simple évaluation de pareil risque par la commission ne comportait pas une décision sur des "droits" des requérants en droit interne. Selon lui, ces derniers ne pouvaient prétendre, de manière défendable, que le droit suédois leur accordait le moindre droit à une protection contre un tel risque; les faits n’en révéleraient d’ailleurs aucun propre à léser leurs intérêts patrimoniaux.
Enfin, le Gouvernement s’inquiète à l’idée que si la Cour déclarait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) applicable à la procédure en cause, il se pourrait que les États doivent ouvrir une multitude de recours judiciaires étendus, portant sur un large éventail de questions relatives à l’environnement, pour l’examen des plaintes de nombreuses personnes exposées à des risques non pas seulement réels, mais aussi virtuels, de dommages. Cela serait bien plus coûteux et pesant que la procédure actuellement prévue par la loi de 1969, laquelle, d’après le Gouvernement, sauvegarde à suffisance l’intérêt général en même temps que les intérêts particuliers, comme ceux des propriétaires potentiellement atteints. En l’occurrence, des précautions auraient été prises, quoique à un degré inférieur aux souhaits des requérants.
24.  La Cour relève que la demande de M. et Mme Zander aux autorités administratives s’appuyait sur l’article 5 de la loi de 1969. Il astreint à certaines obligations quiconque s’engage ou envisage de s’engager dans une activité dangereuse pour l’environnement, mais sans préciser qui en est le créancier.
Il échet pourtant de noter que le droit suédois habilitait les requérants, en leur qualité de propriétaires d’un terrain adjacent à la décharge, à prier la commission des autorisations d’enjoindre à la VAFAB, si elle voulait obtenir une licence, d’adopter certaines mesures au titre de l’article 5. Ils pouvaient en outre attaquer devant le gouvernement la décision rendue par elle à cet égard.
De plus, si ladite commission repoussa, le 13 mars 1987, les demandes de mesures préventives dont ils l’avaient saisie, elle n’en subordonna pas moins l’octroi de la licence à l’obligation, fondée sur l’article 5 semble-t-il, de livrer de l’eau aux propriétaires concernés, dont eux-mêmes, selon ce que la préfecture estimerait adéquat, au cas où de futures analyses donneraient à penser que la décharge polluait l’eau des puits.
Cela étant, la Cour a la conviction que M. et Mme Zander pouvaient de manière défendable prétendre avoir droit, en vertu de la législation suédoise, à une protection contre la pollution de l’eau de leur puits par les activités de la VAFAB sur la décharge.
25.  Dans leur recours au gouvernement, ils contestèrent l’opinion de la commission d’après laquelle les mesures revendiquées étaient déraisonnables car il n’existait aucun risque de ce genre. Or le pouvoir d’appréciation dont les autorités administratives compétentes jouissaient en la matière se trouvait limité à la fois par le texte de l’article 5, notamment le devoir de prévenir ou réparer les nuisances, et par les principes généralement reconnus du droit administratif, selon lesquels il ne s’agit pas d’un pouvoir sans bornes. Entre les requérants et lesdites autorités régnait donc un désaccord sérieux; il soulevait des questions pouvant se rattacher à la légalité des conditions dont la commission avait, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, assorti le permis de la VAFAB.
En dernier lieu, l’issue du litige était directement déterminante pour le droit des intéressés à se voir protéger contre la pollution de leur puits par la VAFAB. Partant, leur recours au gouvernement tendait à une "décision" sur l’un de leurs "droits", aux fins de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. Sur le "caractère civil" du droit
26.  Le Gouvernement soutient qu’à la différence de la loi de 1986, relative à l’indemnisation des victimes de dommages matériels dus à des activités dangereuses pour l’environnement, celle de 1969 réglemente lesdites activités au regard, d’abord, de l’intérêt général. Tandis que l’une concerne surtout des problèmes de droit civil, l’autre ressortit pour l’essentiel au droit public.
27.  La Cour note que la demande de M. et Mme Zander avait directement trait à leur droit de jouir de l’eau de leur puits comme boisson, élément de leur droit de propriétaires du terrain. Or le droit de propriété revêt manifestement un "caractère civil" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, entre autres, les arrêts Tre Traktörer AB c. Suède du 7 juillet 1989, série A no 159, p. 19, par. 43, et Oerlemans c. Pays-Bas du 27 novembre 1991, série A no 219, pp. 20-21, par. 48). Nonobstant les éléments de droit public invoqués par le Gouvernement, la Cour estime par conséquent, avec les requérants et la Commission, qu’il y allait d’un droit de "caractère civil".
3. Conclusion
28.  En résumé, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique en l’espèce.
B. Sur le respect de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
29.  A l’époque considérée, le droit suédois n’offrait aux intéressés aucun moyen de déférer à un tribunal la décision du gouvernement, du 17 mars 1988, confirmant celle que la commission des autorisations avait prise le 13 mars 1987 (paragraphes 11 et 13 ci-dessus); le Gouvernement le concède.
Dès lors, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
II.  APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
30.  M. et Mme Zander sollicitent une satisfaction équitable en vertu de l’article 50 (art. 50), aux termes duquel:
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
A. Préjudice moral
31.  Les requérants ne revendiquent pas d’indemnité pour dommage matériel, mais réclament 250 000 couronnes suédoises chacun pour tort moral. La crainte de la pollution de leur puits les obligerait à s’approvisionner ailleurs en eau potable - à l’aide de seaux, bidons et bouteilles - et ils redoutent que leur propriété n’ait perdu beaucoup de sa valeur; l’absence d’accès à un tribunal aurait aggravé la détresse que, vivant dans la hantise de la pollution, ils connaîtraient depuis plus de dix ans.
32.  Le Gouvernement combat leur prétention. En effet, elle semblerait impliquer qu’ils ont subi un préjudice réel sous la forme d’une pollution causée par la VAFAB. Or, dans cette hypothèse, ils auraient négligé de saisir le tribunal foncier en vertu de la loi de 1986 (paragraphe 16 ci-dessus). Partant, l’indemnité éventuelle à leur octroyer de ce chef ne devrait pas se fonder sur l’idée que l’eau a été polluée par les activités de la VAFAB. En tout cas, elle ne devrait pas dépasser le montant que la Cour ou le Comité des Ministres allouent dans des affaires similaires.
33.  La Cour estime que les intéressés ont souffert un certain tort moral faute de contrôle judiciaire et, à l’encontre du délégué de la Commission, que le seul constat d’une violation ne leur fournirait pas une satisfaction équitable suffisante. Statuant en équité, elle accorde à chacun d’eux 30 000 couronnes suédoises à ce titre.
B. Frais et dépens
34.  M. et Mme Zander demandent aussi le remboursement de 239 980 couronnes de frais et dépens, à savoir:
a) 94 120 pour la procédure menée devant la commission des autorisations et le gouvernement;
b) 120 000 pour les instances suivies devant la Commission et la Cour;
c) 25 860 pour frais de voyage à Strasbourg.
35.  Souscrivant à l’opinion du délégué et du Gouvernement, la Cour écarte le point a): les frais dont il s’agit ne peuvent passer pour avoir été exposés afin d’empêcher la violation relevée par elle ou en obtenir la réparation.
Quant au point b), à la différence du Gouvernement elle ne trouve pas excessif le montant réclamé. Il échet de le rembourser en entier ainsi que celui du point c), moins les sommes versées par le Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire, soit 16 626 francs français.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1.  Dit que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique en l’espèce et a été violé;
2.  Dit que la Suède doit dans les trois mois verser à chacun des requérants 30 000 (trente mille) couronnes suédoises pour dommage moral et aux requérants conjointement 145 860 (cent quarante-cinq mille huit cent soixante) couronnes pour frais et dépens, moins 16 626 (seize mille six cent vingt-six) francs français à convertir en couronnes au taux applicable à la date du prononcé du présent arrêt;
3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 25 novembre 1993.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
* L'affaire porte le n° 45/1992/390/468.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 279-B de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT ZANDER c. SUÈDE
ARRÊT ZANDER c. SUÈDE


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : ZANDER
Défendeurs : SUÈDE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 25/11/1993
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 14282/88
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-11-25;14282.88 ?

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