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09/03/1994 | CEDH | N°22904/93

CEDH | DEMAI contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 22904/93 présentée par Christian DEMAI contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 9 mars 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D.

SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ; ...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 22904/93 présentée par Christian DEMAI contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 9 mars 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 15 octobre 1993 par Christian DEMAI contre la France et enregistrée le 10 novembre 1993 sous le No de dossier 22904/93 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 1er février 1994 et les observations en réponse présentées par le requérant le 14 février 1994 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, né en 1962 à Bayonne, est sans profession. Devant la Commission, il est représenté par Maître Jean-Alain Blanc, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le requérant est hémophile et a été fréquemment transfusé. Sa contamination par le virus de l'immunodéficience humaine (V.I.H.) a été révélée le 22 juillet 1985 par un test effectué sur un prélèvement de sang du 19 juillet 1985. Le requérant est actuellement classé au stade II de la contamination sur l'échelle des C.D.C. d'Atlanta. Le 8 décembre 1989, le requérant a adressé au ministre de la Santé une demande préalable et gracieuse d'indemnisation. Cette demande a été rejetée le 30 mars 1990. Le 25 mai 1990, le requérant a saisi le tribunal administratif de Versailles d'une requête contre cette décision. Cette requête a été transmise le 1er juin 1990 au ministre de la Santé qui a déposé son mémoire en défense le 22 avril 1991. Le 1er juillet 1991, une ordonnance de renvoi transmettait l'affaire au Conseil d'Etat qui désigna le tribunal administratif de Paris comme tribunal compétent le 24 juillet 1991. L'audience eut lieu le 8 avril 1992. Le 22 avril 1992, le tribunal rendit un jugement énonçant que "la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard des personnes atteintes d'hémophilie et qui ont été contaminées par le V.I.H. à l'occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés, pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985...". Le tribunal décida par ailleurs, avant dire droit, de nommer un expert aux vues de déterminer notamment, si possible, si le requérant avait reçu des produits sanguins dérivés pendant la période de responsabilité de l'Etat précédemment définie, de préciser la date à laquelle la séropositivité V.I.H. avait été révélée pour la première fois et de formuler une appréciation sur le degré de probabilité d'un lien de causalité entre l'administration des produits sanguins dérivés pendant la période de responsabilité de l'Etat susdéfinie et la contamination V.I.H. L'expert fut nommé par ordonnance du président du tribunal le 22 avril 1992. Le 4 août 1992, le jugement fut notifié au requérant qui le reçut le 8 août 1992. Le jugement et l'ordonnance furent communiqués à l'expert le 16 septembre 1992. Les 18 janvier et 8 mars 1993, le conseil du requérant adressa au président du tribunal administratif des courriers s'inquiétant du fait que le requérant n'avait pas encore été convoqué par l'expert. Le 8 avril 1993, l'expert examina le requérant et le 30 juillet 1993, il déposa son rapport qui fut communiqué au conseil du requérant le 16 août 1993. Le 26 août 1993, le requérant déposa son mémoire après expertise. Parallèlement, le 8 octobre 1992, le requérant reçut une offre du fonds d'indemnisation des hémophiles et transfusés. Cette offre consistait en le paiement, en trois versements échelonnés sur deux ans, d'une indemnisation de 1.380.000 FF desquels seraient déduits 100.000 FF versés par le fonds de solidarité des hémophiles. Etait également prévu le versement d'une somme de 460.000 FF dès la déclaration de la maladie. Le requérant a accepté cette offre et perçu 426.667 FF en novembre 1992 et 853.334 FF en janvier 1993.
GRIEF Le requérant, qui se réfère à l'affaire X. c/France, se plaint de la durée de la procédure et invoque l'article 6 par. 1 de la Convention. Il fait observer que plus de quatre ans après le début de la procédure, il n'a toujours pas obtenu un jugement définitif. Le requérant fait enfin observer que, s'il a accepté l'offre du fonds d'indemnisation le 8 octobre 1992, soit deux ans et dix mois après l'introduction de sa requête, il désire néanmoins que la responsabilité de l'Etat soit reconnue et qu'en tout état de cause les offres du fonds d'indemnisation sont très inférieures à ce qu'il peut attendre de son procès contre l'Etat.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 15 octobre 1993 et enregistrée le 10 novembre 1993. Le 7 décembre 1993, la Commission a décidé, conformément à l'article 33 de son Règlement intérieur, de traiter la requête par priorité. Elle a également décidé, conformément à l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de communiquer l'affaire au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête dans un délai échéant le 21 janvier 1994. Les observations du Gouvernement ont été présentées, après prorogation de délai, le 1er février 1994. Les observations en réponse du requérant ont été présentées le 14 février 1994.
EN DROIT Le requérant se plaint de la durée de la procédure administrative par laquelle il a demandé à être indemnisé et invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Cette disposition se lit comme suit : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... dans un délai raisonnable par un tribunal...qui décidera ... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ... ". Le Gouvernement distingue deux phases dans la procédure, la première s'achevant en octobre 1992 avec l'indemnisation du requérant par le fonds d'indemnisation et la seconde n'étant pas encore achevée. Pour ce qui est de la première phase de la procédure, le Gouvernement fait observer que l'affaire était complexe. Il expose qu'à l'époque, la date à laquelle le caractère sérieux du risque encouru par les hémophiles a été porté à la connaissance des autorités compétentes était incertaine. Ce n'est qu'en septembre 1991 que le rapport établi par un inspecteur général des affaires sanitaires et sociales a fait la lumière sur cette question. Il ajoute que les juridictions saisies ont été confrontées à des incertitudes quant au régime de faute applicable en matière de responsabilité de l'Etat. Cette question fut tranchée par un arrêt du Conseil d'Etat du 9 avril 1993, qui écarta l'exigence d'une faute lourde. En outre, selon le Gouvernement, se posait, dossier par dossier, la question de savoir si la contamination était intervenue pendant la période de responsabilité de l'Etat, ce qui a nécessité, dans la plupart des cas, une expertise médicale. Il estime par ailleurs que le comportement des autorités judiciaires ne souffre pas de critique. Il expose que le fait que le jugement du 22 avril 1992 n'a été notifié au requérant que le 4 août 1992 est dû à des difficultés de fonctionnement pratique que connaît le tribunal administratif de Paris et que cela n'a pas porté préjudice aux intérêts du requérant puisque le Président a nommé l'expert le 22 avril 1992. Le Gouvernement estime par ailleurs que l'utilité de la mesure d'expertise ne saurait être contestée car la date de la contamination du requérant paraît particulièrement difficile à fixer en raison du grand nombre de transfusions qu'il a subies. Quant à la seconde partie de la procédure, à compter d'octobre 1992, le Gouvernement estime que, lorsque l'enjeu du litige s'amoindrit en cours d'instance, l'urgence à trancher est moindre. Il expose ainsi que l'état de santé du requérant est moins alarmant que ne l'était celui du requérant dans l'affaire X. c/France (Cour eur. D.H., arrêt du 31 mars 1991, série A n° 234-C). Il ajoute que l'indemnisation versée par le fonds prive le litige d'une partie de son enjeu et que celui-ci ne revêt plus l'importance extrême seule de nature à imposer aux juges, selon les termes de l'arrêt X. c/France, une "diligence exceptionnelle". En conclusion, le Gouvernement estime que la durée de la première phase de la procédure est justifiée par la complexité de l'affaire et que, pour la deuxième phase, le grief est irrecevable pour défaut manifeste de fondement en raison du caractère résiduel que revêt le litige après l'indemnisation du requérant par le fonds spécial. Le requérant rappelle que dans son arrêt X. c/France du 31 mars 1991, la Cour européenne des Droits de l'Homme a déjà jugé que le délai raisonnable était dépassé au moment du jugement du 18 décembre 1991, antérieur donc au jugement du 22 avril 1992 concernant la présente requête. Pour ce qui est de la complexité de l'affaire liée à la détermination du point de départ de la période de responsabilité de l'Etat, le requérant fait observer que ce point avait déjà été tranché par trois jugements rendus le 18 décembre 1991 par le tribunal administratif de Paris. Il conteste par ailleurs qu'une expertise se soit davantage imposée dans son cas que dans celui des trois affaires sur lesquelles le tribunal administratif a statué le 18 décembre 1991. Quoiqu'il en soit, même si une expertise était simplement utile, le requérant estime qu'elle aurait pu être ordonnée et avoir lieu infiniment plus tôt. Pour ce qui est de son état de santé, le requérant fait observer que, même si lui-même est situé à l'échelon II de la contamination sur l'échelle d'Atlanta qui en compte quatre, son asymptomatisme s'accompagne de graves anomalies sur le plan biologique. Il ajoute qu'il résulte des données constantes de la science que l'espérance de vie moyenne d'une personne contaminée par le V.I.H. est de douze ans à compter de la date de la contamination et que les juridictions doivent tenir compte de cette donnée pour traiter les demandes présentées par les hémophiles, sans avoir à supputer à l'avance sur leurs chances de survie, qui dans son cas seraient, selon cette moyenne, de quatre ans encore. Enfin, le requérant rappelle que son action avait un double but : faire déclarer l'Etat responsable de sa contamination et obtenir une réparation pécuniaire. Il constate que quatre ans et deux mois après l'introduction de sa demande, aucun jugement définitif de la juridiction de première instance n'est intervenu pour se prononcer sur la responsabilité de l'Etat. Il estime par ailleurs qu'il n'a obtenu une réparation pécuniaire que partielle puisqu'il a perçu en deux fois 1.280.000 FF, alors qu'il ressort des arrêts du Conseil d'Etat du 9 avril 1993 qu'il a droit à une réparation forfaitaire de 2.000.000 FF à laquelle s'ajoutent les intérêts au taux légal depuis la date de sa demande préalable à l'administration, soit 2.800.000 FF environ, dont il y aura lieu de déduire la somme de 1.280.000 FF reçue du fonds. Il en conclut qu'il peut espérer recevoir une indemnisation complémentaire supérieure à celle qu'il a déjà perçue. La Commission note que le requérant a introduit sa demande préalable et gracieuse d'indemnisation le 8 décembre 1989. A ce jour, aucun jugement définitif n'a été rendu par le tribunal administratif de Paris. La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. Sur ce dernier point, l'enjeu du litige pour l'intéressé entre en ligne de compte dans certains cas (voir notamment Cour eur. D.H., arrêt X. c/France précité, p. 90, par. 32). La Commission estime que, vu les circonstances de l'espèce, la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit concernant la durée de la procédure, qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La Commission constate en outre que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire Le Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission (deuxième chambre)
Numéro d'arrêt : 22904/93
Date de la décision : 09/03/1994
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement irrecevable

Parties
Demandeurs : DEMAI
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1994-03-09;22904.93 ?

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