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12/04/1994 | CEDH | N°16839/90

CEDH | REMLI contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 16839/90 présentée par Saïd André Remli contre la France _________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 12 avril 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS MM. F. MARTINEZ Mme G.H. THUNE J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA

D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la ...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 16839/90 présentée par Saïd André Remli contre la France _________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 12 avril 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS MM. F. MARTINEZ Mme G.H. THUNE J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 16 mai 1990 par Saïd André Remli contre la France et enregistrée le 10 juillet 1990 sous le No de dossier 16839/90 ; Vu la décision de la Commission, en date du 1er avril 1992, de communiquer la requête ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 8 juillet 1992 et les observations en réponse présentées par le requérant le 3 août 1992 ; Vu les observations développées par les parties à l'audience du 12 avril 1994 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT
A. Circonstances particulières de l'affaire Le requérant, d'origine algérienne, a la nationalité française. Il est né en 1957 et n'exerce pas de profession. Il est actuellement détenu à la maison d'arrêt de Fresnes. Devant la Commission, il est représenté par Maître Claire Waquet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le requérant, alors en détention à la maison d'arrêt de Lyon-Montluc, échafauda avec un autre détenu d'origine algérienne, M. M., un projet d'évasion. Le 16 avril 1985, mettant à exécution leur plan, le requérant et M. M. assommèrent l'un des gardiens qui décéda des suites des coups qu'il avait reçus. La tentative d'évasion échoua et le requérant ainsi que M. M. furent inculpés du chef d'homicide volontaire ayant pour objet de faciliter, préparer ou exécuter le délit d'évasion et de tentative d'évasion. Par arrêt du 12 août 1988, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon renvoya le requérant et M. M. devant la cour d'assises du Rhône desdits chefs d'inculpation. Le requérant se pourvut en Cassation à l'encontre de l'arrêt de renvoi et, par arrêt du 5 décembre 1988, la Cour de Cassation rejeta ledit pourvoi. Les débats devant la cour d'assises du Rhône eurent lieu du 12 avril à 13 heures 45 minutes au 14 avril 1989. Le 12 avril, les jurés composant le jury de jugement ainsi que deux jurés supplémentaires furent tirés au sort. Après exercice par les accusés et le ministère public de leur droit de récusation, le jury fut déclaré définitivement constitué et l'audition des témoins commença. A la reprise de l'audience le 13 avril 1989 à 13 heures 50 minutes, les avocats du requérant déposèrent des conclusions par lesquelles ils demandaient à la cour de leur donner acte de propos tenus avant l'audience du 12 avril par un des jurés et entendus par une personne extérieure à l'affaire, Mme M., et de joindre les conclusions et l'attestation de Mme M. au procès- verbal des débats. L'attestation était ainsi rédigée : "Je soussignée (...) atteste sur l'honneur avoir assisté aux faits suivants : Je me trouvais à la porte du tribunal vers 13 heures à côté d'un groupe de personnes. D'après leur conversation, j'ai pu entendre par hasard qu'elles faisaient partie du jury tiré au sort pour l'affaire MERDJI REMLI contre PAHON. L'une d'entre elles a ensuite laissé échapper les paroles suivantes "En plus je suis raciste". Je ne connais pas le nom de cette personne mais je peux indiquer qu'elle se trouvait à gauche du juré situé immédiatement à gauche du juge placé à la gauche du président. Ne pouvant me déplacer à l'audience pour confirmer les faits en raison de l'hospitalisation récente de ma fille mais me tenant à la disposition de la justice si mon audition s'avère indispensable, j'ai établi la présente attestation pour faire et valoir ce que de droit." Après délibération, la cour, composée pour l'occurrence des seuls magistrats, refusa de donner acte des propos en cause aux motifs "que selon cette attestation et les conclusions, ces propos ont été tenus avant l'ouverture de la première audience de la présente affaire et hors de la présence des magistrats composant la Cour ; qu'ainsi la Cour n'est pas en mesure de donner acte de faits qui se seraient passés hors de sa présence." Elle ordonna par ailleurs la jonction de l'attestation et des conclusions au procès-verbal des débats. Par arrêt du 14 avril 1989, la cour d'assises du Rhône condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité pour homicide volontaire et tentative d'évasion. Le requérant forma un pourvoi en Cassation à l'encontre de cet arrêt, en soulevant plusieurs moyens de cassation, dont la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention en raison du refus opposé par la cour d'assises de donner acte des propos rapportés par l'attestation. Par arrêt du 22 novembre 1989, la Cour de Cassation rejeta le pourvoi du requérant, en répondant comme suit à ce moyen : "c'est à bon droit que la Cour a refusé de donner acte de faits qui, à les supposer établis, se seraient produits en dehors de l'audience, de sorte qu'elle n'aurait pas été en mesure de les constater (...)"
B. Droit et pratique internes pertinents - Composition et fonctionnement de la cour d'assises : La procédure devant la cour d'assises est régie par les articles 231 à 380 du code de procédure pénale. La cour d'assises comprend la cour proprement dite, composée de trois magistrats et le jury. Ce dernier est constitué de personnes âgées d'au moins 23 ans et jouissant de tous leurs droits, figurant sur une liste établie annuellement dans le ressort de chaque cour d'assises. La cour d'assises n'est pas permanente et tient une session tous les trois mois. Trente jours au moins avant l'ouverture des assises, les noms de trente-cinq jurés et de dix titulaires sont tirés au sort sur la liste annuelle. La liste des jurés de session telle qu'elle a été arrêtée est signifiée à chaque accusé au plus tard l'avant-veille des débats. Le jury de jugement est constitué en audience publique, à l'ouverture des débats. Neuf jurés sont tirés au sort parmi le jury de session, l'accusé pouvant récuser cinq jurés au plus et le ministère public quatre. Le jury de jugement est constitué dès que les noms de neuf jurés non récusés ont été tirés au sort. La cour peut également ordonner le tirage au sort de jurés supplémentaires. Une fois le jury de jugement constitué, le président de la cour fait prêter aux jurés le serment de décider d'après leur conscience et leur intime conviction, de ne communiquer avec personne et de conserver le secret des délibérations. Pendant les débats, les jurés peuvent, sur autorisation du président, poser des questions à l'accusé et aux témoins et se doivent de ne pas manifester leur opinion. Après clôture des débats, la cour et le jury se retirent ensemble pour délibérer sur la culpabilité et la peine. Le vote sur la culpabilité a lieu au scrutin secret, sur la base d'une liste de questions établies par le président. Toute décision défavorable à l'accusé doit être adoptée à la majorité de huit voix et les bulletins blancs ou nuls sont décomptés comme favorables à l'accusé. Il est ensuite voté à bulletin secret sur la peine. Les décisions sont reportées sur la feuille de questions, signée par le président et le premier juré, dont il est ensuite donné lecture. Les arrêts de la cour d'assises ne sont pas motivés et ne peuvent pas faire l'objet d'un appel. Ils ne peuvent être frappés que d'un pourvoi en cassation. - Déroulement des débats : Pendant tout le cours des débats, il est tenu un procès- verbal qui fait mention notamment des demandes faites par le ministère public, par voie de réquisitions, ainsi que par l'accusé ou par la partie civile, par voie de conclusions et sur lesquelles la cour (sans le jury) est tenue de statuer. L'article 316 du Code de procédure pénale précise que les arrêts incidents rendus par la cour ne peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation qu'en même temps que l'arrêt au fond. La Cour de Cassation ne peut statuer sur des griefs invoqués mais dont il n'a pas été demandé acte à la cour d'assises et qui ne sont pas constatés sur le procès-verbal des débats (Cass. crim., 23 décembre 1899, Bull. n° 380 ; 24 juillet 1913, Bull. n° 365 ; 12 mai 1921, Bull. n° 211 ; 31 janvier 1946, Bull. n° 40 ; 30 mai 1955, Bull. n° 28 ; 21 novembre 1973, Bull. n° 427 ; 22 avril 1977, Dalloz 1978 p. 28). En l'absence d'incident contentieux, c'est au président et non à la cour qu'il appartient de donner acte. La cour peut refuser de donner acte de faits qui se sont passés en dehors de l'audience. Il lui appartient, si elle le juge utile, d'ordonner des vérifications et elle dispose à cet égard d'un pouvoir d'appréciation souverain (Cass. crim. 16 janvier 1903, D.P. 1904.I. 479 ; 5 août 1909, Bull. n° 422 ; 12 janvier 1911, Bull. n° 21). - Voies de recours contre les incidents contentieux : L'article 316 du Code de procédure pénale dispose: "Tous incidents contentieux sont réglés par la cour, le ministère public, les parties ou leurs conseils entendus. Ces arrêts ne peuvent préjuger du fond. Ils ne peuvent être attaqués par la voie du recours en cassation qu'en même temps que l'arrêt sur le fond." - Requête en suspicion légitime : Aux termes de l'article 662 du Code de procédure pénale : "En matière criminelle (...) la chambre criminelle de la Cour de Cassation peut dessaisir toute juridiction (...) de jugement et renvoyer la connaissance de l'affaire à une autre juridiction du même ordre (...) pour cause de suspicion légitime. La requête aux fins de renvoi peut être présentée soit par le procureur général près la Cour de Cassation, soit par le ministère public établi près la juridiction saisie, soit par l'inculpé, soit par la partie civile. (...)" Selon la jurisprudence, le renvoi pour cause de suspicion légitime ne peut s'appliquer qu'à une juridiction entière prise dans sa collégialité et non à l'un de ses membres, vis-à-vis duquel devra être utilisée la procédure de la récusation. La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime n'est accueillie que s'il existe en l'espèce des motifs précis et graves. En matière de dessaisissement de cours d'assises, la Cour de Cassation a pu ordonner le renvoi lorsqu'apparaissaient notamment des circonstances de nature à "porter atteinte à l'indépendance des témoins et des jurés, à leur impartialité, à l'exacte manifestation de la vérité ou au cours normal de la justice" (Cass. crim. 26 novembre 1931, Bull. n° 272 ; 22 mars 1933, Bull. n° 61) ou lorsqu'il y a lieu de craindre, notamment, "que les conditions dans lesquelles une cour criminelle pourrait être appelée à connaître d'une affaire ne soient de nature à compromettre la liberté et l'autorité de son verdict" (Cass. crim. 30 juin 1911, Bull. n° 333). - Pourvoi en cassation : La Cour de Cassation se reconnaît compétente pour statuer sur d'éventuelles violations de la Convention, qui est directement applicable en droit français.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint du fait que sa cause n'a pas été entendue par un tribunal impartial en ce sens que la cour d'assises a refusé de donner acte des propos racistes tenus par l'un des jurés avant l'audience des débats, propos consignés dans une attestation établie par un témoin. Le requérant invoque à cet égard les dispositions de l'article 6 par. 1 de la Convention.
2. Il allègue également une violation des dispositions de l'article 14 de la Convention dans la mesure où le droit à un tribunal impartial doit être assuré sans distinction aucune, fondée notamment sur la race ou l'origine nationale.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 16 mai 1990 et enregistrée le 10 juillet 1990. Le 1er avril 1992, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé de porter à la connaissance du Gouvernement français les griefs tirés de l'absence d'impartialité du tribunal ainsi que de la discrimination et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus. Le Gouvernement a présenté ses observations, après prorogation du délai imparti, le 8 juillet 1992 et le requérant y a répondu le 3 août 1992. Le 12 janvier 1994, la Commission a décidé de tenir une audience sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. L'audience a eu lieu le 12 avril 1994. Les parties y étaient représentées comme suit :
Pour le Gouvernement :
M. Patrick TITIUN Magistrat détaché à la direction des affaires juridiques du Ministère des Affaires étrangères, sous-direction des Droits de l'Homme, en qualité d'Agent,
M. François STAECHELE Président de la cour d'assises de la Moselle,
Mme Sabine RACSY Magistrat détaché à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice,
M. Philippe MOLLARD Juge au tribunal de grande instance de Metz, en qualité de conseils.
Pour le requérant :
Maître Claire WAQUET Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation.
EN DROIT Le requérant se plaint ce que sa cause n'aurait pas été entendue par un tribunal impartial en ce que la cour d'assises a refusé de donner acte des propos racistes tenus par l'un des jurés avant l'audience des débats, propos consignés dans une attestation établie par un témoin. Le requérant invoque à cet égard les dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et en particulier la garantie de l'impartialité du tribunal. Il se plaint également d'avoir fait l'objet d'une discrimination fondée sur l'origine raciale, contraire à l'article 14 (art. 14) de la Convention.
1. Sur les exceptions de non-épuisement des voies de recours internes et de tardiveté de la requête : Le Gouvernement soulève une exception tenant au non- épuisement, par le requérant, des voies de recours internes. Il invoque en second lieu la tardiveté de la requête. Aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus et dans le délai de six mois, à partir de la date de la décision interne définitive".
a) Non-épuisement des voies de recours internes : Sur la première exception, le Gouvernement fait valoir tout d'abord, en ce qui concerne le grief tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, que le requérant, en demandant à la cour d'assises de lui donner acte des propos du juré, n'a pas exercé de recours efficace dans la mesure où la cour n'avait pas constaté les faits, survenus en dehors de sa présence. Selon le Gouvernement, le requérant devait d'abord solliciter une mesure d'enquête afin d'établir les faits et de s'en voir ensuite donner acte. Le Gouvernement soutient également que le requérant aurait dû demander le remplacement du juré. Par ailleurs, il indique que le requérant avait la possibilité d'introduire une requête en suspicion légitime, prévue par l'article 662 du Code de procédure pénale. S'agissant du grief tiré de l'article 14 (art. 14) de la Convention, le Gouvernement fait valoir que le requérant n'a pas invoqué ce grief devant les juridictions nationales. Le requérant combat ces arguments. Sur le premier point, il indique avoir exercé devant la cour d'assises le recours qui s'imposait s'il entendait ensuite se prévaloir de la nullité de la procédure, puisque le donné acte est un préalable absolument nécessaire lorsque la preuve d'un fait ne résulte pas du procès- verbal des débats qui en constitue la constatation authentique. Il estime sans pertinence le fait qu'il n'ait pas sollicité d'enquête, puisqu'il apportait à la cour un élément de preuve et qu'il lui appartenait d'ordonner d'office une enquête si elle l'estimait nécessaire. S'agissant de la demande de remplacement du juré, il fait valoir qu'en l'absence de donné acte elle lui aurait été refusée. Sur le troisième point, il fait valoir qu'il n'a précisément pas introduit de requête en suspicion légitime dans la mesure où le donné acte des faits qu'il invoquait lui avait été refusé et qu'une telle requête n'aurait pu être accueillie, en l'absence de preuve. En ce qui concerne, enfin, le grief tiré de l'article 14 (art. 14) de la Convention, il répond que la violation résulte de l'arrêt de la Cour de Cassation lui-même. Il incombe à la Commission d'établir si les conditions posées par l'article 26 (art. 26) de la Convention ont été remplies en l'espèce. Le fondement de la règle de l'épuisement des voies de recours internes consiste en ce qu'avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l'Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale pourvu qu'elles se révèlent efficaces et suffisantes (N° 788/60, Autriche c/Italie, déc. 11.1.61, Annuaire 4 pp. 117, 169 ; N° 712/60, Retimag c/R.F.A, déc. 16.12.61, Annuaire 4 pp. 385, 401 ; N° 5964/72, déc. 29.9.75, D.R. 3, p. 57 ; Cour eur. D.H., arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980, série A n° 39, p. 27, par. 72 ; arrêt Cardot du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 19, par. 36). A cette fin, le requérant ne doit pas seulement avoir saisi les juridictions nationales, mais il doit également avoir soulevé devant ces juridictions, au moins en substance et dans les formes et délais du droit interne, les griefs qu'il entend ensuite formuler devant les organes de la Convention (arrêt Guzzardi précité, pp. 25-27, par. 71-72 ; arrêt Cardot précité, p. 18, par. 34). Afin d'apprécier la pertinence de l'exception soulevée par le Gouvernement sur le premier point, la Commission doit établir si la procédure de "donner acte" constitue un recours efficace. Elle constate à cet égard que la Cour de Cassation ne peut être saisie de griefs dont il n'aurait pas été demandé acte à la cour d'assises et qui n'auraient pas été portés au procès-verbal des débats. Par ailleurs, il apparaît que la cour d'assises, si elle peut refuser de donner acte d'un fait survenu en dehors de l'audience, dispose d'un pouvoir souverain d'ordonner toute vérification utile. La Commission considère dès lors qu'en demandant à la cour d'assises de lui donner acte des propos qu'aurait tenus le juré, le requérant a exercé une action qui constituait un préalable indispensable à tout pourvoi en cassation ultérieur. Par ailleurs, en portant à l'attention de la cour l'attestation de Mme M. qui rapportait les propos dont elle avait été témoin et offrait d'être entendue, le requérant a mis la cour en mesure d'exercer son pouvoir souverain d'enquête. Dès lors, la Commission considère que le requérant, par sa demande de donner acte, a exercé un recours efficace au sens de la jurisprudence des organes de la Convention. S'agissant de l'argument selon lequel le requérant aurait dû introduire une requête en suspicion légitime, la Commission note que cette procédure n'est applicable que contre une juridiction dans sa collégialité, notamment lorsque les circonstances laissent présumer que des pressions extérieures pourraient s'exercer sur jurés ou témoins. Lorsqu'il s'agit de mettre en cause l'absence d'impartialité d'une seule personne, c'est la procédure de récusation qui doit être mise en oeuvre. Dans le cas d'espèce, la Commission observe que cette procédure n'était plus ouverte au requérant, le jury ayant été définitivement constitué lorsque les propos en cause ont été portés à sa connaissance. Par ailleurs, s'agissant de la possibilité, mentionnée par le Gouvernement, de demander le remplacement du juré, la Commission constate que le Gouvernement n'a pas fourni d'exemples susceptibles d'établir que, dans les circonstances de l'espèce, cette possibilité était ouverte au requérant. En tout état de cause, elle considère que la cour, après le refus de donner acte qu'elle avait opposé au requérant, n'avait pas davantage de raisons d'accéder à une telle demande. Concernant, en dernier lieu, la violation de l'article 14 (art. 14) alléguée par le requérant, la Commission considère que ce grief est lié à celui tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il s'ensuit que l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.
b) Non-respect du délai de six mois : Le Gouvernement soutient en second lieu que la requête est tardive, puisque le grief du requérant est fondé sur le refus qui lui a été opposé par la cour d'assises et que la Cour de Cassation considère qu'il appartient à la juridiction de jugement d'apprécier souverainement l'utilité des vérifications demandées. Dès lors, le pourvoi en cassation était voué à l'échec. Le requérant réplique qu'aux termes de l'article 316, dernier alinéa du Code de procédure pénale, le recours contre les arrêts incidents de cours d'assises est le pourvoi en cassation, qui ne peut être engagé qu'en même temps que contre l'arrêt au fond. Il indique qu'il pouvait espérer, en formant ce pourvoi, faire sanctionner par la Cour de Cassation l'erreur commise par la cour d'assises. Il fait enfin valoir que l'arrêt de la Cour de Cassation ne doit pas s'apprécier au regard de la jurisprudence interne mais au regard des exigences de la Convention. La Commission observe que l'article 316 du Code de procédure pénale est ainsi rédigé : "Tous incidents contentieux sont réglés par la cour, le ministère public, les parties ou leurs conseils entendus. Ces arrêts ne peuvent préjuger du fond. Ils ne peuvent être attaqués par la voie du recours en cassation qu'en même temps que l'arrêt sur le fond." L'exception soulevée par le Gouvernement est liée à la question de savoir si le pourvoi en cassation constituait en l'espèce un recours efficace. A cet égard, la Commission relève que l'article 316 prévoit le recours en cassation contre les arrêts incidents de cours d'assises. Elle rappelle, d'autre part, que la Cour de Cassation se reconnaît compétente pour statuer sur d'éventuelles violations de la Convention, qui est directement applicable en droit français. Le Gouvernement n'a pas, à cet égard, communiqué d'éléments susceptibles d'établir que les moyens soulevés par le requérant devant la Cour de Cassation se seraient heurtés à une jurisprudence établie. En conséquence, la Commission considère que la décision à prendre en compte pour l'application de l'article 26 (art. 26) de la Convention était l'arrêt de la Cour de Cassation du 22 novembre 1989 et constate que la requête, formée le 16 mai 1990, a été introduite dans le délai de six mois prévu par cette disposition. Il s'ensuit que cette exception doit également être rejetée.
2. Sur les griefs du requérant : La Commission est maintenant appelée à examiner les griefs du requérant tenant à l'absence d'impartialité du tribunal ainsi qu'à la discrimination fondée sur son origine raciale. Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)" Il invoque également la violation de l'article 14 (art. 14) de la Convention qui garantit à toute personne la jouissance des droits reconnus dans la Convention sans distinction aucune fondée notamment sur la race. Pour le Gouvernement, ce grief est en tout état de cause manifestement mal fondé. Il fait valoir en premier lieu que le requérant ne rapporte pas la preuve que les propos dont il se plaint aient effectivement été tenus. En effet, selon le Gouvernement, Mme M. n'a pu, comme elle le prétend dans son attestation, entendre l'une des personnes appartenant au jury de jugement prononcer les propos qu'elle rapporte le 12 avril 1989 à 13 heures puisque à ce moment-là ledit jury n'était pas encore constitué. En outre, le Gouvernement considère que l'attestation est imprécise et peu sérieuse, dans la mesure où Mme M. ne participait pas à la conversation et ignorait dans quel contexte et sur quel ton la phrase litigieuse avait été prononcée. Le requérant rappelle que le système de preuve légale des faits qui se produisent devant la cour d'assises est l'arrêt de donné acte qui précisément lui a été refusé en l'espèce. Il considère qu'il a apporté à la cour d'assises des éléments de preuve susceptibles d'aboutir à un tel arrêt, mais que, dans la mesure où un refus lui a été opposé, il ne peut pas faire la preuve parfaite, en droit français, des faits litigieux. Après avoir examiné l'argumentation des parties, la Commission estime que la requête soulève des problèmes de droit et de fait qui nécessitent un examen au fond de l'affaire. Dès lors, elle ne saurait être déclaré manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Compte tenu de ce que le grief du requérant tiré de l'article 14 (art. 14) de la Convention se confond avec le problème de l'impartialité du tribunal, la Commission n'estime pas nécessaire de se prononcer séparément sur ce grief. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire Le Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Type d'affaire : DECISION (finale)
Type de recours : partiellement irrecevable

Parties
Demandeurs : REMLI
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission (première chambre)
Date de la décision : 12/04/1994
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16839/90
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1994-04-12;16839.90 ?

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