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13/04/1994 | CEDH | N°16392/90

CEDH | DE BONVOISIN contre la BELGIQUE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 16392/90 présentée par Benoît DE BONVOISIN contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 13 avril 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I

. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY ...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 16392/90 présentée par Benoît DE BONVOISIN contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 13 avril 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 22 février 1990 par Benoît DE BONVOISIN contre la Belgique et enregistrée le 3 avril 1990 sous le No de dossier 16392/90 ; Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 20 avril 1993 et les observations en réponse présentées par le requérant le 8 et 15 juillet 1993 et les observations complémentaires présentées par le Gouvernement le 4 octobre 1993; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant belge, né en 1939 et domicilié à Bruxelles. Devant la Commission, il est représenté par Maître Roland Houver, avocat à Strasbourg. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
I. PROCEDURE CONCERNANT LA PLAINTE DU REQUERANT Suite à diverses affaires mettant en cause des mouvements d'extrême droite, une Commission parlementaire spéciale, dite "Commission Wyninckx", du nom de son président, fut chargée d'enquêter sur le maintien de l'ordre et l'application d'une loi du 29 juillet 1934 sur les milices privées. Le 19 février 1981 et le 22 avril 1981, la Commission parlementaire procéda à l'audition à huis-clos et sous serment de R., administrateur général de la Sûreté de l'Etat (service dépendant du Ministre de la Justice et chargé de la défense de la sûreté intérieure et extérieure du Pays). A la suite des ces auditions, R. rédigea pour le Ministre de la Justice deux notes de synthèse. Le 23 avril 1981, ladite Commission écrivit au Ministre de la Justice en lui demandant de permettre à R. de s'expliquer complètement sur les faits qui pouvaient être en sa connaissance concernant divers mouvements d'extrême-droite. Suite à cette demande, le Ministre de la Justice accepta de communiquer à la Commission parlementaire une note de synthèse établie sur base des notes de R.. Cette note mettait, entre autres, en cause le requérant. Le 19 mai 1981, le journal belge M. publiait un long article divulguant le contenu de cette note confidentielle. Le 9 juillet 1981, le Ministre de la Justice informa le Parlement du fait que la note qui avait été publiée par le journal M. n'émanait pas en tant que telle de la Sûreté de l'Etat mais qu'elle avait été rédigée par son cabinet sur base des notes rédigés par R.. Le 23 février 1983, le requérant déposa plainte auprès du procureur du Roi de Bruxelles contre diverses personnes dont R., l'administrateur général, et S., un fonctionnaire de la Sûreté de l'Etat. Cette plainte était fondée sur les motifs suivants : "1) Etant fonctionnaire ou officier public dépositaire ou agent de l'autorité ou de la force publique, avoir ordonné ou exécuté tout autre acte arbitraire et attentatoire aux libertés et aux droits garantis par la Constitution autre que ceux visés aux articles 147 à 149 du Code Pénal ; 2) Soit dans des réunions ou lieux publics, soit en présence de plusieurs individus, dans un lieu non public, mais ouvert à un certain nombre de personnes ayant le droit de s'y assembler ou de le fréquenter, soit dans un lieu quelconque, en présence de la personne offensée, devant témoins, soit par des écrits imprimés ou non, des images ou des emblèmes affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés au regard du public, soit par des écrits non rendus publics, mais adressés ou communiqués à plusieurs personnes, méchamment imputé à Benoît DE BONVOISIN, qui porte plainte, un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne ou à l'exposer au mépris public dont la preuve légale n'est pas rapportée et dont la loi admet la preuve ; 3) Concerter des mesures contraires aux lois ou à des arrêtés royaux, soit dans une réunion d'individus, ou de corps dépositaires de quelque partie de l'autorité publique, soit par députation ou correspondances entre-eux ; 4) Etant déposé, par l'Etat ou par profession des secrets qu'on leur confie, les avoir révélés, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets." Le 4 mars 1983, le requérant se constitua partie civile contre R., S., ainsi que contre X. Le 2 avril 1983, le ministère public requit un non-lieu et le dessaisissement du juge d'instruction. Par ordonnance du 18 mai 1983, la chambre du conseil de Bruxelles rejeta la demande du parquet et renvoya l'affaire à l'instruction. Le parquet interjeta appel de cette ordonnance. Par arrêt du 30 juin 1983, la chambre des mises en accusation de Bruxelles confirma l'ordonnance du 18 mai 1983. Le 25 mai 1987, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara l'affaire éteinte par prescription. Le requérant fit opposition contre l'ordonnance du 25 mai 1987. Lors des débats devant cette juridiction, le requérant fit valoir un nouveau reproche à l'égard des deux fonctionnaires, reproche qualifié comme suit : "dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles, entre le 18 février 1981 et le 20 mai 1981, en contravention à l'article 9 de la loi du 3 mai 1980, ayant été appelés comme témoin devant la commission parlementaire d'enquête du Sénat, s'être rendus coupables de faux témoignage contre Benoît de Bonvoisin" ; Par arrêt du 10 décembre 1987, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles réforma l'ordonnance du 25 mai 1987. La chambre des mises en accusation ordonna ensuite l'exécution de divers devoirs complémentaires et commit à cette fin un nouveau juge d'instruction à Bruxelles. Par arrêt du 12 mars 1992, la chambre des mises en accusation rejeta, d'une part, une demande du requérant d'ordonner un complément d'enquête et de nommer un nouveau juge d'instruction. Elle déclara, d'autre part, qu'il n'y avait pas lieu à poursuivre. En ce qui concerne la première et la troisième prévention, elle estima que les faits dénoncés n'étaient pas constitutifs des infractions pénales alléguées. Quant aux deux autres préventions, elle jugea qu'il n'y avait pas de charges suffisantes pour donner lieu à poursuites. Elle estima, en ce qui concerne la prévention de calomnie, que "l'intention (de nuire), qui constitue l'élément moral requis pour que le délit de calomnie puisse être consommé, ne peut exister lorsque, tout en nuisant sciemment à la personne, objet de ses imputations, l'agent a accompli, comme en l'espèce, un acte qui lui était imposé par la nature de ses fonctions ou de ses devoirs (J. Leclerc, Atteintes portées à l'honneur ou à la considération des personnes, Novelles, droit pénal, T. IV, n°7265, et les références citées)". En outre, elle conclut à l'absence d'intention spécifique de nuire dans le chef de R. et estima "qu'il résulte de l'instruction (...) que les informations communiquées au ministre de la justice par le premier inculpé correspondent à celles qui figuraient dans les dossiers de la Sûreté et que ces informations reposent sur des données recueillies par les services extérieurs de cette administration". Concernant la prévention de violation du secret professionnel, la chambre des mises en accusation a estimé "qu'en ce qui concerne la divulgation de la note attribuable au cabinet de la justice, l'instruction n'a permis de recueillir aucun élément à charge des premier et second inculpés, ni d'une autre personne déterminée;".
II. PROCEDURES PENALES DIRIGEES CONTRE LE REQUERANT
a. Le 19 mai 1981, une perquisition fut faite au domicile du requérant ainsi qu'en d'autres lieux, dans le cadre d'une instruction ouverte sur dénonciation du ministère des finances, inspection spéciale des impôts, et relative à des infractions de nature financière et fiscale commises à partir de 1974 (et ayant perduré, selon la décision de renvoi devant les juges du fond prise ultérieurement, jusqu'en 1985). Le 5 décembre 1989, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles renvoya le requérant et 2 autres personnes devant le tribunal correctionnel pour les infractions de nature financière et fiscale qui auraient été commises de 1974 à 1985. Cette décision fut confirmée par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles du 1er mars 1990. Un pourvoi en cassation contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation le 6 juin 1990. Au cours des débats devant le tribunal correctionnel, le requérant demanda, entre autres, que le tribunal sursoie à statuer jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur sa plainte contre des membres de la "Sûreté de l'Etat". Par jugement du 13 mars 1991, le tribunal correctionnel décida de surseoir à statuer jusqu'à la clôture complète et définitive de l'instruction concernant la plainte du requérant. Le tribunal estima cependant inopportun de surseoir à juger jusqu'à ce qu'il soit définitivement jugé sur cette plainte, rappelant que, dans son arrêt du 10 décembre 1987, la chambre des mises en accusation de Bruxelles avait précisément suspendu la prescription dans le cadre de la plainte en faisant valoir qu'il s'imposait d'attendre qu'il soit statué sur les poursuites dont le tribunal correctionnel était à ce moment saisi. En conséquence, il était nécessaire de vider d'abord le litige relatif aux préventions de nature financière et fiscale avant même d'aborder au fond l'examen de la plainte du requérant. Le requérant n'a pas fourni d'autres précisions quant à cette affaire.
b. Le 27 avril 1990, le requérant fut placé en détention provisoire dans le cadre d'une enquête semble-t-il relative à des faits de corruption. Il fut remis en liberté le 13 juin 1990. Le requérant n'a pas fourni d'autres précisions à cet égard.
III. AUTRES PROCEDURES Le 8 mars 1983, le requérant assigna l'Etat belge devant le tribunal de première instance de Bruxelles en vue d'obtenir réparation de l'atteinte à l'honneur qu'il aurait subie du fait de la divulgation de la note de la Sûreté de l'Etat. L'action tendait à la condamnation de l'Etat belge a 100.000.000 FB de dommages et intérêts. Il semble que la procédure soit toujours pendante, le requérant ne l'ayant jamais diligentée malgré les demandes de l'avocat de l'Etat belge. Le 23 février 1990, le requérant introduisit une procédure devant le Président du tribunal de première instance de Bruxelles siégeant en référé, tendant à la condamnation de l'Etat belge à publier un communiqué officiel selon lequel le requérant serait étranger aux faits contenus dans la note de la Sûreté de l'Etat. Dans une ordonnance rendue le 11 mai 1990, le Président du tribunal, après avoir relevé que la procédure pénale était toujours pendante au fond, déclina sa compétence. Le 14 août 1990, le requérant introduisit devant le tribunal de grande instance de Paris une action en diffamation contre l'éditeur et deux journalistes du "Quotidien de Paris" et contre l'Agence France Presse qui l'avaient mis en cause. Par jugement du 13 mars 1991, le tribunal condamna l'éditeur et les journalistes du "Quotidien de Paris" à payer au requérant une somme de 50.000 FF à titre de dommages-intérêts. Il rejeta par contre l'action dans la mesure où elle était dirigée à l'encontre de l'Agence France Presse. Entre-temps, les 16 et 17 août 1990, le requérant avait introduit une action en diffamation devant le tribunal de grande instance de Paris contre l'éditeur, le directeur de la publication et un journaliste du "Quotidien de Paris". Par jugement du 13 mars 1991, les défendeurs furent condamnés au paiement d'une somme de 50.000 FF, le tribunal estimant qu'en désignant le requérant "d'éminence grise de la C.G.E. surnommé 'Le Baron Noir'", à l'occasion d'un article publié le 18 mai 1990, et en indiquant "qu'au centre de l'enquête se trouvaient de 'fausses factures'" adressées par une société dirigée par des 'hommes de paille' de Benoît de BONVOISIN, les défendeurs ont porté atteinte à son honneur et à sa considération" et qu'ils n'avaient pas établi la véracité des propos incriminés ou leur bonne foi. Le 17 août 1990, le requérant avait également introduit devant le tribunal de grande instance de Paris une action en diffamation contre l'éditeur, le directeur de la publication et un journaliste de l'"Evénement du jeudi" suite à un article relatif à l'affaire citée ci-avant (voir point II, b) et publié dans le magazine daté du 28 juin au 4 juillet 1990. Cette procédure semble toujours pendante. Les 27 août et 5 septembre 1990, le requérant introduisit devant le tribunal de grande instance de Paris une action en diffamation contre la "Société TF1" et deux de ses journalistes, suite à un reportage relatif à l'affaire citée ci-avant. Par jugement du 13 mars 1991, le tribunal condamna la société et un des journalistes au paiement d'une somme de 20.000 FF pour avoir, au cours d'une émission télévisé du 23 juin 1990, désigné expressément le requérant comme étant à l'origine d'une affaire de corruption sans établir la véracité de leurs affirmations ou leur bonne foi. Entre-temps, le 4 septembre 1990, le requérant avait introduit devant le tribunal de grande instance de Paris une action en diffamation contre la "Société d'information diffusion R.T.L." et deux de ses journalistes suite à un reportage radiophonique du 7 juin 1990 relatif aux "tueurs fous du Brabant". Par jugement du 13 mars 1991, le tribunal condamna les défendeurs au paiement d'une somme de 80.000 FF à titre de dommages-intérêts pour avoir formulé sous le mode de l'insinuation des imputations de faits précis portant atteinte à l'honneur et à la considération du requérant, seule personne désignée nommément dans le reportage.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint du manque d'impartialité et d'indépendance des divers juges d'instruction chargés de l'instruction de sa plainte du 23 février 1983. Il explique que le juge d'instruction peut agir comme officier de police judiciaire lorsqu'il veille à l'exécution de mesures ordonnées par lui, c'est-à-dire par exemple lorsqu'il reçoit des plaintes de personnes se prétendant lésées ou lorsqu'il accomplit des actes tendant à la constatation du crime ou du délit, à la découverte de ses auteurs et à la réunion des preuves. Lorsqu'il agit en cette qualité, le juge d'instruction est placé sous la surveillance du procureur général à la cour d'appel, soit un membre du parquet dont le chef suprême est le ministre de la Justice, représentant du pouvoir exécutif. Si le procureur général n'a pas le pouvoir d'adresser des injonctions au juge d'instruction ou diriger lui-même l'instruction, il peut, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, adresser des avertissements au juge lorsque celui-ci fait preuve de négligence ou commet des irrégularités dans ses fonctions d'officier judiciaire. Il ajoute que la durée de l'instruction et le non- accomplissement des tâches ordonnées par les chambres des mises en accusation montrent également un manque d'indépendance et d'impartialité des juges d'instruction chargés de l'instruction de sa plainte. Le requérant se plaint aussi de la longueur de la procédure ouverte suite à sa plainte du 23 février 1983. Il invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
2. Invoquant l'article 6 par. 2 de la Convention, le requérant fait valoir que pour établir son innocence, il avait intérêt à ce que la procédure concernant la plainte du 23 février 1983 soit menée à bien. Il explique que cette plainte était conçue à la fois comme un moyen pour faire bon compte des calomnies proférées à son encontre et comme un moyen de défense, car "il souhaitait en effet des éclaircissements sur l'instruction menée par Monsieur le Juge Collin dans l'affaire 36/83" concernant les infractions de nature financière et fiscale qui auraient été commises de 1974 à 1985. Il rappelle à cet égard que sa plainte visait notamment la collusion suspectée entre la Sûreté et l'administration fiscale qui était à l'origine des poursuites entamées contre lui. Les lacunes et irrégularités commises lors de l'instruction par le parquet ainsi que par les juges et les juridictions d'instruction l'ont donc empêché de préparer utilement sa défense, en violation de l'article 6 par. 2 de la Convention qui garantit le droit à la présomption d'innocence.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 22 février 1990 et enregistrée le 3 avril 1990. Le 30 novembre 1992, la Commission a décidé, se fondant sur l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de donner connaissance de la requête au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit des observations en ce qui concerne le grief relatif à la durée de la procédure d'instruction de la plainte du requérant. Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le 20 avril 1993. Les observations en réponse du requérant ont été présentées les 8 et 15 juillet 1993. Le 4 octobre 1993, le Gouvernement présenta des observations complémentaires à celles faites par le requérant. Le 21 octobre 1993, le requérant informa le Secrétaire de la Commission qu'il n'entendait pas répliquer aux observations du Gouvernement.
EN DROIT
1. Invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention, le requérant se plaint du manque d'impartialité et d'indépendance des divers juges d'instruction chargés de l'instruction de sa plainte du 23 février 1983. Il se plaint aussi de la longueur de la procédure ouverte suite à sa plainte du 23 février 1983. L'article 6 (art. 6) de la Convention garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial qui décidera, soit des contestations sur ses droits ou obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. La Commission relève que la procédure dont se plaint le requérant n'avait pas trait à une accusation pénale dirigée contre lui puisqu'il n'avait pas la qualité d'accusé, mais au contraire de plaignant. La Commission rappelle à cet égard sa jurisprudence constante selon laquelle le droit à un tribunal, contenu dans l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ne s'étend pas au droit de provoquer contre des tiers l'exercice de poursuites pénales (cf. par exemple No 9777/82, déc. 14.7.83, D.R. 34 p. 165). Cependant, il est vrai que le requérant s'était constitué partie civile et qu'en conséquence, la procédure litigieuse aurait pu conduire notamment à faire trancher une contestation sur des droits et obligations de caractère civil (cf. mutatis mutandis Cour eur. D.H., arrêt Moreira de Azevedo du 23 octobre 1990, série A n° 189, p. 17, par. 67; Cour eur. D.H., arrêt Tomasi du 27 août 1992, série A n° 241-A, p. 43, par. 121). Dans un premier temps, la Commission estime nécessaire de déterminer s'il y a eu en l'espèce "contestation" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Elle rappelle la jurisprudence de la Cour en cette matière (voir, entre autres, Cour eur. D.H., arrêt Pudas c. Suède du 27 octobre 1987, série A n° 125, p. 14). En particulier, la contestation doit être réelle et sérieuse; elle peut porter aussi bien sur l'existence même d'un droit que sur son étendue ou ses modalités d'exercice; de plus, l'issue de la procédure doit être directement déterminante pour un tel droit. Or, de l'avis de la Commission, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, la Commission constate que l'élément susceptible d'avoir porté atteinte à l'honneur du requérant se trouve être le fait que fut publiée par la presse la note confidentielle le concernant. Des documents en sa possession, la Commission estime que rien n'autorisait le requérant à penser sérieusement qu'un document confidentiel, élaboré au cabinet d'un ministre, et destiné exclusivement à la commission d'enquête parlementaire, aurait été soumis à R. et S. et que rien ne l'autorisait non plus à soupçonner sérieusement R. et S. d'être les responsables de la divulgation de ce document à la presse. La Commission estime que l'on ne pourrait considérer comme diffamatoires ou attentatoires à l'honneur du requérant, des notes ou rapports confidentiels établis par R. et S. dans le cadre de leurs fonctions. Sur ce point, la Commission relève qu'en ce qui concerne la prévention de calomnie, selon la doctrine et la jurisprudence belge, l'intention de nuire, qui constitue l'élément moral requis pour que le délit de calomnie puisse être consommé, ne peut exister lorsque l'agent a accompli un acte qui lui était imposé par la nature de ses fonctions ou de ses devoirs. La Commission note que c'est ce raisonnement qu'a suivi la chambre des mises en accusation, laquelle a, par ailleurs, également conclu à l'absence d'intention de nuire dans le chef de R. et S.. La Commission rappelle que l'interprétation d'une disposition de droit interne, en l'occurrence la définition de la notion de calomnie en droit belge, entre dans la compétence exclusive des juridictions internes, qu'il appartient de même au premier chef aux juridictions nationales d'apprécier les éléments de droit interne et que la Commission n'est compétente pour interférer dans cette appréciation que dans la mesure où celle-ci serait manifestement déraisonnable et susceptible d'entraîner une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention. Elle rappelle également qu'il revient en principe aux juridictions nationales d'apprécier la force probante des éléments de preuve recueillis par elle. En ce qui concerne la prévention de violation du secret professionnel, la Commission constate que la plainte aurait pu avoir une apparence de fondement si la note publiée dans la presse avait émané directement de la Sûreté de l'Etat. Cependant, suite à l'intervention du Ministre de la Justice devant le Parlement le 9 juillet 1981, le requérant savait qu'il n'en était rien. En outre, la Commission estime qu'il devait être clair d'emblée pour tout le monde, y compris pour le requérant, qu'il ne pourrait y avoir une violation du secret professionnel lorsqu'un fonctionnaire communique à son ministre, et à lui seul, des renseignements obtenus dans le cadre de ses fonctions. Par ailleurs, la Commission note que le requérant n'a jamais entrepris aucune action contre les journaux "M." et "P." qui avaient publié la note confidentielle et qui, par conséquent, étaient les plus susceptibles de s'entendre condamner à réparer le préjudice causé au requérant. En revanche, le requérant a préféré déposé une plainte pénale contre R. et S. La Commission note également, que le requérant a déposé plainte pénalement plus de vingt et un mois après la publication de la note confidentielle dans le journal M.. Elle observe à cet égard que dans les procès qui l'ont opposé à des organes de presse français, le requérant a pris soin d'assigner les personnes responsables de propos diffamatoires dans les trois mois qui ont suivi la publication de ces propos. La Commission observe par ailleurs que le requérant s'est abstenu de porter son action devant les tribunaux civils après la décision de non-lieu prononcée par la chambre des mises en accusation. Pareille décision laisse en pratique intactes les prétentions de caractère civil d'un plaignant, puisque celui-ci peut faire valoir ces prétentions devant les tribunaux civils qui n'auraient pas été tenus en l'espèce par une quelconque autorité de chose jugée attachée à la décision de non-lieu (cf. N° 9660/82 déc. 5.10.82, D.R. 29 p. 241 et, a contrario, Tomasi c. France, rapport Comm. 11.12.90, Cour eur. D.H., série A n° 241-A, p. 56, par. 135). De ces différentes considérations, la Commission conclut que le requérant n'a pas soutenu avec le minimum de sérieux requis qu'une atteinte a été portée à son droit à l'honneur. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Invoquant l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention, le requérant fait valoir que les lacunes et irrégularités commises par le parquet, ainsi que par les juges et juridictions d'instruction, dans le cadre de la procédure ouverte suite à sa plainte du 23 février 1983 l'ont empêché de préparer utilement sa défense dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui pour des infractions de nature financière et fiscale qui auraient été commises de 1974 à 1985. L'article 6 par. 2 (art. 6-2) est ainsi libellé : "Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie." Dans la mesure où le requérant entendrait se plaindre de la procédure relative à sa plainte du 23 février 1983, la Commission rappelle que cette procédure n'avait pas trait à une accusation dirigée contre lui puisque le requérant avait la qualité de plaignant et non d'accusé, de sorte que l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention n'y trouve pas application. Dans la mesure où le requérant entendrait se plaindre d'une atteinte à la présomption d'innocence dans la procédure pénale dirigée contre lui pour des infractions qui auraient été commises de 1974 à 1985, la Commission relève que le grief concerne en réalité la question de la présentation, de l'administration et de l'appréciation des preuves. Comme elle l'a souligné à maintes reprises, l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention vise principalement l'état d'esprit et l'attitude du juge qui doit statuer sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale : elle lui interdit notamment de partir de la conviction ou de la supposition que le prévenu est coupable (cf N° 788/60, Autriche c/Italie, déc. 31.3.63, Annuaire 6 p. 785 ; N° 5523/72, déc. 5.10.74, Recueil 46 pp. 99, 106). En d'autres mots, cette disposition concerne essentiellement l'attitude du juge durant le procès et ne concerne en rien la question de la présentation, l'administration et de l'appréciation des preuves qui relève du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (cf N° 17486/90, déc. 1.7.92, non publiée). Quant à cette disposition, la Commission rappelle toutefois sa jurisprudence constante aux termes de laquelle la conformité d'un procès aux normes fixées par l'article 6 (art. 6) de la Convention doit être examinée sur la base de l'ensemble de la procédure (cf notamment N° 9000/80, déc. 11.3.82, D.R. 28 p. 127). En l'espèce, il ne ressort pas des informations fournies par le requérant à propos de cette procédure que celui-ci ait, à ce jour, fait l'objet d'une condamnation définitive. En l'état, il serait dès lors prématuré de constater l'apparence d'une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention en l'espèce. Statuant par surabondance de droit, la Commission relève encore que la décision de non-lieu n'empêchait nullement le requérant de faire valoir, dans la procédure pénale dirigée contre lui, tous les éléments qu'il estimait nécessaires, y compris ceux qu'il avait fait valoir dans sa plainte. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et que la requête doit être, sur ce point, rejetée par application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission à la majorité DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission (première chambre)
Numéro d'arrêt : 16392/90
Date de la décision : 13/04/1994
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : partiellement irrecevable

Parties
Demandeurs : DE BONVOISIN
Défendeurs : la BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1994-04-13;16392.90 ?

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