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13/06/1994 | CEDH | N°10588/83;10589/83;10590/83

CEDH | AFFAIRE BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO c. ESPAGNE (ARTICLE 50)


COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO c. ESPAGNE (ARTICLE 50)
(Requête no10588/83; 10589/83; 10590/83)
ARRÊT
STRASBOURG
13 juin 1994
En l’affaire Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement** et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinhe

iro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
...

COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO c. ESPAGNE (ARTICLE 50)
(Requête no10588/83; 10589/83; 10590/83)
ARRÊT
STRASBOURG
13 juin 1994
En l’affaire Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement** et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
L. Torres Boursault, juge ad hoc,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 mars et 26 mai 1994,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE ET FAITS
1.   L’affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") et le gouvernement espagnol ("le Gouvernement"), les 12 décembre 1986 et 29 janvier 1987 respectivement, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouvent trois requêtes (nos 10588/83-10590/83) dirigées contre le Royaume d’Espagne et dont trois ressortissants de cet État, MM. Francesc-Xavier Barberà, Antonino Messegué et Ferrán Jabardo, avaient saisi la Commission le 22 juillet 1983 en vertu de l’article 25 (art. 25).
2.   Par un arrêt du 6 décembre 1988 ("l’arrêt au principal"), la Cour a relevé une infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: eu égard au transfert tardif des requérants de Barcelone à Madrid pour comparaître à leur procès, au changement inopiné dans la composition du siège aussitôt avant l’ouverture des débats, à la brièveté de ceux-ci et, surtout, à la circonstance que des éléments de preuve très importants ne furent pas produits et discutés de manière adéquate à l’audience, en présence des accusés et sous le contrôle du public, la procédure considérée dans son ensemble n’a pas répondu aux exigences d’un procès équitable et public (série A no 146, pp. 26-39, paras. 51-91, et point 5 du dispositif).
3.   La question de l’octroi d’une satisfaction équitable ne se trouvant pas en état, l’arrêt au principal l’a réservée en entier. La Cour y a invité le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit leurs observations sur ladite question, dans les trois mois à compter de la date de l’arrêt, et en particulier à lui donner connaissance de tout accord qui interviendrait entre eux (ibidem, pp. 38-39, paras. 92-93, et point 7 du dispositif).
4.   Le 2 mars 1989, le Gouvernement a déposé un mémoire, par lequel il répondait aux demandes formulées en 1987 par les requérants (ibidem, p. 38, par. 92) et signalait notamment l’impossibilité en droit espagnol, tel qu’il s’appliquait alors, d’une révision des arrêts de condamnation et d’une restitutio in integrum.
Par une lettre du 4 avril 1989, les requérants ont informé le greffier de l’introduction devant l’Audiencia Nacional, le 30 mars 1989, d’un recours en annulation de son arrêt du 15 janvier 1982; en conséquence, ils priaient la Cour de suspendre la procédure relative à l’application de l’article 50 (art. 50) jusqu’à ce que cette juridiction se fût prononcée. Le 2 mai, ils ont présenté des observations en réponse au mémoire du Gouvernement.
Le 20 septembre 1989, après avoir consulté l’agent du Gouvernement et le délégué de la Commission, le président a consenti à suspendre la procédure. A plusieurs reprises, il a reconduit sa décision dans l’attente de l’issue des différentes instances suivies en Espagne pour obtenir l’annulation de l’arrêt précité. Le Tribunal constitutionnel ayant prononcé celle-ci, les requérants demandèrent le 3 janvier 1992 la reprise de la procédure à Strasbourg. Le 25 juin le président a invité l’agent du Gouvernement à lui fournir des renseignements sur l’état d’avancement de la procédure interne. Au vu de ces derniers, la Cour a décidé le 26 novembre de reprendre l’examen de la question dans le délai de six mois.
5.   L’évolution de la procédure interne depuis l’arrêt au principal a été marquée notamment:
- le 29 juin 1989, par une décision de l’Audiencia Nacional transmettant le dossier à la chambre criminelle du Tribunal suprême, après s’être déclarée incompétente, et ordonnant le sursis à l’exécution des peines infligées aux requérants par l’arrêt du 15 janvier 1982 ainsi que leur mise en liberté immédiate;
- le 14 juillet 1989, par une décision de l’Audiencia Nacional subordonnant la libération à l’obligation de comparaître devant le juge deux fois par mois et à l’interdiction de quitter le territoire espagnol;
- le 4 avril 1990, par un arrêt du Tribunal suprême déboutant les requérants de leur recours en annulation et laissant sans effet la suspension de l’exécution de leur peine;
- le 5 avril 1990, par une décision de l’Audiencia Nacional ordonnant leur réintégration en prison;
- le 20 juillet 1990, par un arrêt du Tribunal constitutionnel suspendant l’exécution de l’arrêt du Tribunal suprême, du 4 avril 1990, et décidant l’élargissement des requérants dans les conditions prévues par la décision de l’Audiencia Nacional;
- le 16 décembre 1991, par un arrêt du Tribunal constitutionnel annulant celui du Tribunal suprême, accueillant la demande des requérants du 30 mars 1989 (paragraphe 4 ci-dessus) et ordonnant la réouverture du procès devant l’Audiencia Nacional;
- le 30 octobre 1993, par un arrêt - devenu définitif - de l’Audiencia Nacional acquittant les requérants, faute de preuves suffisantes.
6.   Le 25 juin 1993, le président a invité les requérants à déposer un mémoire résumant et actualisant leurs demandes de satisfaction équitable. Le greffier a reçu celui-ci le 2 août et les observations du Gouvernement à son sujet le 14 décembre. Les 3 et 4 février 1994, respectivement, les requérants ont présenté des observations complémentaires et le délégué de la Commission des commentaires.
7.   Le 24 mars 1994, la Cour a décidé que, dans les circonstances de la cause, il n’y avait pas lieu de tenir audience.
EN DROIT
8.   Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
En vertu de ce texte, les requérants réclament la réparation d’un dommage et le remboursement de frais et dépens.
I.   DOMMAGE
A. Thèses respectives des comparants
1. Les requérants
9.   Au titre d’un dommage matériel, les requérants allèguent un manque à gagner ainsi qu’une privation de perspectives professionnelles en raison de leur détention.
Dans leur mémoire du 6 mai 1987, MM. Barberà et Messegué évaluaient le premier à 4 230 284 pesetas du 15 janvier 1982 au 20 février 1987, date à partir de laquelle ils ont pu travailler à l’extérieur de la prison, grâce au régime ouvert dont ils ont bénéficié; M. Jabardo sollicitait 2 272 491 pesetas. Ils calculaient ces montants sur la base du salaire minimum conventionnel dans leurs professions respectives. Pour le second chef de préjudice, ils réclamaient chacun 1 000 000 pesetas.
Le 2 avril 1993, ils ont actualisé leurs demandes et changé la méthode de calcul, la nouvelle formule se fondant sur l’indemnité journalière qui serait accordée par les juridictions espagnoles en cas d’incapacité de travail. Ils évaluent celle-ci à 7 000 pesetas pour chaque jour passé en prison et à 5 000 pesetas pour chaque jour passé par MM. Barberà et Messegué sous le régime ouvert. Le montant total réclamé s’élève à 17 806 000 pesetas pour M. Barberà, 17 806 000 pour M. Messegué et 6 937 000 pour M. Jabardo.
10.   Pour un préjudice moral subi en raison de leur détention consécutive à leur condamnation par l’Audiencia Nacional et de l’atteinte à leur réputation découlant de ladite condamnation, MM. Barberà et Messegué revendiquaient en outre, en 1987, 5 000 000 pesetas chacun et M. Jabardo 2 000 000.
Dans l’actualisation du 2 avril 1993, ils ont prétendu, sur la base de l’indice espagnol des prix à la consommation, à une augmentation de 40,6 %, ce qui porte les sommes en question à 7 030 000 pesetas tant pour M. Barberà que pour M. Messegué, et à 2 812 000 pour M. Jabardo.
2. Le Gouvernement
11.   D’après le Gouvernement, l’arrêt de la Cour au principal a reçu en Espagne l’exécution la plus complète possible. L’arrêt du Tribunal constitutionnel annulant l’arrêt de condamnation et ordonnant la réouverture du procès devant l’Audiencia Nacional (paragraphe 5 ci-dessus) constituerait une innovation pour le système judiciaire espagnol, qui jusqu’alors n’admettait pas comme motif de révision la constatation d’une violation par la Cour européenne. La procédure ultérieure aurait respecté scrupuleusement toutes les garanties de l’article 6 (art. 6) et représenterait donc la plus parfaite restitutio in integrum que l’on pourrait obtenir sur le terrain de l’article 50 (art. 50). L’arrêt d’acquittement rendu par l’Audiencia Nacional (paragraphe 5 ci-dessus) aurait réellement répondu aux intérêts des requérants.
12.   En deuxième lieu, et à titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que le droit des requérants à une indemnité pour leur détention découlerait d’un dysfonctionnement de l’administration de la justice espagnole susceptible de réclamation par les voies internes en vertu des articles 292 et suivants de la loi organique du pouvoir judiciaire du 1er juillet 1985. Il ajoute que dans ses décisions des 6 juillet et 1er septembre 1993 (requêtes nos 17553/90 et 17999/91, Prieto Rodríguez c. Espagne et V. c. Espagne, respectivement) la Commission a reconnu l’efficacité de cette voie de recours.
13.   Enfin, et à titre plus subsidiaire encore, le Gouvernement affirme l’absence d’un lien de causalité entre la violation constatée par la Cour et les dommages matériel et moral allégués par les requérants et qui découleraient de leur détention. Dans son mémoire de 1989, il arguë que ni celle-ci ni leur condamnation ne résultaient dudit manquement. Ultérieurement, il a relevé que, lors du second procès, la plupart des témoins ayant participé au premier n’étaient pas présents, soit parce qu’ils étaient décédés entre-temps - tel le coaccusé Martínez Vendrell -, soit parce qu’ils se trouvaient empêchés.
3. Le délégué de la Commission
14.   Selon le délégué de la Commission, les requérants ont droit à une indemnité pour dommage matériel et moral, mais ils devraient d’abord se prévaloir de la possibilité offerte par la loi organique du pouvoir judiciaire.
B. Décision de la Cour
15.   La Cour n’ignore pas l’importance de l’arrêt du Tribunal constitutionnel, du 16 décembre 1991, en ce qui concerne l’exécution des arrêts de Strasbourg; les hauts magistrats ont ainsi montré une fois de plus leur attachement à la Convention et à la jurisprudence de la Cour. Elle ne sous-estime pas non plus les efforts des juridictions espagnoles, notamment l’Audiencia Nacional, pour assurer aux requérants, dans la seconde procédure, les garanties nécessaires. Elle constate que l’issue des instances internes postérieures à l’arrêt au principal, et surtout le verdict final d’acquittement, ont été favorables aux intéressés, en particulier pour leur réputation, et que les condamnés ont été libérés dès 1990 (paragraphe 5 ci-dessus), avant même leur acquittement, malgré les lourdes peines d’emprisonnement qui les frappaient encore à l’époque.
16.   La Cour admet, comme le signale le Gouvernement, que des preuves administrées à la première audience, spécialement les témoignages, n’étaient pas disponibles à la seconde. Elle note cependant que son arrêt au principal fondait le constat de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) surtout sur "la circonstance que des éléments de preuve très importants ne furent pas produits et discutés de manière adéquate à l’audience, en présence des accusés et sous le contrôle du public" (série A no 146, pp. 37-38, par. 89). Certes, elle ne saurait spéculer sur l’issue des poursuites en question en 1982 si la violation de la Convention n’avait pas eu lieu.
Néanmoins, le maintien en prison des requérants a été la conséquence directe du procès qui, d’après la Cour, a violé la Convention. De plus, à la lumière de l’arrêt définitif de l’Audiencia Nacional, du 30 octobre 1993 (paragraphe 5 ci-dessus), on ne peut supposer que, même si le premier procès avait été mené dans le respect de la Convention, l’issue n’aurait pas été plus favorable aux requérants. Quoi qu’il en soit, ces derniers ont subi une perte de chances réelle de se défendre, comme l’eût voulu l’article 6 (art. 6), et d’aboutir ainsi à un résultat plus favorable. D’après la Cour, il y a donc eu un lien de causalité manifeste entre le dommage allégué par les requérants et la violation de la Convention. Par la force des choses, la mise en liberté et l’acquittement qui ont suivi ne pouvaient constituer en soi une restitutio in integrum ou une complète réparation du dommage découlant de leur détention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Ringeisen c. Autriche du 22 juin 1972, série A no 15, p. 8, par. 21).
17.   La Cour constate, avec le Gouvernement et le délégué de la Commission, qu’il existe en droit espagnol une voie de recours permettant d’obtenir réparation en cas de fonctionnement anormal de la justice (paragraphes 12 et 14 ci-dessus).
Néanmoins, elle ne s’estime pas tenue de surseoir à statuer sur les demandes des requérants. Il lui est loisible, conformément à l’article 50 (art. 50), de procéder à son application lorsque le droit interne de l’État en cause "ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences" de la violation constatée, comme cela semble être le cas en l’espèce (paragraphe 16 ci-dessus). Si après avoir épuisé en vain les voies de recours internes avant de se plaindre à Strasbourg d’une violation de leurs droits, puis à nouveau une deuxième fois, avec des résultats positifs, pour obtenir l’annulation de l’arrêt de condamnation, et enfin avoir subi un nouveau procès, on exigeait des requérants de les épuiser une troisième fois pour pouvoir obtenir de la Cour une satisfaction équitable, la longueur totale de la procédure se révélerait peu compatible avec une protection efficace des droits de l’homme et conduirait à une situation inconciliable avec le but et l’objet de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique du 10 mars 1972, série A no 14, pp. 8-9, par. 16).
18.   En ce qui concerne les montants réclamés pour manque à gagner et privation de perspectives professionnelles, la Cour ne peut accepter la méthode de calcul proposée par les requérants en 1993 et fondée sur les indemnités réclamées en Espagne en cas d’incapacité de travail (paragraphe 9 ci-dessus), car elle est étrangère aux circonstances de l’affaire. Malgré l’absence de justificatifs et les contradictions dans les déclarations des intéressés au sujet des professions qu’ils auraient exercées avant leur détention - le Gouvernement le souligne à juste titre dans son mémoire de 1989 -, la Cour estime devoir leur octroyer une indemnité à cet égard sur la base des chiffres avancés par eux en 1987.
19.   Tout comme la constatation d’une violation de la Convention par la Cour, les décisions des juridictions espagnoles postérieures à l’arrêt au principal réparent dans une certaine mesure le dommage moral des requérants. Elles ne peuvent pourtant pas effacer complètement le préjudice subi à cet égard.
20.   Statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), et tenant compte des circonstances mentionnées plus haut, la Cour alloue 8 000 000 pesetas à M. Barberà, 8 000 000 à M. Messegué et 4 000 000 à M. Jabardo, tous chefs confondus.
II.   FRAIS ET DÉPENS
A. Thèses respectives des comparants
1. Les requérants
21.   Dans leur mémoire de 1987, chacun des requérants réclamait le remboursement de 225 000 pesetas pour les honoraires de ses avocats dans les procédures de recours devant le Tribunal suprême et le Tribunal constitutionnel. A cela s’ajoutent 1 265 000 pesetas pour M. Barberà, 1 265 000 pour M. Messegué et 830 000 pour M. Jabardo, sommes correspondant aux frais de voyage et séjour de leurs avocats pour les audiences à Madrid et pour les visites mensuelles de ceux-ci aux requérants dans les prisons de Madrid et Lérida.
Au titre des procédures devant les organes de la Convention, les intéressés demandaient conjointement 1 000 000 pesetas pour les honoraires d’avocat, 310 000 pour les frais de voyage et séjour à Strasbourg de Mes Etelin et Gil Matamala, et 20 000 pour les frais de photocopie, d’affranchissement et de téléphone, moins les 5 876 francs français perçus du Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire.
En 1993, ils ont actualisé ces chiffres en tenant compte de l’indice des prix à la consommation pour la période écoulée (hausse de 40,6 %).
22.   Dans leurs observations en réponse de 1989, ils ajoutaient à ces sommes 270 000 pesetas d’honoraires d’avocat, 120 000 de frais de voyage et séjour, ainsi que 64 032 de frais de traduction en espagnol de l’arrêt au principal aux fins du recours en annulation (paragraphe 4 ci-dessus), soit 454 032 pesetas au total.
En 1993, ils ont augmenté ces sommes de 26,7 %.
23.   Enfin, dans l’actualisation de 1993 (paragraphe 6 ci-dessus) les requérants ont réclamé les honoraires d’avocat suivants pour la période 1989-1993:
a) 250 000 pesetas pour chacun des trois avocats au titre des recours en annulation devant l’Audiencia Nacional et le Tribunal suprême;
b) 500 000 pesetas pour les trois requérants conjointement au titre du recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel;
c) 150 000 pesetas pour la procédure relative à l’article 50 (art. 50).
La somme sollicitée pour cette période s’élève donc à 1 400 000 pesetas.
24.   Le montant des frais et dépens, avec les augmentations réclamées en 1993, est de 7 265 476 pesetas (jusqu’à 1987), 575 258 (pour la période 1987-1989) et 1 400 000 (à compter de 1989), soit au total de 9 240 734 pesetas.
2. Le Gouvernement
25.   Le Gouvernement estime raisonnable un montant global de 4 357 663 pesetas; il ne discute pas les demandes de remboursement des requérants, sauf sur deux points.
En ce qui concerne les frais de voyage et de séjour pour les visites mensuelles des avocats à leurs clients en prison, seul entrerait en ligne de compte un montant de 300 000 pesetas correspondant au déplacement des trois avocats à Madrid pour l’audience relative au pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême (paragraphe 30 de l’arrêt au principal, série A no 146, pp. 16-17).
Quant aux augmentations de 40,6 % et 26,7 % touchant les sommes réclamées en 1987 et 1989 respectivement, elles seraient inadmissibles car les intéressés avaient eux-mêmes réclamé la suspension de la procédure sur l’application de l’article 50 (art. 50). Seule une majoration de 10 % pour la période écoulée du 16 décembre 1991 au 30 octobre 1993 (paragraphes 4-5 ci-dessus) serait acceptable, la suspension ayant été maintenue pendant cette période à la requête du Gouvernement.
3. Le délégué de la Commission
26.   Le délégué de la Commission trouve globalement excessifs les frais et honoraires réclamés, mais s’en remet à la sagesse de la Cour.
B. Décision de la Cour
27.   La Cour constate que la réalité des dépenses encourues par les requérants ne prête pas à controverse. En revanche, elle partage les doutes du Gouvernement quant à la nécessité de visites mensuelles des avocats à leurs clients emprisonnés, sans pour autant les exclure toutes. Enfin, elle juge excessives les majorations appliquées aux demandes présentées aux différentes étapes de la procédure.
Statuant en équité, elle alloue aux requérants conjointement 4 500 000 pesetas, moins les 5 876 francs français déjà payés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par treize voix contre trois, que l’État défendeur doit verser dans les trois mois, pour dommage, 8 000 000 (huit millions) pesetas à M. Barberà, 8 000 000 (huit millions) à M. Messegué et 4 000 000 (quatre millions) à M. Jabardo;
2. Dit, à l’unanimité, que l’État défendeur doit verser dans les trois mois, pour frais et dépens, 4 500 000 (quatre millions cinq cent mille) pesetas aux trois requérants conjointement, moins les 5 876 (cinq mille huit cent soixante-seize) francs français déjà perçus du Conseil de l’Europe;
3. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 13 juin 1994 en application de l’article 54 par. 2, second alinéa, du règlement.
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier f.f.
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion partiellement dissidente commune à MM. Matscher et Pettiti;
- opinion partiellement dissidente de M. Torres Boursault.
R. R.
H. P.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE A MM. LES JUGES MATSCHER ET PETTITI
Par un arrêt de l’Audiencia Nacional du 15 janvier 1982 les trois requérants furent reconnus coupables d’avoir commis, le 9 mai 1977, un assassinat dans des circonstances qui rendaient ce crime particulièrement répugnant. Ils furent condamnés à de lourdes peines de réclusion criminelle. Cet arrêt fut en partie confirmé, en partie réformé par le Tribunal suprême. Pourtant, les condamnés ne purgèrent qu’une partie de la peine qui leur avait été infligée. Ils furent même mis en liberté avant le nouveau procès (du 29 juin 1989 au 5 avril 1990 et à partir du 20 juillet 1990).
A la suite d’un arrêt de la Cour européenne du 6 décembre 1988 (série A no 146), qui avait constaté que la procédure pénale avait, sous plusieurs aspects, porté atteinte aux droits garantis par l’article 6 (art. 6) de la Convention, le Tribunal constitutionnel annula, le 16 décembre 1991, les arrêts en question et renvoya l’affaire à l’Audiencia Nacional, en vue d’être rejugée.
Par un arrêt du 30 octobre 1993, les requérants furent acquittés, en définitive par défaut de preuves, ce qui se dégage aisément de la lecture dudit arrêt. En effet, plus de quinze ans après les faits incriminés, et du fait aussi que, entre temps, des témoins étaient soit décédés, soit dans l’impossibilité de témoigner à cause de leur état de santé, il n’était plus possible de disposer de ces témoignages.
D’après nous, il faut évaluer la perte de chances retenue dans le présent arrêt comme motif de l’octroi d’une indemnité pour dommage non seulement en fonction de l’arrêt de la Cour européenne sur le fond et de celui du Tribunal constitutionnel, mais aussi de l’incidence du comportement des accusés, car les données du second procès ont été totalement différentes. Au surplus, la Cour européenne n’avait pas retenu une atteinte à la présomption d’innocence.
En tout cas, la façon exemplaire dont les autorités espagnoles ont fait application de l’arrêt de la Cour européenne est à souligner particulièrement.
Dans ces circonstances, nous estimons que grâce à la reprise intégrale du procès, les requérants ont obtenu ce à quoi ils pouvaient avoir droit au titre de la Convention, de sorte que le constat de violation, au vu des conséquences qu’il a produites, constitue une satisfaction équitable au sens de l’article 50 (art. 50). L’octroi d’une compensation pour tort matériel et moral ne s’imposait donc plus.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE TORRES BOURSAULT, JUGE AD HOC
Je ne puis m’associer à l’opinion majoritaire quant au point 1 du dispositif de l’arrêt. En effet, il ne me paraît pas en harmonie avec la teneur de l’article 50 (art. 50) de la Convention, qui prévoit l’octroi d’une "satisfaction équitable" à la partie lésée par une violation "si le droit interne (...) ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision", règle qui ne requiert pas d’interprétation (in claris non fit interprÉtatio) et qui, du moins, ne peut en aucun cas être appliquée en contradiction avec son sens littéral.
1.   Après l’arrêt de la Cour du 6 décembre 1988, le Tribunal constitutionnel espagnol a adopté la première mesure adéquate pour réparer pleinement les conséquences de la décision judiciaire qui était à l’origine de la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention constatée par la Cour, en ordonnant la révision du premier arrêt. Et l’Audiencia Nacional, à l’occasion du nouveau procès - cette fois-ci sans commettre de violation de la Convention -, a accordé pour sa part la réparation en droit interne, en prononçant un acquittement qui est devenu ferme et définitif: si la Cour a déclaré que le procès a contrevenu aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le droit interne - le procès étant repris dans le plus grand respect de la Convention - a réparé les conséquences de la violation constatée. C’est ce qu’ont reconnu: le délégué de la Commission (voir la lettre du 22 octobre 1993: "l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel le 16 décembre 1991 efface dans la mesure du possible toutes les conséquences du constat de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention contenu dans l’arrêt rendu par la Cour") et le conseil des requérants (voir la lettre du 1er octobre 1992: "L’arrêt du Tribunal constitutionnel espagnol (...) en annulant le procès qui a donné lieu à l’arrêt de condamnation du 15 janvier 1982, a constitué l’exécution la plus efficace possible, par la voie de la restitutio in integrum, de l’arrêt de la Cour européenne").
Si les requérants estiment à ce stade, en contradiction avec leurs précédentes allégations devant la Cour, que la réparation est encore insuffisante à leur égard, ils sont censés réclamer l’indemnisation par la voie que leur offre la législation espagnole, via les articles 292 et suivants de la loi organique du pouvoir judiciaire, découlant de l’article 9 par. 3 de la Constitution, procédure non encore engagée à ce jour par les requérants, qui leur serait par ailleurs pleinement applicable et qui a déjà produit ses effets dans de nombreux autres cas. En toute hypothèse, il ressort de l’article 50 (art. 50) de la Convention que tant qu’il existe une voie adéquate de réclamation en droit interne, c’est au moyen de celle-ci qu’il convient de rechercher la restitutio in integrum la plus parfaite possible. C’est seulement en ordre subsidiaire, en cas de décision non satisfaisante pour les réclamants et, en tout état de cause, si les voies internes n’existaient pas ou s’avéraient insuffisantes ou inefficaces ("si le droit interne ne permet qu’imparfaitement", selon l’article 50) (art. 50) pour obtenir la plus parfaite réparation possible, qu’il appartiendrait ("s’il y a lieu") à la Cour - en ordre subsidiaire, je le répète - de décider en dernière instance, ainsi que l’a soutenu par ailleurs le délégué de la Commission.
2.   Quant à la somme allouée aux requérants à titre de satisfaction équitable et comme dédommagement pour avoir purgé effectivement une partie de la peine de prison ferme qui leur fut imposée par un arrêt de l’Audiencia Nacional déclaré contraire à la Convention, je dois constater à nouveau mon désaccord avec la majorité. S’il revenait à la Cour d’octroyer en vertu de l’article 50 (art. 50) une satisfaction équitable sous la forme d’une indemnité, celle-ci devrait être pondérée et proportionnelle, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas apprécié en équité, sans donner lieu à un injustifiable bénéfice pour les requérants et à un coût excessif pour la sensibilité collective, en raison tant du montant en termes absolus de la somme elle-même que de sa disproportion par rapport aux indemnités allouées en cas de dommages de même nature, en droit comparé.
* L'affaire porte le n° 24/1986/122/171-173.  Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Ancien article 50 du règlement de la Cour; la chambre compétente avait décidé de se dessaisir au profit de la Cour plénière le 23 septembre 1987.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO c. ESPAGNE (ARTICLE50)
ARRÊT BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO c. ESPAGNE (ARTICLE50)
ARRÊT BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO c. ESPAGNE (ARTICLE50)
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE A MM. LES JUGES MATSCHER ET PETTITI
ARRÊT BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO c. ESPAGNE (ARTICLE50)
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE TORRES BOURSAULT, JUGE AD HOC
ARRÊT BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO c. ESPAGNE (ARTICLE50)
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE TORRES BOURSAULT, JUGE AD HOC


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 10588/83;10589/83;10590/83
Date de la décision : 13/06/1994
Type d'affaire : Arrêt (Satisfaction équitable)
Type de recours : Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 41) DOMMAGE MATERIEL, (Art. 41) PREJUDICE MORAL


Parties
Demandeurs : BARBERÀ, MESSEGUÉ ET JABARDO
Défendeurs : ESPAGNE (ARTICLE 50)

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1994-06-13;10588.83 ?

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