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20/09/1994 | CEDH | N°13470/87

CEDH | AFFAIRE OTTO-PREMINGER-INSTITUT c. AUTRICHE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE OTTO-PREMINGER-INSTITUT c. AUTRICHE
(Requête no13470/87)
ARRÊT
STRASBOURG
20 septembre 1994
En l’affaire Otto-Preminger-Institut c. Autriche*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
B

. Walsh,
R. Macdonald,
Mme  E. Palm,
MM.  R. Pekkanen,
J. Makarczyk,
D. Gotchev,
ainsi que...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE OTTO-PREMINGER-INSTITUT c. AUTRICHE
(Requête no13470/87)
ARRÊT
STRASBOURG
20 septembre 1994
En l’affaire Otto-Preminger-Institut c. Autriche*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
B. Walsh,
R. Macdonald,
Mme  E. Palm,
MM.  R. Pekkanen,
J. Makarczyk,
D. Gotchev,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 novembre 1993 et les 20 avril et 23 août 1994,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 7 avril 1993, puis par le gouvernement de la République d’Autriche ("le Gouvernement") le 14 mai 1993, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 13470/87) dirigée contre l’Autriche et dont une association privée de droit autrichien, Otto-Preminger-Institut für audiovisuelle Mediengestaltung (OPI), avait saisi la Commission le 6 octobre 1987 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration autrichienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46); la requête du Gouvernement se réfère aux seuls articles 44 et 48 (art. 44, art. 48). Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 10 (art. 10).
2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, l’association requérante a manifesté le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30).
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 23 avril 1993, celui-ci a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Gölcüklü, M. B. Walsh, M. R. Macdonald, Mme E. Palm, M. R. Pekkanen, M. J. Makarczyk et M. D. Gotchev (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, le représentant de la requérante et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 24 septembre 1993 et celui de la requérante le 1er octobre. Le secrétaire de la Commission l’a informé que le délégué s’exprimerait à l’audience.
5.   Le 2 septembre 1993, le président a autorisé deux organisations non gouvernementales, "Article 19" et Interights, à soumettre des observations écrites sur divers aspects de la cause (article 37 par. 1). Celles-ci sont parvenues au greffe le 15 octobre.
6.   Le 14 octobre 1993, la Commission avait produit certains documents, demandés par le greffier sur les instructions du président.
7.   Le 27 octobre 1993, la chambre a décidé, en vertu de l’article 41 par. 1, de visionner le film Das Liebeskonzil, ainsi que l’y avait invitée la requérante. Une projection a eu lieu à huis clos le 23 novembre.
8.   Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats ont eu lieu en public le 24 novembre 1993, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. W. Okresek, chef de la division des affaires internationales,  
service constitutionnel, chancellerie fédérale,  agent,
C. Mayerhofer, ministère fédéral de la Justice,
M. Schmidt, ministère fédéral des Affaires étrangères,  conseillers;
- pour la Commission
M. M.P. Pellonpää,  délégué;
- pour l’association requérante
M. F. Höpfel, professeur de droit
à l’université d’Innsbruck, Verteidiger in Strafsachen,  
conseil.
La Cour les a entendus en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses à ses questions.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9.   La requérante, Otto-Preminger-Institut für audiovisuelle Mediengestaltung (OPI), est une association de droit privé autrichien établie à Innsbruck. Ses statuts la désignent comme un organisme à but non lucratif dont l’objectif général est de promouvoir la créativité, la communication et le divertissement par les médias audiovisuels. Elle gère notamment un cinéma appelé "Cinematograph" à Innsbruck.
10.  Elle annonça une série de six projections, accessibles au grand public, du film Das Liebeskonzil ("Le Concile d’amour"), de Werner Schroeter (paragraphe 22 ci-dessous). La première était programmée pour le 13 mai 1985. Toutes devaient avoir lieu à 22 heures, sauf une fixée au 19 mai à 16 heures.
Cet avis parut dans un périodique distribué par OPI à ses 2 700 membres et fut affiché dans diverses vitrines à Innsbruck, dont celle du Cinematograph lui-même. Il était ainsi libellé:
"La tragédie satirique d’Oskar Panizza, qui se déroule au paradis, a été filmée par Werner Schroeter dans la représentation qu’en a donnée le Teatro Belli de Rome et replacée dans le cadre d’un récit retraçant le procès intenté pour blasphème contre l’écrivain, en 1895, et sa condamnation. Panizza part de l’idée que la syphilis est le châtiment de Dieu pour la fornication et le péché auxquels se laissait aller l’humanité sous la Renaissance, surtout à la cour du pape Borgia Alexandre VI. Dans le film de Schroeter, les représentants de Dieu sur terre, parés des insignes du pouvoir temporel, ressemblent à s’y méprendre aux protagonistes du paradis.
Sur le mode de la caricature, l’auteur prend pour cibles les représentations figuratives simplistes et les excès de la foi chrétienne, et il analyse la relation entre les croyances religieuses et les mécanismes d’oppression temporels."
En outre, le bulletin d’information indiquait qu’en vertu de la loi tyrolienne sur le cinéma (Tiroler Lichtspielgesetz), le film était interdit aux mineurs de dix-sept ans.
Un journal régional publia également le titre du film ainsi que les lieu et date de sa projection, sans en préciser le contenu.
11.  Le 10 mai 1985, à la requête du diocèse d’Innsbruck de l’Eglise catholique romaine, le procureur intenta contre le gérant d’OPI, M. Dietmar Zingl, des poursuites du chef de "dénigrement de doctrines religieuses" (Herabwürdigung religiöser Lehren), infraction réprimée par l’article 188 du code pénal (Strafgesetzbuch; paragraphe 25 ci- dessous).
12.  Le 12 mai 1985, après que le film eut fait l’objet d’une projection à huis clos en présence d’un juge de garde (Journalrichter), le procureur en requit la saisie en vertu de l’article 36 de la loi sur les médias (Mediengesetz; paragraphe 29 ci-dessous). Le tribunal régional (Landesgericht) d’Innsbruck fit droit à la requête le même jour. En conséquence, les projections publiques annoncées par OPI, dont la première avait été programmée pour le lendemain, ne purent avoir lieu.
En guise de remplacement, les gens qui se présentèrent à la séance prévue furent invités à entendre une lecture du scénario et à participer à une discussion.
Comme M. Zingl avait renvoyé le film au distributeur, la société "Czerny" de Vienne, la saisie s’effectua en réalité dans les locaux de cette dernière, le 11 juin 1985.
13.  La cour d’appel (Oberlandesgericht) d’Innsbruck rejeta le 30 juillet 1985 un appel formé par M. Zingl contre l’ordonnance de saisie. Elle considéra que la liberté artistique était nécessairement limitée par les droits d’autrui à la liberté de religion et par le devoir de l’Etat de garantir une société fondée sur l’ordre et la tolérance. Elle précisa en outre qu’une indignation n’était "légitime", au sens de l’article 188 du code pénal, que si elle était de nature à blesser les sentiments religieux d’une personne moyenne dotée d’une sensibilité religieuse normale. Cette condition se trouvant remplie en l’espèce, la confiscation du film pouvait être ordonnée en principe, du moins dans le cadre d’une "procédure objective" (paragraphe 28 ci-dessous). Le persiflage massif de sentiments religieux pesait plus lourd que tout intérêt que le grand public pouvait avoir à être informé, ou que les intérêts financiers des personnes désireuses de projeter le film.
14.  Le 24 octobre 1985, le parquet abandonna les poursuites pénales contre M. Zingl et l’affaire continua sous la forme d’une "procédure objective", au sens de l’article 33 par. 2 de la loi sur les médias, visant à la suppression du film.
15.  Le 10 octobre 1986, un procès se déroula devant le tribunal régional d’Innsbruck. Le film fut derechef projeté à huis clos; son contenu fut décrit en détail dans le compte rendu officiel de l’audience.
M. Zingl apparaît dans le compte rendu officiel de l’audience en qualité de témoin. Il déclara avoir renvoyé le film au distributeur à la suite de l’ordonnance de saisie, au motif qu’il ne voulait plus rien avoir à faire avec cette histoire.
Du jugement rendu le même jour il ressort qu’il fut considéré comme "une partie dont la responsabilité pourrait être engagée" (Haftungsbeteiligter).
Le tribunal régional tint pour établi que le distributeur du film avait renoncé à son droit d’être entendu et avait consenti à la destruction de sa copie du film.
16.  Dans son jugement, le tribunal régional ordonna la confiscation de celui-ci. Il déclara:
"La projection publique, prévue pour le 13 mai 1985, du film Das Liebeskonzil, où texte et images présentent Dieu le Père comme un idiot sénile et impotent, le Christ comme un crétin et Marie Mère de Dieu comme une dévergondée au langage correspondant, et où l’Eucharistie est tournée en ridicule, répond à la définition du délit de dénigrement de doctrines religieuses au sens de l’article 188 du code pénal."
Les motifs du jugement comportaient le passage suivant:
"Les conditions de l’article 188 du code pénal sont objectivement remplies par le portrait ci-dessus établi des personnes divines - Dieu le Père, Marie Mère de Dieu et Jésus-Christ sont les personnages centraux de la doctrine et de la pratique catholiques et ils revêtent une importance essentielle, y compris pour la compréhension religieuse des croyants - ainsi que par les propos précités sur l’Eucharistie, qui est un des mystères les plus importants de la religion catholique, surtout si l’on tient compte du caractère général du film, qui est celui d’une attaque contre les religions chrétiennes (...)
(...) D’après l’article 17a de la Loi fondamentale (Staatgrundgesetz), la création artistique, la diffusion de l’art et son enseignement sont libres. L’insertion de cette disposition a ainsi élargi la liberté artistique: toute forme de création artistique se trouve protégée, et la restriction de la liberté artistique ne peut plus découler d’une disposition légale expresse, mais seulement des limites inhérentes à cette liberté (...). La liberté artistique ne saurait se comprendre sans ces limites. On les trouve d’abord dans d’autres droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution (par exemple la liberté de croyance et de conscience), ensuite dans la nécessité d’une vie en société fondée sur l’ordre et la tolérance, et enfin dans les violations flagrantes et massives d’autres biens protégés par la loi (Verletzung anderer rechtlich geschützter Güter), étant entendu qu’il y a toujours lieu, lorsqu’il s’agit de mettre en balance toutes les considérations pertinentes, de tenir compte des circonstances concrètes de l’espèce (...)
Le seul fait que l’infraction réprimée par l’article 188 du code pénal se trouve constituée ne signifie pas automatiquement que la limite de la liberté artistique garantie par l’article 17a de la Loi fondamentale soit atteinte. Toutefois, eu égard aux considérations ci-dessus et à l’intensité particulière en l’espèce - il s’agit d’un film essentiellement provocateur et anticlérical - des violations répétées et opiniâtres de biens légalement protégés, le droit fondamental à la liberté artistique doit ici céder le pas.
17.  M. Zingl interjeta appel du jugement du tribunal régional. Il produisit une déclaration signée par 350 personnes se plaignant de s’être vu refuser le libre accès à une oeuvre d’art et soutenant que l’interprétation qui avait été donnée de l’article 188 du code pénal ne cadrait pas avec la liberté artistique garantie par l’article 17a de la Loi fondamentale.
La cour d’appel d’Innsbruck jugea le recours irrecevable le 25 mars 1987. Elle estima que, non propriétaire du copyright du film, M. Zingl n’avait pas de locus standi. L’arrêt fut notifié à OPI le 7 avril 1987.
18.  A l’instigation de l’avocat de l’association requérante, le ministre de l’Education, des Arts et des Sports de l’époque, Mme Hilde Hawlicek, adressa au procureur général (Generalprokurator) une lettre privée suggérant l’introduction d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi (Nichtigkeitsbeschwerde zur Wahrung des Gesetzes) auprès de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof). Datée du 18 mai 1987, la lettre mentionnait notamment l’article 10 (art. 10) de la Convention.
Le 26 juillet 1988, le procureur général estima qu’il n’y avait pas matière à former semblable recours. Il précisa notamment que le parquet général (Generalprokuratur) considérait depuis longtemps que la liberté artistique était limitée par d’autres droits fondamentaux, et se référa à la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire concernant le film Das Gespenst ("Le Fantôme" - paragraphe 26 ci-dessous); dans cette espèce, d’après lui, la Cour suprême "n’avait, à tout le moins, pas désapprouvé" cette façon de voir ("Diese Auffassung ... wurde vom Obersten Gerichtshof ... zumindest nicht mißbilligt").
19.  Depuis lors, des représentations de la pièce originale ont eu lieu en Autriche: à Vienne en novembre 1991 et à Innsbruck en octobre 1992. A Vienne, les autorités judiciaires s’abstinrent de toute intervention. A Innsbruck, plusieurs particuliers déposèrent plainte (Strafanzeigen); une enquête préliminaire eut lieu, à l’issue de laquelle les autorités de poursuite résolurent de classer l’affaire.
II.   LE FILM "DAS LIEBESKONZIL"
20.  La pièce dont le film est tiré fut écrite par Oskar Panizza et publiée en 1894. En 1895, la cour d’assises (Schwurgericht) de Munich jugea l’auteur coupable de "crimes contre la religion" et lui infligea une peine d’emprisonnement. Interdite en Allemagne, la pièce continua à être publiée ailleurs.
21.  Elle représente Dieu le Père comme un vieillard infirme et impotent, Jésus-Christ comme un "enfant à sa maman" doté d’une faible intelligence et la Vierge Marie, qui tire manifestement les ficelles, comme une dévergondée sans scrupules. Ensemble, ils décident que l’humanité doit être punie pour son immoralité. Ils écartent la possibilité d’une destruction complète au profit d’une forme de châtiment après lequel l’humanité aura toujours "besoin de salut" et sera toujours "capable de rédemption". Impuissants à trouver eux-mêmes pareil châtiment, ils décident d’appeler le diable à la rescousse.
Celui-ci avance l’idée d’une maladie sexuellement transmissible, de sorte que les hommes et les femmes se contamineront les uns les autres sans s’en rendre compte; il engendre avec Salomé une fille qui répandra le fléau parmi l’humanité. Les symptômes décrits par lui sont ceux de la syphilis.
A titre de récompense, il réclame la liberté de pensée; Marie dit qu’elle "y réfléchira". Il envoie alors sa fille accomplir sa besogne, d’abord parmi les représentants du pouvoir temporel, puis à la cour du pape, auprès des évêques, dans les couvents et monastères, et finalement parmi le commun des mortels.
22.  Mis en scène par Werner Schroeter, le film est sorti en 1981. Il commence et se termine par des scènes censées extraites du procès de Panizza en 1895. Dans l’intervalle, il montre une représentation de la pièce par le Teatro Belli de Rome. Le film dépeint le dieu des religions juive, chrétienne et islamique comme un vieil homme, apparemment sénile, qui se prosterne devant le diable, échange avec lui un baiser profond et l’appelle son ami. Il le présente également comme jurant par le diable. D’autres scènes montrent la Vierge Marie permettant qu’on lui lise une histoire obscène et la manifestation d’une certaine tension érotique entre elle et le diable. Jésus-Christ adulte est campé comme un débile mental profond et une scène l’exhibe tentant lascivement de caresser les seins de sa mère et d’y poser des baisers, ce qu’à l’évidence elle tolère. Le film montre Dieu, la Vierge Marie et le Christ en train d’applaudir le diable.
III.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
23.  La liberté de religion est garantie par l’article 14 de la Loi fondamentale, qui énonce:
"1. La liberté de croyance et de conscience est pleinement garantie à chacun.
2. La jouissance des droits civils et politiques est indépendante de la confession; toutefois, celle-ci ne saurait justifier aucune dérogation aux devoirs civiques.
3. Nul ne peut être contraint d’accomplir un acte religieux ou de participer à une fête religieuse, sauf en vertu d’un pouvoir conféré par la loi à une autre personne ayant autorité sur lui."
24.  La liberté artistique est garantie par l’article 17a de la Loi fondamentale, aux termes duquel:
"La création artistique, la propagation de l’art et son enseignement sont libres."
25.  L’article 188 du code pénal est ainsi libellé:
"Quiconque dénigre ou bafoue, dans des conditions de nature à provoquer une indignation légitime, une personne ou une chose faisant l’objet de la vénération d’une Eglise ou communauté religieuse établie dans le pays, ou une doctrine, une coutume autorisée par la loi ou une institution autorisée par la loi de cette Eglise ou communauté encourt une peine d’emprisonnement de six mois au plus ou une peine pécuniaire de 360 jours-amendes au plus."
26.  L’arrêt de principe de la Cour suprême sur la relation entre les deux dispositions précitées fut rendu sur un pourvoi dans l’intérêt de la loi introduit par le procureur général dans une espèce relative à la confiscation du film Das Gespenst ("Le Fantôme"), de Herbert Achternbusch. Bien que le recours ait été rejeté pour des motifs de pure forme, le fond n’ayant pas été tranché, il ressort indirectement de l’arrêt que si une oeuvre d’art empiète sur la liberté de culte garantie par l’article 14 de la Loi fondamentale, elle peut alors constituer un abus de la liberté d’expression artistique et se heurter ainsi à la loi (arrêt du 19 décembre 1985, Medien und Recht (Médias et Droit) 1986, no 2, p. 15).
27.  Une infraction en matière de contenu des médias (Medieninhaltsdelikt) est définie comme "un acte passible d’une sanction judiciaire, commis au travers du contenu d’un moyen de publication et consistant en une communication ou représentation visant un nombre relativement élevé de personnes" (article 1 par. 12 de la loi sur les médias). La responsabilité pénale pour de telles infractions est régie par le droit pénal général dans la mesure où il n’y est pas dérogé ou ajouté par des dispositions particulières de la loi sur les médias (article 28 de la loi).
28.  Celle-ci prévoit une sanction spécifique: la confiscation (Einziehung) de la publication concernée (article 33). Cette mesure peut être ordonnée en complément à toute sanction ordinaire prononcée en application du code pénal (article 33 par. 1).
L’article 33 par. 2 de la loi sur les médias prévoit que s’il n’est pas possible de poursuivre ou condamner quelqu’un pour une infraction pénale, la confiscation peut également être ordonnée dans le cadre d’une procédure distincte, dite "objective", tendant à la suppression d’une publication. Il est ainsi libellé:
"A la requête du parquet, la confiscation peut être prononcée dans le cadre d’une procédure indépendante si une publication dans un média constitue l’élément de fait objectif d’une infraction pénale, et si la poursuite d’une personne déterminée ne peut être assurée ou si sa condamnation est impossible pour des motifs excluant toute sanction pénale à son encontre (...)"
29.  La saisie (Beschlagnahme) d’une publication dans l’attente de la décision relative à la confiscation peut être opérée en vertu de l’article 36 de la loi sur les médias, qui dispose:
"1. Le tribunal peut ordonner la saisie des copies destinées à la diffusion d’un ouvrage publié dans un média, s’il peut être supposé que la confiscation sera prononcée en vertu de l’article 33 et si les inconvénients découlant de la saisie ne sont pas disproportionnés par rapport à l’intérêt juridiquement protégé poursuivi par elle. La mesure ne peut de toute façon être prise dès lors que cet intérêt juridiquement protégé peut également être sauvegardé par la publication d’une information relative aux poursuites intentées.
2. La saisie présuppose l’engagement antérieur ou concomitant d’une procédure pénale ou d’une procédure indépendante pour infraction en matière de contenu des médias et une demande expresse de saisie émanant du parquet ou du requérant dans la procédure indépendante.
3. La décision ordonnant la saisie doit mentionner le passage ou la partie de l’ouvrage à l’origine de la mesure, ainsi que l’infraction soupçonnée (...)
4.-5. (...)"
30.  Le droit commun de la procédure pénale s’applique à la poursuite des infractions en matière de contenu des médias et aux procédures objectives. Bien que dans le cadre de ces dernières, le propriétaire ou l’éditeur de l’ouvrage publié ne soit pas accusé d’une infraction pénale, il est traité comme une véritable partie, en vertu de l’article 41 par. 5, aux termes duquel:
"[Dans une procédure pénale ou dans une procédure objective concernant une infraction en matière de contenu des médias,] le propriétaire (éditeur) doit être convoqué à l’audience. Il a les droits de l’accusé; en particulier, il peut présenter les mêmes moyens de défense que lui et former appel contre le jugement au fond (...)"
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
31.  L’association requérante a saisi la Commission le 6 octobre 1987. Elle alléguait des violations de l’article 10 (art. 10) de la Convention.
32.  La Commission a retenu la requête (no 13470/87) le 12 avril 1991.
Dans son rapport du 14 janvier 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 10 (art. 10):
a) quant à la saisie du film (neuf voix contre cinq);
b) en ce qui concerne sa confiscation (treize voix contre une).
Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
33.  Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour
"à déclarer, ainsi que le prévoit l’article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention, la requête irrecevable pour non-respect du délai de six mois de l’article 26 (art. 26) de la Convention ou, à titre subsidiaire, à constater que ni la saisie du film ni sa confiscation ultérieure n’ont violé l’article 10 (art. 10) de la Convention".
34.  A l’audience, l’association requérante a demandé à la Cour de
"statuer en sa faveur et de dire que la saisie puis la confiscation du film ont violé les obligations de la République d’Autriche au titre de l’article 10 (art. 10) de la Convention, et qu’il y a lieu de lui accorder la satisfaction équitable qu’elle revendique".
EN DROIT
I.   SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
35.  Pour le Gouvernement, la saisine de la Commission, intervenue le 6 octobre 1987 (paragraphe 31 ci-dessus), a eu lieu après l’expiration du délai de six mois fixé à l’article 26 (art. 26) de la Convention, aux termes duquel:
"La Commission ne peut être saisie [que] (...) dans le délai de six mois, à partir de la date de la décision interne définitive."
Premièrement, l’association requérante (OPI) n’aurait été "partie" qu’à la procédure relative à la saisie du film et non à celle concernant sa confiscation. Dès lors, la décision interne définitive serait celle de la cour d’appel d’Innsbruck confirmant l’ordonnance de saisie (30 juillet 1985).
A titre subsidiaire, le distributeur du film, la société "Czerny", seule détentrice des droits à l’unique copie du film, aurait consenti à sa destruction avant la première audience dans la "procédure objective" devant le tribunal régional d’Innsbruck. Celui-ci avait en fait ordonné la confiscation du film le 10 octobre 1986. La société "Czerny" n’ayant pas interjeté appel de cette ordonnance, il y aurait lieu de la considérer comme la décision interne définitive.
Admettre l’une ou l’autre thèse signifierait que la requête était tardive.
A. Sur la question de savoir si le Gouvernement est forclos pour soulever son moyen subsidiaire
36.  Le délégué de la Commission estime que le Gouvernement devrait être réputé forclos pour articuler son moyen subsidiaire, non soulevé devant la Commission au stade de la recevabilité. A ses yeux, le fait que le Gouvernement a fait valoir une exception fondée sur le délai de six mois fixé à l’article 26 (art. 26) ne devrait pas être jugé suffisant, car l’argument avancé à l’époque se fondait sur des faits différents de ceux invoqués aujourd’hui.
37.  La Cour connaît de pareilles exceptions préliminaires pour autant que l’Etat en cause les ait déjà soulevées avec une clarté suffisante devant la Commission, en principe au stade de l’examen initial de la recevabilité, dans la mesure où leur nature et les circonstances s’y prêtaient (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Bricmont c. Belgique du 7 juillet 1989, série A no 158, p. 27, par. 73).
Si le Gouvernement a excipé de la règle des six mois devant la Commission, il ne s’est référé qu’à l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Innsbruck le 30 juillet 1985. Rien ne l’empêchait de formuler en même temps son argument subsidiaire. Il est donc forclos à le faire devant la Cour (voir, en dernier lieu, l’arrêt Papamichalopoulos et autres c. Grèce du 24 juin 1993, série A no 260-B, p. 68, par. 36).
B. Sur le bien-fondé du moyen principal du Gouvernement
38.  L’argument du Gouvernement consiste en réalité à dire qu’OPI n’est pas "victime" de la confiscation du film, par opposition à sa saisie.
39.  Une personne peut valablement se prétendre "victime" d’une ingérence dans l’exercice de ses droits garantis par la Convention si elle a été directement touchée par les faits prétendument constitutifs de l’ingérence (voir, notamment et mutatis mutandis, les arrêts Norris c. Irlande du 26 octobre 1988, série A no 142, pp. 15-16, par. 31, et Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande du 29 octobre 1992, série A no 246, p. 22, par. 43).
40.  Bien que l’association requérante ne fût propriétaire ni du copyright ni de la copie en question du film, il est clair qu’elle a directement pâti de la décision de confiscation, qui avait pour effet de l’empêcher en permanence de projeter le film dans son cinéma à Innsbruck, comme du reste ailleurs en Autriche. En outre, la saisie était une mesure provisoire, dont la légalité fut confirmée par la décision de confiscation; les deux sont inséparables. Enfin, il n’est pas sans importance que le gérant d’OPI apparaisse en qualité de partie dont la responsabilité pourrait être engagée dans le jugement rendu le 10 octobre 1986 par le tribunal régional dans la procédure de confiscation (paragraphe 15 ci-dessus).
OPI peut donc se prétendre "victime" tant de la confiscation du film que de sa saisie.
41.  Il résulte de ce qui précède que la "décision définitive" aux fins de l’article 26 (art. 26) est l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Innsbruck le 25 mars 1987 et notifié à OPI le 7 avril (paragraphe 17 ci-dessus). Conformément à sa pratique habituelle, la Commission a décidé qu’introduite dans les six mois de cette dernière date, la requête l’avait été dans le délai requis. Dès lors, il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.
II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 10 (art. 10)
42.  L’association requérante soutient que la saisie puis la confiscation du film Das Liebeskonzil ont violé le droit à la liberté d’expression que lui garantit l’article 10 (art. 10) de la Convention, aux termes duquel:
"1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article (art. 10) n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire."
A. Y a-t-il eu des "ingérences" dans l’exercice par l’association requérante de sa liberté d’expression?
43.  Bien que devant la Commission le Gouvernement n’ait admis pareille ingérence qu’en ce qui concerne la saisie du film, thèse reprise par lui dans son exception préliminaire (paragraphe 35 ci-dessus), devant la Cour il ne conteste plus que, si l’exception devait être rejetée, tant la saisie que la confiscation constituaient de telles ingérences.
Semblables immixtions violent l’article 10 (art. 10) si elles ne remplissent pas les exigences de son paragraphe 2 (art. 10-2). La Cour doit donc rechercher successivement si elles étaient "prévues par la loi", si elles poursuivaient un but légitime au regard dudit paragraphe (art. 10-2) et si elles étaient "nécessaires dans une société démocratique" pour atteindre ce but.
B. Les ingérences étaient-elles "prévues par la loi"?
44.  L’association requérante nie que les ingérences étaient "prévues par la loi" et soutient que l’article 188 du code pénal autrichien a été appliqué de façon incorrecte. Premièrement, il serait douteux qu’une oeuvre d’art traitant sur le mode satirique de personnes ou de choses vénérées par une religion pût être considérée comme "dénigrant ou bafouant" celle-ci. Deuxièmement, l’indignation ne saurait être "justifiée" de la part de personnes libres de leur décision de voir ou non le film. Troisièmement, on aurait conféré un poids insuffisant au droit à la liberté artistique, garanti par l’article 17a de la Loi fondamentale.
45.  La Cour rappelle qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, en dernier lieu, l’arrêt Chorherr c. Autriche du 25 août 1993, série A no 266-B, p. 36, par. 25).
Les juridictions d’Innsbruck avaient à mettre en balance le droit à la liberté artistique et le droit au respect des convictions religieuses, consacré par l’article 14 de la Loi fondamentale. Avec la Commission, la Cour n’aperçoit aucun motif de considérer que le droit autrichien n’a pas été correctement appliqué.
C. Les ingérences poursuivaient-elles un "but légitime"?
46.  D’après le Gouvernement, la saisie et la confiscation du film tendaient à la "protection des droits d’autrui", en particulier du droit au respect des sentiments religieux et à "la défense de l’ordre".
47.  Ainsi que la Cour l’a fait observer dans son arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993 (série A no 260-A, p. 17, par. 31), la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui se trouve consacrée par l’article 9 (art. 9) de la Convention, représente l’une des assises d’une "société démocratique" au sens de la Convention. Elle est, dans sa dimension religieuse, l’un des éléments les plus vitaux contribuant à former l’identité des croyants et leur conception de la vie.
Ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion, qu’ils appartiennent à une majorité ou à une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s’attendre à le faire à l’abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi. Toutefois, la manière dont les croyances et doctrines religieuses font l’objet d’une opposition ou d’une dénégation est une question qui peut engager la responsabilité de l’Etat, notamment celle d’assurer à ceux qui professent ces croyances et doctrines la paisible jouissance du droit garanti par l’article 9 (art. 9). En effet, dans des cas extrêmes le recours à des méthodes particulières d’opposition à des croyances religieuses ou de dénégation de celles-ci peut aboutir à dissuader ceux qui les ont d’exercer leur liberté de les avoir et de les exprimer.
Dans l’arrêt Kokkinakis, la Cour a jugé, dans le contexte de l’article 9 (art. 9), qu’un Etat peut légitimement estimer nécessaire de prendre des mesures visant à réprimer certaines formes de comportement, y compris la communication d’informations et d’idées jugées incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui (ibidem, p. 21, par. 48). On peut légitimement estimer que le respect des sentiments religieux des croyants tel qu’il est garanti à l’article 9 (art. 9) a été violé par des représentations provocatrices d’objets de vénération religieuse; de telles représentations peuvent passer pour une violation malveillante de l’esprit de tolérance, qui doit aussi caractériser une société démocratique. La Convention doit se lire comme un tout et, par conséquent, l’interprétation et l’application de l’article 10 (art. 10) en l’espèce doivent s’harmoniser avec la logique de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre 1978, série A no 28, p. 31, par. 68).
48.  Les mesures litigieuses se fondaient sur l’article 188 du code pénal autrichien, lequel tend à éliminer les comportements dirigés contre les objets de vénération religieuse qui sont de nature à causer une "indignation justifiée". Il en résulte qu’elles visaient à protéger le droit pour les citoyens de ne pas être insultés dans leurs sentiments religieux par l’expression publique des vues d’autres personnes. Eu égard également à la manière dont étaient formulées les décisions des juridictions autrichiennes, la Cour admet que les mesures incriminées poursuivaient un but légitime au regard de l’article 10 par. 2 (art. 10-2), à savoir "la protection des droits d’autrui".
D. La saisie et la confiscation étaient-elles "nécessaires dans une société démocratique"?
1. Principes généraux
49.  Ainsi que la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises, la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de "société démocratique" (voir notamment l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, par. 49).
Toutefois, ainsi que le confirme le libellé lui-même du second paragraphe de l’article 10 (art. 10-2), quiconque exerce les droits et libertés consacrés au premier paragraphe de cet article (art. 10-1) assume "des devoirs et des responsabilités". Parmi eux - dans le contexte des opinions et croyances religieuses - peut légitimement être comprise une obligation d’éviter autant que faire se peut des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain.
Il en résulte qu’en principe on peut juger nécessaire, dans certaines sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, des attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse, pourvu toujours que toute "formalité", "condition", "restriction" ou "sanction" imposée soit proportionnée au but légitime poursuivi (voir l’arrêt Handyside mentionné ci-dessus, ibidem).
50.  Comme pour la "morale", il n’est pas possible de discerner à travers l’Europe une conception uniforme de la signification de la religion dans la société (voir l’arrêt Müller et autres c. Suisse du 24 mai 1988, série A no 133, p. 20, par. 30, et p. 22, par. 35); semblables conceptions peuvent même varier au sein d’un seul pays. Pour cette raison, il n’est pas possible d’arriver à une définition exhaustive de ce qui constitue une atteinte admissible au droit à la liberté d’expression lorsque celui-ci s’exerce contre les sentiments religieux d’autrui. Dès lors, les autorités nationales doivent disposer d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer l’existence et l’étendue de la nécessité de pareille ingérence.
Cette marge d’appréciation n’est toutefois pas illimitée. Elle va de pair avec un contrôle au titre de la Convention, dont l’ampleur variera en fonction des circonstances. Dans des cas, comme celui de l’espèce, où il y a eu ingérence dans l’exercice des libertés garanties au paragraphe 1 de l’article 10 (art. 10-1), ce contrôle doit être strict, vu l’importance des libertés en question. La nécessité de toute restriction doit être établie de manière convaincante (voir, en dernier lieu, l’arrêt Informationsverein Lentia et autres c. Autriche du 24 novembre 1993, série A no 276, p. 15, par. 35).
2. Application des principes énoncés ci-dessus
51.  Le film qui fut saisi et confisqué par les décisions des juridictions autrichiennes se fonde sur une pièce de théâtre, mais la présente affaire ne concerne que la production cinématographique en question.
a) La saisie
52.  Le Gouvernement justifie la saisie du film en excipant de son caractère: celui d’une attaque contre la religion chrétienne, spécialement catholique romaine. Le fait de placer la pièce originale dans le cadre du procès de son auteur en 1895 aurait, en réalité, servi à renforcer la nature antireligieuse du film, qui se terminait par une dénonciation violente et injurieuse de ce qui était présenté comme la moralité catholique.
De surcroît, la religion jouerait dans la vie quotidienne de la population tyrolienne un rôle particulièrement important. Forte déjà de 78 % dans la population autrichienne globale, la proportion de catholiques romains au Tyrol s’élèverait à 87 %.
Il en résulterait qu’à l’époque considérée, au moins, il y avait un besoin social impérieux de préserver la paix religieuse; il était nécessaire de protéger le public contre le film, et les juridictions d’Innsbruck n’auraient pas excédé leur marge d’appréciation à cet égard.
53.  L’association requérante soutient qu’elle a agi d’une manière responsable en cherchant à prévenir toute offense injustifiée. Elle relève qu’elle avait prévu de projeter le film dans son cinéma, qui n’était accessible au public qu’après acquittement d’un droit d’entrée; en outre, son public se composait, dans l’ensemble, de personnes intéressées par la culture progressiste. Enfin, en vertu de la législation tyrolienne en vigueur, l’accès au film devait être refusé aux mineurs de dix-sept ans. Dès lors, il n’y avait aucun danger réel que quiconque se fût trouvé confronté sans l’avoir voulu à une oeuvre choquante.
La Commission souscrit pour l’essentiel à cette thèse.
54.  La Cour relève tout d’abord que bien que l’accès au cinéma pour voir le film litigieux fût soumis au paiement d’un droit d’entrée et à une condition d’âge, le film avait fait l’objet d’une large publicité. Le public avait une connaissance suffisante de son thème et de ses grandes lignes pour avoir une idée claire de sa nature; pour ces motifs, la projection envisagée doit passer pour avoir constitué une expression suffisamment "publique" pour être offensante.
55.  La question dont la Cour se trouve saisie implique une mise en balance des intérêts contradictoires tenant à l’exercice de deux libertés fondamentales garanties par la Convention: d’une part, le droit, pour OPI, de communiquer au public des idées sujettes à controverse et, par implication, le droit, pour les personnes intéressées, de prendre connaissance de ces idées, et, d’autre part, le droit d’autres personnes au respect de leur liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce faisant, il faut avoir égard à la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales, qui se doivent aussi, dans une société démocratique, de prendre en considération, dans les limites de leurs compétences, les intérêts de la société dans son ensemble.
56.  En ordonnant la saisie, puis la confiscation du film, les juridictions autrichiennes ont jugé que celui-ci constituait, à l’aune de la conception du public tyrolien, une attaque injurieuse contre la religion catholique romaine. Il ressort de leurs décisions qu’elles ont dûment tenu compte de la liberté d’expression artistique, qui se trouve garantie par l’article 10 (art. 10) de la Convention (voir l’arrêt Müller et autres précité, p. 22, par. 33) et pour laquelle l’article 17a de la Loi fondamentale prévoit une protection spécifique. Elles n’ont pas considéré que la valeur artistique du film ou sa contribution au débat public dans la société autrichienne l’emportaient sur les caractéristiques qui le rendaient offensant pour le public en général dans leur ressort. Les juges du fond, après avoir visionné le film, relevèrent le caractère provocateur des représentations de Dieu le Père, de la Vierge Marie et de Jésus-Christ (paragraphe 16 ci-dessus). Le contenu du film (paragraphe 22 ci-dessus) ne peut passer pour incapable de fonder les conclusions auxquelles les juridictions autrichiennes ont abouti.
La Cour ne peut négliger le fait que la religion catholique romaine est celle de l’immense majorité des Tyroliens. En saisissant le film, les autorités autrichiennes ont agi pour protéger la paix religieuse dans cette région et pour empêcher que certains se sentent attaqués dans leurs sentiments religieux de manière injustifiée et offensante. Il appartient en premier lieu aux autorités nationales, mieux placées que le juge international, d’évaluer la nécessité de semblables mesures, à la lumière de la situation qui existe au plan local à une époque donnée. Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, la Cour n’estime pas que les autorités autrichiennes peuvent être réputées avoir excédé leur marge d’appréciation à cet égard.
Dès lors, elle ne constate aucune violation de l’article 10 (art. 10) en ce qui concerne la saisie.
b) La confiscation
57.  Le raisonnement exposé ci-dessus s’applique aussi à la confiscation, qui établissait en définitive la légalité de la saisie et constituait, en droit autrichien, la conséquence normale de celle-ci.
L’article 10 (art. 10) ne saurait s’interpréter comme interdisant la confiscation dans l’intérêt public de choses dont l’usage a été régulièrement jugé illicite (voir l’arrêt Handyside précité, p. 30, par. 63). Bien que la confiscation du film rendît en permanence impossible sa projection où que ce fût en Autriche, la Cour estime que les moyens utilisés n’étaient pas disproportionnés au but légitime poursuivi et que, par conséquent, les autorités nationales n’ont pas excédé leur marge d’appréciation à cet égard.
En conséquence, la confiscation n’a pas non plus violé l’article 10 (art. 10).
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.   Dit, à l’unanimité, que l’exception préliminaire subsidiaire du Gouvernement est frappée de forclusion;
2.   Rejette, à l’unanimité, son exception préliminaire principale;
3.   Dit, par six voix contre trois, que ni la saisie du film ni sa confiscation n’ont violé l’article 10 (art. 10) de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 20 septembre 1994.
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier f.f.
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune à Mme Palm et à MM. Pekkanen et Makarczyk.
R. R.
H. P.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE A Mme LE JUGE PALMET A MM. LES JUGES PEKKANEN ET MAKARCZYK
(Traduction)
1.   Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité, pour laquelle il n’y a pas eu violation de l’article 10 (art. 10).
2.   La Cour se trouve ici confrontée à la nécessité de mettre en balance deux droits apparemment contradictoires garantis par la Convention. Il s’agit évidemment du droit à la liberté de religion (article 9) (art. 9), invoqué par le Gouvernement, et du droit à la liberté d’expression (article 10) (art. 10), invoqué par l’association requérante. Dès lors que la cause concerne des restrictions à ce dernier droit, notre discussion se focalisera sur la question de savoir si celles-ci sont "nécessaires dans une société démocratique" et donc légitimes au regard du deuxième paragraphe de l’article 10 (art. 10-2).
3.   Ainsi que la majorité le déclare justement, reprenant le fameux passage de l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni (7 décembre 1976, série A no 24), la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une "société démocratique"; elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais spécialement pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Il ne sert à rien de ne garantir cette liberté qu’autant qu’elle soit utilisée en conformité avec les opinions acceptées.
Il en résulte que les termes de l’article 10 par. 2 (art. 10-2), dans les limites desquels une atteinte au droit à la liberté d’expression peut exceptionnellement être autorisée, sont d’interprétation étroite; la marge d’appréciation de l’Etat dans ce domaine ne saurait être large.
En particulier, il ne devrait pas être loisible aux autorités de l’Etat de décider si une déclaration donnée est de nature à "contribue[r] à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain"; semblable décision ne peut que subir l’influence de l’idée que se font les autorités du "progrès".
4.   La nécessité d’une ingérence déterminée pour atteindre un but légitime doit se trouver établie de manière convaincante (voir, en dernier lieu, l’arrêt Informationsverein Lentia et autres c. Autriche du 24 novembre 1993, série A no 276, p. 15, par. 35). Cela est d’autant plus vrai dans les cas, tels celui de l’espèce, où, avec une saisie, l’ingérence prend la forme d’une restriction préalable (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Observer et Guardian c. Royaume-Uni du 26 novembre 1991, série A no 216, p. 30, par. 60). Le risque est qu’appliquées aux fins de protection des intérêts, tels qu’ils sont perçus, d’un groupe puissant de la société, de telles restrictions pourraient nuire à la tolérance indispensable à une démocratie pluraliste.
5.   La Cour a jugé à bon droit que ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent des oeuvres d’art, contribuent à l’échange d’idées et d’opinions ainsi qu’à l’accomplissement personnel d’individus, choses primordiales pour une société démocratique, et que, par conséquent, l’Etat a l’obligation de ne pas empiéter indûment sur leur liberté d’expression (voir l’arrêt Müller et autres c. Suisse du 24 mai 1988, série A no 133, p. 22, par. 33). Nous admettons aussi qu’indépendamment de la question de savoir si l’objet en cause peut être, d’une manière générale, considéré comme une oeuvre d’art, ceux qui le rendent accessible au public n’échappent pas pour cette raison aux "devoirs et responsabilités" y afférents; leur étendue et leur nature dépendent de la situation et du procédé utilisé (voir l’arrêt Müller et autres précité, p. 22, par. 34).
6.   La Convention ne garantit pas explicitement un droit à la protection des sentiments religieux. Plus précisément, semblable droit ne peut être dérivé du droit à la liberté de religion qui, en réalité, inclut un droit d’exprimer des vues critiquant les opinions religieuses d’autrui.
Néanmoins, il faut admettre qu’il peut être "légitime", aux fins de l’article 10 (art. 10), de protéger les sentiments religieux de certains membres de la société contre les critiques et insultes d’une certaine gravité; la tolérance est à double sens et le caractère démocratique d’une société se trouvera affecté si des attaques violentes et injurieuses contre la réputation d’un groupe religieux sont autorisées. En conséquence, il faut aussi admettre qu’il peut être "nécessaire dans une société démocratique" de fixer des limites à l’expression publique de telles critiques ou insultes. Dans cette mesure, mais pas au-delà, nous pouvons suivre la majorité.
7.   Le devoir et la responsabilité d’une personne cherchant à user de sa liberté d’expression doit être de limiter, autant que l’on peut raisonnablement attendre d’elle qu’elle la limite, l’offense que sa déclaration peut causer à autrui. Ce n’est que si elle omet de prendre les mesures nécessaires, ou si celles-ci s’avèrent insuffisantes, que l’Etat peut intervenir.
Même si la nécessité d’une action répressive est démontrée, les mesures en question doivent être "proportionnées au but légitime poursuivi"; d’après la jurisprudence de la Cour, à laquelle nous souscrivons, cela ne sera généralement pas le cas si une autre solution, moins restrictive, était disponible (voir, en dernier lieu, l’arrêt Informationsverein Lentia et autres précité, p. 16, par. 39).
La nécessité d’une action répressive prenant la forme d’une interdiction complète de l’exercice de la liberté d’expression ne peut être acceptée que si le comportement incriminé atteint un niveau tellement élevé d’insulte et se rapproche tellement d’une dénégation de la liberté de religion d’autrui qu’il perd pour lui-même le droit d’être toléré par la société.
8.   En ce qui concerne la nécessité d’une quelconque action de l’Etat en l’occurrence, nous soulignons les distinctions entre la présente espèce et l’affaire Müller et autres, dans laquelle aucune violation de l’article 10 (art. 10) ne fut constatée. Les peintures de M. Müller étaient accessibles sans restriction au grand public, de sorte qu’elles pouvaient être vues - et qu’en réalité elles le furent - par des personnes pour qui elles étaient incongrues.
9.   Contrairement aux peintures de M. Müller, le film devait être projeté à des spectateurs payants, dans un "cinéma d’art" qui servait un public relativement restreint, amateur de films expérimentaux. Il est dès lors peu probable qu’eussent figuré parmi eux des personnes non spécialement intéressées par le film.
Ces spectateurs eurent en outre suffisamment l’occasion d’être avertis à l’avance de la nature du film. Contrairement à la majorité, nous considérons que l’annonce publiée par OPI visait à fournir des informations au sujet de la manière critique dont le film traitait de la religion catholique romaine; en réalité, elle était suffisamment claire pour permettre aux personnes religieusement sensibles de prendre en connaissance de cause la décision de ne pas aller voir le film.
Il apparaît donc peu probable qu’en l’espèce quiconque eût pu être confronté sans l’avoir voulu à une oeuvre choquante.
Nous concluons dès lors qu’OPI a agi d’une manière responsable, propre à limiter, autant qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elle qu’elle les limitât, les éventuels effets préjudiciables résultant de la projection du film.
10.  Enfin, ainsi que l’a déclaré OPI, que le gouvernement n’a pas contredite, l’accès au film était interdit aux personnes mineures de dix-sept ans en vertu du droit tyrolien, et l’annonce publiée par OPI comportait une mention à cet effet.
Dans ces conditions, on peut négliger le risque que le film eût pu être vu par des personnes pour lesquelles il n’était pas convenable eu égard à leur âge.
Les autorités autrichiennes avaient donc à leur disposition, et elles en usèrent effectivement, une possibilité moins restrictive que la saisie du film pour prévenir toute offense injustifiée.
11.  Nous ne nions pas que la projection du film eût pu offenser les sentiments religieux de certaines parties de la population tyrolienne. Toutefois, compte tenu des mesures effectivement prises par OPI afin de protéger ceux qui auraient pu se sentir offensés, ainsi que de la protection offerte par la législation autrichienne aux mineurs de dix-sept ans, nous estimons, en définitive, que la saisie et la confiscation du film litigieux n’étaient pas proportionnées au but légitime poursuivi.
* Note du greffier: l'affaire porte le n° 11/1993/406/485.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 295-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT OTTO-PREMINGER-INSTITUT c. AUTRICHE
ARRÊT OTTO-PREMINGER-INSTITUT c. AUTRICHE
ARRÊT OTTO-PREMINGER-INSTITUT c. AUTRICHE
OPINION DISSIDENTE COMMUNE A Mme LE JUGE PALMET A MM. LES JUGES PEKKANEN ET MAKARCZYK
ARRÊT OTTO-PREMINGER-INSTITUT c. AUTRICHE
OPINION DISSIDENTE COMMUNE A Mme LE JUGE PALMET A MM. LES JUGES PEKKANEN ET MAKARCZYK


Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Exceptions préliminaires rejetées (victime, forclusion) ; Exception préliminaire rejetée (délai de six mois) ; Non-violation de l'Art. 10

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 10-2) PROTECTION DES DROITS D'AUTRUI, (Art. 34) VICTIME


Parties
Demandeurs : OTTO-PREMINGER-INSTITUT
Défendeurs : AUTRICHE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 20/09/1994
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 13470/87
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1994-09-20;13470.87 ?

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