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22/02/1995 | CEDH | N°24848/94

CEDH | BELLIS contre la GRÈCE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 24848/94 présentée par Constantinos BELLIS contre la Grèce __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 22 février 1995 en présence de Mme J. LIDDY, Président en exercice MM. C.L. ROZAKIS A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER B. CONFORTI N

. BRATZA I. BÉKÉS E. KONSTANT...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 24848/94 présentée par Constantinos BELLIS contre la Grèce __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 22 février 1995 en présence de Mme J. LIDDY, Président en exercice MM. C.L. ROZAKIS A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER B. CONFORTI N. BRATZA I. BÉKÉS E. KONSTANTINOV G. RESS Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 3 août 1994 par Constantinos BELLIS contre la Grèce et enregistrée le 8 août 1994 sous le N° de dossier 24848/94 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant grec, né en 1951. Il est avocat et réside à Athènes. Devant la Commission il est représenté par Maître Ioannis Stamoulis, avocat au barreau d'Athènes. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. En 1985, T.B., ressortissante libanaise de religion musulmane, eut une brève liaison avec le requérant et se trouva enceinte. Le requérant fut informé de son état pendant le troisième mois de sa grossesse et n'eut plus par la suite aucun contact avec elle. Le 16 octobre 1986, T.B. donna naissance à un garçon. En décembre 1986, à la requête de la mère, l'enfant fut confié à l'établissement social "Mitera". Le 15 juillet 1987, le tribunal de grande instance (Polymeles Protodikeio) d'Athènes prononça l'adoption de l'enfant par un couple marié. En décembre 1987, le requérant apprit l'existence de l'enfant. Le 5 janvier 1988, le requérant reconnut par devant notaire la paternité de l'enfant. Le 31 mars 1988, le requérant forma une tierce opposition (tritanakopi) contre la décision d'adoption du 15 juillet 1987. Le 27 juin 1988, le tribunal de grande instance d'Athènes rejeta la tierce opposition du requérant. Le 26 septembre 1988, le requérant interjeta appel de ce jugement. Le 17 avril 1989, la cour d'appel (Efeteio) d'Athènes rejeta l'appel du requérant. Le 14 avril 1992, le requérant se pourvut en cassation (anairesi). Le 8 février 1994, la Cour de cassation (Areios Pagos) rejeta le pourvoi du requérant.
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, le requérant se plaint que les juridictions internes rejetèrent à tort ses actions et que le procès devant elles n'a pas été équitable.
2. Le requérant allègue que les juridictions internes ont violé son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention.
3. Le requérant allègue que les juridictions internes ont violé l'article 9 de la Convention qui garantit le droit à la liberté de religion. Il soutient à cet égard que la mère de l'enfant n'avait pas, en tant que musulmane, le droit de donner son consentement pour l'adoption en cause.
4. Le requérant soutient enfin que les décisions des juridictions grecques violent l'article 17 de la Convention européenne du 24 avril 1967 sur l'adoption.
EN DROIT
1. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le requérant se plaint que les juridictions internes rejetèrent à tort son action et que le procès devant elles n'a pas été équitable. L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose que : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" La Commission rappelle d'emblée qu'elle n'est pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de droit ou de fait prétendument commises par les juridictions internes, sauf si et dans la mesure où elles sont susceptibles d'avoir entraîné une violation d'un droit garanti par la Convention. La Commission renvoie sur ce point à sa jurisprudence constante (cf. requête N° 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 p. 31 et 61). Dans la mesure où le requérant se plaint de ce que les procédures qui ont abouti à la décision de rejeter son action auraient été inéquitables, la Commission constate que le requérant n'a aucunement précisé en quoi ses droits procéduraux découlant de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention auraient été méconnus. En outre, elle constate que les juridictions internes ont rendu leurs décisions après avoir entendu le requérant et sur la base des éléments qui leur ont été soumis dans le cadre de procédures contradictoires. Dans ces conditions, à supposer même que l'article 6 (art. 6) soit applicable en l'espèce, aucune apparence de violation du droit à un procès équitable ne saurait être décelée. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant allègue que les juridictions internes ont violé son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l'article 8 (art. 8) de la Convention. L'article 8 (art. 8) de la Convention dispose que : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." La Commission rappelle que le droit au respect de la vie familiale ne se limite pas aux familles dites "légitimes". Les relations entre un enfant né hors mariage et ses parents naturels sont aussi couvertes par la notion de "vie familiale" au sens de l'article 8 (art. 8) de la Convention. La Commission fait sur ce point référence à sa propre jurisprudence ainsi qu'à l'arrêt de la Cour européenne dans l'affaire Marckx (Cour Eur. D.H., arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A n° 31). La Commission rappelle ensuite que l'article 8 (art. 8) de la Convention garantit l'exercice du droit au respect d'une vie familiale existante (voir N° 7229/75, déc. 15.12.77, D.R. 12 p 32). Pour établir si, dans un cas concret, elle est en présence d'une telle vie, la Commission examine non seulement s'il existe des liens de parenté, mais encore si l'on peut constater "un lien qui puisse être considéré comme créant une vie de famille au sens de l'article 8 (art. 8) de la Convention" (voir notamment N° 11418/85, déc. 14.5.86, D.R. 47 p. 243). La Commission se réfère sur ce point à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle il existe entre l'enfant et ses parents un lien constitutif d'une vie familiale même si à l'époque de sa naissance les parents ne vivaient plus ensemble ou si leurs relations avaient alors pris fin (voir Cour Eur. D.H., arrêt Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, série A n° 290, p. 18, par. 44). Elle estime donc que l'article 8 (art. 8) doit aussi s'étendre à la relation potentielle qui aurait pu se développer entre un père naturel et un enfant né hors mariage. A cet égard, les éléments pertinents sont la nature de la relation entre les parents naturels et l'intérêt et l'engagement démontrés par le père naturel vis-à-vis de l'enfant avant et après la naissance (voir Keegan c. Irlande, rapport Comm. 17.2.93, par. 48, Cour Eur. D.H., série A n° 290, p. 27). En l'espèce, la Commission observe que le requérant n'a jamais eu de vie commune avec la mère de l'enfant et que sa relation avec elle semble avoir été passagère. La Commission note en outre que, selon le requérant lui-même, celui n'aurait appris l'existence de son enfant que quatorze mois après sa naissance, alors qu'il connaissait l'état de grossesse de la mère à une date bien antérieure. Compte tenu de ce qui précède, la Commission est d'avis que ne peut se prétendre victime d'une atteinte à son droit à une vie familiale le père qui, après une liaison passagère, ne fait pas diligence pour s'informer du résultat de la grossesse dont il est responsable. A la lumière de ces facteurs, la Commission constate qu'il existe certes entre le requérant et l'enfant un lien de parenté de sang mais qu'il n'a jamais existé aucun autre lien qui aurait pu être considéré comme créant une vie familiale au sens de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant allègue que les juridictions internes ont violé l'article 9 (art. 9) de la Convention qui garantit le droit à la liberté de religion. Il soutient à cet égard que la mère de l'enfant n'avait pas, en tant que musulmane, le droit de donner son consentement pour l'adoption en cause. L'article 9 (art. 9) de la Convention est ainsi libellé : "1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." La Commission rappelle qu'aux termes de l'article 25 (art. 25) de la Convention, elle "peut être saisie d'une requête ... par toute personne physique ... qui se prétend victime d'une violation ... des droits reconnus dans la présente Convention ..." La Commission note sur ce point que le principe général en ce qui concerne la notion de victime veut que la personne qui introduit la requête soit "la personne directement concernée par l'acte ou l'omission litigieux" (voir Cour Eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, par. 66). Cette règle générale souffre cependant des exceptions dans certaines circonstances, comme lorsque la victime directe est un parent proche du requérant, dans des cas où le requérant lui-même peut être considéré comme ayant subi un préjudice du fait des actions contestées et lorsque la victime directe est incapable de porter plainte elle-même (voir N° 10871/84, déc. 10.7.86, D.R. 48 p. 154). En l'espèce, la Commission croit comprendre que le présent grief, visant notamment à contester la légalité de l'adoption en cause, est présenté par le requérant au nom de son enfant et/ou de la mère de ce dernier. La Commission note toutefois que le requérant n'a ni l'autorité parentale sur son enfant ni la garde de celui-ci, ces droits ayant été attribués à ses parents adoptifs. Ce sont par conséquent ces derniers qui ont le droit d'agir pour le compte de l'enfant dans l'exercice de l'autorité parentale. En outre, la Commission note que le requérant n'est pas marié à la mère de l'enfant et qu'il n'a plus de relation avec elle. Par ailleurs, le requérant n'a pas démontré qu'il est autorisé à représenter l'enfant ou sa mère en ce qui concerne la présente requête, ni que ceux-ci ont exprimé le moindre voeu de voir le requérant s'adresser en leur nom à la Commission (voir mutatis mutandis N° 8045/77, déc. 4.5.79, D.R. 16 p. 105). Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione personae avec la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2).
4. Le requérant soutient enfin que les décisions des juridictions grecques violent l'article 17 de la Convention européenne du 24 avril 1967 sur l'adoption. La Commission rappelle qu'aux termes de l'article 19 (art. 19) de la Convention elle n'est compétente que pour examiner des requêtes par lesquelles une violation des droits et libertés garantis par la Convention est alléguée. Elle n'est pas compétente pour examiner des requêtes relatives à des prétendues violations d'autres instruments internationaux ou du droit interne. Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2). Par ces motifs, la Commission, à la majorité DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président en exercice Première Chambre de la Première Chambre (M.F. BUQUICCHIO) (J. LIDDY)


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) JUSTIFICATION OBJECTIVE ET RAISONNABLE, (Art. 41) JURIDICTION POUR DONNER DES ORDRES OU PRONONCER DES INJONCTIONS, (Art. 41) PREJUDICE MORAL, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) CONTESTATION, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (Art. 6-1) PROCEDURE CONTRADICTOIRE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) TRIBUNAL INDEPENDANT, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Precedemment Art. 49) CONTESTATION SUR LA JURIDICTION, JURIDICTION DE LA COUR


Parties
Demandeurs : BELLIS
Défendeurs : la GRÈCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission (deuxième chambre)
Date de la décision : 22/02/1995
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 24848/94
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1995-02-22;24848.94 ?

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