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08/06/1995 | CEDH | N°15917/89

CEDH | AFFAIRE JAMIL c. FRANCE


En l'affaire Jamil c. France (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, L.-E. Pettiti, R. Macdonald, Mme E. Palm, MM. A.N. Loizou, A.B. Baka, M.A. Lopes Rocha, G. Mifsud Bonnici, P. Jambrek,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 2...

En l'affaire Jamil c. France (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, L.-E. Pettiti, R. Macdonald, Mme E. Palm, MM. A.N. Loizou, A.B. Baka, M.A. Lopes Rocha, G. Mifsud Bonnici, P. Jambrek,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 janvier et 25 mai 1995, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date: _______________ Notes du greffier
1. L'affaire porte le n° 11/1994/458/539. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 13 avril 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 15917/89) dirigée contre la République française et dont un ressortissant brésilien, M. Abdallah Jamil, avait saisi la Commission le 13 novembre 1989 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 7 (art. 7) de la Convention.
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 26 avril 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. R. Macdonald, M. N. Valticos, Mme E. Palm, M. A.N. Loizou, M. A.B. Baka, M. M.A. Lopes Rocha et M. G. Mifsud Bonnici, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). Ultérieurement, M. P. Jambrek, suppléant, a remplacé M. Valticos, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement A).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement les 14 et 26 septembre 1994 respectivement. Le 11 octobre 1994, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait à l'audience.
5. Le 25 novembre 1994, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
6. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 23 janvier 1995, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Ont comparu: - pour le Gouvernement Mlle M. Picard, magistrat détaché à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, agent, Mme R. Codevelle, inspecteur des douanes à la direction générale des douanes et des droits indirects au ministère du Budget, M. X. Samuel, magistrat détaché à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, Mme M. Dubrocard, magistrat détaché à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, conseillers; - pour la Commission M. J.-C. Soyer, délégué; - pour le requérant Me X. Lécussan, avocat, conseil. La Cour a entendu en leurs déclarations M. Soyer, Me Lécussan et Mlle Picard. Le Gouvernement a déposé divers documents à l'audience.
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
7. M. Abdallah Jamil, de nationalité brésilienne, exerçait la profession de photographe et demeurait à Marseille.
8. Le 4 juin 1986, des agents des douanes l'interpellèrent à l'aéroport parisien de Roissy-Charles de Gaulle alors qu'il s'apprêtait, en compagnie d'une autre personne, à retirer un colis contenant 2 614 grammes de cocaïne.
9. Poursuivi des chefs d'importation en contrebande de marchandise prohibée et d'appartenance à une entente ou association ayant pour objet cette importation, et ce, étant de nationalité étrangère, M. Jamil fut placé en détention provisoire le 9 juin 1986.
10. Le 22 juin 1987, le tribunal correctionnel de Bobigny le condamna à une peine d'emprisonnement de huit ans et à l'interdiction définitive du territoire français. Il prononça la confiscation des marchandises saisies et infligea aux prévenus une amende, assortie de la contrainte par corps, à payer à l'administration des douanes, partie poursuivante jointe et qui s'était constituée partie civile à l'audience. L'amende douanière, d'un montant de 2 091 200 francs français (FRF), équivalait à une fois la valeur de la drogue importée, fixée par le juge à 800 FRF le gramme (article 414 du code des douanes - "CDD", paragraphe 18 ci-dessous). Le tribunal ordonna le maintien en détention des deux condamnés jusqu'au paiement complet de ladite amende, dans la limite de la durée de la contrainte par corps. Celle-ci ne pouvait excéder quatre mois (article 750 du code de procédure pénale - "CPP", paragraphe 17 ci-dessous).
11. Saisie par le condamné, le ministère public et les douanes, la cour d'appel de Paris statua le 5 mai 1988. Elle confirma le jugement en ses dispositions pénales. A la demande de l'administration des douanes, elle précisa que la contrainte par corps s'exercerait dans les conditions nouvellement posées par l'article L. 627-6, second alinéa, du code de la santé publique ("CSP" - paragraphe 19 ci-dessous). Introduite par la loi n° 87-1157 du 31 décembre 1987 relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants (publiée au Journal officiel le 5 janvier 1988), soit après la commission des faits, cette disposition portait la durée maximale de la contrainte par corps à deux ans lorsque l'amende et les condamnations pécuniaires excédaient 500 000 FRF.
12. M. Jamil forma un pourvoi en alléguant notamment la violation de l'article 7 (art. 7) de la Convention (voir paragraphe 25 ci-dessous) et du principe de légalité des délits et des peines: la contrainte par corps étant une mesure privative de liberté à caractère punitif, la loi du 31 décembre 1987 aggravant son régime ne pouvait s'appliquer qu'à des faits commis postérieurement à son entrée en vigueur. La Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 18 juillet 1989. Elle considéra sur ce point: "Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de la loi; qu'en effet, la contrainte par corps est une voie d'exécution et non une peine et que les lois de procédure telles que celles concernant l'exécution des peines sont d'application immédiate aux situations en cours lors de leur entrée en vigueur;"
13. M. Jamil fut libéré le 22 avril 1992 après avoir purgé sa peine de droit commun. Il ne fut pas retenu au titre de la contrainte par corps, car le 20 mars 1992 le procureur de la République de Bobigny avait retiré la mesure à la demande de l'administration des douanes, après versement par le requérant d'une somme de 6 000 FRF.
II. Le droit et la pratique internes pertinents A. L'amende douanière
14. Au même titre que l'amende fiscale, l'amende douanière a toujours passé pour revêtir une nature hybride, indemnitaire et répressive. Réparation civile, l'amende peut être diminuée par l'administration des douanes. Celle-ci procède à l'estimation de la valeur de la marchandise fraudée et en informe le juge qui ne peut, pour déterminer l'assiette de l'amende, lui substituer son appréciation sans ordonner de contre-expertise. Dans un arrêt rendu le 24 octobre 1994, la Cour de cassation a rappelé que l'amende douanière revêt pour partie le caractère d'une réparation civile. Chaque infraction ne donne lieu qu'à une seule amende, mais les condamnations pécuniaires se cumulent et se prescrivent dans les mêmes conditions que les dommages-intérêts civils. Le pouvoir de transaction de l'administration des douanes permettait, à l'époque où le juge ne pouvait moduler la somme imposée par la loi, de fixer les peines en fonction de la gravité de l'infraction. Cette prérogative a perduré malgré l'instauration de la pratique des circonstances atténuantes. L'amende douanière s'apparente aussi à une sanction pénale. Seule l'autorité judiciaire a qualité pour l'appliquer après en avoir fixé le montant dans les limites autorisées par la loi. Elle obéit au principe de la personnalité des peines ainsi qu'au régime de la récidive, et elle figure au casier judiciaire. Attachée à l'infraction, elle peut être prononcée même en l'absence de tout préjudice causé au Trésor public. La contrainte par corps s'exerce en cas de non-paiement. B. La contrainte par corps 1. Principes généraux
15. Procédant du droit romain et initialement conçue pour garantir l'exécution d'une condamnation pécuniaire au profit de l'Etat comme des particuliers, la contrainte par corps consiste en l'incarcération du débiteur récalcitrant dans une maison d'arrêt où il est dispensé de travailler. Elle ne remplace pas le paiement dont le condamné reste redevable (article 762 CPP, paragraphe 17 ci-dessous), mais ne peut être utilisée une nouvelle fois pour la même créance. Son champ d'application s'est progressivement rétréci depuis le XIXe siècle, où elle était perçue comme un véritable instrument de répression à la disposition des créanciers qui pouvaient requérir l'emprisonnement pour dettes civiles de débiteurs insolvables: définitivement abolie en matière civile et commerciale (loi du 22 juillet 1867), la contrainte par corps subsiste au seul bénéfice du Trésor public (article 749 CPP, paragraphe 17 ci-dessous) et son régime d'exécution s'est adouci (prise en compte de l'insolvabilité du débiteur, article 752 CPP, paragraphe 17 ci-dessous). Elle garantit aujourd'hui le recouvrement des créances de l'Etat, telles que les condamnations pécuniaires - à l'exclusion de celles infligées pour des infractions de nature politique ou de presse - ou tout autre paiement au profit du Trésor public n'ayant pas le caractère d'une réparation civile. Elle obéit en de nombreux points aux principes qui gouvernent l'application des peines: son exécution, impossible après prescription de la peine, équivaut, en matière d'extradition (loi du 10 mars 1927) et de réhabilitation (articles 784 et 788 CPP), au paiement des condamnations pécuniaires, et elle suit les principes de droit pénal relatifs à l'individualisation et au non-cumul des peines. En dépit de ces aspects, elle passe non pour un emprisonnement subsidiaire mais pour une garantie d'exécution sur la personne du débiteur. Saisie du pourvoi d'un contrevenant condamné à trois amendes de 300 FRF chacune, pour infraction à un règlement sanitaire départemental des dépôts de fumier, la Cour de cassation a rappelé, le 4 janvier 1995, que "la contrainte par corps n'est pas une peine mais une voie d'exécution attachée de plein droit aux condamnations pécuniaires prononcées par les juridictions répressives et entrant dans les prévisions tant de l'article 5 [par. 1] b) (art. 5-1-b) de la Convention (...) que de l'article 2 du Protocole n° 4 (P4-2)". Ainsi, les lois qui la régissent s'appliquent immédiatement, même aux situations nées avant leur entrée en vigueur, et la durée de la détention provisoire ne s'impute pas sur celle de la contrainte par corps. Lorsqu'il prononce pareille contrainte, le juge pénal n'a pas le pouvoir d'en moduler la durée, celle-ci se trouvant de plein droit déterminée par la loi (articles 749 et 750 CPP, paragraphe 17 ci-dessous; Cour de cassation, chambre criminelle, 25 juillet 1991, Juris-Classeur périodique 1991, IV, 383). Par dérogation au régime de droit commun et dans certaines hypothèses, l'administration des douanes peut en obtenir l'exécution anticipée (article 382 CDD, paragraphe 18 ci-dessous). 2. Dispositions pertinentes
16. Trois codes entrent en ligne de compte en l'espèce: a) Le code de procédure pénale
17. Le code de procédure pénale dispose: Article 749 "Lorsqu'une condamnation à l'amende, aux frais de justice ou à tout autre paiement au profit du Trésor public qui n'a pas le caractère d'une réparation civile est prononcée pour une infraction n'étant pas de nature politique et n'emportant pas peine perpétuelle, la durée de la contrainte par corps est applicable, en cas d'inexécution de la condamnation, dans les limites prévues par l'article 750. Cette durée est déterminée, le cas échéant, en fonction du montant cumulé des condamnations qui n'ont pas été exécutées." La loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 a abrogé la mention des frais de justice. Article 750 "La durée de la contrainte par corps est fixée ainsi qu'il suit: 1° A cinq jours, lorsque l'amende et les condamnations pécuniaires sont au moins égales à 1 000 francs sans excéder 3 000 francs; 2° A dix jours, lorsque, supérieures à 3 000 francs, elles n'excèdent pas 10 000 francs; 3° A vingt jours, lorsque, supérieures à 10 000 francs, elles n'excèdent pas 20 000 francs; 4° A un mois, lorsque, supérieures à 20 000 francs, elles n'excèdent pas 40 000 francs; 5° A deux mois, lorsque, supérieures à 40 000 francs, elles n'excèdent pas 80 000 francs; 6° A quatre mois, lorsqu'elles excèdent 80 000 francs." Article 752 "La contrainte par corps ne peut être exécutée contre les condamnés qui justifient de leur insolvabilité (...)" Article 758 "La contrainte par corps est subie en maison d'arrêt, dans le quartier à ce destiné." Article 759 "Les individus contre lesquels la contrainte a été prononcée peuvent en prévenir ou en faire cesser les effets soit en payant ou consignant une somme suffisante pour éteindre leur dette, soit en fournissant une caution reconnue bonne et valable. La caution est admise par le receveur des finances. En cas de contestation, elle est déclarée, s'il y a lieu, bonne et valable par le président du tribunal de grande instance agissant par voie de référé. La caution doit se libérer dans le mois, faute de quoi elle peut être poursuivie. Lorsque le paiement intégral n'a pas été effectué, et sous réserve des dispositions de l'article 760, la contrainte par corps peut être requise à nouveau pour le montant des sommes restant dues." Article 760 "Lorsque la contrainte par corps a pris fin pour une cause quelconque, elle ne peut plus être exercée ni pour la même dette, ni pour des condamnations antérieures à son exécution, à moins que ces condamnations n'entraînent par leur quotité une contrainte plus longue que celle déjà subie, auquel cas la première incarcération doit toujours être déduite de la nouvelle contrainte." Article 761 "Le débiteur détenu est soumis au même régime que les condamnés, sans toutefois être astreint au travail." Article 762 "Le condamné qui a subi une contrainte par corps n'est pas libéré du montant des condamnations pour lesquelles elle a été exercée." b) Le code des douanes
18. Le code des douanes contient les dispositions pertinentes suivantes: Article 382 "1. L'exécution des jugements et arrêts rendus en matière de douane peut avoir lieu par toutes voies de droit. 2. Les jugements et arrêts portant condamnation pour infraction aux lois de douane sont, en outre, exécutés par corps (...)" Article 388 "Par décision expresse du tribunal, celui qui est condamné pour un délit douanier ou une infraction en matière de contributions indirectes peut, nonobstant appel ou pourvoi en cassation, être maintenu en détention jusqu'à ce qu'il ait acquitté le montant des sanctions fiscales prononcées contre lui; sauf dans le cas de trafic de stupéfiants, la durée de la détention accomplie dans ces conditions à compter de la condamnation s'impute sur celle de la contrainte par corps prononcée par le tribunal et ne peut excéder le minimum prévu par le code de procédure pénale pour une condamnation pécuniaire de même montant que celui des sanctions fiscales prononcées." Article 414 "Sont passibles d'un emprisonnement maximum de trois ans, de la confiscation de l'objet de fraude, de la confiscation des moyens de transport, de la confiscation des objets servant à masquer la fraude et d'une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l'objet de fraude, tout fait de contrebande ainsi que tout fait d'importation ou d'exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées ou fortement taxées au sens du présent code. (...)" c) Le code de la santé publique
19. Aux termes l'article L. 627-6, second alinéa, du code de la santé publique: "Par dérogation aux dispositions de l'article 750 du code de procédure pénale, la durée de la contrainte par corps est fixée à deux ans lorsque l'amende et les condamnations pécuniaires prononcées pour l'une des infractions mentionnées à l'alinéa ci-dessus [contravention aux dispositions des règlements d'administration publique concernant les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants] ou pour les infractions douanières connexes excèdent 500 000 F."
20. L'article L. 627-6 a été abrogé par la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992, dite "loi d'adaptation", relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur. Il a été remplacé par l'article 706-31 CPP entré en vigueur le 1er mars 1994 et ainsi libellé: "L'action publique pour la répression des délits prévus par les articles 222-34 à 222-38 du Code pénal se prescrit par dix ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l'une de ces infractions se prescrit par vingt ans à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive. Par dérogation aux dispositions de l'article 750, la durée de la contrainte par corps est fixée à deux années lorsque l'amende et les condamnations pécuniaires prononcées pour l'une des infractions mentionnées à l'alinéa précédent ou pour les infractions douanières connexes excèdent 500 000 F."
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
21. M. Jamil a saisi la Commission le 13 novembre 1989. Il alléguait que l'allongement de la durée de la contrainte par corps prononcée par la cour d'appel de Paris enfreignait l'article 7 (art. 7) de la Convention.
22. La Commission a retenu la requête (n° 15917/89) le 30 novembre 1992. Dans son rapport du 10 mars 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 7 (art. 7). Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ 1. Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 317-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
23. Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour de "bien vouloir constater qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 7 (art. 7) de la Convention (...) au préjudice de M. Jamil".
24. De son côté, le requérant invite la Cour à déclarer "que la contrainte par corps en matière de stupéfiants est une peine, soumise au régime de l'article 7 (art. 7) de la Convention (...)".
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 7 PAR. 1 (art. 7-1) DE LA CONVENTION
25. M. Jamil dénonce l'allongement - de vingt mois - de la durée de la contrainte par corps prononcée par la cour d'appel de Paris en application d'une loi postérieure au fait commis. Il y voit une méconnaissance du principe de la non-rétroactivité des peines que consacre l'article 7 (art. 7) de la Convention, ainsi libellé: "1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. 2. Le présent article (art. 7) ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées." A. Sur l'applicabilité de l'article 7 par. 1 (art. 7-1)
26. La principale question à résoudre consiste à savoir si la mesure prévue par l'article 749 du code de procédure pénale constitue une peine au sens de l'article 7 par. 1 (art. 7-1), seconde phrase.
27. Le requérant rappelle que l'article 749 interdit l'application de la contrainte par corps en matière civile. Il souligne que le ministère public peut exercer accessoirement à l'action publique l'action de l'administration des douanes pour l'application des sanctions fiscales: la contrainte par corps et l'amende qu'elle a pour objet de garantir seraient par conséquent des peines, l'amende ne pouvant venir remplacer des droits de douane non perçus à l'occasion de l'importation illégale de marchandises prohibées. Il critique aussi le caractère automatique de l'application de la contrainte par corps et précise enfin qu'en matière de trafic de stupéfiants, les amendes prononcées sont si lourdes que les condamnés n'ont pas en pratique les moyens de les payer.
28. La Commission souscrit en substance à la thèse de M. Jamil.
29. Pour le Gouvernement, l'article 7 (art. 7) ne s'applique pas en l'espèce car la contrainte par corps ne s'analyse pas en une peine. L'amende douanière, à supposer même qu'elle détermine la nature de la contrainte par corps, aurait une nature indemnitaire et compensatoire: calculée à partir de la valeur de la marchandise fraudée, et non de la possibilité contributive du débiteur, elle tend à réparer les préjudices moral et matériel subis par les douanes à cause de l'importation illicite de marchandises prohibées. La privation de liberté du fait de la contrainte par corps, d'ailleurs prévue par l'article 5 par. 1 b) (art. 5-1-b) de la Convention, ne relèverait pas de la matière pénale au sens de l'article 6 (art. 6) de celle-ci. Moyen d'exécution sur la personne du débiteur de l'Etat et non emprisonnement subsidiaire, elle ne sanctionnerait pas la commission d'une infraction mais l'inexécution d'une condamnation pécuniaire. Elle se comparerait à une saisie mobilière ou immobilière qui conduit à une privation de propriété. Le défaut de paiement d'une somme d'argent n'est pas pénalement réprimé en droit français et ne peut être le fait que d'une catégorie particulière de personnes. La norme incriminée ne concernerait donc pas virtuellement la population tout entière, mais les seuls débiteurs dont la solvabilité est démontrée et qui refusent de s'acquitter de leur dette. La sévérité de la détention ne serait pas à elle seule déterminante, et les modalités de ladite détention l'éloigneraient également de la matière pénale: le détenu ne peut bénéficier de remises de peine, mesures de grâce, libération conditionnelle ou réhabilitation; aucune condition de délai n'est posée pour les placements à l'extérieur, les semi-libertés ou les permissions de sortie; l'intéressé ne peut être poursuivi pour évasion; la durée de la détention provisoire ne s'impute pas sur celle de la contrainte par corps; surtout, l'exécution de cette dernière n'entraîne pas l'extinction de la créance et ne dispense pas de l'obligation de payer, le débiteur n'étant remis en liberté que s'il s'acquitte d'une partie de l'amende ou fournit la preuve de son insolvabilité. Dans aucun système pénal, l'exécution d'une peine ne laisserait ainsi subsister l'obligation qui en est la cause.
30. La Cour rappelle que la qualification de "peine" contenue dans l'article 7 par. 1 (art. 7-1) possède une portée autonome. Pour rendre efficace la protection offerte par cette disposition (art. 7-1), la Cour doit demeurer libre d'aller au-delà des apparences et apprécier elle-même si une mesure particulière s'analyse au fond en une "peine" au sens de cette clause (art. 7-1) (voir en dernier lieu l'arrêt Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995, série A n° 307-A, p. 13, par. 27).
31. Le libellé de l'article 7 par. 1 (art. 7-1), seconde phrase, indique que la base de toute appréciation de l'existence d'une peine consiste à déterminer si la mesure en question est imposée à la suite d'une condamnation pour une "infraction". D'autres éléments peuvent être estimés pertinents à cet égard: la qualification de la mesure en droit interne, sa nature et son but, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (arrêt Welch précité, p. 13, par. 28).
32. La Cour constate que la sanction infligée à M. Jamil s'inscrivait dans un contexte de droit pénal, celui de la répression du trafic de stupéfiants. Elle note cependant que la contrainte par corps ne se limite pas en France à ce seul domaine de droit commun: voie d'exécution pour le recouvrement des créances du Trésor public qui n'ont pas le caractère d'une réparation civile, elle peut aussi s'ajouter à des condamnations en matière douanière, fiscale ou autre. Pour déterminer la qualification qui revient à la contrainte par corps au regard de l'article 7 (art. 7), il échet donc d'observer aussi son but et son régime. Destinée à garantir le paiement notamment d'une amende par l'exécution sur la personne du débiteur qui ne démontre pas son insolvabilité, la mesure en question a pour but de contraindre audit paiement par la menace d'une incarcération sous un régime pénitentiaire. Ce régime se révèle plus sévère qu'en droit commun principalement parce qu'il ne comporte pas les atténuations accordées aux peines de droit commun, telles les mesures de liberté conditionnelle et de grâce. Survivance de l'ancien système de la prison pour dette, l'emprisonnement au titre de la contrainte par corps ne subsiste plus qu'au seul profit de l'Etat et ne libère pas le débiteur de l'obligation de payer qui a causé son incarcération: si l'intéressé ne peut plus y être contraint "sur son corps", il peut encore l'être sur ses biens. On ne saurait assimiler pareille mesure à la saisie mobilière ou immobilière que citait le Gouvernement. Prononcée par la juridiction répressive et destinée à exercer un effet dissuasif, la sanction infligée à M. Jamil pouvait aboutir à une privation de liberté de caractère punitif (voir, mutatis mutandis, les arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, p. 35, par. 82, et Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73, p. 20, par. 53). Elle constituait donc une peine au sens de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention. Certes, le requérant a été dispensé de l'obligation d'acquitter une partie importante de l'amende douanière sans pour autant avoir eu à subir de contrainte par corps - le Gouvernement n'a fourni aucune explication sur ce point -, mais cette dispense ne suffit pas pour écarter l'analyse qui précède.
33. En résumé, l'article 7 par. 1 (art. 7-1) s'applique en l'espèce. B. Sur l'observation de l'article 7 par. 1 (art. 7-1)
34. La Cour constate qu'à l'époque des faits pour lesquels M. Jamil a été condamné, celui-ci encourait une contrainte par corps de quatre mois au plus (paragraphes 10 et 17 ci-dessus). La cour d'appel de Paris a néanmoins appliqué au condamné une nouvelle loi qui portait cette durée à deux ans (paragraphes 11 et 19 ci-dessus).
35. Nul ne conteste, en l'espèce, le caractère rétroactif de l'application de ladite loi relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants (paragraphe 11 ci-dessus).
36. Dès lors, il y a eu violation de l'article 7 par. 1 (art. 7-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
37. Aux termes de l'article 50 (art. 50), "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Dommage moral
38. M. Jamil sollicite d'abord la réparation d'un dommage moral, qu'il évalue à 100 000 FRF et qu'il aurait subi en purgeant sa peine d'emprisonnement de droit commun avec la perspective d'une prolongation de deux ans.
39. Avec le Gouvernement et le délégué de la Commission, la Cour estime que le constat d'une infraction à l'article 7 (art. 7) fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement éprouvé, le requérant n'ayant pas subi de détention au titre de la contrainte par corps. B. Frais et dépens
40. M. Jamil réclame aussi 50 000 FRF au titre des frais et dépens afférents aux procédures suivies devant la Cour de cassation et à Strasbourg. Selon lui, l'introduction de sa requête devant les organes de la Convention n'est pas étrangère à la conclusion d'un accord amiable avec l'administration des douanes.
41. Le Gouvernement, sous réserve de justificatifs de frais, et le délégué de la Commission s'en remettent à la sagesse de la Cour.
42. Sur la base des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour accueille en entier les prétentions de l'intéressé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit que l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention s'applique en l'espèce;
2. Dit que l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention a été violé;
3. Dit que le constat de cette violation constitue une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement subi;
4. Dit que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 50 000 (cinquante mille) francs français pour frais et dépens. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 8 juin 1995.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Herbert PETZOLD Greffier


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 15917/89
Date de la décision : 08/06/1995
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 7-1 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 7-1) PEINE PLUS FORTE


Parties
Demandeurs : JAMIL
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1995-06-08;15917.89 ?

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