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13/07/1995 | CEDH | N°19465/92

CEDH | AFFAIRE NASRI c. FRANCE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE NASRI c. FRANCE
(Requête no19465/92)
ARRÊT
STRASBOURG
13 juillet 1995
En l'affaire Nasri c. France 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
J. De Meyer,
J.

M. Morenilla,
M.A. Lopes Rocha,
L. Wildhaber,
D. Gotchev, 
ainsi que de M. H. Pet...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE NASRI c. FRANCE
(Requête no19465/92)
ARRÊT
STRASBOURG
13 juillet 1995
En l'affaire Nasri c. France 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
J. De Meyer,
J.M. Morenilla,
M.A. Lopes Rocha,
L. Wildhaber,
D. Gotchev, 
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 février et 21 juin 1995,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") puis par le gouvernement français ("le Gouvernement"), les 20 mai et 7 juillet 1994 respectivement, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.  A son origine se trouve une requête (n° 19465/92) dirigée contre la République française et dont un ressortissant algérien, M. Mohamed Nasri, désigné à l'origine par l'initiale N., avait saisi la Commission le 30 janvier 1992 en vertu de l'article 25 (art. 25). 
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement à l'article 48 (art. 48).  Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention. 
2.   En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30). 
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A).  Le 28 mai 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. R. Bernhardt, F. Matscher, J. De Meyer, J.M. Morenilla, M.A. Lopes Rocha, L. Wildhaber et D. Gotchev, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). 
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).  Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, les mémoires du Gouvernement et du requérant sont parvenus au greffe respectivement les 14 novembre et 5 décembre 1994.  Le 10 février 1995, la Commission a fourni au greffier divers documents qu'il avait demandés sur les instructions du président. 
5.   Ainsi qu'en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 21 février 1995, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. 
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. M. Perrin de Brichambaut, directeur des affaires juridiques  
au ministère des Affaires étrangères,  agent,
Mme M. Merlin-Desmartis, conseillère de tribunal administratif   détachée à la direction des affaires juridiques du ministère
des Affaires étrangères,
Mme M. Pauti, chef du bureau du droit comparé et du droit  
international à la direction des libertés publiques et des  
affaires juridiques du ministère de l'Intérieur,  conseillers;
- pour la Commission
M. J.-C. Geus,  délégué;
- pour le requérant
Me B. Desclozeaux, avocat,  conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à des questions de la Cour et d'un juge, M. Perrin de Brichambaut, M. Geus et Me Desclozeaux. 
EN FAIT 
I.   LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE LA CAUSE
6.   Citoyen algérien né sourd-muet en juin 1960 en Algérie, M. Nasri est le quatrième d'une fratrie de dix enfants, dont l'un est décédé; six d'entre eux possèdent la nationalité française.  Il vint en France, avec sa famille, en février 1965.  Actuellement, il est assigné à résidence au domicile de ses parents, à Nanterre (Hauts-de-Seine).
A. La scolarité du requérant 
7.   D'après le dossier, la scolarité du requérant peut se résumer comme suit. 
8.   A leur arrivée en France en 1965, M. et Mme Nasri voulurent inscrire leur fils à l'école maternelle, où on le refusa en raison de son infirmité.  Ils le présentèrent alors à l'Institut Saint-Jacques à Paris, établissement spécialisé pour les sourds-muets, qui ne put l'admettre faute de place et parce que son niveau intellectuel aurait passé pour insuffisant.  Ainsi, M. Nasri n'a pu fréquenter une école jusqu'en 1968. 
Cette année-là, l'intéressé fut admis au Centre audiométrique médico-psychopédagogique de Boulogne (Hauts-de-Seine), à la suite de démarches d'une assistante sociale.  Il y suivit une rééducation audiométrique et un enseignement adapté à son état.  Le 11 décembre 1971, il fut renvoyé pour brutalités. 
9.   Il resta de nouveau sans formation ni scolarisation jusqu'en 1974.  A cette époque, il fut inscrit dans un centre pour sourds-muets à Tours (Indre-et-Loire).  Comme toutefois ses parents ne pouvaient plus payer l'hébergement, il leur fut remis sept mois plus tard. 
Le 20 septembre 1976, il entama une formation de peintre en bâtiment, qu'il dut interrompre le 20 octobre 1977 à la suite d'incidents. 
10.   L'intéressé indique qu'il maîtrise mal le langage des sourds-muets, qu'il ne sait ni lire ni écrire et qu'il s'exprime, de façon rudimentaire, à l'aide de signes compris seulement par son entourage le plus proche. 
B. Les condamnations pénales du requérant 
11.   Dès 1977, le requérant se signala auprès de la police par divers vols; il dut comparaître à plusieurs reprises devant les tribunaux. 
12.   Au 10 mars 1992, son casier judiciaire présentait les condamnations suivantes: 
- les 3 novembre 1981, 2 février 1982 et 21 janvier 1983, des peines d'emprisonnement, allant de six mois à un an, pour vol simple et tentative, par le tribunal correctionnel de Paris; 
- le 15 mai 1986, cinq ans d'emprisonnement, dont deux avec sursis et mise à l'épreuve pendant cinq ans, du chef de viol en réunion, par la cour d'assises des Hauts-de-Seine; 
- le 17 septembre 1987, un an et trois mois d'emprisonnement pour vol avec violence, par le tribunal correctionnel de Nanterre; 
- le 10 novembre 1988, dix mois d'emprisonnement du chef de vol avec violence, par la cour d'appel de Paris; 
- le 7 septembre 1989, deux mille francs d'amende pour violences volontaires sur officier public, par le tribunal correctionnel de Paris; 
- le 10 décembre 1990, six mois d'emprisonnement du chef de vol avec violence et recel, par la cour d'appel de Versailles. 
S'y ajoutèrent, le 21 mai 1982, une condamnation à huit jours d'emprisonnement avec sursis pour destruction du bien d'autrui, le 13 mai 1992, une peine de huit mois d'emprisonnement pour vol et, le 31 mars 1993, une condamnation pour vol avec violence, sur laquelle la Cour ne possède pas de précisions. 
C. L'expulsion du requérant 
13.   Le 21 août 1987, le ministre de l'Intérieur ordonna l'expulsion du requérant, au motif que sa présence sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public.  Pris en vertu des articles 23 et 24 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée (paragraphe 27 ci-dessous), l'arrêté s'appuyait sur cinq condamnations récentes de l'intéressé, dont celle du 15 mai 1986 (paragraphe 12 ci-dessus). 
14.   Le 10 mars 1988, le tribunal administratif de Versailles annula cet arrêté.  D'après lui, c'est à tort que le ministre s'était fondé sur l'ordonnance de 1945, dans sa version modifiée par la loi du 9 septembre 1986, car celle-ci contenait des dispositions plus rigoureuses que celles en vigueur jusqu'alors.  S'en prévaloir en l'espèce, en présence de condamnations pénales toutes antérieures à cette date, revenait à remettre indûment en cause des situations existantes. 
15.   Le 15 février 1991, le Conseil d'Etat réforma le jugement précité et rejeta les demandes de M. Nasri tendant à l'annulation ou au sursis à exécution dudit arrêté.  Selon lui, l'expulsion d'un étranger n'avait pas le caractère d'une sanction, mais d'une mesure de police exclusivement destinée à protéger l'ordre et la sécurité publics; dès lors, les dispositions de la loi du 9 septembre 1986 pouvaient être appliquées dès leur entrée en vigueur à des étrangers remplissant les conditions fixées par elles, quelle que fût la date des condamnations retenues à leur encontre. 
16.   Le 30 janvier 1992, l'intéressé se présenta, sur convocation, à la préfecture des Hauts-de-Seine à Nanterre, où il fut placé en garde à vue, puis, par arrêté du préfet, mis en rétention administrative, pour une durée de vingt-quatre heures, en vue de son expulsion vers l'Algérie.  Celle-ci ne pouvant avoir lieu dans le délai fixé, le tribunal de grande instance de Nanterre assigna M. Nasri à résidence, au domicile de ses parents, par une ordonnance du 31 janvier.
17.   Invoquant les articles 3, 6 et 8 (art. 3, art. 6, art. 8) de la Convention, le requérant introduisit le 31 janvier 1992, auprès du tribunal administratif de Paris, un recours dirigé notamment contre les arrêtés d'expulsion et de rétention. 
Le tribunal l'en débouta le 28 octobre 1992: la présence de l'intéressé sur le territoire français faisait peser une grave menace sur la sécurité publique, compte tenu de son lourd passé délictueux, de la gravité des faits commis et de sa persistance dans la délinquance; aussi la décision attaquée n'avait-elle pas porté à son droit à une vie familiale "une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels [elle avait] été prise". 
18.   A ce jour, l'expulsion n'a pas eu lieu, eu égard à la demande de sursis à éloignement présentée par le président de la Commission européenne des Droits de l'Homme (paragraphe 29 ci-dessous). 
Par un arrêté du 4 février 1992, le ministre de l'Intérieur assigna M. Nasri à résidence, au domicile de ses parents, "jusqu'au moment où il [aurait] la possibilité de déférer à l'arrêté d'expulsion dont il fait l'objet".  Cette mesure a été prolongée depuis lors. 
D. Les rapports concernant le requérant
1. Les rapports médicaux 
19.   Dans le cadre des poursuites dirigées contre le requérant, plusieurs expertises s'attachèrent à étudier sa personnalité, son comportement et son milieu. 
a) Les rapports antérieurs aux poursuites pour viol 
20.   Un rapport d'examen psychiatrique, effectué en octobre 1977 à la demande du juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Nanterre, présente les conclusions suivantes:
"L'inculpé est un adolescent de 17 ans, sourd et muet, et non encore rééduqué, indemne de débilité mentale et de maladie mentale.  Mais il est particulièrement influençable. 
Il n'est pas en état de démence au sens de l'article 64 du code pénal, mais son immaturité affective et ses troubles intermittents du caractère, joints à la surdi-mutité, permettent d'atténuer sa responsabilité pénale dans une assez large mesure.  Il ne s'agit nullement d'un aliéné.  Il ne présente pas de dangerosité d'ordre psychiatrique.  Il peut être remis à sa famille.  Il est peu accessible à une sanction pénale (...)" 
21.   Un rapport d'examen médico-psychologique, daté du 26 novembre 1982 et demandé par le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Paris, indique: 
"La biographie recueillie est très pauvre, en raison même du fait que le sujet mime plus qu'il ne parle le langage des sourds-muets.  Nous apprenons, néanmoins, qu'il est né en Algérie, il y a à peu près 22 ans, il est incapable de pouvoir nous donner sa date de naissance exacte.  Il nous apprend qu'il est venu d'Algérie en France, alors qu'il était tout jeune enfant.  Ses parents sont tous deux en vie.  Son père est toujours en activité professionnelle.  Sa mère est à la maison, elle est décrite comme une femme malade. 
Sur le plan de sa scolarité, [il] nous dit qu'il a été scolarisé dans une école spécialisée pour sourds-muets où il a appris le métier de peintre en bâtiment.  Il nous déclare ne pas savoir écrire et être obligé de demander à un autre sujet sourd-muet de l'aider dans cette tâche.  Il ne connaît pas l'adresse de ses parents à Paris. 
Son niveau intellectuel apparaît des plus modestes.  En effet, il n'est pas capable de préciser avec exactitude des dates importantes dans sa vie.  Il déclare ne pas savoir écrire, ni savoir lire.  L'interprète pour sourds-muets nous dit qu'il ne connaît que très mal le langage des sourds-muets et qu'il pratique plus par mime que dans une langue adaptée. 
Il serait utile qu'il soit pris en charge sur le plan socio-professionnel et trouve réellement un emploi adapté à son état." 
b) Les rapports dans le cadre des poursuites pour viol 
22.   Un rapport d'examen médico-psychologique établi le 21 novembre 1983 relève: 
"Mohamed Nasri nous apparaît comme ne disposant que de peu de moyens de communication et d'appréhension du monde.  Dans sa famille et dans la société, il s'est trouvé dans une position à côté où il s'est constitué un univers clos.  Sa communication avec le monde restant rudimentaire, elle s'exprime souvent en termes agressifs, dans la mesure aussi où ses identifications assimilatrices ne peuvent se faire que sur des personnages qui incarnent une certaine agressivité à l'égard d'un milieu social qui ne lui a pas donné les instruments de communication qu'il pouvait attendre.  Ainsi apparaît-il réfugié dans la communauté maghrébine, la seule qui lui procure un statut mais qui le met dans la situation de manifester ce statut à travers des actes délictueux ou agressifs.  C'est là ce qui rend toute aide ou intervention difficile. 
Mohamed Nasri se situe à un niveau de conception et de communication qui est celui de l'enfance.  Son appréhension du monde reste rudimentaire, son expression et sa compréhension pauvres.  Les rééducations proposées n'ont pu lui fournir des moyens de communication corrects et amples et il a dû revenir, de manière régressive, vers un milieu d'origine auquel il doit s'identifier pour avoir un statut et une identité.  Dans ce milieu d'origine où son intégration se fait sous le surnom qui marque sa différence, 'le muet', [il] ne peut que se situer dans des attitudes de délit et d'agressivité, seuls moyens dans sa condition de conserver statut et identité." 
23.   Un rapport d'examen psychiatrique, du même jour, conclut:
"Nous ne saurons que peu de chose sur une histoire qui a été très marquée par la surdi-mutité et les tentatives à résultats très moyens de rééducation.  (...) [Il] passera toute son enfance et toute son adolescence en France, il ne s'est jamais rendu en Algérie, dont cependant il a conservé la nationalité. (...) Il vit chez ses parents, il sort, il traîne, il utilise l'argent de poche que lui donne sa mère; ils habitent maintenant dans les HLM à Nanterre. 
Il a connu un emprisonnement il y a un ou deux ans, pour des vols à la tire, et c'est au cours de cet emprisonnement qu'il a présenté un état anxieux aigu, qui a rendu nécessaire son transfert et son séjour pendant trois mois dans un service hospitalier de psychiatrie. 
[Son] intelligence, de niveau normal, sans doute, au départ, se juge aujourd'hui en terme d'efficience intellectuelle, à savoir que le capital de signes est médiocre, l'articulation entre eux rudimentaire, la compréhension limitée; aussi accède-t-il très mal aux notions abstraites de temps, de lieux, etc.  (...) Les acquisitions scolaires sont limitées, il ne lit pas, ou seulement les titres, les noms de rue, écrit son nom, sans plus, et n'a pas intégré le mécanisme de l'addition avec retenue.  Notre interprète le perçoit comme un jeune garçon sourd-muet de 7 à 8 ans, n'ayant jamais bénéficié de prise en charge spécialisée (...)" 
24.   D'après un rapport d'examen psychiatrique du 31 juillet 1984: 
"Il est sourd-muet, il n'a pratiquement pas été rééduqué et l'on sait que de telles déficiences, au-delà du simple déficit instrumental, retentissent, de façon beaucoup plus générale, sur l'ensemble des processus de conceptualisation et notamment d'acquisition de la loi morale; on peut donc penser qu'il n'obéit pas aux mêmes échelles de valeur qu'un individu qui serait normalement inséré dans la société et normalement entendant et il convient de tenir compte de ces facteurs psychologiques dans l'appréciation de son infraction. 
M. Mohamed Nasri ne présente pas à l'examen d'anomalies mentales, psychiques ou caractérielles majeures de dimension psychiatrique aliénante; il apparaît toutefois comme un sujet transplanté, mal inséré, désocialisé, handicapé par une surdi-mutité, avec le retentissement que cela peut avoir sur ses processus de conceptualisation et sur son intégration des règles morales. 
Il ne se trouvait pas en état de démence, au sens de l'article 64 du code pénal, au moment des faits; d'un point de vue strictement psychiatrique, les anomalies constatées ne sont pas de nature à atténuer sa responsabilité. 
Il est accessible à une sanction pénale; il ne requiert pas de soins particuliers mais il bénéficierait utilement d'un encadrement spécialisé en relation avec sa surdi-mutité, ce qui serait susceptible d'améliorer le pronostic de sa réadaptabilité; son placement dans un hôpital psychiatrique n'apparaît indiqué ni dans son intérêt, ni dans celui de la collectivité." 
25.   Selon un rapport d'examen médico-psychologique du 18 juin 1985:  "Rien à l'examen ne permet de dire que [M. Nasri] ne serait pas en mesure de prendre normalement conscience des règles et des interdits sociaux, ni que son aptitude à se contrôler serait altérée par un processus pathologique caractérisé. 
Il n'est en revanche pas douteux que l'insatisfaction éprouvée, les difficultés de communication avec autrui, l'impossibilité de médiatiser ses désirs par la parole se conjuguent chez lui pour constituer un terrain psychologique de moindre résistance à l'égard des passages à l'acte." 
2. Le rapport de police 
26.   Un rapport de police du 13 avril 1992 relatif au requérant précise:
"Son handicap, mutité et surdité, est effectif et ne l'empêche pas de déambuler à toutes heures du jour et de la nuit dans les rues de Villeneuve-la-Garenne, et autres communes, et de fréquenter assidument les débits de boissons où il boit de l'alcool ce qui le rend agressif, voire violent. 
Il inspire la terreur à bien des Villenogarennois ainsi qu'à ses complices.  Il se trouve mêlé [à] de nombreuses affaires de vol ou de violence.  Cet individu, violent et asocial, ne fait aucun effort pour s'intégrer dans notre société et profite de son handicap et des dispositions favorables de l'administration et de la justice.  Il est un réel danger pour l'ordre public, d'autant plus qu'il semble être le leader des jeunes délinquants de Villeneuve par la crainte qu'il inspire." 
II.   LE DROIT INTERNE PERTINENT 
27.   L'expulsion des étrangers se trouve régie par l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.  L'article 23 de celle-ci dispose, dans sa version du 29 octobre 1981:
"L'expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l'Intérieur si la présence de l'étranger sur le territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public." 
Une loi du 9 septembre 1986 avait supprimé le mot "grave" du texte susmentionné; le 2 août 1990 a été restauré le libellé introduit en 1981. 
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION 
28.   M. Nasri a saisi la Commission le 30 janvier 1992 (requête n° 19465/92).  Il alléguait que son expulsion vers l'Algérie entraînerait une violation des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention; il prétendait en outre avoir subi une infraction à l'article 6 (art. 6). 
29.   Le même jour, le président de la Commission a indiqué au gouvernement français, en vertu de l'article 36 de son règlement intérieur, qu'il était souhaitable, dans l'intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas procéder à l'éloignement du requérant jusqu'au 21 février 1992, fin de la prochaine session de la Commission.  Celle-ci a prolongé plusieurs fois l'application dudit article 36. 
30.   Le 11 mai 1993, la Commission a retenu les griefs relatifs aux articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention et rejeté la requête pour le surplus. 
Dans son rapport du 10 mars 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis selon lequel l'expulsion de l'intéressé vers l'Algérie constituerait une violation des articles 3 (art. 3) (dix-neuf voix contre trois) et 8 (art. 8) (vingt voix contre deux).  Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt3.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
31.   Dans son mémoire, le Gouvernement "demande à la Cour de bien vouloir rejeter la requête de M. Nasri". 
32.   De son côté, le requérant invite la Cour à déclarer que l'exécution de l'arrêté d'expulsion vers l'Algérie constituerait une violation des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8), et "à demande[r] à la France d'annuler purement et simplement [ledit] arrêté (...)". 
EN DROIT 
I.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 8 (art. 8) DE LA CONVENTION 
33.   Selon M. Nasri, son expulsion par les autorités françaises porterait atteinte à sa vie familiale et violerait l'article 8 (art. 8) de la Convention, ainsi libellé:
"1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." 
Contrairement au Gouvernement, la Commission adhère à cette thèse. 
A.  Paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1) 
34.   Avec la Commission et le Gouvernement, la Cour considère que l'exécution de la mesure litigieuse constituerait une ingérence dans l'exercice par l'intéressé de son droit au respect de sa vie familiale. 
B.  Paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) 
35.   Il échet, dès lors, de déterminer si l'expulsion dont il s'agit remplirait les conditions du paragraphe 2 (art. 8-2), c'est-à-dire serait "prévue par la loi", tournée vers un ou plusieurs des buts légitimes qu'il énumère et "nécessaire", "dans une société démocratique", pour le ou les réaliser. 
1.  "Prévue par la loi" 
36.   La Cour relève, avec les comparants, que l'arrêté ministériel du 21 août 1987 se fonde sur les articles 23 et 24 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (paragraphe 27 ci-dessus).  M. Nasri n'en disconvient pas et d'ailleurs le Conseil d'Etat a constaté, dans son arrêt du 15 février 1991, la légalité de la mesure d'expulsion (paragraphe 15 ci-dessus). 
2.  But légitime 
37.   Gouvernement et Commission estiment que l'ingérence en cause viserait des fins pleinement compatibles avec la Convention: la "défense de l'ordre" et la "prévention des infractions pénales".  Le requérant ne le conteste pas. 
La Cour parvient à la même conclusion. 
3.  "Nécessaire", "dans une société démocratique" 
38.   M. Nasri soutient que son expulsion ne saurait passer pour nécessaire dans une société démocratique.  Sourd-muet, analphabète et sans maîtrise du langage des sourds-muets, il éprouverait d'énormes difficultés de communication s'il se voyait éloigné de ses proches, seuls à pouvoir comprendre les signes à travers lesquels il s'exprime. Depuis 1965 en effet, ses parents ainsi que ses frères et soeurs n'ont plus quitté la France; six d'entre eux ont acquis la nationalité française.  Lui-même n'aurait jamais rompu avec sa famille, car hormis certaines périodes passées avec sa soeur et son beau-frère, il aurait toujours habité au domicile parental.  C'est d'ailleurs là qu'actuellement il se trouve assigné à résidence. 
De surcroît, le requérant ne connaîtrait pas l'arabe: il aurait suivi seulement en France le peu de scolarité à laquelle il eut droit et ses contacts avec la communauté maghrébine se limiteraient à ceux de ses membres qui sont issus de la seconde génération et, dans leur très grande majorité, ne parlent pas l'arabe. 
Quant aux infractions dont l'intéressé s'est rendu coupable, la plupart relèveraient, tels les vols, de la petite délinquance. Certes, il a aussi été condamné pour un viol, lequel se trouve d'ailleurs à l'origine de son expulsion.  Néanmoins, la cour d'assises lui a infligé une peine d'emprisonnement, avec sursis et mise à l'épreuve, au lieu de la réclusion (paragraphe 12 ci-dessus).  Depuis ce forfait, qui remonte à l'année 1983, il n'y a pas eu récidive de viol. 
39.   Le délégué de la Commission partage en substance ce point de vue.  Il souligne qu'il faut avoir égard aussi aux causes du comportement de M. Nasri.  En effet, celui-ci n'aurait jamais bénéficié de l'encadrement psychiatrique que son état requérait, en dépit des nombreuses recommandations des experts consultés par les tribunaux à son sujet.  Aussi faudrait-il nuancer fortement l'appréciation négative portée sur lui par les autorités. 
40.   De son côté, le Gouvernement insiste sur le lourd passé criminel de l'intéressé, émaillé d'une trentaine d'interpellations et d'une dizaine de condamnations judiciaires s'échelonnant de 1981 à 1993.  Entre le 1er janvier 1981 et le 6 juillet 1993, il aurait séjourné cent trois mois en prison, profitant chaque fois des brèves périodes de liberté pour commettre de nouvelles infractions, la dernière en date - un vol avec violence - lui ayant valu une peine prononcée le 31 mars 1993. 
Toutefois, la décision d'expulser l'intéressé trouverait son fondement principal dans la condamnation de celui-ci pour viol.  En raison de ce crime, le cas de M. Nasri serait bien plus grave que celui de MM. Moustaquim et Beldjoudi (arrêts Moustaquim c. Belgique du 18 février 1991, série A n° 193, et Beldjoudi c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-A). 
Au demeurant, le requérant se serait montré parfaitement capable de se faire comprendre et d'établir des relations en dehors de son milieu familial.  Plusieurs rapports de police révéleraient à cet égard qu'il passe le plus clair de son temps parmi des bandes de jeunes avec lesquels il mène d'ailleurs une vie sociale aussi délictueuse qu'intense. 
Bref, les atteintes graves et répétées à l'ordre public commises par l'intéressé l'emporteraient sur la protection due à sa vie familiale, dont la réalité paraîtrait du reste contestable. 
41.   La Cour rappelle qu'il incombe aux Etats contractants d'assurer l'ordre public, en particulier dans l'exercice de leur droit de contrôler, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux des traités, l'entrée et le séjour des non-nationaux, et notamment d'expulser les délinquants parmi ceux-ci. 
Toutefois, leurs décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un droit protégé par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1), doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique, c'est-à-dire justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi (voir, en dernier lieu, l'arrêt Beldjoudi précité, p. 27, par. 74). 
42.   En l'occurrence, l'expulsion du requérant a été décidée à la suite de la condamnation de celui-ci pour viol en réunion.  L'auteur d'une infraction aussi grave peut, à n'en pas douter, représenter une sérieuse menace pour l'ordre public.  En l'espèce toutefois, il y a encore d'autres aspects à considérer.  Ainsi, la cour d'assises des Hauts-de-Seine a admis l'existence de circonstances atténuantes et a condamné l'accusé à une peine de cinq ans d'emprisonnement, assortie d'un sursis de deux ans et d'une mise à l'épreuve; elle a en outre reconnu implicitement que M. Nasri n'avait pas été l'instigateur du crime en question.  Ensuite, il n'y a eu aucune récidive de viol depuis 1983. 
43.   Il y a lieu surtout d'avoir égard à l'infirmité de M. Nasri, une surdi-mutité congénitale dont les effets se trouvent amplifiés par un analphabétisme dû notamment à une scolarité largement déficiente, même si l'intéressé a une certaine part dans cette situation puisqu'en raison de sa mauvaise conduite il a fait l'objet d'expulsions des établissements qu'il fréquentait.  Avec le délégué de la Commission, qui s'appuie sur les expertises réalisées au sujet du requérant, la Cour est encline à considérer que, pour un individu confronté à de tels obstacles, la famille présente une importance toute particulière, non seulement comme milieu d'accueil, mais aussi parce qu'elle peut l'aider à ne pas sombrer dans la délinquance, et cela d'autant plus qu'en l'espèce M. Nasri n'a guère pu suivre de traitement adapté à son état. 
44.   Il faut souligner aussi que l'intéressé a toujours partagé le domicile de ses parents ou, pendant certaines périodes, celui de sa soeur, qu'il les a suivis dans tous leurs déménagements et n'a jamais rompu avec eux.  Ses fréquentes sorties "en bande" n'y changent rien. 
Or les parents de M. Nasri sont venus s'installer en France en 1965, avec leurs enfants, et n'ont plus quitté le pays depuis lors. Entre-temps, six des neuf frères et soeurs de l'intéressé ont acquis la nationalité française.  Lui-même a suivi en France les quelques bribes de scolarité dont il a pu bénéficier. 
45.   La Cour estime digne de foi l'affirmation non contestée selon laquelle M. Nasri ne comprend pas l'arabe.  Certes, il fréquente la communauté maghrébine, mais il est notoire que parmi ses plus jeunes membres la pratique de la langue du pays d'origine tend à s'atténuer; à plus forte raison s'agissant d'un sourd-muet. 
46.   Eu égard à ce cumul de circonstances particulières, notamment la situation d'un homme sourd, muet, ne pouvant trouver un minimum d'équilibre psychologique et social que dans sa famille, composée en majorité de citoyens français n'ayant eux-mêmes aucune attache avec l'Algérie, il apparaît que la décision d'expulser le requérant, si elle recevait exécution, ne serait pas proportionnée au but légitime poursuivi.  Elle méconnaîtrait le respect dû à la vie familiale et violerait donc l'article 8 (art. 8). 
II.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 3 (art. 3) DE LA CONVENTION 
47.   M. Nasri allègue aussi que son expulsion vers l'Algérie constituerait un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 (art. 3) de la Convention. 
48.   Eu égard à la conclusion figurant au paragraphe 46 ci-dessus, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner ce grief.
III.   SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION 
49.   Au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention, M. Nasri, qui a bénéficié de l'assistance judiciaire devant les organes de Strasbourg, ne sollicite ni la réparation d'un dommage ni le remboursement de frais et dépens.  La question n'appelle pas un examen d'office. 
50.   Quant à la demande du requérant tendant à l'annulation de l'arrêté d'expulsion litigieux (paragraphe 32 ci-dessus), la Cour constate que la Convention ne lui donne pas compétence pour exiger de l'Etat français qu'il y accède (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Saïdi c. France du 20 septembre 1993, série A n° 261-C, p. 57, par. 47). 
PAR CES MOTIFS, LA COUR 
1.   Dit, à l'unanimité, qu'il y aurait violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention si la décision d'expulser le requérant recevait exécution; 
2.   Dit, par sept voix contre deux, qu'il n'y a pas lieu d'examiner aussi l'affaire sous l'angle de l'article 3 (art. 3) de la Convention; 
3.   Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 50 (art. 50) de la Convention en l'occurrence. 
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 13 juillet 1995. 
Rolv RYSSDAL
Président
Pour le Greffier
Vincent BERGER
Chef de division au greffe de la Cour
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement A, l'exposé des opinions séparées suivantes: 
- opinion concordante de M. Pettiti;
- opinion partiellement dissidente de M. De Meyer;
- opinion partiellement dissidente de M. Morenilla;
- opinion concordante de M. Wildhaber. 
R. R.
V. B.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE PETTITI
J'ai voté avec mes collègues de la chambre, retenant en cas d'expulsion la violation de l'article 8 (art. 8) en raison du cumul de circonstances (paragraphe 46 de l'arrêt). 
Toutefois, je considère que la motivation sur ce cumul aurait pu comporter deux éléments supplémentaires.  D'une part, le fait que la condamnation pour viol en réunion justifiant l'expulsion remontait à 1986 (15 mai); le fait de la période de maintien sur le territoire métropolitain modifiait les conséquences d'une expulsion qui serait mise en exécution dans une période se situant dans un tout autre contexte (sans omettre le fait que le gouvernement français a accepté de suspendre la mesure à la demande de la Commission lorsqu'il y a eu saisine de celle-ci).  D'autre part, l'évolution des conditions sociales par rapport au handicap physique de M. Nasri et celle des conditions générales entre 1983 et 1995 dans les deux pays concernés. 
La Cour européenne est maintenant saisie de plusieurs cas concernant l'expulsion d'étrangers délinquants récidivistes.  Or la Convention européenne a exclu de son droit matériel le régime d'expulsion des étrangers par les Etats (sauf en ce qui concerne les expulsions collectives).  Toutefois, la Cour, sur invocation de l'article 8 (art. 8) et de l'article 3 (art. 3) dans des circonstances de gravité exceptionnelles, peut examiner des cas individuels sans dépasser la portée de ce que prévoit l'article 8 (art. 8) sur le terrain de la vie privée.  Mais cette voie jurisprudentielle ne permet pas d'affronter le problème général qui est du ressort des Etats membres du Conseil de l'Europe, s'ils ont la volonté d'adopter une politique homogène et de coopération, tenant compte du flux migratoire et des conditions différentes d'intégration et de regroupement familial pratiquées par certains Etats pour renforcer la protection des familles, mais non par d'autres. 
A ce stade également, il faudrait une harmonisation des politiques pénales intégrant les problèmes d'expulsion et de double peine en fonction des différentes traditions judiciaires existantes. 
La Cour européenne sera probablement conduite, à l'avenir, à préciser les critères qu'elle entend adopter: seuils de condamnations et de récidives, handicaps physiques et linguistiques pris en considération, nature des crimes et délits, contenu de la vie familiale et définition de la communauté familiale à protéger au sens de l'article 8 (art. 8), définition de l'ordre public européen dans ce contexte.  A cet effet, une étude de droit comparé devrait être entreprise par les Etats membres par un comité d'experts ad hoc confrontant les législations et les pratiques judiciaires et administratives des Etats membres en ces domaines, et ce afin d'éviter des distorsions de pays à pays qui ne seraient pas conformes à l'engagement commun des Etats d'assurer ensemble la sauvegarde des droits inscrits dans la Convention européenne des Droits de l'Homme.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE DE MEYER
Je n'ai pu approuver le point 2 du dispositif du présent arrêt, pour les mêmes raisons que celles que j'ai déjà indiquées à propos de l'affaire Beldjoudi c. France4.
Dans la présente affaire, j'estime pareillement, et compte tenu tout particulièrement de l'état d'infirmité de M. Nasri5, que l'expulsion de celui-ci ne porterait pas seulement atteinte à sa vie privée et familiale mais constituerait surtout un traitement inhumain.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA
1.   A mon avis, la mesure d'expulsion de M. Nasri, dans les circonstances que la majorité relève (paragraphe 46), s'analyse surtout et avant tout en un traitement inhumain.  La Cour aurait donc dû se prononcer de prime abord sur ce grief explicite du requérant, tiré de l'article 3 (art. 3) de la Convention, et suivre l'approche et la conclusion de violation de la majorité de la Commission. 
2.   La dramatique situation personnelle du requérant (sa surdi-mutité sans instruction, son inadaptation sociale et son lourd passé délictueux) ne devrait pourtant pas obscurcir la question plus générale sous-jacente à l'application au cas d'espèce de l'article 3 (art. 3) de la Convention: celle des limites aux mesures administratives - ou aux peines - d'expulsion vers le pays "d'origine", en raison d'un comportement délictueux ou marginal, des étrangers dits de la deuxième génération, y compris ceux qui, tel le requérant, sont venus pendant leur enfance en compagnie de leurs parents travailleurs. 
3.   La mesure d'expulsion de ces "non-ressortissants" dangereux peut s'avérer expédiente pour l'Etat qui se débarrasse ainsi de personnes considérées comme "indésirables", mais elle se révèle cruelle et inhumaine et clairement discriminatoire à l'égard des "ressortissants" qui se trouvent dans des circonstances pareilles. L'Etat qui, pour des raisons de convenance, accueille les travailleurs immigrés et autorise leur résidence, devient responsable de l'éducation et de la socialisation des enfants de ces immigrés tout comme il l'est des enfants de ses "citoyens".  En cas d'échec de cette socialisation, dont les comportements marginaux ou délictueux sont la conséquence, cet Etat est aussi tenu d'assurer leur réinsertion sociale au lieu de les renvoyer dans leur pays d'origine, qui n'a aucune responsabilité pour ces comportements et où les possibilités de réhabilitation dans un milieu social étranger s'avèrent illusoires.  Le traitement administratif ou pénal ne devrait donc pas différer en raison de l'origine nationale des parents en prévoyant, par l'expulsion, une aggravation clairement discriminatoire de la sanction. 
4.   On a remarqué à juste titre (voir Andrew Drzemczewski, The position of aliens in relation to the European Convention on Human Rights, Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1985, pp. 7-9) les changements enregistrés de nos jours en droit international, sous l'influence des récents développements en matière de droits de l'homme, dans le sens d'une égalité de traitement entre étrangers et nationaux.  Cette égalité devient de plus en plus apparente lorsqu'il s'agit des "immigrés intégrés" dans la communauté où ils travaillent.  Selon les termes de l'article 12 par. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, leur "propre pays" est celui où ils sont nés ou dans lequel ils ont grandi et qui est le leur malgré les difficultés d'adaptation inhérentes à une origine étrangère ou à l'appartenance à une culture familiale différente.  En tout cas, des considérations d'ordre légal ou l'invocation traditionnelle de la souveraineté de l'Etat ne peuvent aujourd'hui servir de base à un tel traitement. 
5.  Toutefois, pour la troisième fois en quatre ans (voir les arrêts Moustaquim c. Belgique du 18 février 1991, série A n° 193, p. 20, par. 50, et Beldjoudi c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-A, p. 29, par. 82), la Cour a fourni une nouvelle preuve de sa "circonspection" traditionnelle (voir Marc-André Eissen, El Tribunal Europeo de Derechos Humanos, traduction espagnole, Civitas, Madrid, 1985, pp. 81 et 95); la majorité "n'estime pas nécessaire d'examiner ce grief" (paragraphe 48) et se contente de constater une violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention, considérant cette mesure comme une ingérence dans la vie familiale de la personne affectée.  Je le déplore parce que l'importance du problème et son actualité demandent à la Cour de se prononcer sur ce point et de formuler son opinion avec clarté, ce qui n'exclut pas la prise en considération des circonstances du cas d'espèce. 
6.   Finalement, j'ai voté avec la majorité pour la violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention dans cette affaire, même si je ne partage pas le raisonnement fondé sur la condition de non-national de M. Nasri et sur la responsabilité de celui-ci pour "mauvaise conduite" (paragraphes 22-25 et 43).  Devant la poignante situation du requérant, je trouve cependant trop formelle la démarche de la majorité (paragraphe 46) qualifiant juridiquement l'expulsion de M. Nasri d'ingérence dans sa vie familiale plutôt que dans sa vie privée, concept plus générique dont la vie familiale est un aspect. 
En fait, l'article 8 (art. 8) de la Convention reconnaît le droit au respect par l'autorité publique de la "sphère privée" de l'individu (voir Stephan Breitenmoser, Der Schutz der Privatsphäre gemäss Art. 8 (art. 8) EMRK, Juristische Fakultät der Universität Basel, Bâle, 1986), de sa vie personnelle, qui, dans la définition de la Convention, comprend sa vie privée et familiale, son domicile et sa correspondance. La mesure d'expulsion du pays où l'on a vécu dès la naissance ou dès l'enfance se traduit en une ingérence dans cette sphère privée ou personnelle lorsqu'elle comporte, comme dans le cas d'espèce, la séparation de la personne affectée par la rupture d'avec son entourage vital, son "cercle social" et affectif, y compris sa famille.  Cette ingérence de l'autorité publique viole le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, si elle n'est pas justifiée conformément au paragraphe 2 du même article 8 (art. 8-2) de la Convention; ce qui, comme la majorité le relève, n'est pas le cas dans la présente affaire.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE WILDHABER
(Traduction)
A mon avis, il s'agit là d'un cas particulier qui ne se prête pas facilement à généralisation.  Tout comme le requérant, la Cour, en se fondant sur l'article 8 (art. 8), n'invoque que le droit au respect de sa vie familiale.  Cette façon de voir est quelque peu artificielle, car il y manque la composante du respect de la vie privée de l'intéressé.  En pareille situation, il serait plus réaliste de considérer l'ensemble du tissu social qui a de l'importance pour le requérant, la famille n'étant qu'une partie, certes essentielle, de ce contexte global. 
Comme à la majorité de la Cour, il ne m'a pas paru nécessaire de s'appuyer sur l'article 3 (art. 3).  Si on avait invoqué cette disposition (art. 3), on aurait pu sous-entendre qu'il ne saurait être question de mettre en balance des intérêts publics, mais plutôt que l'on ne saurait en aucun cas expulser des immigrés de la "deuxième génération".  Il me semble que ce serait aller trop loin et qu'exceptionnellement, il doit rester possible d'expulser, conformément aux principes généraux du droit international, des immigrés de la "deuxième génération" ayant commis des crimes très graves (homicide, viol, trafic de drogues).
1 L'affaire porte le n° 18/1994/465/546.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. 
2 Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9).  Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3 Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 320-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
4 Série A n° 234-A, p. 35.
5 Voir les paragraphes 20 à 25, 43 et 46 du présent arrêt.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT NASRI c. FRANCE
ARRÊT NASRI c. FRANCE
ARRÊT NASRI c. FRANCE
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE PETTITI
ARRÊT NASRI c. FRANCE
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE PETTITI
ARRÊT NASRI c. FRANCE JUDGMENT
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE DE MEYER
ARRÊT NASRI c. FRANCE JUDGMENT
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA
ARRÊT NASRI c. FRANCE JUDGMENT
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA
ARRÊT NASRI c. FRANCE JUDGMENT
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE WILDHABER


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 19465/92
Date de la décision : 13/07/1995
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 8 (en cas d'expulsion) ; Non-lieu à examiner l'art. 3 ; Incompétence (injonction à l'Etat)

Analyses

(Art. 41) JURIDICTION POUR DONNER DES ORDRES OU PRONONCER DES INJONCTIONS, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Art. 8-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 8-2) PREVENTION DES INFRACTIONS PENALES


Parties
Demandeurs : NASRI
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1995-07-13;19465.92 ?

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