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27/09/1995 | CEDH | N°15312/89

CEDH | AFFAIRE G. c. FRANCE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE G. c. FRANCE
(Requête no15312/89)
ARRÊT
STRASBOURG
27 septembre1995
En l'affaire G. c. France 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
A. Spielmann,
M

me  E. Palm,
MM.  A.N. Loizou,
B. Repik,
U. Lohmus, 
ainsi que de M. H. Petzold, gref...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE G. c. FRANCE
(Requête no15312/89)
ARRÊT
STRASBOURG
27 septembre1995
En l'affaire G. c. France 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
A. Spielmann,
Mme  E. Palm,
MM.  A.N. Loizou,
B. Repik,
U. Lohmus, 
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 avril et 31 août 1995,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE 
1.   L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 9 septembre 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (n° 15312/89) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. G., avait saisi la Commission le 19 juillet 1989 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46).  Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention. 
2.   En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30). 
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A).  Le 24 septembre 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. F. Matscher, M. A. Spielmann, Mme E. Palm, M. A.N. Loizou, M. B. Repik et M. U. Lohmus, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). 
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 30 janvier 1995 et celui du requérant le 3 février.  Le 8 février, le requérant a informé le greffier qu'il n'assisterait pas à l'audience et ne participerait plus à l'instance (paragraphe 2 ci-dessus).  Le 28 février, le président a accédé à la demande du requérant tendant à la non-divulgation de son identité.  Le 8 mars, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué s'exprimerait à l'audience. 
5.   Le 24 mars 1995, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président. 
6.   Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 25 avril 1995, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Ont comparu:
- pour le Gouvernement
Mlle M. Picard, magistrat détaché à la direction
des affaires juridiques du ministère des
Affaires étrangères, agent,
Mme M. Dubrocard, magistrat détaché à la direction
des affaires juridiques du ministère des
Affaires étrangères,
M. G. Bitti, chargé de mission au service des
affaires européennes et internationales du
ministère de la Justice, conseils;
- pour la Commission
M. B. Marxer, délégué.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Marxer et Mlle Picard. 
EN FAIT 
I.   LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7.   Inspecteur du service des permis de conduire, M. G. fut inculpé le 14 décembre 1980 de corruption passive pour avoir délivré des permis de conduire moyennant le versement d'une somme d'argent (article 177 du code pénal, paragraphe 12 ci-dessous).
En cours d'information et à la suite de réquisitions supplétives, le juge d'instruction l'inculpa de "corruption passive par sollicitation de relations sexuelles" ainsi que d'attentat à la pudeur avec violence ou contrainte (paragraphe 13 ci-dessous) sur la personne de P., candidate au permis de conduire.  Il se fondait, quant au second point, sur l'article 333 du code pénal tel qu'il résultait de la loi du 23 décembre 1980 (paragraphe 14 ci-dessous).  Il lui reprochait plus particulièrement d'avoir imposé, le 14 novembre 1980, des actes de sodomie à une jeune femme atteinte d'un léger retard mental.  A l'époque de leur accomplissement, les actes en question tombaient sous la qualification d'attentat à la pudeur et non de viol. 
8.   Le 18 novembre 1982, le tribunal correctionnel de Rennes le condamna à la peine de cinq ans d'emprisonnement, dont deux avec sursis, pour corruption passive par citoyen chargé d'un ministère de service public et attentats à la pudeur commis avec violence ou contrainte par personne ayant autorité.  Ce faisant, le tribunal appliqua la loi du 23 décembre 1980 (paragraphe 14 ci-dessous).
La cour d'appel de Rennes confirma le jugement par un arrêt du 14 novembre 1983.
La Cour de cassation cassa ce dernier le 26 février 1985 pour défaut de réponse aux exceptions de nullité soulevées, et renvoya l'affaire devant la cour d'appel d'Angers. 
9.   Par un arrêt du 22 janvier 1987, la juridiction de renvoi rejeta lesdites exceptions. Ecartant la prévention de corruption passive par sollicitation de relations sexuelles, elle déclara le requérant coupable de corruption passive par remise de fonds ainsi que d'attentats à la pudeur avec contrainte et abus d'autorité sur la personne de P. Réformant la peine, elle condamna M. G. à trois ans d'emprisonnement en faisant application de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, entrée en vigueur postérieurement à l'accomplissement des faits (paragraphe 14 ci-dessous). 
10. Le requérant saisit à nouveau la Cour de cassation.  Le quatrième et dernier moyen de son pourvoi était ainsi libellé:
"Violation des articles 7 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 4, 332 et 333 du code pénal dans leur rédaction applicable aux faits, et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
En ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'attentat à la pudeur sur la personne de P. le 14 novembre 1980;
Alors que, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, aucune disposition du code pénal ne réprimait l'attentat à la pudeur commis avec contrainte, dès lors qu'aucune violence n'avait été exercée contre la personne, objet de cette contrainte; que nul ne pouvant être déclaré coupable de faits qui n'étaient pas constitués en infraction par la loi avant qu'ils fussent commis, les faits d'attentat à la pudeur avec contrainte reprochés à l'exposant n'étaient, à la date des faits, constitutifs d'aucune infraction pénale ni l'état de déficience mentale de la `victime' une circonstance aggravante de ce crime, et ne pouvaient être réprimés à ce titre; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé le principe de la légalité des délits et des peines." 
11. Le 25 janvier 1989, la Cour de cassation repoussa le pourvoi.  Elle rejeta ledit moyen par les motifs ci-après:
"attendu que la déclaration de culpabilité sur [le] chef de prévention [de corruption passive] justifie la peine prononcée; qu'il n'y a pas lieu, dès lors, en application des dispositions de l'article 598 du code de procédure pénale [paragraphe 15 ci-dessous], de statuer sur le quatrième moyen de cassation présenté par le demandeur." 
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La corruption des fonctionnaires publics 
12.  L'article 177 1° du code pénal dispose:
"Sera puni d'un emprisonnement de deux à dix ans et d'une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à 1 500 F, quiconque aura sollicité ou agréé des offres ou promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents pour:
1° Etant investi d'un mandat électif, fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, militaire ou assimilé, agent ou préposé d'une administration publique ou d'une administration placée sous le contrôle de la puissance publique, ou citoyen chargé d'un ministère de service public, faire ou s'abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste ou non, mais non sujet à salaire."
B. Les attentats aux moeurs
1. Le régime applicable à l'époque des faits 
13. Le code pénal comprenait les règles suivantes:
Article 331
"Tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence sur la personne d'un enfant de l'un et l'autre sexe âgé de moins de quinze ans sera puni de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans.
Sera puni de la même peine, l'attentat à la pudeur commis par tout ascendant sur la personne d'un mineur, même âgé de plus de quinze ans, mais non émancipé par le mariage.
Sans préjudice des peines plus graves prévues par les alinéas qui précèdent ou par les articles 332 et 333 du présent code, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 60 F à 15 000 F quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans."
Article 332
"Quiconque aura commis le crime de viol sera puni de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans.
Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans accomplis, le coupable subira le maximum de la peine de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans.
Quiconque aura commis un attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans.
Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans."
Article 333
"Si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l'attentat, s'ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur elle, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages, ou serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignées, s'ils sont fonctionnaires ou ministres d'un culte, ou si le coupable, quel qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans dans le cas prévu par le paragraphe premier de l'article 331, et de la réclusion criminelle à perpétuité dans les cas prévus par l'article précédent."
Les notions de viol et attentats à la pudeur n'étant pas définies par la loi, la jurisprudence en a précisé les contours. Elle a ainsi assimilé la contrainte ou violence morale à la violence physique.  En conséquence, les infractions se trouvaient constituées dès lors qu'elles avaient été commises en l'absence du consentement de la victime (arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 juillet 1838, Bulletin n° 191, du 27 septembre 1860, Bulletin n° 219, du 25 juin 1857, Bulletin n° 240, du 27 décembre 1883, Bulletin n° 295, du 17 novembre 1960, Bulletin n° 528).
2. Le régime ultérieur 
14.  Modifiés par la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, entrée en vigueur le 24 décembre 1980, les articles 332 et 333 du code pénal sont désormais libellés comme suit:
Article 332
"Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte ou surprise, constitue un viol.
Le viol sera puni de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans.
Toutefois, le viol sera puni de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans lorsqu'il aura été commis soit sur une personne particulièrement vulnérable en raison d'un état de grossesse, d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale, soit sur un mineur de quinze ans, soit sous la menace d'une arme, soit par deux ou plusieurs auteurs ou complices, soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou par une personne ayant autorité sur elle ou encore par une personne qui a abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions."
Article 333
"Tout autre attentat à la pudeur commis ou tenté avec violence, contrainte ou surprise sur une personne autre qu'un mineur de quinze ans sera puni d'un emprisonnement de trois ans à cinq ans et d'une amende de 6 000 F à 60 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement.
Toutefois, l'attentat à la pudeur défini à l'alinéa premier sera puni d'un emprisonnement de cinq ans à dix ans et d'une amende de 12 000 F à 120 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement lorsqu'il aura été commis ou tenté soit sur une personne particulièrement vulnérable en raison d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale ou d'un état de grossesse, soit sous la menace d'une arme, soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou par une personne ayant autorité sur elle, soit par deux ou plusieurs auteurs ou complices, soit encore par une personne qui a abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions."
La loi nouvelle a correctionnalisé l'infraction d'attentat à la pudeur, auparavant qualifiée de crime.
C. Le non-cumul des peines 
15.  Le code pénal dispose en son article 5 qu'"en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte est seule prononcée".  Ce principe du non-cumul des peines sert en partie de fondement à la théorie de la peine justifiée consacrée par l'article 598 du code de procédure pénale, ainsi rédigé:
"Lorsque la peine prononcée est la même que celle portée par la loi qui s'applique à l'infraction, nul ne peut demander l'annulation de l'arrêt sous le prétexte qu'il y aurait erreur dans la citation du texte de la loi."
Ainsi, la Cour de cassation déclare justifié le dispositif d'un arrêt de condamnation lorsque la peine prononcée est identique à celle que le juge du fond aurait fixée si l'erreur de qualification n'avait pas été commise.  En cas de condamnation pour plusieurs infractions, elle n'examine pas le moyen tiré de l'erreur et dirigé contre l'une des infractions si la peine prononcée est justifiée par les autres infractions (arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 1890, Bulletin n° 196, du 30 octobre 1925, Recueil Dalloz 1926, p. 6, du 25 mars 1927, Recueil Dalloz 1927, p. 287, du 7 novembre 1931, Recueil Dalloz 1931, p. 559). 
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION 
16. M. G. a saisi la Commission le 19 juillet 1989 (requête n° 15312/89).  Il alléguait que sa condamnation pour un acte qui, lors de son accomplissement, ne constituait pas une infraction selon le droit en vigueur enfreignait l'article 7 (art. 7) de la Convention.  Il se plaignait aussi d'une violation de son droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, au motif que la Cour de cassation avait rejeté le moyen déduit du non-respect du principe de la légalité des délits et des peines, en application de la "théorie de la peine justifiée". 
17.  Le 5 mai 1993, La Commission a retenu le premier grief et déclaré le second irrecevable.  Dans son rapport du 29 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 (art. 7).  Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt 3.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR 
18. Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour
"de juger, conformément à l'avis émis par la Commission dans son rapport du 29 juin 1994, que le grief tiré de la violation de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention n'est pas fondé, la condamnation du requérant n'ayant pas été prononcée au mépris du principe de la légalité des délits et des peines". 
EN DROIT 
I.   OBJET DU LITIGE 
19.  M. G. invite la Cour à rouvrir l'examen de la requête quant au grief tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le Gouvernement rétorque que la Commission a déclaré irrecevable le grief en question (paragraphe 17 ci-dessus). 
20.  Dans le système de la Convention, l'objet du litige déféré à la Cour se trouve délimité par la décision de la Commission sur la recevabilité (voir, entre autres, les arrêts Powell et Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A n° 172, pp. 13-14, par. 29, et Helmers c. Suède du 29 octobre 1991, série A n° 212-A, p. 13, par. 25).  Or la Commission n'a pas retenu le grief mentionné plus haut.  La Cour n'a donc pas compétence pour en connaître.  Du reste, une décision d'irrecevabilité rendue par la Commission est définitive et ne se prête à aucun recours. 
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 7 PAR. 1 (art. 7-1) DE LA CONVENTION 
21. Le requérant se plaint d'avoir été condamné pour un acte qui, au moment où il a été perpétré, ne constituait pas une infraction d'après le droit en vigueur.  Dès lors, la peine d'emprisonnement qu'il a subie en application de la loi du 23 décembre 1980, postérieure audit acte, violerait l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention, ainsi libellé:
"Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international.  De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise."
Gouvernement et Commission marquent leur désaccord. 
22. D'après le Gouvernement, les juridictions pénales saisies de l'affaire ont mis en oeuvre le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce (in mitius), que ne consacre pas l'article 7 (art. 7) de la Convention mais que garantit l'article 15 du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, ainsi libellé: "Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier." Dans une décision des 19 et 20 janvier 1981 (décision 80-127 DC, Rec. 15), le Conseil constitutionnel a précisé le fondement dudit principe en s'appuyant sur l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires"; il a considéré que "le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l'empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui, selon l'appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires".
Ainsi, en ce qui concerne l'incrimination, les faits reprochés au requérant ont été qualifiés d'attentats à la pudeur avec contrainte, conformément à la qualification qu'ils pouvaient recevoir sous l'empire de la loi ancienne telle qu'interprétée par les tribunaux d'une manière constante; en vertu de la loi du 23 décembre 1980, ils auraient constitué un viol.  Quant à la répression, le requérant aurait dû, sous l'empire de la loi applicable au moment des faits, être renvoyé devant la cour d'assises, en raison de la nature criminelle desdits faits et aurait donc pu encourir la réclusion criminelle à perpétuité, compte tenu de la circonstance aggravante d'abus d'autorité.  Or M. G. a profité de la correctionnalisation de l'infraction et des pénalités plus clémentes de la nouvelle loi.  Ayant bénéficié des dispositions plus douces tant de la loi nouvelle que de la loi ancienne, il serait mal fondé à venir s'en plaindre. 
23. La Commission estime, d'une part, que la disposition prévoyant l'infraction pénale reprochée au requérant répondait aux conditions d'accessibilité et de prévisibilité de la loi pénale et, d'autre part, que la condamnation de l'inculpé n'a pas eu lieu au mépris du principe de la légalité des délits et des peines. 
24. D'après la jurisprudence de la Cour, l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention consacre, de manière générale, le principe de la légalité des délits et des peines et prohibe, en particulier, l'application rétroactive de la loi pénale lorsqu'elle s'opère au détriment de l'accusé (arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260-A, p. 22, par. 52). 
25. En l'occurrence, la Cour considère avec la Commission que les faits reprochés au requérant entraient dans le champ d'application des articles 332 et 333 anciens du code pénal, lesquels satisfaisaient aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité (voir, mutatis mutandis, les arrêts Müller et autres c. Suisse du 24 mai 1988, série A n° 133, p. 20, par. 29, et Salabiaku c. France du 7 octobre 1988, série A n° 141-A, pp. 16-17, par. 29).  En effet, il existait une jurisprudence constante de la Cour de cassation, publiée donc accessible, quant aux notions de violence et d'abus d'autorité.  Au sujet du concept de violence, la loi nouvelle, aux articles 332 et 333 nouveaux du code pénal, a simplement entériné la jurisprudence. 
26. La Cour constate que les faits reprochés au requérant tombent aussi sous le coup de la loi nouvelle.  Partant du principe de l'application de la loi plus douce tant pour l'incrimination que pour la répression, les juridictions nationales ont appliqué dans le domaine de la répression l'article 333 nouveau du code pénal, qui correctionnalise l'infraction reprochée à M. G., autrefois de nature criminelle (paragraphes 13 et 14 ci-dessus).  Son application, certes rétroactive, a donc été favorable au requérant. 
27. En conclusion, il n'y a pas eu violation de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention. 
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE, 
1.   Dit qu'elle n'a pas compétence pour examiner le grief tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention; 
2.   Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 septembre 1995. 
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
1 L'affaire porte le n° 29/1994/476/557.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. 
2 Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9).  Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3 Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 325-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
CHAPPELL v. THE UNITED KINGDOM JUDGMENT
CHAPPELL v. THE UNITED KINGDOM JUDGMENT
ARRÊT G. c. FRANCE
ARRÊT G. c. FRANCE


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Incompétence (grief irrecevable) ; Non-violation de l'Art. 7-1

Analyses

(Art. 5-1-c) INFRACTION PENALE, (Art. 7-1) NULLA POENA SINE LEGE, (Art. 7-1) NULLUM CRIMEN SINE LEGE, (Art. 7-1) PEINE PLUS FORTE, (Art. 7-1) RETROACTIVITE


Parties
Demandeurs : G.
Défendeurs : FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 27/09/1995
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 15312/89
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1995-09-27;15312.89 ?

Source

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