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23/10/1995 | CEDH | N°15523/89

CEDH | AFFAIRE SCHMAUTZER c. AUTRICHE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE SCHMAUTZER c. AUTRICHE
(Requête no 15523/89)
ARRÊT
STRASBOURG
23 octobre 1995 
En l'affaire Schmautzer c. Autriche 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
S.K

. Martens,
I. Foighel,
J.M. Morenilla,
Sir  John Freeland,
M.  J. Makarczyk,
ainsi qu...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE SCHMAUTZER c. AUTRICHE
(Requête no 15523/89)
ARRÊT
STRASBOURG
23 octobre 1995 
En l'affaire Schmautzer c. Autriche 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
S.K. Martens,
I. Foighel,
J.M. Morenilla,
Sir  John Freeland,
M.  J. Makarczyk,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 avril et 28 septembre 1995,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE 
1.   L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 9 septembre 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.  A son origine se trouve une requête (n° 15523/89) dirigée contre la République d'Autriche et dont un ressortissant de cet Etat, M. Peter Schmautzer, avait saisi la Commission le 26 mai 1989 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration autrichienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46).  Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. 
2.   En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance; le président l'a autorisé à assumer lui-même la défense de ses intérêts (article 30) et à employer l'allemand (article 27 par. 3). 
3.  Le 24 septembre 1994, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement A et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Umlauft, Gradinger, Pramstaller, Palaoro et Pfarrmeier c. Autriche 3.
La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A).  Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. S.K. Martens, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla, Sir John Freeland et M. J. Makarczyk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). 
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement autrichien ("le Gouvernement"), le requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).  Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, les mémoires du Gouvernement et du requérant sont parvenus au greffier les 20 et 30 janvier 1995.  Le 3 février, la Commission a fourni au greffier divers documents qu'il avait demandés sur les instructions du président. 
5.   Ainsi qu'en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 26 avril 1995, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement 
M. F. Cede, ambassadeur, chef du département
de droit international, ministère fédéral
des Affaires étrangères, agent,
Mmes I. Sieß, département constitutionnel,
chancellerie fédérale,
E. Bertagnoli, département de droit
international, ministère fédéral des
Affaires étrangères, conseillères;
- pour la Commission
M.  A. Weitzel, délégué;
- le requérant
Me  P. Schmautzer, avocat.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Weitzel, Me Schmautzer et M. Cede, ainsi qu'en la réponse à la question qu'elle a posée. 
EN FAIT 
I.   LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE 
6.   Le 30 avril 1986, M. Peter Schmautzer fit l'objet d'un contrôle par la gendarmerie alors qu'il circulait au volant de son véhicule. Il ne portait pas sa ceinture de sécurité.  Par une "décision pénale" (Straferkenntnis) du 1er juin 1987, la direction de Graz de la police fédérale (Bundespolizeidirektion) le condamna au paiement d'une amende de 300 schillings autrichiens (ATS), assortie d'une peine de vingt-quatre heures d'emprisonnement à défaut de paiement, pour non-respect de l'article III paras. 1 et 5, alinéa a), du troisième amendement à la loi sur les véhicules à moteur (Kraftfahrgesetz - paragraphe 10 ci-dessous). 
7.   Le requérant interjeta appel de cette décision auprès du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Styrie, qui confirma cette dernière le 2 février 1988, mais réduisit l'amende à 200 ATS et la peine subsidiaire à quatorze heures d'emprisonnement. 
8.   Le 6 avril 1988, l'intéressé saisit la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof).  Il dénonçait une atteinte au principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi et alléguait que sa condamnation à une peine subsidiaire par une autorité administrative qui n'est pas un tribunal "indépendant et impartial" violait les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention.  Il fit également valoir que l'obligation du port de la ceinture de sécurité constituait une ingérence dans sa vie privée, contraire à l'article 8 (art. 8) de la Convention.
Le 27 février 1989, à l'issue d'un examen à huis clos, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours (article 144 par. 2 de la Constitution fédérale - Bundes-Verfassungsgesetz - paragraphe 12 ci-dessous): eu égard à sa jurisprudence relative à l'article 6 (art. 6) de la Convention, il était dénué de chances suffisantes de succès; de plus, l'affaire n'échappait pas à la compétence de la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof).
En outre et à la demande de M. Schmautzer, elle résolut de déférer la requête à la Cour administrative. 
9.   Le 20 septembre 1989, celle-ci suspendit la procédure engagée devant elle, car le recours du requérant ne correspondait pas aux exigences de fond et de forme requises à l'article 34 par. 2 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz - paragraphe 14 ci-dessous). 
II.   LE DROIT INTERNE PERTINENT     
A. La législation sur la circulation routière 
10.   L'article III de la loi de 1976 dans sa version de 1984 portant amendement de la loi de 1967 sur les véhicules à moteur (Kraftfahrgesetz) est ainsi libellé:   
"1. Lorsque le siège d'un véhicule à moteur est équipé d'une ceinture de sécurité conformément aux exigences de la loi sur les véhicules à moteur, le conducteur ainsi que les passagers qui occupent un tel siège sont dans l'obligation de porter la ceinture de sécurité conformément à usage (bestimmungsgemäß).  (...)   
5. Toute personne ne se soumettant pas à l'obligation prévue au paragraphe 1, première phrase, 
a) en tant que conducteur d'un véhicule à moteur ou 
b) en tant que passager d'un véhicule à moteur
commet (...) une contravention administrative passible, par référé pénal (Organstrafverfügung) en application de l'article 50 de la loi administrative pénale de 1950, d'une amende de 100 ATS.  En cas de refus de paiement de l'amende (...), l'autorité peut infliger une amende allant jusqu'à 300 ATS, assortie, à défaut de paiement, d'une peine allant jusqu'à 24 heures d'emprisonnement.    
B. Le droit procédural 
11.   L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) dispose:  
"En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction du fond sont oraux et publics.  Les exceptions sont prévues par la loi."
1. Le recours devant la Cour constitutionnelle 
12.   Aux termes de l'article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien.
Le paragraphe 2 de l'article 144 prévoit:   
"Jusqu'à l'audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d'une décision (Beschluß), refuser l'examen d'un recours s'il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l'on ne peut attendre de l'arrêt qu'il résolve une question de droit constitutionnel.  La Cour ne peut refuser l'examen d'une affaire que l'article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative."
2. Le recours devant la Cour administrative 
13.  Selon l'article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif. 
14.   Aux termes de l'article 34 par. 2 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz):   
"Les requêtes qui ne se heurtent à aucune des circonstances décrites au paragraphe 1, mais qui n'ont pas respecté les conditions de forme et de contenu (paras. 23, 24, 28 et 29), doivent être ajournées sous fixation d'un bref délai pour permettre de remédier aux vices (Behebung der Mängel); le non-respect du délai équivaut à un retrait." 
15.   L'article 39 par. 1 dispose notamment qu'au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande.
Le paragraphe 2 est ainsi libellé:   
"Nonobstant la demande introduite par une partie conformément au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas tenir d'audience lorsque:
1. la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours rejeté (article 34);
2.  la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse (article 42 par. 2, alinéa 2);
3. la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'inobservation de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéa 3);
4.  selon la jurisprudence constante de la Cour administrative, la décision attaquée doit être annulée en raison de l'illégalité de son contenu;
5. ni l'autorité défenderesse ni d'autres comparants n'ont présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit être annulée;
6. il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et relatives à la procédure administrative antérieure qu'une audience n'est pas susceptible de contribuer à clarifier davantage l'affaire."
Du paragraphe 2 de l'article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982. 
16.  L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative est ainsi libellé:   
"Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l'angle des griefs soulevés (...).  Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l'une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l'un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." 
17.  L'article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée.
Aux termes du paragraphe 2 du même article:   
"La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale
1. par son contenu, [ou]
2.  en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse, [ou]
3. à cause d'un vice de procédure résultant:    
a) de ce que l'autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou    
b) de ce qu'il échet de les compléter sur un tel point, ou    
c) de ce que l'autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l'amener à prendre une décision différente." 
18.   Si la Cour administrative annule la décision incriminée, "l'administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d'assurer sans délai, dans le cas d'espèce, la situation juridique correspondant à l'opinion (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). 
19.   Dans un arrêt du 14 octobre 1987 (G 181/86), la Cour constitutionnelle a considéré:   
"De ce qu'il s'est avéré nécessaire d'étendre la réserve à l'article 5 (art. 5) de la Convention aux garanties procédurales de l'article 6 (art. 6) de celle-ci, en raison du lien entre ces deux dispositions (art. 5, art. 6), il suit qu'à l'inverse le contrôle réduit (die (bloß) nachprüfende Kontrolle) exercé par la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle ne suffit pas pour les sanctions pénales au sens de la Convention non couvertes par la réserve."
3. Les "chambres administratives indépendantes" 
20.   L'article 129 de la Constitution fédérale a institué dans les Länder, avec effet au 1er janvier 1991, des juridictions administratives appelées "chambres administratives indépendantes" (Unabhängige Verwaltungssenate).  Elles connaissent notamment, en fait comme en droit, des contraventions administratives (Verwaltungsübertretungen). 
III.   LA RÉSERVE DE L'AUTRICHE À L'ARTICLE 5 (ART. 5) DE LA CONVENTION 
21.   L'instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée:   
"Les dispositions de l'article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl.  [Journal officiel fédéral] n° 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne." 
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION 
22.   M. Schmautzer a saisi la Commission le 26 mai 1989.  Invoquant les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir eu accès, dans le cadre d'une procédure pouvant conduire à sa condamnation à une peine d'emprisonnement, à un tribunal indépendant et impartial.  Il voyait en outre dans l'obligation de porter la ceinture de sécurité une atteinte à sa vie privée contraire aux articles 8 et 14 (art. 8, art. 14) de la Convention. 
23.   Le 10 mai 1993, la Commission a retenu la requête (n° 15523/89) quant au grief soulevé sur le terrain de l'article 6 (art. 6) et l'a déclarée irrecevable pour le surplus.
Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne l'accès à un tribunal (unanimité) et estime qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant au défaut d'audience (unanimité).  Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt 4.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT 
24.   Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire.   
"que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas en l'espèce ou, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de cet article au cours de la procédure administrative pénale litigieuse". 
EN DROIT 
I.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION 
25.   Le requérant dénonce une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi libellé:   
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)"
Il aurait été privé du droit à un "tribunal" et à des audiences devant celui-ci.     
A. Sur l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
1. Existence d'une "accusation en matière pénale" 
26.   D'après M. Schmautzer, l'infraction administrative pénale retenue contre lui a donné lieu à une "accusation en matière pénale". Le Gouvernement n'en disconvient pas. 
27.   Pour déterminer le caractère pénal, au sens de la Convention, d'une infraction, il importe d'abord de savoir si le texte (art. 6-1) définissant celle-ci ressortit ou non au droit pénal dans le système juridique de l'Etat défendeur; il y a lieu d'examiner ensuite "la nature même de l'infraction" et le degré de sévérité de la sanction encourue (voir, parmi d'autres, les arrêts Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73, p. 18, par. 50, et Demicoli c. Malte du 27 août 1991, série A n° 210, pp. 15-17, paras. 31-34). 
28.   La Cour note avec la Commission que si les infractions litigieuses et les procédures appliquées en l'espèce relèvent du domaine administratif, elles n'en présentent pas moins un caractère pénal, lequel se reflète d'ailleurs dans la terminologie utilisée; ainsi parle-t-on, en droit autrichien, des infractions administratives (Verwaltungsstraftaten) et de la procédure administrative pénale (Verwaltungsstrafverfahren).  Au surplus, l'amende infligée à l'intéressé était assortie, en cas de non-paiement, d'une peine privative de liberté (paragraphe 10 ci-dessus).
Ces éléments suffisent à entraîner la qualification pénale, au sens de la Convention, du manquement imputé au requérant.  Partant, l'article 6 (art. 6) entrait en jeu.
2. La réserve de l'Autriche à l'article 5 (art. 5) de la Convention 
29.   Selon le Gouvernement, la procédure incriminée tombait sous le coup de la réserve autrichienne à l'article 5 (art. 5) de la Convention.  Il ne ferait aucun doute, en effet, qu'en désignant dans ladite réserve les "mesures de privation de liberté", le gouvernement autrichien visait aussi les procédures menant à celles-ci.  Toute autre lecture non seulement pécherait par manque de cohérence, mais surtout trahirait l'intention des autorités, lesquelles entendaient soustraire à l'emprise de la Convention tout le système administratif, y compris les dispositions de fond et de procédure du droit administratif pénal. Cela vaudrait même dans le cas où, comme en l'espèce, l'accusé ne se voit infliger qu'une amende, dès lors qu'à défaut de paiement une peine d'emprisonnement s'y substitue.
Certes, la loi de 1967 sur les véhicules à moteur ne figurerait pas parmi les quatre lois désignées par la réserve.  Toutefois, l'une d'entre elles, la loi administrative pénale, prévoirait en son article 10 que, sauf disposition contraire, les lois administratives générales détermineront la nature et le taux des peines.  Peu importerait, à cet égard, que l'article III du troisième amendement à la loi sur les véhicules à moteur appliqué en l'occurrence ait été introduit après le dépôt de la réserve puisque cette disposition ne ferait que préciser le contenu d'une obligation déjà inscrite dans cette même loi dans sa version de 1955. 
30.   D'après le requérant, la réserve en question ne peut jouer en l'espèce.  Elle méconnaîtrait d'abord les exigences de l'article 64 (art. 64) de la Convention, qui dispose:  
"1.  Tout Etat peut, au moment de la signature de la (...) Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article (art. 64).   
2.  Toute réserve émise conformément au présent article (art. 64) comporte un bref exposé de la loi en cause." Ensuite, son libellé - à interpréter stricto sensu - s'opposerait à ce qu'elle étende ses effets au domaine procédural, en question ici. 
31. La Cour rappelle que dans son arrêt Chorherr c. Autriche du 25 août 1993, elle a constaté la compatibilité de la réserve autrichienne à l'article 5 (art. 5) de la Convention avec l'article 64 (art. 64) (série A n° 266-B, p. 35, par. 21).  Il ne reste donc plus qu'à rechercher si les dispositions appliquées (art. 5, art. 64) en l'espèce tombent sous le coup de ladite réserve.  Elles se distinguent en effet sur certains points essentiels de celles en cause dans l'affaire Chorherr.
La Cour note que M. Schmautzer fonde ses griefs sur l'article 6 (art. 6) de la Convention, alors que le libellé de la réserve invoquée par le Gouvernement mentionne uniquement l'article 5 (art. 5) et se réfère explicitement aux seules mesures de privation de liberté.  En outre, la réserve n'entre en jeu que lorsqu'ont été appliquées des dispositions administratives de fond et de procédure d'une ou plusieurs des quatre lois qu'elle spécifie.  En l'espèce, toutefois, ce sont les dispositions d'une autre loi, la loi de 1967 sur les véhicules à moteur, qui ont trouvé à s'appliquer.
Ces éléments suffisent à écarter l'application en l'espèce de ladite réserve.
B. Sur l'observation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
1. Accès à un tribunal 
32.   D'après M. Schmautzer, aucun des organes saisis dans le cadre de la procédure en question ne peut passer pour un "tribunal" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).  Il en irait ainsi non seulement des autorités administratives, mais aussi de la Cour constitutionnelle, dont le contrôle se limite aux questions de droit constitutionnel, et surtout de la Cour administrative.  En effet, celle-ci se trouverait liée par les constatations de fait des autorités administratives, sauf l'hypothèse d'un vice de procédure au sens de l'article 2 par. 2, alinéa 3, de la loi sur la Cour administrative (paragraphe 17 ci-dessus).  Elle ne serait donc habilitée ni à accueillir elle-même des moyens de preuve, ni à établir les faits, ni à prendre en compte des éléments nouveaux.  De plus, en cas d'annulation d'un acte administratif, elle ne pourrait se prononcer au lieu et place de l'autorité censurée, mais devrait toujours lui renvoyer le dossier. Bref, elle exercerait uniquement un contrôle de légalité, que l'on ne saurait assimiler à un contentieux de pleine juridiction. 
33.   Le Gouvernement combat cette thèse, tandis que la Commission y souscrit en substance. 
34.   La Cour le rappelle: il faut que la décision d'une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention - comme c'est le cas en l'espèce de la direction de la police fédérale et du gouvernement du Land (paragraphes 6 et 7 ci-dessus) - subisse le contrôle ultérieur d'un "organe judiciaire de pleine juridiction" (voir notamment, mutatis mutandis, les arrêts Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A n° 58, p. 16, par. 29, Öztürk précité, pp. 21-22, par. 56, et Fischer c. Autriche du 26 avril 1995, série A n° 312, p. 17, par. 28). 
35.   Telle n'est pas la Cour constitutionnelle.  En l'occurrence, elle ne pouvait se pencher sur la procédure incriminée que du point de vue de sa conformité à la Constitution, ce qui ne lui permit pas d'examiner l'ensemble des faits de la cause.  Elle ne possédait donc pas la compétence exigée par l'article 6 par. 1 (art. 6-1). 
36.   Quant à la compétence de la Cour administrative, elle doit s'apprécier en tenant compte du fait qu'en l'espèce, elle était amenée à s'exercer dans un litige de nature pénale au sens de la Convention. Sa compatibilité avec l'article 6 par. 1 (art. 6-1) se mesure dès lors au regard des griefs soulevés devant ladite juridiction par l'intéressé, mais aussi à la lumière des caractéristiques constitutives d'un "organe judiciaire de pleine juridiction".  Or parmi celles-ci figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l'organe inférieur.  En l'absence de pareille compétence dans le chef de la Cour administrative, celle-ci ne saurait passer pour un "tribunal" au sens de la Convention.  Au demeurant, la Cour constitutionnelle a considéré, dans un arrêt du 14 octobre 1987, que pour les sanctions pénales non couvertes par la réserve à l'article 5 (art. 5), le contrôle réduit exercé par les Cours administrative ou constitutionnelle ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphe 19 ci-dessus). 
37.   Partant, le requérant n'a pas eu accès à un "tribunal".  Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) sur ce point.
2. Absence de débats 
38.   M. Schmautzer reproche ensuite à la Cour administrative de ne pas avoir tenu d'audience. 
39.   Vu la conclusion figurant au paragraphe 37 ci-dessus, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner ce grief. 
II.   SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION 
40.   Aux termes de l'article 50 (art. 50) de la Convention,  
"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." 
41.   Le délégué de la Commission s'en remet à la sagesse de la Cour pour la détermination de la satisfaction équitable.     
A. Dommage 
42.   Pour préjudice matériel, le requérant sollicite le remboursement de l'amende qui lui a été infligée, soit 200 ATS. 
43.   D'après le Gouvernement, la Cour n'a pas compétence pour annuler les condamnations prononcées par les juridictions nationales et ordonner le remboursement des amendes.  En outre, elle ne saurait accorder une réparation en spéculant sur l'issue de la procédure au cas où l'intéressé aurait eu accès à un tribunal au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. 
44.   La Cour marque son accord: elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure litigieuse aurait abouti si l'infraction à la Convention n'avait pas eu lieu (arrêts Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A n° 154, p. 24, par. 57, Saïdi c. France du 20 septembre 1993, série A n° 261-C, p. 58, par. 49, et Fischer précité, p. 21, par. 47).  Elle considère que, dans les circonstances de la cause, le présent arrêt fournit à l'intéressé une compensation suffisante.     
B. Frais et dépens 
45.   M. Schmautzer réclame en outre la somme de 111 217 ATS pour les frais et dépens exposés lors des procédures menées devant les juridictions internes puis les organes de la Convention. 
46.   Le Gouvernement estime que seules pourraient être prises en compte les procédures menées devant la Cour administrative - où les violations alléguées auraient été commises - et à Strasbourg.  Il conteste en outre le montant des frais, mais accepte un remboursement global à hauteur de 54 900 ATS. 
47.   Statuant en équité sur la base des éléments en sa possession et de sa propre jurisprudence en la matière, la Cour accorde 70 000 ATS à M. Schmautzer. 
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE, 
1.   Dit que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s'applique en l'espèce; 
2.   Dit qu'il y a eu violation de cet article (art. 6-1) quant à l'accès à un tribunal; 
3.   Dit qu'il ne s'impose pas d'examiner le grief tiré de l'absence d'audience devant la Cour administrative;
4.   Dit que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 70 000 (soixante-dix mille) schillings autrichiens pour frais et dépens;
5.   Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 23 octobre 1995. 
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement A, l'exposé de l'opinion séparée de M. Martens. 
R. R.
H. P.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE MARTENS
(Traduction)
1.   Je souscris au constat de violation de l'article 6 (art. 6) fait par la Cour, mais ne suis pas d'accord avec le raisonnement suivi. 
2.   Mes objections concernent le paragraphe 36 qui, dans l'arrêt, commence par la phrase:   
"Quant à la compétence de la Cour administrative, elle doit s'apprécier en tenant compte du fait qu'en l'espèce, elle était amenée à s'exercer dans un litige de nature pénale au sens de la Convention." 
3.   Je m'abstiendrai de critiquer la structure de ce paragraphe. Je ne puis cependant m'empêcher de relever qu'une fois encore, la Cour estime nécessaire de remarquer que, pour rechercher si la Cour administrative doit être qualifiée de juridiction offrant les garanties de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), la "compatibilité (...) se mesure (...) au regard des griefs soulevés devant ladite juridiction".  On cherche vainement la mise en pratique de ce principe méthodologique: on ne trouve en effet ni analyse de la thèse développée par le requérant devant la Cour administrative, ni trace de "mesure" de ces arguments lorsque la Cour évalue le caractère satisfaisant de la compétence de la Cour administrative.  Pour le reste, je renvoie aux objections d'ordre méthodologique que j'ai déjà exposées à l'encontre de ce "critère" au paragraphe 18 de mon opinion séparée dans l'affaire Fischer c. Autriche (arrêt du 26 avril 1995, série A n° 312). 
4.   La raison principale de mon opposition à ce paragraphe est la suivante.  Dans les trois affaires civiles examinées dans mon opinion séparée susmentionnée, la Cour a jugé que la Cour administrative autrichienne réunissait les conditions nécessaires à un tribunal au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).  Or dans le paragraphe en cause ici, elle parvient à la conclusion opposée en soulignant qu'en l'espèce, la compétence de la Cour administrative s'exerçait au pénal. On ne peut qu'en déduire que, selon la Cour, dans une affaire de caractère "administratif" en droit interne, mais "pénal" au regard de la Convention, les garanties offertes par le tribunal qui doit contrôler la décision ultime rendue par les instances administratives diffèrent de celles exigées pour une affaire "administrative" en droit interne, mais "civile" au sens de la Convention.  Je ne vois rien qui justifierait pareille distinction, laquelle ne trouve pas non plus appui dans le libellé ni l'objet de l'article 6 (art. 6) 5.  La Cour n'avance d'ailleurs pas de justification, sa décision sur ce point crucial étant dépourvue de toute argumentation, ce qui est d'autant plus regrettable que cette différenciation est contraire à sa jurisprudence 6.
1 L'affaire porte le n° 31/1994/478/560.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. 
2 Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9).  Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3 Affaires nos 32/1994/479/561, 33/1994/480/562, 35/1994/482/564, 36/1994/483/565 et 37/1994/484/566.
4 Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 328-A de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.
5 Je renvoie à cet égard à la note 62 de mon opinion séparée dans l'affaire Fischer c. Autriche.
6 Voir notamment l'arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A n° 43, pp. 23-24, par. 53, et l'arrêt Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A n° 58, p. 17, par. 30; voir également l'arrêt Diennet c. France du 26 septembre 1995, série A n° 325-A, pp. 13-14, par. 28.
ARRÊT SCHMAUTZER c. AUTRICHE
ARRÊT SCHMAUTZER c. AUTRICHE
ARRÊT SCHMAUTZER c. AUTRICHE
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE MARTENS
ARRÊT SCHMAUTZER c. AUTRICHE
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE MARTENS


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 15523/89
Date de la décision : 23/10/1995
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 (accès) ; Non-lieu à examiner l'art. 6-1 (publiquement) ; Dommage matériel - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 57) DISPOSITION PARTICULIERE DE LA CONVENTION, (Art. 57) LOI ALORS EN VIGUEUR, (Art. 57) RESERVES, (Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : SCHMAUTZER
Défendeurs : AUTRICHE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1995-10-23;15523.89 ?

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