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24/10/1995 | CEDH | N°16462/90

CEDH | AFFAIRE IRIBARNE PÉREZ c. FRANCE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE IRIBARNE PÉREZ c. FRANCE
(Requête no 16462/90)
ARRÊT
STRASBOURG
24 octobre 1995 
En l'affaire Iribarne Pérez c. France 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
L.-E. Pettiti,
R. Pekkanen,

M.A. Lopes Rocha,
G. Mifsud Bonnici,
P. Jambrek,
P. Kuris,
U. Lohmus, 
ainsi que d...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE IRIBARNE PÉREZ c. FRANCE
(Requête no 16462/90)
ARRÊT
STRASBOURG
24 octobre 1995 
En l'affaire Iribarne Pérez c. France 1,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
L.-E. Pettiti,
R. Pekkanen,
M.A. Lopes Rocha,
G. Mifsud Bonnici,
P. Jambrek,
P. Kuris,
U. Lohmus, 
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 mai et 29 septembre 1995,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE 
1.   L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 9 septembre 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.  A son origine se trouve une requête (n° 16462/90) dirigée contre la République française et dont un ressortissant espagnol, M. Francisco Iribarne Pérez, avait saisi la Commission le 18 mars 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46).  Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. 
2.   En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).  Le 7 novembre 1994, le président de la Cour a autorisé ce dernier à employer la langue espagnole pendant la procédure (article 27 par. 3).  Le 24 février 1995, il a accordé l'assistance judiciaire au requérant (article 4 de l'addendum au règlement A). 
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A).  Le 24 septembre 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. N. Valticos, R. Pekkanen, M.A. Lopes Rocha, G. Mifsud Bonnici, P. Jambrek, P. Kuris et U. Lohmus, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43).  Par la suite, M. R. Bernhardt, suppléant, a remplacé M. Valticos, empêché (articles 22 paras. 1 et 2, et 24 par. 1 du règlement A). 
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).  Le mémoire du requérant et sa demande relative aux frais et dépens sont parvenus au greffe respectivement les 25 et 30 janvier 1995, et le mémoire du Gouvernement le 1er février.  Le 13 mars 1995, la Commission a fourni au greffier divers documents qu'il avait demandés sur les instructions du président.  Le 22 mars 1995, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué n'entendait pas formuler d'observations écrites. 
5.   Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 22 mai 1995, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement   
Mlle M. Picard, magistrat détaché  
à la direction des affaires juridiques  
du ministère des Affaires étrangères, agent,
M. G. Bitti, chargé de mission  
au service des affaires européennes  
et internationales du ministère de la Justice, conseil;
- pour la Commission   
M. H. Danelius, délégué;
- pour le requérant   
Me J.J. Rico Iribarne, avocat, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Danelius, Me Rico Iribarne et Mlle Picard. 
EN FAIT 
I.   LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE 
6.   Ressortissant espagnol, M. Francisco Iribarne Pérez résida en Andorre entre 1981 et 1985.  Il est actuellement domicilié en Espagne.
A. La procédure en Andorre 
7.   Le 7 juillet 1985, la police de la Principauté arrêta le requérant après qu'une certaine quantité de drogue et une arme à feu notamment furent découvertes à son domicile lors d'une perquisition, et le plaça en garde à vue durant quatre jours.  Deux autres personnes furent appréhendées dans le cadre de la même procédure.
Les intéressés furent poursuivis pour les délits d'introduction de stupéfiants en Andorre et de trafic de stupéfiants ainsi que pour celui de détention illégale d'une arme à feu. 
8.   Durant le procès, M. Iribarne Pérez affirma que ses aveux et ceux des deux autres inculpés avaient été obtenus sous la contrainte. Il aurait en outre plaidé que sa participation aux faits délictueux visait à permettre l'arrestation de trafiquants recherchés par la garde civile espagnole. 
9.   Le 26 novembre 1985, le Tribunal des Corts rendit le jugement suivant:   
[Le Tribunal des Corts] déclare condamner Francesc Iribarne Pérez, auteur responsable du délit d'introduction, de détention et de trafic de substances toxiques et de stupéfiants et du délit de détention illicite d'une arme à feu, à une peine de douze ans de prison; (...) [déclare] condamner tous les accusés à l'expulsion de la Principauté et au paiement des frais de justice; pour l'exécution de la peine principale, il sera fait déduction du temps de détention déjà accompli par les condamnés en raison de la présente cause.   
En décide ainsi par jugement définitif."
Ce jugement fut notifié à M. Iribarne Pérez le 2 décembre 1985 en présence de son avocat. 
10.   Dans son rapport, la Commission relève en outre qu'à l'issue de deux autres procédures le Tribunal des Corts condamna le requérant à un an de prison pour corruption de fonctionnaire et à six mois de prison pour tentative d'évasion, et que l'intéressé affirme que ces jugements - dont la date n'est pas déterminée - ne lui furent jamais notifiés.
B. La procédure en France 
11.   Ayant choisi de purger sa peine en France, M. Iribarne Pérez fut écroué à la maison d'arrêt de Toulouse le 17 décembre 1985.
Le 16 mars 1986, il tenta de s'évader et fut condamné de ce chef, le 17 juin 1987, par le tribunal correctionnel de Toulouse, à dix mois d'emprisonnement.
Il séjourna au centre pénitentiaire de Fresnes du 11 avril 1986 au 12 janvier 1987, puis au centre de détention de Muret. 
12.   Le 28 janvier 1990, le requérant déposa un mémoire auprès du procureur de la République de Toulouse, dans lequel il se plaignait de la procédure dont il avait fait l'objet en Andorre et de sa détention en France.
Le procureur y répondit par une lettre au directeur du centre de détention de Muret, datée du 6 mars 1990 et notifiée à l'intéressé le 12 mars:   
"Je vous prie de bien vouloir notifier au détenu Iribarne Pérez Francisco, écrou 4724, qu'il lui appartient d'adresser sa supplique au président du Tribunal des Corts, seul compétent puisque le jugement de la condamnation qu'il purge a été prononcé par cette juridiction.    Vous voudrez bien lui notifier que sa requête du 28 janvier 1990 est classée sans suite." 
13.   Le 14 janvier 1993, M. Iribarne Pérez déposa auprès de la Cour de cassation une plainte avec constitution de partie civile contre le procureur de la République de Toulouse, pour détention arbitraire et déni de justice: ce dernier n'aurait pas respecté à son égard les prescriptions des articles 713-1 et suivants du code de procédure pénale relatifs au transfèrement en France de personnes condamnées à l'étranger et ne l'aurait pas même informé de l'existence de ces dispositions. 
14.  Le 30 mars 1993, le ministre de la Justice envoya au procureur général près la cour d'appel de Toulouse la lettre suivante:   
"Le 9 mars 1993, vous avez bien voulu me transmettre un courrier de Monsieur Iribarne Pérez Francisco qui conteste la procédure qui l'a conduit à exécuter sa peine en France.   
J'ai l'honneur de vous informer des éléments suivants.   
Francisco Iribarne Pérez a choisi, comme l'y autorise l'article 210 du décret de procédure pénale andorran du 10 avril 1976, d'exécuter sa peine dans les prisons françaises. Aucune faculté de rétraction de ce choix n'est prévue par ce texte.   
Les transfèrements mis en oeuvre dans le cadre de la Convention précitée du 21 mars 1983 s'entendent comme s'opérant d'un Etat 'de condamnation' vers un Etat 'd'exécution de la peine'.   
Au regard de la situation pénitentiaire du requérant, l'Etat français est bien l'Etat d'exécution de sa peine prononcée en Andorre et aucune disposition de la Convention ne prévoit de possibilité de transfèrement d'un Etat d'exécution vers un autre Etat d'exécution.   
J'ajoute qu'en tout état de cause, Andorre ne saurait même avoir qualité d'Etat de condamnation, le statut juridique d'Etat ne lui étant pas reconnu.   
Il est à noter que les relations entre la France et Andorre en matière d'exécution des peines de prison ne sont pas uniques en leur genre et se rapprochent de la Convention de voisinage entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963.   
Pour ce qui est de l'application des articles 713-1 et suivants du code de procédure pénale, relatifs au transfèrement en France des personnes condamnées et détenues à l'étranger, ces dispositions, en l'espèce, n'ont pas vocation à s'appliquer, Andorre n'étant pas considérée comme un sujet de droit international et donc comme une juridiction étrangère au sens de l'article 713-1." 
15.   Le requérant fut libéré le 13 août 1994 puis expulsé du territoire français. 
II.  LE DROIT FRANÇAIS PERTINENT 
16.  Le transfèrement en France d'une personne condamnée à l'étranger obéit aux dispositions suivantes du code de procédure pénale (loi n° 84-1150 du 21 décembre 1984):
Article 713-1
"Lorsque, en application d'une convention ou d'un accord internationaux, une personne détenue en exécution d'une condamnation prononcée par une juridiction étrangère est transférée sur le territoire français pour y accomplir la partie de la peine restant à subir, l'exécution de la peine est poursuivie conformément aux dispositions du présent code, et notamment des articles 713-2 à 713-6."
Article 713-2
"Dès son arrivée sur le sol français, le condamné détenu est présenté au procureur de la République du lieu d'arrivée, qui procède à son interrogatoire d'identité et en dresse procès-verbal.  Toutefois, si l'interrogatoire ne peut être immédiat, le condamné est conduit à la maison d'arrêt où il ne peut être détenu plus de vingt-quatre heures.  A l'expiration de ce délai, il est conduit d'office devant le procureur de la République, par les soins du surveillant-chef [depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 87-432 du 22 juin 1987, il s'agit du chef d'établissement].   
Au vu des pièces constatant l'accord des Etats sur le transfèrement et le consentement de l'intéressé ainsi que de l'original ou d'une expédition du jugement étranger de condamnation, accompagnés, le cas échéant, d'une traduction officielle, le procureur de la République requiert l'incarcération immédiate du condamné."
Article 713-3
"La peine prononcée à l'étranger est, par l'effet de la convention ou de l'accord internationaux, directement et immédiatement exécutoire sur le territoire national pour la partie qui restait à subir dans l'Etat étranger.
Toutefois, lorsque la peine prononcée est, par sa nature ou sa durée, plus rigoureuse que la peine prévue par la loi française pour les mêmes faits, le tribunal correctionnel du lieu de détention, saisi par le procureur de la République ou le condamné, lui substitue la peine qui correspond le plus en droit français ou réduit cette peine au maximum légalement applicable.  Il détermine en conséquence, suivant les cas, la nature et, dans la limite de la partie qui restait à subir dans l'Etat étranger, la durée de la peine à exécuter."
Article 713-4
"Le tribunal statue en audience publique, après avoir entendu le ministère public, le condamné et, le cas échéant, le conseil choisi par lui ou commis d'office sur sa demande.  Le jugement est immédiatement exécutoire nonobstant appel."
Article 713-5
"Les délais de transfèrement s'imputent intégralement sur la durée de la peine qui est mise à exécution en France."
Article 713-6
"Tous incidents contentieux relatifs à l'exécution de la peine privative de liberté restant à subir en France sont portés devant le tribunal correctionnel du lieu de détention.   
Les dispositions de l'article 711 du présent code sont applicables."
Article 713-7
"L'application de la peine est régie par les dispositions du présent code."
Article 713-8
"Aucune poursuite pénale ne peut être exercée ou continuée et aucune condamnation ne peut être exécutée à raison des mêmes faits contre le condamné qui exécute en France, en application d'une convention ou d'un accord internationaux, une peine privative de liberté prononcée par une juridiction étrangère." 
III.  LE SYSTÈME JUDICIAIRE ANDORRAN 
17.  La Constitution de la Principauté d'Andorre, en vigueur depuis le 4 mai 1993, et la loi qualifiée sur la justice, du 3 septembre 1993, ont profondément modifié le système judiciaire andorran.
A. Avant la réforme de 1993 
18.   Dans l'arrêt Drozd et Janousek c. France et Espagne du 26 juin 1992 (série A n° 240, pp. 17-21, paras. 46-66) la Cour a ainsi décrit le système judiciaire andorran antérieur à la réforme de 1993:  
"46. Sauf le tribunal de Visura, qui règle les conflits de voisinage et relève du Conseil général, les juridictions andorranes ont leur base légale dans le 'droit de justice' historique des coprinces et dépendent donc directement de ces derniers.    Leurs membres sont toujours de nationalité andorrane au niveau inférieur et souvent d'origine étrangère à l'échelon supérieur, en raison de l'exiguïté de la Principauté et du souci de préserver l'indépendance des intéressés.
47. En règle générale, les nominations incombent aux coprinces.    Le choix du coprince français se porte traditionnellement sur des magistrats français, honoraires ou détachés par le ministère de la Justice, et tient compte de la compétence personnelle, de la connaissance du droit andorran et de la langue catalane ainsi que de la compréhension de l'espagnol.    Celui du coprince épiscopal retient comme critères la compétence, l'indépendance, l'absence d'intérêts personnels en Andorre et la disponibilité, les fonctions de magistrat en Espagne étant incompatibles avec celles de juge en Andorre, même à temps partiel et pour une durée déterminée. 
1. La justice pénale
48. Un décret des viguiers [représentants directs en Andorre des deux coprinces, le président de la République française et l'évêque d'Urgel], du 30 décembre 1975, a jeté les bases d'une nouvelle justice pénale, en prévoyant notamment l'intervention d'avocats et l'institution d'un ministère public; il a été suivi d'un décret de procédure pénale du 10 avril 1976.  Fondé sur les décrets des viguiers et le droit coutumier, un code de procédure pénale a été promulgué en 1984 et amendé le 16 février 1989.
a) Les institutions
i. Les bayles
49. Juges de première instance en matière pénale et civile, les bayles (batlles) s'acquittent aussi d'autres tâches.  Ils mènent l'instruction après l'accomplissement d'une infraction, veillent à l'exécution des décisions judiciaires rendues en Andorre et siègent comme assesseurs - sans voix délibérative - au Tribunal des Corts (paragraphe 52 ci-dessous).   
Depuis le décret des viguiers du 6 août 1977, leur nombre s'élève à quatre.  Le viguier français et le coprince épiscopal en désignent chacun deux, sur une liste de sept noms dressée par le Conseil général des Vallées.  Les intéressés doivent posséder la nationalité andorrane.
ii. Le tribunal des délits mineurs
50. Institué par les coprinces en 1988, le tribunal des délits mineurs examine en premier ressort les affaires pénales de peu de gravité.  Ses jugements peuvent donner lieu à un appel devant le Tribunal des Corts.
iii. Le Tribunal des Corts
51. Jusqu'au 15 octobre 1990, le Tribunal des Corts constituait la juridiction pénale suprême.  Il 'connaît (...) de toutes les causes pour les délits commis sur le territoire des Vallées, sans différences ni distinctions de personnes, et pour les délits commis par les Andorrans à l'étranger' (article 2 du code andorran de procédure pénale).  Il statue aussi sur les appels formés contre les jugements des bayles.
52. Le Tribunal comprend trois membres: le juge des appellations et les deux viguiers.   
Le juge des appellations, qui préside, dirige les débats et rédige l'arrêt en qualité de rapporteur.  Il se prononce seul sur les recours exercés en matière de détention provisoire. Magistrat français ou espagnol nommé pour cinq ans à tour de rôle par chaque coprince, il doit connaître le droit de la Principauté et la langue officielle de celle-ci, le catalan.   
Les viguiers (...) ont le pouvoir de siéger mais renoncent en général à s'en prévaloir.  Le viguier français - un diplomate désigné par le coprince français pour une durée indéterminée - se fait depuis 1981 remplacer par un magistrat français, honoraire ou détaché par le ministre de la Justice; quant au viguier épiscopal, il n'a plus siégé depuis le 22 avril 1988 et délègue désormais ses fonctions à un magistrat espagnol (...). Les viguiers ou leurs suppléants n'ont pas l'obligation d'être andorrans et juristes, mais doivent parler le catalan.  Ils sont assistés de deux bayles, de deux notaires faisant fonction de greffiers, d'un huissier et de deux rahonadors, membres du Conseil général des Vallées délégués par ce dernier.
53. La charge du ministère public incombe à un fiscal general et à un fiscal general adjoint, choisis pour cinq ans par celui des coprinces qui n'a pas nommé le juge des appellations.
iv. Le Tribunal supérieur des Corts
54.   Par un décret du 12 juillet 1990 - en voie de préparation depuis 1981 -, les viguiers ont créé une nouvelle juridiction, le Tribunal supérieur des Corts, qui se compose de quatre magistrats désignés pour cinq ans par les coprinces et se prononce sur les recours en 'supplication' formés contre les arrêts du Tribunal des Corts.   
Le lendemain, ils ont adopté un autre décret relatif à la procédure, comportant des dispositions transitoires ainsi libellées: 
'1. Les condamnés qui, avant l'entrée en vigueur du présent décret, doivent exécuter ou (...) sont en train d'exécuter des peines privatives de liberté en vertu d'arrêts du Tribunal des Corts pourront former un recours en 'supplication' contre ceux-ci devant le Tribunal supérieur, dans le délai de deux mois à partir de l'entrée en vigueur du présent décret.
2. Le présent décret entrera en vigueur le 15 octobre 1990.'
b) L'exécution des peines
55. L'article 234 du code andorran de procédure pénale prévoit deux régimes distincts pour l'exécution des peines privatives de liberté infligées en Andorre: le condamné subit sa peine dans un centre pénitentiaire de la Principauté si sa durée n'atteint pas trois mois, dans un établissement français ou espagnol s'il en va autrement.
i. Le choix du pays de détention
56. Dans la seconde hypothèse, le choix entre la France et l'Espagne relève de l'intéressé.  Il revêt un caractère définitif et implique l'acceptation tacite du régime pénitentiaire du pays retenu.  Il trouve son origine dans le droit coutumier, traditionnellement appliqué depuis le XIIe siècle.
De 1979 à 1989, 32 condamnés ont demandé leur transfèrement en France et 134 en Espagne.  En 1990 et 1991 les prisons françaises n'ont accueilli aucun détenu en provenance d'Andorre.
ii. Le régime français
57.  Si, comme en l'espèce, le condamné opte pour la France, l'exécution de sa peine obéit aux dispositions du code français de procédure pénale (circulaire du ministre de la Justice, du 8 février 1983).  Comme toute personne condamnée à l'étranger et transférée en France, il peut - selon le Gouvernement - bénéficier de réductions de peine, de permissions de sortie ou de la semi-liberté au même titre et dans les mêmes conditions que les détenus condamnés par une juridiction française (article D.505 du code de procédure pénale).
58.  Le juge de l'application des peines a seul compétence pour admettre le détenu au bénéfice de la libération conditionnelle ou - sans dépasser le plafond légal - d'une réduction de peine.   
Quand la période de détention excède trois ans, l'octroi d'une libération conditionnelle dépend du ministre de la Justice, lequel doit obtenir au préalable l'accord du Tribunal des Corts (article 253 du code andorran de procédure pénale).
59. Aux termes de l'article 710 du code français de procédure pénale, les incidents contentieux relatifs à l'exécution des peines sont portés devant la juridiction qui a prononcé la sentence, à savoir en l'occurrence celle d'Andorre.
iii.  La grâce
60. Une grâce individuelle ne peut être accordée que par les deux coprinces agissant de concert.
61.  Quant aux grâces collectives, elles ne profitent pas aux détenus condamnés par des juridictions andorranes et purgeant leur peine en France: un décret du président de la République française, de 1985, excluait expressément ces derniers.  Les décrets présidentiels des 17 juin 1988 et 13 juin 1989, eux, autorisaient la mise en jeu de la grâce si les conventions internationales ratifiées par la France le permettaient, mais aucun arrangement particulier n'existe en la matière avec la Principauté.
iv. L'amnistie
62. Seules les autorités andorranes ont compétence pour décider une amnistie.  En outre, le Tribunal des Corts peut rectifier sa propre sentence en allégeant la peine et accorder, sous l'expression de 'liberté provisoire', une véritable libération conditionnelle.
2. La justice civile
63. En matière civile, il existe trois degrés de juridiction.
64. Les bayles (paragraphe 49 ci-dessus) ont, comme dans le domaine pénal, compétence en première instance.
65. Le juge des appellations (paragraphe 52 ci-dessus) connaît des recours formés contre les décisions des bayles.
66. Statuant en dernier ressort, le Tribunal supérieur d'Andorre comporte deux 'sénats': le tribunal supérieur de Perpignan et le tribunal supérieur de la Mitre.   
Le premier comprend deux membres de droit (le président du tribunal de grande instance de Perpignan et le viguier français, lequel ne siège plus depuis plusieurs années) et deux membres désignés pour quatre ans par le coprince français (un avocat au barreau de Perpignan et une personne connaissant la langue et les usages andorrans).  Il n'applique pas le droit français et ne suit pas la procédure française; en particulier, il échappe au contrôle de la Cour de cassation.   
Le second se compose d'un président, d'un vice-président et de quatre juges (vocals), nommés par le coprince épiscopal.   
Les deux 'sénats' ont leurs sièges respectifs à Perpignan et à Urgel, mais ils exercent leurs fonctions en Andorre." 
19.  Depuis 1992, les prisons françaises n'ont accueilli qu'un seul détenu en provenance d'Andorre.
B. Depuis la réforme de 1993 
20.   Dans leur rapport du 27 mai 1994 sur la législation de la Principauté d'Andorre, que le Bureau de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe les avait chargés d'élaborer conjointement (addendum III au Document 7080), M. Manuel Antonio Lopes Rocha, juge à la Cour européenne des Droits de l'Homme, et M. Jean-Claude Geus, membre de la Commission européenne des Droits de l'Homme, font les observations suivantes:
"VII.  Les institutions judiciaires
1.  La Constitution et la loi qualifiée sur la justice ont opéré une réforme fondamentale de la justice andorrane.  Le système décrit par la Cour européenne des Droits de l'Homme aux paragraphes 46 à 54 et 63 à 66 de son arrêt Drozd et Janousek du 26 juin 1992 (série A n° 240) est donc révolu.   
Actuellement, la juridiction de première instance est la Batllia ou tribunal des batlles et les batlles eux-mêmes, compétents en matière pénale, civile et administrative.  Les batlles siègent comme juridiction unipersonnelle en matière pénale pour les contraventions, en matière civile pour les procédures relatives à une instance d'un montant minime, et en matière administrative pour les affaires relatives au contentieux de la sécurité sociale.  Dans les autres cas, le tribunal des batlles siège à trois membres ou en assemblée.   
Le Tribunal des Corts juge, en première instance, les délits majeurs, et en appel les contraventions et les délits mineurs.   
Quant au Tribunal supérieur d'Andorre, il est compétent pour juger tous les recours introduits contre les décisions judiciaires rendues par la Batllia en matière civile et administrative, et par le Tribunal des Corts en matière pénale.   
Tous les juges sont nommés pour un mandat renouvelable de six ans par le Conseil supérieur de la justice.  Pendant la durée de leur mandat, ils sont inamovibles.  La fonction de juge est incompatible avec toute charge publique et l'exercice d'une activité professionnelle.   
En vertu de l'article 86, paragraphe 3, de la constitution, le jugement pénal est rendu par une autorité judiciaire autre que celle qui a dirigé l'instruction.   
Le ministère public forme un corps distinct, doté d'un statut semblable à celui des juges.  Le pouvoir politique ne peut adresser d'injonction à ses membres.   
Le Conseil supérieur de la justice est composé de cinq membres désignés, un par chaque coprince, un par le Syndic général [qui préside le Consell General, organe détenant le pouvoir législatif et dont les membres sont élus au suffrage universel], un par le chef de gouvernement, et un par les juges.  Leur mandat de six ans n'est pas renouvelable.  Le Conseil supérieur nomme les juges et, sur proposition du gouvernement, le procureur général et les procureurs adjoints. Il exerce le pouvoir disciplinaire et, de manière générale, administre la justice.  Il n'y a donc pas de ministre de la Justice à Andorre.   
Le Conseil supérieur de la justice a également pour mission de garantir l'indépendance de la justice andorrane qui, jadis, dépendait des coprinces.  Ceux-ci ne pouvaient cependant exercer d'influence sur les juges en raison de la personnalité de ces derniers.
2. L'organisation judiciaire, ainsi succinctement décrite, n'appelle pas de critique de notre part.  Nous estimons que la durée limitée du mandat des juges n'est pas de nature à compromettre leur indépendance.  En effet, la composition du Conseil supérieur de la justice et la difficulté de remplacer les magistrats, qui conduira au renouvellement presque automatique des mandats, paraissent offrir des garanties suffisantes à cet égard.   
Il convient de noter par ailleurs que l'Etat assume la responsabilité des dommages résultant d'une erreur judiciaire ou du fonctionnement anormal de la justice.
VIII.  Le Tribunal constitutionnel   
Le Tribunal constitutionnel occupe, dans la Constitution, une place distincte du pouvoir judiciaire.  Il est composé de quatre magistrats, désignés un par chaque coprince et deux par le Conseil général.  Leur mandat est de huit ans et n'est pas immédiatement renouvelable.   
Il connaît des recours en inconstitutionnalité des lois, des demandes d'avis préalable sur la conformité des lois et des traités internationaux à la Constitution, des procédures de protection constitutionnelle (recours d'empara), et des conflits de compétences entre autorités publiques.  Il est également saisi des questions préjudicielles que lui adressent les tribunaux.   
Le recours d'empara a volontairement été limité aux actes des pouvoirs publics qui lèsent des droits fondamentaux, afin que le tribunal constitutionnel ne soit pas engorgé de recours, et éviter l'accroissement de la durée des procédures qui pourrait en résulter.  Le constituant andorran a ainsi entendu tirer les conséquences de l'expérience espagnole du recours d'amparo." 
IV.   LE STATUT INTERNATIONAL D'ANDORRE
A. A l'époque des faits 
21.   Dans l'arrêt Drozd et Janousek, la Cour fait la description suivante du "statut" international d'Andorre (pp. 21-23, paras. 67-74):
"67. La Principauté d'Andorre a en droit international public un "statut" qui frappe par son originalité et son ambiguïté, au point qu'elle passe souvent pour une entité sui generis.   
La pratique suivie ces dernières années laisse désormais conclure à l'existence d'un consensus entre les coprinces pour se considérer comme égaux dans l'exercice des compétences internationales d'Andorre.  Celle-ci a noué en la matière un certain nombre de relations aussi bien bilatérales que multilatérales.
A. Les relations bilatérales 
1. Les relations avec la France
68. Les relations entre Andorre et la France ne correspondent pas au modèle des rapports entre Etats souverains et n'ont jamais pris la forme d'accords internationaux, le coprince français étant président de la République française et le gouvernement de celle-ci ayant toujours refusé de reconnaître un caractère étatique à la Principauté.  Elles revêtent différentes modalités: actes unilatéraux français, tels que la création d'écoles françaises; arrangements administratifs, par exemple pour la sécurité sociale, les réseaux téléphoniques ou les régimes douaniers; rapports de fait, résultant tantôt de la coutume (il en va ainsi de l'exécution de certaines peines hors de la Principauté - paragraphes 55-62 ci-dessus), tantôt de la pratique administrative ou judiciaire (non soumises à l'exequatur, les décisions judiciaires andorranes possèdent en France l'autorité de la chose jugée).   
Par ailleurs, le gouvernement français met à la disposition d'Andorre une unité de la gendarmerie nationale.   
Enfin, la France n'a pas de consulat dans la Principauté; ses ressortissants y dépendent de la préfecture des Pyrénées-Orientales. 
2. Les relations avec l'Espagne
69. Les relations entre Andorre et l'Espagne obéissent à un schéma analogue.  Elles se manifestent par des actes unilatéraux espagnols, comme le décret royal du 10 octobre 1922 fixant le régime commercial entre la Principauté et le Royaume, et par des arrangements bilatéraux, tels les accords de type administratif en matière de sécurité sociale.   
Le gouvernement espagnol offre certains services à la Mitre. Ainsi, une unité de la garde civile stationne en Andorre: ses membres ne relèvent plus de leur administration d'origine et le viguier épiscopal peut s'opposer efficacement à leur nomination et à leur présence; les autorités espagnoles prennent en charge les soldes tandis que le budget andorran supporte les frais d'équipement et de fonctionnement liés aux activités administratives, notamment consulaires.   
Il n'existe pas de consulat d'Espagne en Andorre, le viguier épiscopal jouant de facto le rôle de consul pour les Espagnols. 
3. Les relations avec des Etats autres que la France et l'Espagne
70. La Principauté n'entretient de relations diplomatiques avec aucun Etat.   
En revanche, elle a noué des rapports consulaires avec les huit pays suivants: Allemagne, Argentine, Belgique, Etats-Unis d'Amérique, Italie, Royaume-Uni, Suisse et Venezuela.  Elle n'a pourtant pas de représentation consulaire propre, ses nationaux bénéficiant en la matière de la protection des autorités françaises et espagnoles.
B. Les relations multilatérales 
1. Les organisations internationales
71.  Andorre n'est membre d'aucune organisation internationale intergouvernementale.   
Les 15-18 octobre 1990, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a 'demandé au Secrétaire Général de prendre contact avec les deux coprinces pour définir les domaines susceptibles de se prêter à une coopération entre le Conseil de l'Europe et la Principauté d'Andorre'.  Il donnait ainsi une 'réponse intérimaire' à la Recommandation 1127 (1990) relative à la Principauté d'Andorre, adoptée le 11 mai 1990 par l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe. 
2. Les conventions internationales
72.  Andorre a adhéré à deux accords internationaux: la Convention universelle sur les droits d'auteur (Genève, 1952) et la Convention sur la protection des biens culturels en cas de conflits armés (La Haye, 1954).
3. Les conférences internationales
73. Depuis la Conférence universelle sur les droits d'auteur (Genève, 1952), Andorre participe régulièrement aux sessions de l'UNESCO.  Elle a aussi envoyé une délégation à trois conférences: protection des biens culturels en cas de conflits armés (La Haye, 1954), révision de la Conférence universelle sur les droits d'auteur (Paris, 1971) et protection des phonogrammes (Genève, 1971).   
Depuis 1973 et sur ordre des coprinces, les viguiers désignent ensemble les représentants de la Principauté à ces réunions.  Quatre membres du Conseil général des Vallées accompagnent désormais lesdits représentants.  Le chef du gouvernement est le porte-parole de la délégation. 
4. Les Communautés européennes
74.  Pendant plusieurs décennies la Principauté n'a pas fait partie du territoire douanier communautaire.   
Le 20 mars 1989, le Conseil des Communautés européennes a adopté une directive invitant la Commission de Bruxelles à négocier avec Andorre un accord en vue de la création d'une union douanière pour les produits industriels.    Intervenu le 28 juin 1990 sous la forme d'un échange de lettres, l'accord en question est entré en vigueur le 1er janvier 1991.  La lettre de la Principauté porte la signature des représentants des coprinces et celle du chef du gouvernement."
B. Postérieurement aux faits 
22.  Depuis lors, le "statut" international d'Andorre a considérablement évolué.  La Constitution du 4 mai 1993 définit Andorre comme "un Etat de droit, indépendant, démocratique et social" (article 1 par. 1).  La Principauté est devenue membre de l'Organisation des Nations Unies le 28 juillet 1993 et de l'Union internationale des télécommunications le 12 novembre 1993.  Le 10 novembre 1994, elle a adhéré au Conseil de l'Europe et a signé la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Un "traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération entre la République française, le Royaume d'Espagne et la Principauté d'Andorre" fut signé le 1er juin 1993 par les ministres des affaires étrangères français et espagnol et, le 3 juin, par le chef du gouvernement andorran.  Aux termes de ce traité, la France et l'Espagne reconnaissent Andorre comme un Etat souverain, établissent avec elle des relations diplomatiques et s'engagent à faciliter sa participation aux conférences et organisations internationales ainsi que son accès aux conventions.  
Si Andorre conserve certaines particularités - notamment l'institution des coprinces -, il ne fait pas de doute qu'elle est, en tout cas aujourd'hui, un "Etat" au sens du droit international public. 
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION 
23.   M. Iribarne Pérez a saisi la Commission le 18 mars 1986.  Il alléguait une violation des articles 3, 5, 6, 7, 8, 13 et 14 de la Convention (art. 3, art. 5, art. 6, art. 7, art. 8, art. 13, art. 14). 
24.   Le 19 janvier 1994, la Commission a retenu la requête (n° 16462/90) quant au grief selon lequel l'intéressé n'a pas disposé d'un recours devant un tribunal français afin qu'il statue sur la légalité de sa détention; elle l'a déclarée irrecevable pour le surplus.  Dans son rapport du 28 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut par neuf voix contre neuf, avec la voix prépondérante du président, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.  Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes qui l'accompagnent figure en annexe au présent arrêt 3.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR 
25.   Dans son mémoire, le Gouvernement   
"demande à la Cour européenne des Droits de l'Homme de bien vouloir juger qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention (...)". 
EN DROIT 
|I.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 5 PAR. 4 (art. 5-4) DE LA CONVENTION 
26.   Le requérant se plaint de l'absence de recours devant les juridictions françaises pour faire examiner la légalité de sa détention et, en particulier, de n'avoir pu bénéficier des procédures prévues aux articles 713-1 et suivants du code de procédure pénale (paragraphe 16 ci-dessus).  Il invoque l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, ainsi libellé:
"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."
Il se réfère à l'arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique du 18 juin 1971 (série A n° 12, pp. 40-41, par. 76), selon lequel la décision privative de liberté doit émaner d'un "tribunal" au sens de l'article 5 par. 4 (art. 5-4), c'est-à-dire d'un organe offrant les garanties fondamentales de procédure appliquées en matière de privation de liberté: la procédure suivie doit avoir eu un caractère judiciaire et donné à l'individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s'agit.  Or il n'aurait pas bénéficié de toutes les garanties inhérentes à une telle procédure: d'une part, il n'aurait pas eu la possibilité de faire appel contre le jugement du Tribunal des Corts car le droit andorran tel qu'il existait alors ne connaissait pas le double degré de juridiction, et, d'autre part, il aurait été condamné sur le seul fondement de la coutume et non d'une loi définissant avec précision l'infraction qui lui était reprochée et les peines correspondantes.
En tout état de cause, la théorie du contrôle incorporé ne jouerait pas lorsque la décision privative de liberté émane des juridictions d'un Etat non partie à la Convention.  Lorsque le Tribunal des Corts rendit son jugement, non seulement Andorre n'avait pas signé la Convention, mais en plus elle n'était pas un Etat de droit et ne disposait ni d'une Constitution ni d'un code pénal.
Quant à l'action pour voie de fait, il eût été vain de l'exercer: comme l'a noté la Cour dans son arrêt du 26 juin 1992 en l'affaire Drozd et Janousek c. France et Espagne (série A n° 240, p. 32, par. 103), un tel recours n'a pas abouti jusqu'à présent à la cessation d'une détention ayant sa source dans une décision andorrane, et les juridictions françaises déclinent leur compétence pour apprécier la légalité des condamnations pénales infligées dans la Principauté. 
27.   Selon le Gouvernement, les articles 713-1 et suivants du code de procédure pénale instaurent un contrôle non pas de la légalité de la détention en France des personnes condamnées à l'étranger, mais de la conformité de la peine prononcée à l'étranger à celle prévue par le droit français pour des faits identiques.  En outre, ils ne s'appliquent pas aux transfèrements résultant d'accords de voisinage, telle la coutume internationale liant la France et Andorre.
Il serait paradoxal et contradictoire que l'intéressé, détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent, puisse néanmoins invoquer avec succès l'article 5 par. 4 (art. 5-4).  Si toutefois la Cour en décidait ainsi, une procédure permettant de vérifier l'absence de déni de justice flagrant suffirait.  L'action pour voie de fait devant le juge civil remplirait cet office.  Seul le faible nombre de détenus se trouvant dans la situation du requérant expliquerait que les juridictions françaises n'ont pas à ce jour été amenées à se prononcer sur un tel recours exercé par une personne condamnée dans la Principauté et transférée en France. 
28.  Dans sa décision du 19 janvier 1994 sur la recevabilité de la requête, la Commission a rejeté pour défaut manifeste de fondement le grief de M. Iribarne Pérez tiré d'une violation de l'article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a) de la Convention.  Ne constatant aucun déni de justice flagrant "bien qu'il soit possible que la procédure litigieuse ne fût pas entièrement conforme à l'article 6 (art. 6) de la Convention", elle a estimé que la détention du requérant en France en exécution de la sentence andorrane était une détention régulière après condamnation par un tribunal compétent au sens de l'article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a).  Dans son rapport du 28 juin 1994, elle conclut que la situation incriminée s'assimile à celle d'une condamnation prononcée par un tribunal relevant de l'Etat où l'exécution de la peine a lieu, et que l'intéressé ne saurait donc se prévaloir, en vertu de l'article 5 par. 4 (art. 5-4), d'un droit à faire contrôler la légalité de sa détention par un autre tribunal. 
29.  La Cour ne se trouve pas appelée à rechercher si la procédure pénale qui fut suivie en Andorre contre le requérant et qui déboucha sur la condamnation de ce dernier par le Tribunal des Corts remplissait chacune des conditions de l'article 6 (art. 6) (voir l'arrêt Drozd et Janousek précité, p. 34, par. 110).  Considérant en outre la décision de la Commission sur la recevabilité, elle n'a pas non plus à examiner les procédure et jugement en question sur le terrain de l'article 5 par. 1 (art. 5-1).  Sa tâche se limite à déterminer si le requérant aurait dû bénéficier en France d'un contrôle de la légalité de sa détention en vertu de l'article 5 par. 4 (art. 5-4). 
30.  La Cour rappelle sa jurisprudence en la matière (arrêts De Wilde, Ooms et Versyp précité, et Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22).  Le contrôle voulu par l'article 5 par. 4 (art. 5-4) se trouve incorporé à la décision privative de liberté lorsque celle-ci est rendue par un tribunal statuant à l'issue d'une procédure judiciaire; tel est le cas, par exemple, d'une "condamnation" à l'emprisonnement prononcée par "un tribunal compétent" au sens de l'article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a) de la Convention.  Seule est visée la "décision initiale", et non "la détention ultérieure dans la mesure où des questions nouvelles de légalité la concernant surgiraient après coup" (voir, entre autres, l'arrêt X c. Royaume-Uni du 5 novembre 1981, série A n° 46, p. 22, par. 51).
Cependant, l'article 5 par. 4 (art. 5-4) exige parfois la possibilité d'un contrôle ultérieur de la légalité de la détention par un tribunal.  Il en va normalement ainsi de la détention d'aliénés au sens du paragraphe 1 e) (art. 5-1-e), où les motifs justifiant à l'origine l'internement peuvent cesser d'exister: "(...) on méconnaîtrait le but et l'objet de l'article 5 (art. 5) (...) si l'on interprétait le paragraphe 4 comme exemptant en l'occurrence la détention de tout contrôle ultérieur de légalité pour peu qu'un tribunal ait pris la décision initiale" (voir notamment les arrêts Winterwerp c. Pays-Bas du 24 octobre 1979, série A n° 33, p. 23, par. 55, X c. Royaume-Uni précité, pp. 22-23, par. 52, et Luberti c. Italie du 23 février 1984, série A n° 75, p. 15, par. 31).
Le même principe vaut pour la détention "après condamnation par un tribunal compétent" mentionnée au paragraphe 1 a) (art. 5-1-a), mais seulement dans certaines circonstances bien spécifiques.  Tel est le cas, par exemple, de la mise d'un récidiviste à la disposition du gouvernement en Belgique (arrêt Van Droogenbroeck c. Belgique du 24 juin 1982, série A n° 50), du maintien en détention d'un accusé condamné à une peine perpétuelle "indéterminée" ou "discrétionnaire" en Grande-Bretagne (arrêts Weeks c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A n° 114, et Thynne, Wilson et Gunnell c. Royaume-Uni du 25 octobre 1990, série A n° 190-A) ou encore de l'internement de sûreté en Norvège d'une personne aux facultés mentales insuffisamment développées ou durablement altérées (arrêt E. c. Norvège du 29 août 1990, série A n° 181-A). 
31.   Selon la Cour, le fait que M. Iribarne Pérez fût détenu en France après sa condamnation en Andorre ne constitue pas une circonstance de cette nature.  Tout comme dans l'affaire Drozd et Janousek c. France et Espagne, elle considère le Tribunal des Corts comme le "tribunal compétent".  Le contrôle exigé par l'article 5 par. 4 (art. 5-4) se trouvait donc incorporé dans le jugement de ce dernier. 
32.  Au demeurant et à l'instar de la Commission, la Cour n'aperçoit en l'espèce aucun déni de justice flagrant.  Elle note en particulier que M. Iribarne Pérez n'allègue pas une méconnaissance des droits essentiels de la défense: il a bénéficié de l'assistance d'un avocat et d'une audience publique et a reçu notification du jugement.  Elle constate en outre que le requérant ne met pas en cause l'impartialité du Tribunal des Corts. 
33.  En conclusion, il n'y a pas eu violation de l'article 5 par. 4 (art. 5-4). 
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 24 octobre 1995.
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
1 L'affaire porte le n° 34/1994/481/563.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. 
2 Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9).  Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3 Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 325-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT IRIBARNE PÉREZ c. FRANCE
ARRÊT IRIBARNE PÉREZ c. FRANCE


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'Art. 5-4

Analyses

(Art. 5-4) CONTROLE DE LA LEGALITE DE LA DETENTION


Parties
Demandeurs : IRIBARNE PÉREZ
Défendeurs : FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 24/10/1995
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16462/90
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1995-10-24;16462.90 ?

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