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27/10/1995 | CEDH | N°16696/90

CEDH | AFFAIRE BAEGEN c. PAYS-BAS


En l'affaire Baegen c. Pays-Bas (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement B (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, B. Walsh, R. Macdonald, J. De Meyer, S.K. Martens, Mme E. Palm, MM. R. Pekkanen, A.B. Baka, P. Kuris,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Maho

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En l'affaire Baegen c. Pays-Bas (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement B (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, B. Walsh, R. Macdonald, J. De Meyer, S.K. Martens, Mme E. Palm, MM. R. Pekkanen, A.B. Baka, P. Kuris,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 septembre et 24 octobre 1995, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date: _______________ Notes du greffier
1. L'affaire porte le n° 51/1994/498/580. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2. Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s'applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9 (P9). _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 décembre 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 16696/90) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un citoyen de cet Etat, M. Wilhelmus Elisabert Baegen, avait saisi la Commission le 6 avril 1990 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration néerlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 paras. 1 et 3 d) de la Convention (art. 6-1, art. 6-3-d).
2. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. S.K. Martens, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement B). Le 27 janvier 1995, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. B. Walsh, M. R. Macdonald, M. J. De Meyer, Mme E. Palm, M. R. Pekkanen, M. A.B. Baka et M. P. Kuris, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement B) (art. 43).
3. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement B), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement néerlandais ("le Gouvernement") et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 par. 1 et 40). A la suite de l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 28 juillet 1995.
4. Le 11 juillet 1995, la Commission a produit devant la Cour certaines pièces de la procédure suivie devant elle, ainsi que le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
5. Le 8 décembre 1994, le greffier avait procédé à l'invitation prévue à l'article 35 par. 3 d) du règlement B. En dépit de ses efforts répétés pour obtenir une réponse du requérant, celui-ci demeura inactif et, le 26 juillet 1995, le greffier l'informa que la Cour poursuivrait la procédure en supposant qu'il avait décidé de ne pas y prendre part.
6. Par une lettre reçue le 18 août 1995, le Gouvernement a invité la Cour à rayer l'affaire de son rôle conformément à l'article 51 par. 2 du règlement B.
7. Le 28 septembre 1995, la chambre a décidé de se passer d'audience, non sans avoir constaté la réunion des conditions exigées pour une telle dérogation à sa procédure habituelle (articles 27 et 40 du règlement B).
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
8. Citoyen néerlandais né en 1957, M. Baegen réside à Utrecht.
9. Le matin du 1er février 1986, une femme, dénommée ci-après Mme X, déclara à la police municipale d'Utrecht avoir été violée par deux hommes.
10. Par crainte de représailles de ceux-ci, elle choisit de garder l'anonymat dans la procédure pénale subséquente. Toutefois, son domicile fut mentionné dans le dossier de la police.
11. Le même jour, le policier responsable sollicita par écrit un examen médical de Mme X. Une copie de cette demande, qui porte le nom complet de Mme X, faisait partie des documents soumis par le requérant à la Commission. Certains des sous-vêtements de Mme X furent envoyés à un laboratoire de police scientifique aux fins d'examen.
12. M. Baegen fut arrêté le 10 février 1986. Mme X fut confrontée avec lui au travers d'un miroir sans tain. Elle déclara le reconnaître comme étant le premier des hommes ayant participé à son viol mais ne pas se souvenir si elle avait aussi été violée par le second. Elle identifia derechef le requérant comme étant son violeur, deux jours plus tard, lorsqu'elle fut confrontée avec lui en personne; elle déclara reconnaître non seulement son apparence mais aussi sa voix.
13. Le 14 février 1986, la police interrogea un troisième témoin, Y, lequel, à l'instar de Mme X, souhaita conserver l'anonymat par crainte de représailles.
14. Le 24 février 1986, un second suspect fut arrêté. Il affirma au début ignorer tout de ce qui s'était passé, mais déclara par la suite que M. Baegen et Mme X avaient eu un rapport sexuel auquel celle-ci avait consenti.
15. Le 25 mars, le requérant fut informé par la police que des traces de sperme avaient été trouvées dans les sous-vêtements de Mme X, ce qui avait permis l'identification du groupe sanguin et du type génétique de l'homme impliqué. Invité à se prêter à des examens sanguins et salivaires, il refusa.
16. Dans le cadre d'une instruction préparatoire, le témoin Y fut entendu sous serment par un juge d'instruction (rechter-commissaris) du tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) d'Utrecht le 16 juillet 1986. Il réitéra la déclaration qu'il avait faite à la police.
17. Le 4 août 1986, le juge d'instruction entendit le second suspect, qui répéta lui aussi la déclaration qu'il avait faite à la police.
18. Le 28 août 1986, le juge d'instruction entendit Mme X sous serment car il y avait des raisons de supposer que, craignant - à juste titre selon le juge d'instruction - des représailles, elle ne comparaîtrait pas en audience publique. Le procès-verbal de l'audition précise que l'identité de Mme X était connue de la police municipale d'Utrecht. L'intéressée confirma les déclarations faites par elle à la police. Le 28 août 1986, le procès-verbal de son audition fut envoyé au conseil du requérant, qui fut invité à soumettre toutes questions supplémentaires qu'il souhaitait voir poser à Mme X. Ledit conseil accusa réception du procès-verbal par une lettre du 1er septembre 1986 mais ne formula aucune question.
19. A la demande du même conseil, le juge d'instruction entendit une nouvelle fois Y, le 14 octobre 1986. A cette occasion, celui-ci répondit à certaines questions écrites soumises par le conseil du requérant.
20. Le 31 août 1987, M. Baegen fut assigné à comparaître le 2 octobre 1987 devant le tribunal d'arrondissement d'Utrecht. Il y plaida non coupable. A aucun moment de la procédure devant cette juridiction, ni lui ni son avocat ne demandèrent au tribunal d'entendre des témoins. Le 16 octobre 1987, le tribunal d'arrondissement déclara le requérant coupable de viol et le condamna à douze mois d'emprisonnement.
21. Le 20 octobre 1987, M. Baegen attaqua la décision devant la cour d'appel (gerechtshof) d'Amsterdam. Le 2 septembre 1988, son conseil produisit certaines pièces du dossier concernant un certain E., soupçonné d'avoir violé une personne le 24 septembre 1986. Dans ce dossier, l'identité de la victime était dévoilée.
22. La cour d'appel entendit la cause le 6 septembre 1988. Le requérant continua à protester de son innocence. Lors de sa plaidoirie, son avocat invita la cour d'appel à suspendre les débats ou à renvoyer l'affaire au juge d'instruction, de manière à ce que Mme X pût être plus amplement entendue. Se référant aux pièces du dossier de la procédure pénale dirigée contre E. qu'il avait produites, il affirma de manière péremptoire que la prétendue victime dans cette espèce et Mme X n'étaient qu'une seule et même personne. Il soutint que, dans l'affaire E., il ressortait clairement de diverses déclarations de témoins que Mme X était connue pour aborder les hommes d'une manière sexuellement explicite.
23. Dans son arrêt du 20 septembre 1988, la cour d'appel annula le jugement du tribunal d'arrondissement pour des motifs techniques, déclara M. Baegen coupable de viol et le condamna à douze mois d'emprisonnement. Se considérant suffisamment informée, elle rejeta la demande de l'avocat de l'accusé tendant à la suspension de l'audience ou au renvoi de l'affaire devant le juge d'instruction afin que Mme X pût être à nouveau interrogée.
24. Un pourvoi formé par le condamné le 20 septembre 1988 fut rejeté par la Cour de cassation (Hoge Raad) le 10 octobre 1989, un mois et dix jours avant que la Cour européenne des Droits de l'Homme ne rendît, le 20 novembre 1989, son arrêt dans l'affaire Kostovski c. Pays-Bas (série A n° 166).
II. Le droit et la pratique internes pertinents
25. Pour un exposé du droit et de la pratique internes pertinents à l'époque des événements incriminés, la Cour renvoie à son arrêt Kostovski précité.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
26. Dans sa requête (n° 16696/90) du 6 avril 1990 à la Commission, M. Baegen se plaignait de ne pas avoir eu un procès équitable en ce qu'il avait été condamné sur la base de déclarations faites par un témoin anonyme dont le souhait de conserver l'anonymat était en tout état de cause injustifié. De surcroît, il alléguait que les droits de la défense avaient été indûment restreints, dès lors que, bien qu'il n'eût cessé de contester la crédibilité des déclarations en question, ni lui ni son conseil n'avaient pu interroger le témoin directement. Il invoquait les paragraphes 1 et 3 d) de l'article 6 de la Convention (art. 6-1, art. 6-3-d), qui garantissent à tout accusé le droit à un procès équitable et celui d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge.
27. La Commission a déclaré la requête recevable le 9 décembre 1993. Dans son rapport du 20 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l'article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) (quatorze voix contre douze). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ 1. Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 327-B de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
28. Le Gouvernement conclut son mémoire en formulant l'avis qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d).
EN DROIT
29. Le 8 décembre 1994, le greffier a informé le requérant par écrit, conformément à l'article 35 par. 1 du règlement B, que son affaire avait été déférée à la Cour, et l'a invité à confirmer par écrit qu'il souhaitait participer à l'instance et à désigner son conseil. L'intéressé n'a pas répondu. De même, il n'a donné aucune suite aux rappels qui lui furent adressés les 11 mai et 27 juin 1995.
30. Dans une lettre datée du 10 août 1995 et reçue par le greffier le 18, l'agent du Gouvernement a fait valoir que la non-participation du requérant constituait un "fait de nature à fournir une solution du litige" et a demandé à la Cour de rayer l'affaire du rôle, conformément à l'article 51 par. 2 du règlement B, aux termes duquel: "Lorsque la chambre reçoit communication d'un règlement amiable, arrangement ou autre fait de nature à fournir une solution du litige, elle peut, le cas échéant après avoir consulté les parties et les délégués de la Commission, rayer l'affaire du rôle. Il en va de même lorsque les circonstances permettent de conclure que l'auteur d'une requête introduite en vertu de l'article 48 par. 1 e) (art. 48-1-e) de la Convention n'entend plus la maintenir ou si, pour tout autre motif, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de l'affaire."
31. Par une lettre reçue le 28 août 1995, le secrétaire de la Commission a avisé le greffier que le délégué ne voyait aucune objection à la radiation du rôle.
32. La Cour, pour sa part, estime que les conditions d'application de l'article 51 par. 2, deuxième alinéa, se trouvent remplies en l'espèce. Elle juge, en particulier, qu'eu égard à l'omission par le requérant de se manifester, en dépit de plusieurs rappels du greffier, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de l'affaire. Elle note, en outre, la position adoptée par le Gouvernement et la Commission. Elle fait observer par ailleurs que, dans des espèces précédentes, elle a eu l'occasion de s'exprimer sur les droits de la défense dans des affaires mettant en cause des témoins à charge anonymes (voir notamment l'arrêt Kostovski précité, postérieur à l'arrêt rendu en l'occurrence par la Cour de cassation) et qu'une autre affaire contre le même Etat contractant et soulevant des questions analogues se trouve actuellement pendante devant elle. Dans ces circonstances, on ne saurait dire qu'il existe un quelconque motif d'ordre public de poursuivre la procédure (article 51 par. 4 du règlement B).
33. En conséquence, il échet de rayer l'affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE, Décide de rayer l'affaire du rôle. Fait en français et en anglais, puis notifié par écrit, conformément à l'article 57 par. 2, deuxième alinéa, du règlement B, le 27 octobre 1995.
Signé: Rolv Ryssdal Président
Signé: Herbert Petzold Greffier


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (ratione temporis) ; Exception préliminaire rejetée (non-épuisement) ; Exceptions préliminaires rejetées (victime, forclusion) ; Violation de l'Art. 5-3 ; Violation de l'Art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention ; Incompétence (injonction à l'Etat)

Parties
Demandeurs : BAEGEN
Défendeurs : PAYS-BAS

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 27/10/1995
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16696/90
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1995-10-27;16696.90 ?

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