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19/02/1996 | CEDH | N°16206/90

CEDH | AFFAIRE BOTTEN c. NORVEGE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE BOTTEN c. NORVEGE
(Requête no 16206/90)
ARRÊT
STRASBOURG
19 février 1996
En l’affaire Botten c. Norvège 1,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement B 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Bernhardt, président,
R. Ryssdal,
F. Gölcüklü,
A. Spielmann,
A.N.

Loizou,
J.M.Morenilla,
F. Bigi,
L. Wildhaber,
U. Lohmus,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, ...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE BOTTEN c. NORVEGE
(Requête no 16206/90)
ARRÊT
STRASBOURG
19 février 1996
En l’affaire Botten c. Norvège 1,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement B 2, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Bernhardt, président,
R. Ryssdal,
F. Gölcüklü,
A. Spielmann,
A.N. Loizou,
J.M.Morenilla,
F. Bigi,
L. Wildhaber,
U. Lohmus,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 septembre 1995 et 25 janvier 1996,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCÉDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") et par le gouvernement du Royaume de Norvège ("le Gouvernement") les 8 décembre 1994 et 16 janvier 1995 respectivement, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.  A son origine se trouve une requête (no 16206/90) dirigée contre la Norvège et dont un ressortissant de cet Etat, M. Harald Ståle Botten, avait saisi la Commission le 22 décembre 1989 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission et la requête du Gouvernement renvoient aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration norvégienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46) pour ce qui est de la demande. Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 35 par. 3 d) du règlement B, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 31).
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. R. Ryssdal, juge élu de nationalité norvégienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement).  Le 27 janvier 1995, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, A. Spielmann, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi, L. Wildhaber et U. Lohmus, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement B) (art. 43).
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, l’avocat du requérant et la déléguée de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 39 par. 1 et 40).  Conformément aux ordonnances rendues en conséquence les 23 février et 15 juin 1995, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement le 7 juillet 1995.  Les prétentions détaillées du requérant au titre de l’article 50 (art. 50) lui sont parvenues le 16 août 1995.  Le 8 septembre 1995, le secrétaire de la Commission l’a informé que la déléguée ne présenterait pas d’observations écrites.
5.  Le 21 septembre 1995, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l’y avait invitée sur les instructions du président.  Les 18, 25 septembre et 20 novembre 1995 et le 15 janvier 1996, le greffier a reçu divers documents émanant du Gouvernement et du requérant ainsi que des précisions sur les prétentions de ce dernier au titre de l’article 50 (art. 50).
6.   Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 26 septembre 1995, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. T. Stabell, avocat général adjoint
(affaires civiles), agent,
J.E. Helgesen, conseiller juridique,
ministère des Affaires étrangères,
K. Kallerud, avocat général adjoint
(affaires civiles),
F. Elgesem, avocat, bureau de l’avocat général
(affaires civiles), conseillers;
- pour la Commission
Mme G.H. Thune, déléguée;
- pour le requérant
Mes F.E. Engzelius, avocat, conseil,
J. Hjort, avocat, conseiller.
La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Thune, Me Engzelius et M. Stabell.
EN FAIT
I.   LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.   Le requérant, citoyen norvégien, est lieutenant-colonel dans l’armée de l’air norvégienne.  Il est commandant de la base aérienne de Flesland et sert actuellement en tant que colonel dans la force des Nations Unies à Tuzla, en Bosnie-Herzégovine.
A. Evénements à l’origine de l’accusation en matière pénale portée contre le requérant
8.   En 1987, le requérant occupait le poste de commandant de la station de télécommunications de la défense norvégienne ("la station") située sur l’île de Jan Mayen, dans l’océan Arctique, qui appartient au Royaume de Norvège.
Le 17 avril 1987, le capitaine d’un chalutier de pêche à la crevette, le Polarbas, appela la station par radio pour demander si un pêcheur qui s’était blessé au bras pouvait y être soigné. Le requérant accéda à cette requête le 18 avril.  Le même jour, il prit la mer avec un collègue dans un canot pneumatique afin de se porter à la rencontre du canot de sauvetage du chalutier qui amenait le pêcheur blessé à proximité du rivage.  Peu après que le pêcheur fut monté à bord, une vague déferlante retourna le canot.  Les trois occupants furent jetés à l’eau, dont la température était alors de -0,3 oC.  Le requérant est le seul à être parvenu sain et sauf jusqu’au rivage.
9.   Une commission d’enquête militaire, réunie notamment pour établir les faits et indiquer s’il y avait à son avis infraction à un quelconque règlement, conclut dans son rapport du 1er mai 1987 à la violation des instructions pertinentes, ce dont le requérant, en tant que chef de la station, devait être tenu pour responsable.
10.   Le 11 juillet 1988, le procureur de Nordland proposa au requérant de purger une peine de vingt-sept jours d’arrêts (vaktarrest) assortie d’un sursis et d’acquitter une amende de 5 000 couronnes norvégiennes (NOK) pour négligence ou légèreté dans l’exercice de ses fonctions officielles (article 78 par. 1 du code pénal militaire de 1902 - Militær Straffelov, loi no 13 du 22 mai 1902), et ce dans le cadre d’une procédure non judiciaire accélérée (forelegg).  Sur un refus du requérant, le procureur intenta une action contre ce dernier devant le tribunal de Bodø (byrett - "le tribunal") en l’inculpant de l’infraction précitée.
B. Procédure devant le tribunal
11.   Le procès devant le tribunal se tint du 9 au 13 mars 1989. Il permit d’entendre le requérant ainsi que les témoignages de treize personnes et de trois experts et de prendre connaissance de preuves écrites, notamment le rapport de la commission d’enquête militaire du 1er mai 1987 (paragraphe 9 ci-dessus). De plus, le tribunal se livra le 11 mars à une enquête sur les lieux de l’accident à Jan Mayen, au cours de laquelle plusieurs témoins déposèrent.
12.   Dans son jugement du 30 mars 1989, le tribunal décrit les faits pertinents en ces termes:
"Le 18 avril 1987 dans la matinée, [le requérant] fut informé par Mme Karin Ree, infirmière [de la station], que le capitaine du Polarbas avait appelé Jan Mayen par radio pour demander que M. Asbjørn Olufsen [le pêcheur blessé] soit recueilli sur l’île afin qu’elle puisse examiner sa blessure au poignet.  Le [requérant] répondit par l’affirmative, ajoutant toutefois qu’il devait s’assurer des conditions régnant dans [la baie de] Båtvika avant d’accueillir M. Olufsen.  L’infirmière et l’ingénieur en chef, Arne Svendsen, se proposèrent pour participer à l’opération.  M. Svendsen se rendit à Båtvika pour s’assurer des conditions qui y régnaient et déclara au retour [au requérant] qu’elles étaient satisfaisantes.  [Le requérant] prit ensuite contact avec le Polarbas et accepta que le blessé fût amené par chaloupe à proximité de la plage de Båtvika et qu’un canot pneumatique (...) allât à leur rencontre à cet endroit.  Il fut en outre convenu que le transfert du blessé aurait lieu vingt minutes environ après la conversation entre le Polarbas et la station.  Les interlocuteurs choisirent également une fréquence radio pour communiquer.
En se rendant à Båtvika, le [requérant] s’aperçut qu’il avait oublié son appareil photo.  Il se demanda s’il devait retourner le chercher, mais l’infirmière souligna qu’il n’y avait pas de temps à perdre et qu’ils devaient continuer leur route.  Elle proposa alors d’aller chercher l’appareil plus tard, ce que [le requérant] lui dit de ne pas faire.
En arrivant à Båtvika, ils constatèrent que le [canot pneumatique] était déjà sur place car l’officier responsable de la maintenance était allé le chercher pour le conduire sur la plage.  Ce dernier indiqua qu’il fallait gonfler le canot.  L’ingénieur en chef, de son côté, pensait qu’il valait mieux laisser le canot en l’état et ne pas y toucher.  Le [requérant] et M. Svendsen s’assirent dans le canot après avoir revêtu des combinaisons de survie.  Cependant, aucun ne mit sa capuche.  Ils n’emportèrent pas de radio à bord du canot mais Mme Ree en avait une afin de communiquer avec le Polarbas et sa chaloupe.
Lorsqu’ils quittèrent la plage, la chaloupe du Polarbas, qui avait à son bord le pêcheur blessé, était encore loin de Båtvika.  Un peu plus tard, l’infirmière (...) regagna la plage avec l’appareil photo [du requérant], qu’elle était retournée chercher au bâtiment administratif (...)
M. Svendsen prit les rames pour s’éloigner de la plage. Après avoir parcouru quarante à soixante mètres, ils attendirent un moment en essayant d’inciter la chaloupe à se rapprocher d’eux.  Ils n’obtinrent toutefois aucune réponse de la chaloupe.  [M. Svendsen] étant fatigué, il changea de place avec [le requérant] pour que ce dernier continue à ramer.  Ils tentèrent à plusieurs reprises d’entrer en contact avec la chaloupe, sans résultat.  Ils se rendirent alors compte qu’un problème avait dû surgir. Ils résolurent donc de ramer en direction de la chaloupe, qui se trouvait toujours loin de la côte.  Lorsqu’ils atteignirent la chaloupe, ses occupants les informèrent que le moteur était tombé en panne et qu’ils avaient jeté l’ancre.  Ces derniers étaient anxieux car, malgré cette précaution, la chaloupe dérivait vers les rochers; en outre, aucun d’eux ne portait de gilet de sauvetage ou de combinaison de survie.  Il n’y avait pas non plus d’équipement de ce genre à bord.
Le pêcheur blessé (...) prit place à bord du [canot pneumatique], qui s’éloigna alors de la chaloupe.  Une vague déferlante retourna le canot dont les trois occupants furent jetés à la mer.  Ils n’étaient pas reliés au canot par des cordages et n’en avaient pas non plus pris avec eux.  Ils ne portaient pas de gilet de sauvetage.
Mme Ree, qui se trouvait debout sur la plage, était équipée d’un poste radio portatif mais non de matériel de premiers secours, tel que brancard, couvertures ou autres."
13.   Le tribunal acquitta le requérant.  Son jugement comporte les observations suivantes.  Même si l’intéressé n’avait pas en principe le devoir de recueillir le pêcheur blessé, un tel devoir est né de son accord pour ce faire.  Pour décider si le requérant a été coupable de négligence ou légèreté dans le cadre de l’opération de sauvetage ou ses préparatifs, il faut déterminer s’il a enfreint les instructions en vigueur.  Une infraction grave ou une série d’infractions aux instructions peuvent donner lieu à une négligence ou légèreté au sens de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire.  Le procureur a fait valoir que le requérant n’avait pas respecté ses obligations, et ce à sept occasions.  On indiquera ci-dessous celles qui constituent l’objet de la controverse dans la présente affaire.
"1. L’inculpé avait l’obligation d’utiliser le doris à partir du moment où il avait décidé de recueillir un blessé.
4. Il avait l’obligation de s’assurer que l’infirmière apportait du matériel médical et restait présente pendant toute la durée de l’opération.
7. Ayant décidé d’utiliser le canot pneumatique, il avait l’obligation de s’assurer que l’ingénieur en chef y était relié par un cordage.  De plus, il aurait dû retourner sur la plage plus tôt, c’est-à-dire dès qu’il se rendit compte que la chaloupe n’allait pas se rapprocher d’eux."
Le tribunal estima que les instructions qui font peser des obligations sur le personnel militaire et civil employé sur Jan Mayen, notamment l’instruction C 14 qui édicte des règles générales sur le trafic sur Jan Mayen et alentour, manquent de clarté pour diverses raisons.  De plus, nombre de ces dispositions visent le chargement et le déchargement des navires de ravitaillement.  Les instructions pertinentes ne s’appliquent donc aux opérations de sauvetage que dans la mesure où elles se révèlent appropriées.
En ce qui concerne le point 4 des allégations du procureur précitées, le tribunal déclara:
"(...) le [requérant] ne saurait être blâmé pour le fait que l’infirmière n’est pas restée sur le rivage pendant toute la durée de l’opération.  Le tribunal est convaincu que M. Botten ne savait pas qu’elle était retournée à la station chercher son appareil photo.  Il est en outre persuadé qu’il ne lui a pas donné l’ordre d’aller récupérer cet appareil.  L’infirmière ne s’est de toute façon pas absentée longtemps, quelques minutes tout au plus.  Le [requérant] savait cependant que l’infirmière (...) n’avait pas apporté de matériel de premiers secours sur la plage. Il y a donc de ce fait infraction à l’instruction B 13, article 3.6.  Le tribunal relève cependant qu’il ne s’agit pas d’une violation grave des instructions.  L’opération avait simplement pour but d’aller récupérer un pêcheur ne souffrant que d’une blessure au poignet et il ne fallait pas longtemps pour retourner à la station chercher le matériel nécessaire."
Quant au point 7, le tribunal formula notamment les commentaires suivants:
"(...) le tribunal souscrit en principe à l’avis du procureur selon lequel il était dangereux d’aller jusqu’à la chaloupe à bord du canot pneumatique.  Le tribunal tient cependant compte du fait que le [requérant] et [M. Svendsen], alors qu’ils étaient en route, il est vrai après avoir dépassé l’endroit où ils avaient eu l’intention de rencontrer la chaloupe mais alors qu’ils se trouvaient encore dans des eaux assez calmes, comprirent que des problèmes étaient apparus à bord de la chaloupe.  En conséquence, le tribunal ne voit pas ici non plus que le [requérant] ait commis une infraction aux instructions car il était hautement probable que la chaloupe était dans une situation critique, comme cela est devenu peu à peu tout à fait clair."
Enfin, pour ce qui est du point 1, les membres du tribunal divergeaient:
"L’assesseur Terje Henriksen considère que l’article 2 de l’instruction C 14 fait obligation au défendeur d’utiliser le doris, étant donné que l’avant-dernier paragraphe de cet article (...) dispose que cette règle s’applique à l’ensemble du personnel en poste à Jan Mayen.  Le président du tribunal pense que (...) l’article 2, applicable au trafic en mer, doit entrer en jeu chaque fois que cela se révèle approprié.  Dans ce cas d’espèce, où le [requérant] devait ramener à terre un pêcheur blessé au poignet, le président n’aperçoit aucune circonstance justifiant le non-respect de l’obligation générale d’utiliser le doris. L’opération n’était pas menée dans des conditions d’urgence telles que cette disposition puisse être négligée. L’assesseur Tordis Kvarv pense que cette dernière ne s’applique pas à une opération de sauvetage telle que celle effectuée en l’espèce et que l’affaire doit par conséquent être évaluée en fonction des exigences générales dictées par la prudence.
L’assesseur Terje Henriksen estime que, compte tenu des conditions météorologiques très particulières régnant dans les eaux qui baignent l’île de Jan Mayen, la violation de cette disposition est grave au point de constituer une "négligence ou de la légèreté" au sens de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire.  Il conclut donc que le défendeur devrait être condamné pour violation dudit article (...)
Le président (...) est d’avis que, même s’il y a eu infraction à cette instruction, il n’en faut pas moins rechercher, sous l’angle de l’article 78 par. 1 (...) si la solution choisie par le [requérant] était pire que s’il avait décidé d’utiliser le doris.  Si tel n’est pas le cas, une violation de cette instruction ne saurait être qualifiée de négligence ou légèreté.  La majorité du tribunal (l’assesseur Tordis Kvarv et le président) ont jugé que l’utilisation du canot à la place du doris n’avait pas compromis la sécurité, compte tenu de l’usage initialement prévu pour le canot.  Il convient à cet égard d’accorder une importance particulière au fait que les parties étaient convenues de se rencontrer à proximité de la plage.  Même si l’endroit de la rencontre n’avait pas été fixé avec précision, on peut au moins admettre qu’ils n’avaient pas l’intention de s’éloigner de plus de cent mètres environ de la plage, zone où les eaux sont calmes. Il est fait en outre référence au témoignage de l’expert cité par le procureur, le commandant Alv Håkon Klepsvik. Il indiqua durant l’audience que l’utilisation du canot pneumatique dans la baie de Båtvika ou juste à sa sortie ne posait à son avis aucun problème de sécurité, à condition de le tenir à distance des déferlantes ou de la crête des vagues.  Il estima que si l’on restait au milieu ou du côté abrité de la baie, l’utilisation du canot ne devait soulever aucune difficulté.  Il n’hésiterait pas non plus à prendre le canot pour aller recueillir une personne se trouvant sur un autre bateau.  Il ajouta que pour ce type de mission, il y avait moins de risque de blessure avec un canot pneumatique, qui était dans ce cas préférable à un doris.  Concernant le fait que le canot n’était pas gonflé à bloc, il déclara qu’il valait mieux ne pas utiliser un canot totalement gonflé.  Cela ne réduisait d’ailleurs pas la flottabilité du canot.
La majorité du tribunal, comme la minorité, estime que dans cette affaire, l’essentiel est de savoir s’il existait une obligation d’utiliser le doris et si le non-respect de cette obligation a amoindri la sécurité.  La majorité (...) a conclu que tel n’était pas le cas et que l’inculpé doit dès lors être acquitté, (...) ne le jugeant pas coupable du chef de négligence ou de légèreté mentionné dans l’acte d’accusation."
C. Procédure devant la Cour suprême
14.   Le 12 avril 1989, le procureur interjeta appel du jugement du tribunal auprès de la Cour suprême (Høyesterett).  Il soutenait à titre principal que la décision du tribunal était entachée d’erreur car celui-ci avait procédé à une interprétation trop étroite de l’infraction de négligence dans l’accomplissement d’obligations officielles.  Pour l’accusation, le non-respect de l’obligation d’utiliser un doris était grave au point de constituer une négligence.  L’opinion du tribunal selon laquelle l’utilisation d’un canot pneumatique à la place d’un doris n’avait pas pour conséquence d’amoindrir la sécurité ne suffisait pas à convaincre du contraire.  Les instructions étaient le fruit de plusieurs années d’expérience et tenaient compte des conditions particulières régnant à Jan Mayen ainsi que du fait que les agents de la station ne connaissaient pas forcément bien la mer et n’étaient en poste sur l’île que pour une période limitée.  Ces facteurs conduisaient à penser que, hormis des circonstances exceptionnelles, l’officier responsable de la station avait le strict devoir d’agir avec prudence et de suivre les instructions.  Pour l’accusation, il n’était possible de s’en écarter qu’en cas d’urgence ou lorsque cela permettait d’accomplir le service de manière plus satisfaisante ou plus sûre, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence.
Le procureur avançait également que les faits établis par le tribunal étaient suffisamment clairs pour permettre à la Cour suprême de rendre un arrêt au fond condamnant le requérant, conformément à l’article 362 par. 2 du code de procédure pénale de 1981 (paragraphe 28 ci-dessous), au lieu de casser le jugement du tribunal et de lui renvoyer l’affaire pour un nouvel examen.
A titre subsidiaire, le procureur affirmait qu’il fallait casser la décision du tribunal pour vice de procédure car le raisonnement suivi était incomplet.  En effet, le jugement ne mentionnait pas l’état de la mer au moment où le requérant avait quitté le rivage à bord du canot et lorsqu’il s’était rendu compte que la chaloupe n’arriverait pas à l’endroit prévu pour la rencontre, pas plus que la distance entre la chaloupe et le rivage à ces différents moments.  Il n’indiquait pas non plus comment le requérant s’était expliqué les problèmes apparus à bord de la chaloupe, ce qu’il aurait pu faire d’autre que de continuer à ramer avec le canot ni le temps qu’il lui aurait fallu pour préparer le doris en vue de l’opération.
15.   Le 20 avril 1989, le comité de sélection des appels de la Cour suprême (Høyesteretts Kjæremålsutvalg) accorda l’autorisation d’appel.  La Cour suprême informa le requérant de sa décision par un courrier du 27 avril 1989 et lui apprit qu’elle avait désigné pour le représenter l’avocat qui l’avait défendu devant le tribunal.  De plus, la Cour suprême invita l’intéressé à prendre contact le plus rapidement possible avec son avocat s’il détenait des informations pertinentes ne figurant pas au dossier de l’affaire.  La Cour suprême lui fit enfin part de son intention d’examiner son affaire dans un avenir proche, sans plus de précisions (article 353 du code de procédure pénale - straffeprosessloven - dans sa version en vigueur à l’époque des faits).
16.   Après consultation du procureur et de l’avocat du requérant, la Cour suprême informa l’avocat, par une lettre du 11 mai 1989, que l’audience aurait lieu le 20 juin 1989 à 9 h 15.
Son avocat transmit ensuite à M. Botten la date de l’audience et lui indiqua que, s’il le souhaitait, il pouvait demander à la Cour suprême l’autorisation de prononcer une déclaration au cours du procès, mais qu’il ne serait entendu ni à titre de partie ni comme témoin.  En outre, l’avocat avertit son client qu’il n’était pas habituel que l’inculpé s’adressât personnellement à la Cour suprême.  Le requérant ne sollicita donc pas une telle autorisation.
17.   Un extrait des pièces de la procédure devant le tribunal, préparé par le procureur, fut envoyé à l’avocat bien avant l’audience devant la Cour suprême (pour plus de détails, voir le paragraphe 18 ci-dessous).  L’avocat n’émit aucune objection à l’encontre de cet extrait et ne présenta pas non plus de nouveaux documents à la Cour suprême.
18.   L’avocat du requérant assista à l’audience du 20 juin 1989, mais pas ce dernier.  Comme il en avait le droit, l’avocat prononça une plaidoirie et répondit aux observations orales du procureur dans la mesure où elles se rapportaient à l’appel interjeté par celui-ci sur des points de droit et de procédure (paragraphe 14 ci-dessus).  Pour déterminer les responsabilités, toutefois, la Cour suprême était liée par les faits se rapportant à la question de la culpabilité décrits dans le jugement du tribunal (article 335 du code de procédure pénale, dans sa version en vigueur à l’époque des faits).
A l’issue des plaidoiries principales, le ministère public demanda à la Cour suprême de condamner le requérant, en vertu de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire, à une peine de vingt-sept jours d’arrêts et à une amende de 5 000 NOK ou, à défaut de paiement, à une peine de quinze jours d’emprisonnement. A titre subsidiaire, le procureur demanda à la Cour suprême de casser le jugement du tribunal.
L’avocat du requérant pria la Cour suprême de rejeter l’appel.
Le dossier de la Cour suprême comportait un extrait de 112 pages des pièces de la procédure devant le tribunal, qui reprenait le jugement rendu le 30 mars 1989 par ce dernier, les preuves écrites sur lesquelles il s’était appuyé, dont des renseignements sur la situation professionnelle du requérant, son état civil, ses revenus, ses états de service dans l’armée, une attestation justifiant que son casier judiciaire était vierge, le rapport de la commission d’enquête militaire et certains comptes rendus d’audience.  Toutefois, il ne comprenait pas les procès-verbaux des audiences devant le tribunal, ceux-ci n’étant pas disponibles.  La Cour suprême n’entendit ni témoin ni expert.
19.   Dans son arrêt du 27 juin 1989, rendu en dernier ressort, la Cour suprême accueillit l’appel du procureur.  Le juge Dolva, au nom de la cour unanime, donna les motifs suivants:
"J’estime qu’il convient d’accueillir le recours fondé sur l’application du droit et que les conditions requises sont réunies pour rendre une décision de condamnation conformément à l’article 362 par. 2 du code de procédure pénale.
La question décisive en l’espèce est (...) de savoir si la conduite du requérant dans le cadre de l’opération de sauvetage et de ses préparatifs est constitutive de négligence ou de légèreté au sens de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire.  Pour étayer cette thèse, on a affirmé qu’il avait enfreint à plusieurs égards les instructions en vigueur, comme le précise l’acte d’accusation.  Le jugement du tribunal mentionne sept facteurs qui, réunis, seraient constitutifs de négligence. Plusieurs d’entre eux n’ont pas été maintenus devant la Cour suprême.
Les instructions applicables à l’île de Jan Mayen sont détaillées et complètes, ce qui doit être considéré à la lumière des conditions difficiles que connaissent les personnes qui y sont en poste.  Je note que le préambule de ces instructions, émises en août 1986 par l’administration des services de télécommunications et d’informatique de la défense norvégienne et applicables en l’espèce, précise: "Des instructions écrites s’imposent plus qu’ailleurs à Jan Mayen, qui connaît une rotation constante de personnel."
Les "Dispositions générales relatives au trafic sur Jan Mayen et alentour", qui font partie des instructions précitées, se trouvent au coeur de cette affaire. L’article 1 (...), intitulé "Objectif", énonce: "Ces dispositions générales sont destinées à servir de lignes directrices pour le trafic sur Jan Mayen et alentour aussi bien pendant le service que durant les loisirs." Même si ces dispositions donnent au premier abord l’impression de constituer des "lignes directrices", il est évident qu’elles comportent certaines règles contraignantes, comme le révèle l’article 2 sur le trafic en mer, dont le premier paragraphe dispose: "Les sorties en bateau autour de Jan Mayen sans l’assistance de navires de haute mer sont, de manière générale, interdites." Viennent ensuite certaines exceptions à cette règle.  Je fais observer que les dispositions sur le trafic en mer doivent à l’évidence s’appliquer à l’opération menée pour recueillir le pêcheur blessé, même si l’on supposait qu’elle aurait lieu assez près du rivage.  Il me semble aussi évident que ces dispositions doivent s’appliquer à l’opération de sauvetage, même si les instructions relatives à Jan Mayen ne mentionnent pas l’aide à la flotte de pêche dans cet article ou dans un autre.
L’article 2 (...) comporte notamment les deux paragraphes suivants:
"- S’assurer que les deux doris sont utilisés lorsque aucun autre bateau ne se trouve dans les parages de l’île ou ne se tient prêt à intervenir en cas de besoin.
- Lorsque les conditions météorologiques sont jugées satisfaisantes, le second doris peut être remplacé par le canot, hissé à bord du doris ou remorqué par lui."
A mon sens, il découle de ces règles que l’utilisation d’un doris est obligatoire dans un cas comme celui qui nous occupe et qu’un canot ne peut remplacer un doris en pareilles circonstances.  Un canot peut certes être employé dans certains cas, mais seulement à titre d’appoint.  Mon opinion concorde donc avec celle du président du tribunal et du juge non professionnel qui, se fondant il est vrai sur des motifs quelque peu différents, ont conclu que les dispositions imposaient au [requérant] l’obligation d’utiliser un doris au lieu d’un canot.
Le président du tribunal était cependant "(...) d’avis que, même s’il y a eu infraction à cette instruction, il n’en faut pas moins rechercher, sous l’angle de l’article 78 par. 1 (...), si la solution choisie par le [requérant] était pire que s’il avait décidé d’utiliser le doris.  Si tel n’est pas le cas, une violation de cette instruction ne saurait être qualifiée de négligence ou légèreté".
Je ne souscris pas à cette interprétation de la loi.
A mon avis, l’obligation d’utiliser un doris occupe une place tellement importante dans les dispositions relatives au trafic qu’une appréciation telle que celle du président est insuffisante.  Je rappelle que cette obligation a été édictée à la lumière de l’expérience et qu’elle vise à protéger la vie et la santé dans une zone qui se caractérise par des conditions météorologiques tout à fait exceptionnelles et une mer dangereuse et qu’il importe donc particulièrement de suivre les instructions sur ce point. L’évaluation évoquée par le président du tribunal ne saurait en conséquence être décisive pour établir s’il y a eu négligence.
Le second juge non professionnel qui, avec le président du tribunal, constituait la majorité ayant voté en faveur de l’acquittement, a aussi fondé sa décision sur une application erronée de la loi.  D’après elle, l’obligation d’utiliser un doris n’était pas applicable "à une opération de sauvetage de cette nature et la question doit donc être examinée sur la base d’une appréciation de l’obligation de prudence en général".  J’en conclus que, selon elle, il n’était pas obligatoire d’utiliser le doris et qu’il n’y a donc pas eu négligence au sens de l’article 78 par. 1.
La majorité du tribunal (...) a estimé que l’utilisation, à cette occasion, d’un canot pneumatique au lieu d’un doris n’avait pas compromis la sécurité, compte tenu de l’usage initialement prévu pour le canot, c’est-à-dire recueillir le pêcheur blessé qui se trouvait sur la chaloupe du chalutier de pêche à la crevette "à guère plus d’une centaine de mètres du rivage".  Or d’après le règlement, cela n’est pas décisif.
L’acquittement du [requérant] se fonde donc sur une application erronée de la loi.  Toutefois, cela ne devrait pas, en l’espèce, conduire à la cassation du jugement du tribunal car, comme le ministère public le fait valoir dans son acte d’appel, les conditions se trouvent réunies pour prononcer une décision condamnant le [requérant] en vertu de l’article 362 par. 2 du code de procédure pénale.  Je renvoie à cet égard à la description des faits établie par le tribunal.
Je rappelle en outre mes précédentes observations sur le contexte et le contenu précis des dispositions relatives au trafic sur Jan Mayen et alentour et, notamment, l’obligation d’utiliser un doris.  Dans les conditions difficiles régnant sur l’île, il est particulièrement important de respecter des règles de ce type.  Le [requérant] a eu tort de décider, en dépit de l’exigence figurant dans les instructions, d’utiliser le canot pneumatique à cette occasion et de mettre cette décision à exécution.  Je fais toutefois observer que les choses ont changé par la suite, lorsqu’il apparut clairement que les occupants de la chaloupe qui s’approchait se trouvaient en danger.  J’estime cependant que les faits survenus au début de l’opération présentent un tel caractère de gravité qu’ils doivent passer pour constituer une négligence au sens de l’article 78 par. 1.  Je relève que l’avocat de la défense a affirmé devant la Cour suprême que l’obligation d’utiliser un doris ne pouvait s’appliquer puisque le chalutier avait mis sa chaloupe à l’eau.  Je ne pense pas que cet [argument] revête une importance décisive en l’occurrence, car il ressort clairement du jugement du tribunal que le canot n’était pas utilisé ce jour-là à simple titre d’appoint.  Le défendeur ne pouvait pas non plus savoir si la chaloupe était correctement équipée, ce qui s’est ultérieurement révélé ne pas être le cas.
Comme indiqué précédemment, le procureur a également soulevé d’autres questions qui, d’après lui, constituent des infractions aux instructions en vigueur.  Certaines d’entre elles, présentées au tribunal, n’ont pas été maintenues devant la Cour suprême.
Le tribunal a conclu à l’unanimité à une violation des instructions au motif que l’infirmière n’avait pas apporté de matériel de premiers secours sur le rivage et que le [requérant] le savait.  Je partage cet avis.  C’est cependant le fait de ne pas avoir utilisé un doris pour l’opération de sauvetage qui constitue le facteur principal au regard de l’article 78 par. 1.
Enfin, j’estime appropriée la condamnation du [requérant] à une peine de vingt jours d’arrêts assortie d’un sursis de deux ans ainsi qu’à une amende inconditionnelle de 5 000 NOK ou, à défaut de paiement, un emprisonnement de quinze jours.  J’ai à cet égard tenu compte de ce que le défendeur ne peut être blâmé que pour sa conduite pendant les premières phases de l’opération de sauvetage."
II.   LE DROIT INTERNE PERTINENT
20.   L’article 78 par. 1 du code pénal militaire dispose:
"Toute personne exerçant un commandement qui se rend coupable de négligence ou de légèreté dans l’exercice de ses fonctions officielles sera mise aux arrêts, relevée de ses fonctions ou détenue pour une période n’excédant pas six mois."
21.   Dans toute affaire pénale, même celles relevant du code pénal militaire, l’appel est régi par le code de procédure pénale.
A. Procédure devant le tribunal
22.   Aux termes de l’article 278 du code de procédure pénale, le procès principal devant le tribunal local revêt un caractère oral.  Les preuves écrites sont lues par la personne qui les produit, sauf avis contraire du tribunal (article 302).  A l’issue de l’interrogatoire de chacun des témoins et de la lecture de tous les éléments de preuve écrits, l’accusé a le droit de prendre la parole (article 303).  Le tribunal s’assure que les faits sont établis de manière complète (article 294).
Une fois terminée la présentation des preuves (bevisførselen), le procureur puis l’avocat de la défense peuvent prononcer une plaidoirie.  Chacun a le droit de prendre deux fois la parole.  Lorsque l’avocat de la défense en a fini, on demande à l’accusé s’il a quelque chose à ajouter (article 304).  Pour décider quels faits sont réputés prouvés, le tribunal ne prendra en considération que les preuves fournies lors de l’audience principale (article 305).
23.   Selon l’article 40 du code de procédure pénale, si le tribunal prononce une condamnation, sa décision doit exposer le verdict en indiquant de manière précise et complète les faits qu’il juge prouvés et sur lesquels se fonde sa sentence.  Il doit également citer la disposition pénale en vertu de laquelle l’accusé a été condamné.  Le jugement doit également mentionner les motifs que le tribunal a considérés comme importants pour fixer la sanction.
En cas d’acquittement, les motifs du jugement doivent, aux termes de l’article 40, indiquer les conditions qui ne sont pas remplies pour rendre un verdict de culpabilité ou les circonstances qui excluent de prononcer la sanction requise par le ministère public.
B. Appel à la Cour suprême
24.   Aux termes du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits, la partie à un procès pénal qui souhaite attaquer une décision du tribunal a le choix entre demander l’ouverture d’un nouveau procès (fornyet behandling) devant la cour d’appel (lagmannsretten) ou adresser un pourvoi (anke) à la Cour suprême, en fonction de la nature du point litigieux.
S’il cherche à contester l’appréciation des faits établie par le tribunal pour décider de la culpabilité (bevisbedømmelsen under skyldspørsmålet, article 369, dans sa version en vigueur au moment des faits), l’appelant peut demander l’ouverture d’un nouveau procès devant la cour d’appel avec l’autorisation du comité de sélection des appels de la Cour suprême (article 370, dans sa version en vigueur à l’époque des faits).
Par ailleurs, la Cour suprême peut être saisie d’appels fondés sur des erreurs de droit touchant le verdict (rettsanvendelsen under skyldspørsmålet), des vices de procédure (saksbehandling) ou la sentence (straffutmåling) (article 335, dans sa version en vigueur à l’époque des faits).  En conséquence, la Cour suprême n’a pas compétence pour réexaminer les faits relatifs à la question de la culpabilité, mais doit s’appuyer sur ceux établis à cet égard par le tribunal.  En ce qui concerne la sanction, aucune restriction analogue ne frappe la compétence de la Cour suprême, qui s’exerce sur les questions tant de fait que de droit.
25.   Les deux parties peuvent, en principe, interjeter appel d’un jugement rendu par un tribunal local (article 335, dans sa version en vigueur à l’époque des faits).  Toutefois, une personne acquittée ne peut faire appel que si le tribunal a considéré comme prouvé qu’elle avait commis l’action illégale citée dans l’acte d’accusation (article 336, dans sa version en vigueur à l’époque des faits).
26.   L’instance d’appel est préparée et menée en suivant les règles régissant le procès de première instance dans la mesure où elles sont appropriées et où aucune autre disposition ne s’applique (article 352, dans sa version en vigueur à l’époque des faits).
27.   Le procès devant la Cour suprême est oral et public et les deux parties peuvent prendre la parole à deux reprises.  La partie appelante a le droit de s’adresser la première au tribunal.  L’accusé peut être autorisé à s’exprimer lors de l’audience (article 356, dans sa version en vigueur à l’époque des faits).  Les éléments de preuve contenus dans les documents relatifs à l’affaire sont lus devant les juges (article 357, dans sa version en vigueur à l’époque des faits).
28.   L’article 362 (dans sa version en vigueur à l’époque des faits) est rédigé en ces termes:
"Si la Cour n’aperçoit aucune raison de réformer ou d’annuler la décision attaquée, elle rejette l’appel par ordonnance.
A titre subsidiaire, elle rend un arrêt au fond si les conditions nécessaires se trouvent réunies.  Dans le cas contraire, elle annule par voie d’ordonnance le jugement contesté."
Pour déterminer si les "conditions nécessaires se trouvent réunies", la Cour suprême recherche avant tout si les faits établis dans la décision attaquée lui paraissent suffisants pour rendre un arrêt au fond.  La jurisprudence relative à l’article 362 confirme que la Cour suprême hésite à le faire.
Avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1986, du code de procédure pénale de 1981, l’article 396 du code de procédure pénale de 1887 ne conférait à la Cour suprême le pouvoir de rendre une décision de condamnation que "si la question de la culpabilité avait été tranchée en la défaveur de l’accusé" par la juridiction de première instance.  Le code de 1981 a supprimé cette restriction à la compétence de la Cour suprême.
C. Réforme du système norvégien d’appel
29.   Depuis le 1er août 1995, date d’entrée en vigueur de la loi de 1993 portant amendement du code de procédure pénale (Lov av 11 juni 1993 nr. 80 om endringer i straffeprosessloven m.v. (to-instansbehandling, anke og juryordning)), les recours formés contre des décisions du tribunal sont habituellement du ressort de la cour d’appel, qui a compétence pour revoir les points de fait, de droit et de procédure (articles 5, 306 et 345, dans leur version amendée).  La cour d’appel sera donc plus qu’avant amenée à jouer le rôle de deuxième instance, la Cour suprême intervenant en troisième instance dans les affaires pénales.
Par ailleurs, les dispositions précitées des articles 336, 356, 357 et 362, remplacés par les articles 307, 339, 340 et 345 respectivement, restent pour l’essentiel inchangées.
30.   Dans un avis figurant en annexe au projet de loi présentant le nouveau code au parlement (Ot prp nr. 78 (1992-93), p. 25), la Cour suprême déclare:
"Le système actuel, où la Cour suprême est au pénal la juridiction de droit commun du second degré, n’est comparable à celui d’aucun autre pays.  Il a permis un examen rapide des recours et conféré à la Cour suprême une grande influence sur la pratique du droit pénal. Cependant, au cours des dernières années, il s’est révélé ne plus être satisfaisant, si l’on prend en compte l’évolution récente.  En effet, il n’est pas conforme aux normes qui devraient être respectées en fait de garanties juridiques et, parallèlement, vu l’augmentation du nombre d’affaires pénales dans la société d’aujourd’hui, le système engendre au sein de la Cour suprême des conditions de travail qui empêchent cette juridiction de remplir ses fonctions de manière entièrement satisfaisante.  La proposition visant à instaurer deux niveaux de juridiction avant la Cour suprême rendrait le système d’appel en matière pénale conforme à celui existant au civil ainsi qu’aux systèmes d’appel en vigueur dans la plupart des pays.  Elle permettrait à la Cour suprême de mieux concentrer son travail sur les affaires où elle est appelée à trancher des questions de principe ou celles nécessitant pour une autre raison une décision de sa part."
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
31.   Dans sa requête (no 16206/90) du 22 décembre 1989 à la Commission, M. Botten alléguait une violation de l’article 2 du Protocole no 7 (P7-2) à la Convention en ce qu’il n’avait pas eu le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et sa condamnation, la Cour suprême n’ayant pas compétence pour évaluer les faits relatifs à la question de la culpabilité.  Il se plaignait en outre d’une violation du droit à un procès équitable que lui garantit l’article 6 (art. 6) de la Convention au motif que la Cour suprême l’avait condamné en se fondant sur les faits qui avaient conduit le tribunal à l’acquitter et qu’il n’avait pas été convoqué à l’audience devant cette juridiction et n’y avait pas assisté.
32.   La Commission a déclaré la requête recevable le 17 janvier 1994 quant au grief tiré de l’article 6 (art. 6) et irrecevable pour le surplus.  Dans son rapport du 11 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis que la procédure devant la Cour suprême a donné lieu à une violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (seize voix contre une).  Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt 3.
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR
33.   De même que dans son mémoire, le Gouvernement, lors de l’audience du 26 septembre 1995, a invité la Cour à dire qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention.
34.   Le requérant, pour sa part, a réitéré la demande qu’il avait déjà exprimée dans son mémoire, priant la Cour de conclure à la violation de l’article 6 (art. 6) et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
EN DROIT
I.   SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
35.   Le Gouvernement soutient - comme il l’a fait sans succès devant la Commission - que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes (article 26 de la Convention) (art. 26). L’intéressé n’aurait pas porté devant la Cour suprême la substance de son grief sur le terrain de l’article 6 (art. 6) de la Convention, à savoir que cette juridiction a rendu à son sujet un arrêt au fond infirmant le jugement d’acquittement prononcé par le tribunal, sans l’avoir cité à comparaître ni entendu en personne (paragraphes 15, 16, 18, 19 et 28 ci-dessus).
36.   La Cour fait cependant observer que l’objet de la plainte du requérant à Strasbourg a été examiné lors de la procédure interne.
Dans l’appel dont il l’a saisie, le procureur général a invité la Cour suprême à condamner le requérant pour négligence ou légèreté dans l’accomplissement de ses obligations officielles en vertu de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire.  Il a soutenu que les faits établis par le tribunal étaient suffisamment clairs pour autoriser la Cour suprême à rendre un arrêt au fond conformément à l’article 362 par. 2 (dans sa version en vigueur à l’époque des faits), du code de procédure pénale, au lieu de casser la décision du tribunal et de lui renvoyer l’affaire (paragraphe 14 ci-dessus).  L’avocat du requérant a demandé à la Cour suprême de rejeter l’appel mais ne s’est pas, à titre subsidiaire, opposé à ce que la Cour suprême rende un arrêt au fond en vertu de l’article 362 par. 2.
Le 27 juin 1989, la Cour suprême a estimé que les faits décrits dans la décision du tribunal satisfaisaient à la condition prévue à l’article 362 par. 2 et a condamné le requérant en vertu de l’article 78 par. 1, sans le citer à comparaître ni l’entendre en personne.  Il ressort implicitement de l’arrêt de la Cour suprême que, selon elle, cela n’entachait en rien l’équité de la procédure suivie à l’encontre du requérant (paragraphe 19 ci-dessus).
Dans ces conditions, nonobstant le fait que ni le requérant ni son avocat n’ont soulevé la question par eux-mêmes, on ne saurait dire que la juridiction norvégienne n’a pas bénéficié de l’occasion que la règle de l’épuisement des voies de recours internes a précisément pour finalité de ménager aux Etats: redresser les manquements allégués à leur encontre (voir, entre autres, l’arrêt Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, série A no 40, p. 17, par. 34).  Il échet donc de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.
II.   SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION
37.   Le requérant se plaint principalement de ce que la Cour suprême a rendu un arrêt au fond infirmant le jugement d’acquittement du tribunal sans l’avoir cité à comparaître ni entendu en personne.  Il dénonce ainsi une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dont les passages pertinents disposent:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)"
38.   Le Gouvernement conteste cette thèse, alors que la Commission y souscrit.
A. Principes énoncés dans la jurisprudence de la Cour
39.   La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 (art. 6) aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (voir, entre autres, les arrêts Fejde c. Suède du 29 octobre 1991, série A no 212-C, pp. 67-69, paras. 27 et 31, et Kremzow c. Autriche du 21 septembre 1993, série A no 268-B, p. 43, paras. 58-59).
Selon la jurisprudence de la Cour, les procédures d’autorisation d’appel et celles consacrées exclusivement à des points de droit et non de fait peuvent remplir les conditions de l’article 6 (art. 6) bien que la cour d’appel ou de cassation n’ait pas donné au requérant la faculté de s’exprimer en personne devant elle (arrêt Axen c. Allemagne du 8 décembre 1983, série A no 72, pp. 12-13, paras. 27-28, et arrêt Kremzow précité, pp. 43-44, paras. 60-61).  De surcroît, même si la cour d’appel jouit de la plénitude de juridiction, l’article 6 (art. 6) n’impose pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d’assister en personne aux débats (voir, par exemple, l’arrêt Fejde précité, p. 69, par. 33).
B. Application de ces principes en l’espèce
40.   En première instance, le tribunal tint une audience publique où déposèrent non seulement M. Botten mais aussi de nombreux témoins et experts.  Il mena en outre une enquête sur les lieux de l’accident (paragraphe 11 ci-dessus).  L’équité de la procédure devant cette juridiction n’est pas contestée.
En outre, un procès public et oral eut lieu en appel devant la Cour suprême, auquel le requérant fut représenté par un avocat (paragraphe 18 ci-dessus).  La Cour doit se prononcer sur la question de savoir si, eu égard aux circonstances de l’espèce, il y a eu atteinte au droit à un procès équitable que l’article 6 (art. 6) de la Convention garantit au requérant dans la mesure où la Cour suprême a rendu un arrêt au fond, en vertu de l’article 362 par. 2 (dans sa version en vigueur à l’époque des faits), du code de procédure pénale, par lequel elle condamnait le requérant, sans l’avoir cité à comparaître ni entendu en personne.
1. Thèses des comparants
41.   D’après le Gouvernement, la procédure suivie en l’espèce s’est non seulement conformée à la garantie d’équité énoncée à l’article 6 (art. 6) de la Convention, mais a permis en outre aux juridictions internes de clore la procédure pénale "dans un délai raisonnable", autre exigence de cette disposition.  Par l’intermédiaire de son avocat, le requérant a bénéficié, tout comme le ministère public, de la possibilité de participer à l’instance et de faire entendre sa cause.  Sa propre présence à l’audience devant la Cour suprême n’aurait pas permis de mieux respecter les principes fondamentaux consacrés par l’article 6 (art. 6).
42.   En ce qui concerne la responsabilité, le Gouvernement indique que la Cour suprême était liée, en vertu de la loi norvégienne, par les constatations de fait relatives à la question de la culpabilité établies par le tribunal (paragraphes 12, 19 et 24 ci-dessus), qui n’étaient d’ailleurs nullement controversées.  Elle n’aurait pas pu revoir ces faits même si le requérant avait été présent.  On ne saurait non plus déduire des exigences de l’article 40 du code de procédure pénale (paragraphe 23 ci-dessus) que les faits exposés dans un jugement d’acquittement, tel que celui rendu par le tribunal, ne peuvent servir à étayer une condamnation par la Cour suprême.  En l’espèce, au contraire, la majorité du tribunal, qui a voté pour l’acquittement, et la minorité, qui s’est prononcée pour la condamnation, ont fondé leurs conclusions sur les mêmes faits, et n’ont divergé que sur un point de droit (paragraphe 13 ci-dessus).  L’appel interjeté par le ministère public quant à la responsabilité du requérant ne soulevait manifestement que des points de droit.
A cet égard, le Gouvernement souligne que la Cour suprême, partant d’une interprétation de la loi différente de celle suivie par la majorité du tribunal, a conclu que le requérant aurait dû obligatoirement utiliser un doris pour l’opération de sauvetage. Elle a condamné le requérant en vertu de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire parce qu’il a utilisé un canot pneumatique au lieu d’un doris et aussi, accessoirement, parce qu’il a négligé de veiller à ce que l’infirmière apporte le matériel de premiers secours sur la plage (paragraphe 19 ci-dessus).  La conduite du requérant après qu’il eut quitté la plage est donc sans rapport avec sa condamnation, tout comme le moyen d’appel subsidiaire du ministère public selon lequel les motifs du jugement du tribunal étaient incomplets (paragraphe 14 ci-dessus).
Partant, eu égard aux conclusions de la Cour suprême quant au droit, les faits décrits dans le jugement du tribunal étaient manifestement suffisants pour étayer la conclusion de la Cour suprême relative à la responsabilité du requérant.
43.   Au sujet de la sanction, le Gouvernement considère que les faits soumis à la Cour suprême étaient complets et suffisants. Le dossier de l’affaire contenait des renseignements sur la situation professionnelle et l’état civil du requérant, ses revenus, ses états de service dans l’armée, et comportait une pièce indiquant que son casier judiciaire était vierge (paragraphe 18 ci-dessus).  On verrait mal quels autres éléments de preuve auraient pu être utiles puisque, dans une affaire de ce genre, l’accent est mis sur la nature de l’infraction et non sur la personnalité, le caractère, l’état d’esprit ou les motivations de l’inculpé.  Comme le révéleraient les propres arguments du requérant devant les juridictions norvégiennes et les organes de la Convention, il accorderait de l’importance à la question de la culpabilité, mais non à la sanction.  Il se serait d’ailleurs vu infliger une peine légère (paragraphe 19 ci-dessus), qui ne devrait pas compter beaucoup pour lui.
44.   A titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que le requérant a, sans ambiguïté aucune, renoncé à user des droits que lui reconnaît l’article 6 (art. 6) de la Convention.  Il n’aurait en effet pas exercé son droit à assister à l’audience d’appel et à solliciter l’autorisation de prendre la parole devant la Cour suprême.  De plus, son avocat aurait omis de s’opposer à ce que la Cour suprême rende un arrêt au fond en vertu de l’article 362 par. 2 du code de procédure pénale (paragraphes 16-18 et 28 ci-dessus).
45.   Le requérant et la Commission ne partagent pas ce point de vue.  En ce qui concerne l’appel sur la question de la responsabilité, ils soutiennent que, si les faits établis par le tribunal n’ont été l’objet d’aucune contestation, cela n’implique pas nécessairement qu’ils soient complets.  Le procureur a lui-même avancé, à titre de moyen d’appel subsidiaire, que les motifs du jugement du tribunal étaient incomplets (paragraphe 14 ci-dessus).  En outre, la Cour suprême n’avait pas compétence pour revoir les faits quant à la question de la culpabilité. Cette juridiction ayant infirmé le jugement du tribunal et condamné le requérant, pour la première fois au cours de cette procédure, il aurait fallu que celui-ci assistât à l’audience et fût entendu en personne.
Le requérant avance de plus qu’en l’absence de compte rendu de l’audience devant le tribunal, la Cour suprême ne pouvait prendre connaissance de toutes les preuves présentées en première instance (paragraphe 18 ci-dessus).  On ne saurait non plus présumer que l’exposé des faits figurant dans le jugement du tribunal était suffisant pour étayer la décision de condamnation prise par la Cour suprême puisque, selon l’article 40 du code de procédure pénale, le tribunal était seulement tenu de décrire les faits nécessaires pour justifier son verdict d’acquittement (paragraphe 23 ci-dessus).
46.   Quant à la question de la sanction, le requérant et la Commission estiment que l’intéressé aurait dû assister à l’audience et être autorisé à prendre la parole, ce qui serait essentiel à l’équité de la procédure.  Ils font à cet égard valoir que la Cour suprême a été la première à prononcer une condamnation, laquelle n’impliquait aucune peine définie ou obligatoire.  Ils soulignent aussi l’importance que l’issue de la procédure revêtait pour le requérant (paragraphes 13, 19 et 20 ci-dessus).  Selon celui-ci, la décision de la Cour suprême a nui à sa carrière.
47.   De surcroît, le requérant considère qu’il n’a pas eu non plus droit à un procès équitable en ce que la procédure norvégienne n’a pas assuré l’égalité des armes entre les parties. Le procureur, contrairement à l’intéressé, aurait pu soit introduire un pourvoi devant la Cour suprême, soit demander l’ouverture d’un nouveau procès devant la cour d’appel (paragraphe 25 ci-dessus).  Le procureur ayant choisi le premier recours, le requérant ne pouvait demander la révision des faits quant à la question de la culpabilité.
2. L’appréciation de la Cour
48.   Pour la Cour, le fait que la Cour suprême a compétence pour infirmer un verdict d’acquittement rendu par le tribunal sans citer l’inculpé à comparaître ni l’entendre en personne (paragraphes 15, 27 et 28 ci-dessus) ne contrevient pas en soi à l’exigence d’équité contenue à l’article 6 (art. 6) de la Convention.
Il échet cependant d’examiner s’il y a eu violation en l’espèce en tenant compte du rôle de la Cour suprême et de la nature des questions dont elle avait à connaître.  A cette fin, la Cour se bornera à rechercher si, en l’occurrence, la procédure suivie fut équitable; il n’entre pas dans ses attributions d’exprimer un avis sur le point de savoir si la Cour suprême a correctement interprété la législation norvégienne ni de substituer sa propre appréciation à celle de cette juridiction quant à savoir si les faits décrits dans le jugement du tribunal étaient suffisants pour étayer une condamnation en vertu de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire (voir, par exemple, les arrêts Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, série A no 274, p. 18, par. 31, et Edwards c. Royaume-Uni du 16 décembre 1992, série A no 247-B, pp. 34-35, par. 34).
49.   En ce qui concerne la question de la responsabilité, la Cour relève que le procureur a invité la Cour suprême à suivre une interprétation des concepts de "négligence" et de "légèreté", mentionnés à l’article 78 par. 1 du code pénal militaire, différente de celle adoptée par le tribunal et à rendre un arrêt au fond condamnant le requérant en se fondant sur les faits tels qu’établis dans la décision du tribunal (paragraphe 14 ci-dessus).  La Cour suprême s’est appuyée sur ces faits pour condamner l’intéressé en vertu de l’article 78 par. 1 en raison de sa conduite lors des "premières étapes" de l’opération de sauvetage, donc surtout pour avoir décidé d’utiliser un canot pneumatique au lieu d’un doris (paragraphes 12 et 19 ci-dessus).
Même en ne considérant que le principal motif pour lequel le requérant a été condamné, comme le suggère le Gouvernement, la Cour n’est pas convaincue par l’argument de ce dernier selon lequel l’appel du ministère public ne soulevait que des points de droit.  Bien que les faits se rapportant à la question de la culpabilité établis par le tribunal n’eussent aucunement été contestés et que la Cour suprême eût été liée par eux, celle-ci devait dans une certaine mesure procéder à sa propre appréciation des faits afin de rechercher s’ils étaient suffisants pour permettre de condamner le requérant; si tel n’était pas le cas, elle devait annuler le jugement du tribunal et ordonner l’ouverture d’un nouveau procès (paragraphes 19 et 28 ci-dessus). Un fait le confirme, qui ressort du jugement du tribunal et de l’appel du ministère public à la Cour suprême: l’allégation selon laquelle les règles applicables faisaient obligation au requérant d’utiliser un doris pour l’opération de sauvetage et le non-respect de cette obligation constituait une infraction punie par l’article 78 par. 1, posait des questions sérieuses (arrêt Helmers c. Suède du 29 octobre 1991, série A no 212-A, p. 17, par. 38).  Ces dernières ne touchaient pas seulement à l’interprétation des instructions applicables mais également au point de savoir s’il y avait eu négligence ou légèreté vu les conditions particulières régnant sur les lieux de l’opération de sauvetage et au moment de celle-ci (paragraphes 13, 14 et 19 ci-dessus).
50.   Quant à la sanction, la Cour suprême jouissait de la plénitude de juridiction et, en cas de responsabilité au titre de l’article 78 par. 1, avait toute latitude pour prononcer une peine pouvant atteindre six mois d’arrêts (paragraphes 20 et 24 ci-dessus).  Eu égard à la nature de l’infraction, et quelles que soient les considérations sur lesquelles la Cour suprême s’est appuyée, la sanction était susceptible de soulever des questions touchant par exemple à la personnalité et au caractère du requérant (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kremzow précité, p. 45, par. 67).  Or, pour fixer la peine, la Cour suprême n’a pas même bénéficié d’une appréciation sur ce point de la part du tribunal de première instance, qui avait entendu directement le requérant.
51.   De plus, eu égard à la nature de l’infraction en cause, la Cour n’aperçoit aucune raison de douter de ce que l’issue de la procédure a pu porter préjudice à la carrière professionnelle du requérant (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Helmers précité, p. 17, par. 38).  De fait, une condamnation pénale pour négligence dans l’accomplissement de ses obligations officielles peut avoir des conséquences sérieuses pour tout agent de l’Etat.
52.   Compte tenu de l’enjeu pour le requérant, la Cour n’estime pas que les questions dont la Cour suprême se trouvait saisie lorsqu’elle a condamné le requérant - infirmant ainsi l’acquittement par le tribunal - pouvaient bien se résoudre, aux fins d’un procès équitable, sans une appréciation directe du témoignage personnel du requérant.
53.   Vu l’ensemble de la procédure suivie devant les juridictions norvégiennes, le rôle de la Cour suprême et la nature des questions à trancher, la Cour conclut à l’absence de toute particularité justifiant que la Cour suprême n’ait pas cité le requérant à comparaître et ne l’ait pas entendu directement avant de rendre un arrêt conformément à l’article 362 par. 2 (dans sa version en vigueur à l’époque des faits), du code de procédure pénale.  La Cour suprême était tenue de prendre des mesures positives à cette fin, même si le requérant n’a pas assisté à l’audience, n’a pas sollicité l’autorisation de prendre la parole devant cette juridiction et ne s’est pas opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à ce que cette dernière rende un arrêt au fond en vertu dudit article.
En bref, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
54.   M. Botten sollicite une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention, ainsi libellé:
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
55.   Le requérant ne réclame pas de réparation pour dommage.  Il sollicite le remboursement de ses frais et dépens, dont il convient de déduire les sommes de 81 815 NOK et 12 611 francs français, versées au titre de l’assistance judiciaire par les autorités norvégiennes et le Conseil de l’Europe respectivement. Dans une lettre du 15 janvier 1996, le requérant déclare avoir reçu un nouveau versement de 131 253 NOK dans le cadre de l’assistance judiciaire en Norvège et n’avoir donc plus aucune prétention au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
56.   Dans ces conditions, la Cour ne juge pas nécessaire de lui accorder des frais et dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.   Rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement;
2.  Dit, par sept voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention;
3.   Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’allouer de frais et dépens.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 19 février 1996.
Rudolf BERNHARDT
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 55 par. 2 du règlement B, l’exposé de l’opinion dissidente de MM. Ryssdal et Gölcüklü.
R. B.
H. P.
OPINION DISSIDENTE DE MM. LES JUGES RYSSDAL ET GÖLCÜKLÜ
(Traduction)
Selon nous, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Quant à savoir si le requérant était coupable de négligence dans l’accomplissement de ses obligations officielles (article 78 par. 1 du code pénal militaire de 1902), la Cour suprême, dans son arrêt du 27 juin 1989, s’est exclusivement prononcée sur un point de droit en se fondant sur les faits tels qu’établis dans la décision du tribunal du 30 mars 1989.  Ainsi que l’indique ce dernier, et cela n’est pas contesté, le requérant a utilisé un canot pneumatique au lieu d’un doris pour l’opération de sauvetage.  La majorité du tribunal a acquitté le requérant parce que d’après elle, l’utilisation d’un canot pneumatique n’avait en aucun cas compromis la sécurité.  La Cour suprême a estimé que l’acquittement était fondé sur une application erronée de la loi car la disposition pertinente faisait obligation au requérant d’utiliser un doris.
La décision sur ce point de droit aurait nécessairement été identique même si le requérant en personne, et non pas seulement son avocat, avait été présent à l’audience du 20 juin 1989 et s’il avait été autorisé à prendre la parole devant la Cour suprême.  De plus, si la décision du tribunal avait été cassée et l’affaire renvoyée devant le tribunal de première instance, ce dernier aurait été contraint de suivre l’interprétation de la loi émanant de la Cour suprême, à savoir que les textes pertinents faisaient obligation au requérant d’utiliser un doris pour l’opération de sauvetage.
En ce qui concerne la sanction, il faut noter que, selon les dires du requérant lui-même devant les tribunaux norvégiens et les institutions de la Convention, M. Botten accordait de l’importance à la question de sa culpabilité mais non à la peine qui lui a été infligée.  Dans le cas contraire, il aurait pu faire usage de la possibilité qui s’offrait à lui d’assister à l’audience d’appel et de demander l’autorisation de s’adresser à la Cour suprême.  En outre, celle-ci a souligné dans son arrêt que la conduite du requérant n’était fautive que pendant les étapes préparatoires de l’opération de sauvetage.  Il s’est de surcroît vu infliger une peine légère.  On peut d’ailleurs difficilement imaginer peine moins sévère.
A notre avis, enfin, la référence dans la décision de la Cour à l’arrêt Kremzow c. Autriche du 21 septembre 1993, série A no 268-B, n’est certainement pas pertinente en l’espèce.  En effet, les circonstances particulières exposées aux paragraphes 67 et 68 de cet arrêt - relatif à un procès pour meurtre ayant conduit à une peine de réclusion à perpétuité - ne sont en aucun cas comparables à celles de la cause, où il n’était pas particulièrement nécessaire de jauger la personnalité et le caractère du requérant.
1 L'affaire porte le n° 50/1994/497/579.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2 Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s'applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9 (P9).
3 Pour des raisons d'ordre pratique, il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions, 1996), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT BOTTEN c. NORVEGE
ARRÊT BOTTEN c. NORVEGE
ARRÊT BOTTEN c. NORVEGE
OPINION DISSIDENTE DE MM. LES JUGES RYSSDAL ET GÖLCÜKLÜ
ARRÊT BOTTEN c. NORVEGE
OPINION DISSIDENTE DE MM. LES JUGES RYSSDAL ET GÖLCÜKLÜ


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (non-épuisement) ; Violation de l'Art. 6-1 (procès équitable) ; Frais et dépens - demande abandonnée

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : BOTTEN
Défendeurs : NORVEGE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 19/02/1996
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16206/90
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1996-02-19;16206.90 ?

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