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28/02/1996 | CEDH | N°21591/93

CEDH | THUN-HAYE c. ALLEMANGE


SUR LA RECEVABILITE de la requête N° 21591/93 présentée par Renée THUN-HAYE contre l'Allemagne La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 28 février 1996 en présence de M. C.L. ROZAKIS, Président Mme J. LIDDY MM. E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER N. BRATZA I. BÉKÉS

E. KONSTANTINOV G. RESS ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête N° 21591/93 présentée par Renée THUN-HAYE contre l'Allemagne La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 28 février 1996 en présence de M. C.L. ROZAKIS, Président Mme J. LIDDY MM. E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER N. BRATZA I. BÉKÉS E. KONSTANTINOV G. RESS A. PERENIC C. BÎRSAN K. HERNDL Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 15 septembre 1992 par Renée THUN-HAYE contre l'Allemagne et enregistrée le 26 mars 1993 sous le N° de dossier 21591/93 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT La requérante est une ressortissante française née en 1941 à Königsberg et demeurant à Brest. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par la requérante, peuvent se résumer comme suit. En 1945, après la fin de la deuxième guerre mondiale, les parents de la requérante perdirent des propriétés situées dans la ville de Königsberg, au nord de la Prusse orientale, suite à leur occupation par l'URSS. Par le Protocole de Potsdam d'août 1945, l'administration des territoires situés à l'est de la ligne Oder-Neisse fut transférée à la Pologne et, en ce qui concerne le nord de la Prusse orientale, à l'Union soviétique. Ce Protocole n'avait pas réglé définitivement la question des frontières allemandes et la requérante estime que ses droits individuels sont demeurés ce qu'ils étaient avant l'occupation desdits territoires. Selon la requérante cette situation a été finalement modifiée par le traité , conclu le 12 septembre 1990 entre la République fédérale d'Allemagne et la République démocratique allemande d'une part et, d'autre part, l'Union soviétique, la France, le Royaume-Uni et les Etats- Unis d'Amérique portant règlement définitif concernant l'Allemagne, traité dit des 2 + 4. L'article 1, par. 1, dudit traité prévoit que : "L'Allemagne unie comprendra le territoire de la République fédérale d'Allemagne, de la République démocratique allemande et de l'ensemble de Berlin. Ses frontières extérieures seront celles de la République fédérale et de la République démocratique allemandes et seront définitives à partir de la date d'entrée en vigueur du traité. La confirmation du caractère définitif des frontières de l'Allemagne unie constitue un élément essentiel de l'ordre de paix en Europe". Le paragraphe 3 de l'article 1 précise que l'Allemagne unie n'a aucune revendication territoriale quelle qu'elle soit envers d'autres Etats et n'en formulera pas à l'avenir. L'article 1, par. 4, prévoit que les gouvernements de la république fédérale d'Allemagne et de la République démocratique allemande feront en sorte que la constitution de l'Allemagne unie ne comporte aucune disposition incompatible avec ces principes. Cela vaut en conséquence pour les dispositions contenues dans le préambule, l'article 23, 2ème phrase et l'article 146 de la Loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne de 1949. Estimant que l'Allemagne unie, en signant un traité ne comportant aucune clause transférant aux états bénéficiaires l'obligation de respecter le droit de propriété des ressortissants allemands propriétaires de biens situés dans les territoires définitivement cédés, avait méconnu l'article 14 de la Loi fondamentale garantissant le droit de propriété, la requérante saisit la Cour fédérale constitutionnelle d'un recours dirigé contre le traité. Ce recours fut rejeté par décision du 18 mars 1992 de la Cour constitutionnelle aux motifs que que la requérante ne démontrait pas en quoi elle était victime du fait de la conclusion du traité d'une violation de ses droits fondamentaux, que le traité ne contenait aucune disposition concernant la propriété des allemands ayant habité dans la région de Königsberg et leurs héritiers et que les possibilités concrètes d'utilisation d'un bien situé dans cette région n'avaient pas été aggravées par la conclusion du traité. En outre, pour autant que la requérante se plaignait que la République fédérale aurait dû faire en sorte que l'Union soviétique donne aux allemands et à leurs héritiers la possibilité de jouir de leurs biens situés à Koenigsberg et environs, la Cour constitutionnelle estima qu'aucune obligation en ce sens ne pesait sur les organes législatifs ou exécutifs allemands en vertu de la Constitution. Enfin la Cour constitutionnelle releva qu'une demande d'indemnisation ou de dommages et intérêts portée devant elle était irrecevable.
GRIEFS
1. La requérante estime qu'en droit elle était demeurée propriétaire des biens dont elle avait hérité à Königsberg, en Prusse orientale, jusqu'à la conclusion du traité du 12 septembre 1990 portant règlement définitif concernant l'Allemagne. En conséquence, elle estime avoir été expropriée par l'Allemagne qui, en ne faisant inclure aucune disposition dans le traité concernant une quelconque obligation pour l'URSS de respecter le droit de propriété des allemands en Prusse orientale, aurait méconnu son obligation constitutionnelle découlant de l'article 14 de la Loi fondamentale d'indemniser toute expropriation effectuée dans l'intérêt général. La requérante se plaint également que la Cour constitutionnelle fédérale a mal qualifié son recours qui, d'après elle, n'était pas dirigé contre le traité mais contre la non-application de l'article 14 de la Loi fondamentale en l'espèce. La requérante invoque l'article 1 du Protocole N° 1 à la Convention.
2. La requérante se plaint également d'une violation de l'article 14 de la Convention. Elle considère discriminatoire le traitement subi par les propriétaires dans sa situation par rapport à ceux propriétaires de biens situés dans l'ancienne République démocratique allemande.
EN DROIT La requérante se plaint que la ratification par la République fédérale d'Allemagne du traité de Moscou du 12 septembre 1990 a eu pour effet de la priver définitivement des biens immobiliers dont elle était propriétaire par succession avant 1945 dans une région qui fait maintenant partie du territoire de la fédération de Russie (ex-URSS). Elle invoque à titre principal l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1) qui stipule : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international." La Commission rappelle qu'elle a déjà eu l'occasion de se prononcer sur la recevabilité de plusieurs requêtes soulevant des griefs analogues concernant le traité germano-polonais du 17 octobre 1991 (N° 24928/94, déc. 30.11.94 et N° 22353/93, déc. 18.10.95, non publiées), par lequel la République fédérale avait reconnu la frontière occidentale de la Pologne. Ces requêtes ont été déclarées irrecevables pour défaut manifeste de fondement, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention, notamment aux motifs que la conclusion de ce traité n'avait pas changé la situation juridique quant aux possessions privées ni rendu plus difficile l'exercice effectif d'un droit de propriété dont les requérants étaient déjà privés depuis plus de trente ans du fait des autorités polonaises. Dans sa décision du 30 novembre 1994, la Commission a relevé en outre qu'à supposer même qu'il existât à charge d'un Etat membre une obligation positive de protéger ses citoyens contre une violation de leurs droits fondamentaux, en particulier contre des expropriations sans compensation, les états jouissent en matière de traités internationaux d'un pouvoir discrétionnaire limité par essence à l'obtention de résultats acceptables par les parties et que l'intérêt général visant à établir des relations normales et amicales avec un état voisin prévalait sur les intérêts individuels en cause. La Commission estime que les mêmes considérations doivent s'appliquer pour examiner les conséquences de la conclusion du traité du 12 septembre 1990 ( dit des 2 + 4). Ce traité a reconnu comme définitives les frontières de l'Allemagne, telle que définie dans l'article 1 du traité. Il en ressort que les territoires autrefois allemands et soumis à l'administration de l'URSS, y compris la ville de Königsberg, ne font plus partie de l'Allemagne et ont donc été définitivement soumis à la souveraineté de l'URSS. Toutefois le traité 2 + 4 ne contient aucune disposition quant aux effets de ce transfert de souveraineté sur les droits de propriété ou sur les droits à indemnisation en cas d'expropriation. A cet égard, la Commission se réfère au fait que la Cour constitutionnelle a considéré que l'article 1 du traité portant délimitation du territoire allemand (Gebietsabgrenzung) ne contenait pas de réglementation de la propriété ni des allemands vivant sur le territoire de Königsberg ni de leurs héritiers. Il n'est pas contesté qu'en l'espèce la responsabilité de l'expropriation de fait subie par la requérante en 1945 n'incombe pas aux autorités allemandes. La circonstance que celles-ci aient accepté quarante-cinq ans plus tard de conclure un traité portant abandon de souveraineté sur les territoires en question ne saurait autoriser la requérante à imputer la responsabilité de cette expropriation aux autorités allemandes. En effet, à supposer même que la République fédérale ait une obligation positive de protéger ses ressortissants contre des expropriations sans compensation, la Commission note que la situation juridique quant à la propriété privée des anciens habitants du territoire de Königsberg n'a pas changé. Elle estime que le Gouvernement allemand n'a pas outrepassé son pouvoir discrétionnaire en concluant le traité 2 + 4, par lequel les Quatres Puissances consentaient à l'unification de l'Allemagne, c'est-à-dire de la République fédérale, de la République démocratique et de Berlin dans son ensemble, même si une réglementation des droits privés de ses citoyens sur le territoire de Königsberg n'a pas fait ou pas pu faire l'objet du traité ni même de négociations. Compte tenu des circonstances, tant intérieures qu'extérieures, ayant abouti à l'unification de l'Allemagne, rien ne permet de conclure que le Gouvernement allemand ait exercé son pouvoir discrétionnaire, dans les négociations internationales ou en concluant le traité, d'une manière arbitraire au détriment des particuliers. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. La requérante se plaint en outre d'une discrimination contraire à l'article 14 (art. 14) de la Convention du fait de la différence de traitement des droits à indemnisation ou restitution des personnes propriétaires de biens dans l'ancienne République démocratique allemande. En l'espèce le grief de la requérante tombe dans le champ d'application de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1) qui concerne, entre autres, la privation de propriété et l'octroi d'une indemnisation en cas d'expropriation (cf. Cour eur. D.H., arrêt Lithgow et autres du 8 juillet 1986, série A n° 102, p. 50, par. 120). L'article 14 (art. 14) de la Convention protège les individus, placés dans une situation comparable, contre la discrimination (cf. Cour eur. D.H., arrêt Van der Mussele du 23 novembre 1993, série A n° 70, p. 22, par. 46). Toutefois la Commission estime que la situation de personnes dont les biens immobiliers ont été confisqués par une puissance étrangère diffère fondamentalement de celle des personnes expropriées par les autorités allemandes dans des régions qui ont été et sont toujours territoires allemands et qu'il ne peut donc y avoir situation comparable. Dans le deuxième cas, en effet, comme la Commission l'a relevé dans sa décision N° 20931/92 (déc. 10.2.93, non publiée), "les biens immobiliers en question sont à la disposition des autorités allemandes, qui sont donc en mesure soit de les restituer à leurs anciens propriétaires soit de les garder et de verser une indemnité. De telles possibilités ne sont pas ouvertes aux autorités allemandes pour ce qui concerne des propriétés confisquées par des états tiers". Il s'ensuit qu'il n'y a aucune apparence de violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole N° 1 (art. 14+P1-1), de sorte que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de la Première Chambre Première Chambre (M.F. BUQUICCHIO) (C.L. ROZAKIS)


Synthèse
Formation : Commission (première chambre)
Numéro d'arrêt : 21591/93
Date de la décision : 28/02/1996
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF


Parties
Demandeurs : THUN-HAYE
Défendeurs : ALLEMANGE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1996-02-28;21591.93 ?

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