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25/04/1996 | CEDH | N°15573/89

CEDH | AFFAIRE GUSTAFSSON c. SUEDE


COUR (GRANDE CHAMBRE)
AFFAIRE GUSTAFSSON c. SUEDE
(Requête no 15573/89)
ARRÊT
STRASBOURG
25 avril 1996
En l’affaire Gustafsson c. Suède 1,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 53 du règlement B de la Cour 2, en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
A. Spielmann,
S.K. Martens,
Mme E. Palm,
MM. I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
J.M.

Morenilla,
F. Bigi,
M.A. Lopes Rocha,
G. Mifsud Bonnici,
J. Makarczyk,
B. Repik,
P. Jambrek,
E. Levits,
ain...

COUR (GRANDE CHAMBRE)
AFFAIRE GUSTAFSSON c. SUEDE
(Requête no 15573/89)
ARRÊT
STRASBOURG
25 avril 1996
En l’affaire Gustafsson c. Suède 1,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 53 du règlement B de la Cour 2, en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
A. Spielmann,
S.K. Martens,
Mme E. Palm,
MM. I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
J.M. Morenilla,
F. Bigi,
M.A. Lopes Rocha,
G. Mifsud Bonnici,
J. Makarczyk,
B. Repik,
P. Jambrek,
E. Levits,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 novembre 1995 et 28 mars 1996,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 1er mars 1995 et par le gouvernement du Royaume de Suède ("le Gouvernement") le 15 mai 1995, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (no 15573/89) dirigée contre la Suède et dont un ressortissant de cet Etat, M. Torgny Gustafsson, avait saisi la Commission le 1er juillet 1989 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46).  Elle a pour objet, de même que la requête du Gouvernement, d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 6, 11 et 13 (art. 6, art. 11, art. 13) de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 35 par. 3 d) du règlement B, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 31).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Mme E. Palm, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention) (art. 43) , et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement B).  Le 5 mai 1995, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Matscher, B. Walsh, S.K. Martens, R. Pekkanen, A.N. Loizou, F. Bigi et P. Jambrek, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention (art. 43) et 21 par. 5 du règlement B).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement B), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, l’avocat du requérant et la déléguée de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 39 par. 1 et 40).  Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 12 septembre 1995 et celui du requérant le 13 septembre.  Le secrétaire de la Commission l’a informé par une lettre du 19 octobre 1995 que la déléguée ne présenterait pas d’observations écrites.
5.  Le 28 septembre 1995, la chambre a décidé, vu la demande présentée le 30 août par le Gouvernement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit d’une grande chambre (article 53 du règlement B). Le président et le vice-président, M. R. Bernhardt, et les autres membres de la chambre étant de plein droit membres de la grande chambre, le président a tiré au sort, le 28 septembre 1995, le nom des neuf juges supplémentaires, à savoir MM. L.-E. Pettiti, A. Spielmann, I. Foighel, J.M. Morenilla, M.A. Lopes Rocha, G. Mifsud Bonnici, J. Makarczyk, B. Repik et E. Levits, en présence du greffier (article 53 par. 2 a) et b).
6.   Le 24 octobre 1995, la grande chambre a rejeté une demande d’audition de témoins émise par le Gouvernement et reçue au greffe le 17 octobre (article 43 par. 1 combiné avec l’article 53 par. 6).  Entre le 19 et le 25 octobre, le greffier a reçu plusieurs lettres du requérant contenant des observations au sujet de cette demande.
7.   Les 27 septembre et 24 octobre 1995 et le 10 janvier 1996, le requérant a fourni des renseignements complémentaires sur ses prétentions au titre de l’article 50 (art. 50).  Le 10 novembre 1995, la Commission a produit plusieurs pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l’y avait invitée sur les instructions du président.
8.   Ainsi qu’en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 22 novembre 1995, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. C.H. Ehrenkrona, sous-secrétaire adjoint aux affaires
juridiques, ministère des Affaires étrangères, agent,
M. D. Ekman, sous-secrétaire permanent,
ministère du Travail,
M. P. Virdesten, sous-secrétaireaux affaires juridiques,
ministère du Travail,
Mme I. Åkerlund, conseiller juridique, ministère du Travail,
Mme H. Jäderblom, conseiller juridique,
ministère de la Justice, conseillers;
- pour la Commission
Mme G.H. Thune, déléguée;
- pour le requérant
M. G. Ravnsborg, maître de conférences en droit
à l’université de Lund, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Thune, M. Ravnsborg et M. Ehrenkrona ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par des juges et par le président.
EN FAIT
I.   LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE
9.   Le requérant était propriétaire du restaurant d’été Ihrebaden situé à Ihreviken, Tingstäde, sur l’île de Gotland, de l’été 1987 jusqu’à la fin de l’été 1990. Il possédait en outre, et possède toujours, l’auberge de jeunesse Lummelunda se trouvant à Nyhamn, Visby, sur la même île.  Le restaurant employait moins de dix personnes, engagées sur une base saisonnière mais pouvant être réembauchées d’une année sur l’autre.  Le requérant était directement propriétaire du restaurant et de l’auberge de jeunesse et tenu aux dettes de l’entreprise sur son patrimoine propre (enskild firma).
10.   Le requérant n’était adhérent d’aucun des deux syndicats patronaux de la restauration, à savoir le syndicat patronal suédois de l’hôtellerie et de la restauration (Hotell- och Restaurangarbetsgivareföreningen - "le HRAF", affilié à la Confédération patronale suédoise (Svenska Arbetsgivareföreningen - "la SAF") et l’Union patronale du syndicat suédois des restaurateurs (Svenska Restauratörsförbundets Arbetsgivareförening - "la SRA").  Il n’était donc lié par aucune des conventions collectives (kollektivavtal) conclues entre ces deux syndicats et le syndicat du personnel de l’hôtellerie et de la restauration (Hotell- och Restauranganställdas Förbund - "le HRF").  Il n’était pas non plus tenu de souscrire à l’un des régimes d’assurances du marché du travail (Arbetsmarknadsförsäkring) élaborés par voie d’accord entre la SAF et la Confédération suédoise des syndicats (Landsorganisationen).
Le requérant avait cependant la possibilité d’adhérer à une convention collective en signant un accord de remplacement (hängavtal). Il pouvait également souscrire aux régimes d’assurances proposés par les Assurances du marché du travail ou l’une des quelque dix compagnies d’assurances opérant dans ce secteur.
11.   Fin juin ou début juillet 1987, il refusa de signer un accord de remplacement distinct avec le HRF.  Il fit valoir qu’il était hostile par principe au système de la négociation collective.  Il souligna en outre que ses salariés étaient mieux rémunérés qu’ils ne le seraient dans le cadre d’une convention collective et qu’eux-mêmes ne souhaitaient pas qu’il souscrive un accord de remplacement pour leur compte.
L’accord de remplacement proposé au requérant comportait les clauses suivantes:
"Parties: [le requérant] et [le HRF]
Durée de validité: du 1er juillet 1987 au 31 décembre 1988 inclus, reconductible par périodes d’un an, sauf préavis deuxmois avant expiration de [l’accord].
A partir de la date [ci-dessus], le dernier accord en date entre [le syndicat patronal] et [le HRF] s’applique entre [lerequérant et le HRF].  Si [le syndicat patronal] et [le HRF]concluent ultérieurement un nouvel accord ou décident d’amenderou de compléter le [présent] accord, [le nouvel accord, lesamendements ou avenants] s’appliquent automatiquement à partirdu jour où [il ou ils] [a ou ont] été [conclu(s)].
1. [L’employeur] souscrit [pour le compte de ses employés][cinq] polices d’assurances [différentes] auprès des Assurancesdu marché du travail dont il paie les primes, (...) et,éventuellement, d’autres polices d’assurances qui pourraientfaire ultérieurement l’objet d’un accord entre [le syndicatpatronal et le HRF].
2. [L’employeur] délivre des certificats de travail sur unformulaire spécial (...), dont copie est adressée au [HRF].
3. [L’employeur] n’embauche que [des travailleurs qui sontaffiliés] au [HRF] ou [qui y ont] demandé leur affiliation.  Encas de réemploi, les dispositions de l’article 25 de la loi surla protection de l’emploi (lag (1982:80) om anställnings-skydd)s’appliquent.
4. Tous les mois, [l’employeur] déduit du salaire des salariésmembres du [HRF] un montant correspondant à leur cotisationsyndicale qu’il verse au [HRF].
12.   Le 16 juillet 1987, à l’occasion de nouvelles négociations avec le requérant, le HRF lui soumit un autre accord de remplacement, qu’il refusa également de signer:
"Objet: signature d’une convention collective concernant [lerestaurant] Ihrebaden (...) et l’auberge de jeunesse Lummelunda.
1. Compte tenu de la fin prochaine de la [saison 1987], lesparties conviennent des dispositions suivantes, qui remplacentla signature d’une convention collective.
L’entreprise accepte de se conformer, durant la saison (...),à la convention collective ("convention nationale verte") concluepar [le HRAF] et [le HRF], notamment à l’obligation de souscrireà [certains] régimes d’assurances (avtalsförsäkringar) auprès desAssurances du marché du travail.
2. L’entreprise accepte également de [se conformer à] [la]convention collective (...) durant la saison à venir (...), ens’affiliant au syndicat patronal ou en signant un (...) accord de remplacement (...)"
13.   Si le requérant avait souscrit un accord de remplacement, celui-ci aurait été applicable non seulement à ses salariés syndiqués mais aussi à ceux non affiliés à un syndicat.
Au cours de l’été 1986, le requérant employait un adhérent du HRF et, en 1987, un autre membre de ce syndicat ainsi que deux personnes inscrites respectivement au syndicat des employés de commerce (Handelsanställdas Förbund) et au syndicat des agents municipaux (Kommunalarbetareförbundet).  En 1989, un adhérent de ce dernier syndicat travaillait pour le requérant.
14.   A la suite du refus du requérant de signer tout accord de remplacement, le HRF imposa en juillet 1987 un blocus à son restaurant et en décréta la mise à l’index.  Au cours du même mois, le syndicat des employés de commerce et le syndicat suédois des employés de l’industrie alimentaire (Svenska Livsmedelsarbetareförbundet) prirent des mesures de rétorsion par solidarité.
Le syndicat suédois des employés des transports (Svenska transportarbetareförbundet) et le syndicat des employés municipaux (Kommunaltjenestemannaförbundet) en firent de même pendant l’été 1988. En conséquence, les livraisons au restaurant furent interrompues.
15.   L’une des personnes employées par le requérant au restaurant Ihrebaden, adhérente du HRF, avait déclaré publiquement que les mesures de rétorsion étaient selon elle inutiles, puisque les salaires et conditions de travail appliqués au restaurant ne méritaient aucune critique.
D’après le Gouvernement, le syndicat a déclenché son action à la suite de la demande d’aide formulée en 1986 par un adhérent du HRF employé par le requérant.  Selon le syndicat, le requérant versait à ses employés un salaire mensuel inférieur de 900 couronnes suédoises (SEK) environ à la rémunération qu’ils auraient touchée en vertu d’une convention collective.  Il ne versait pas à son personnel d’indemnités de congés payés, comme cela est prévu dans la loi de 1977 sur les congés annuels (semesterlagen 1977:480), ni de salaire pour les jours chômés en raison du mauvais temps, ainsi que l’exige la loi de 1982 sur la protection de l’emploi, et il n’a pas non plus souscrit d’assurance du marché du travail avant 1988.
16.   En août 1988, invoquant la Convention, le requérant demanda au gouvernement d’interdire au HRF de poursuivre le blocus et aux autres syndicats de continuer à se livrer à leurs actions de solidarité; il demanda également au gouvernement d’ordonner à tous les syndicats de lui verser des dommages-intérêts.  A titre subsidiaire, il réclamait une indemnisation de la part de l’Etat.
17.   Le gouvernement (ministère de la Justice) rejeta la demande du requérant par une décision du 12 janvier 1989, déclarant:
"La demande visant à faire interdire le blocus et les mesuresde solidarité ainsi que la demande d’indemnisation par lessyndicats concernent un litige entre particuliers.  Conformémentau chapitre 11, article 3 de l’Instrument de gouvernement[Regeringsformen, partie intégrante de la Constitution], pareilslitiges ne peuvent être tranchés par une instance publique autrequ’un tribunal, sauf si la loi en dispose autrement.  Aucunedisposition de loi n’autorisant le gouvernement à connaître detels litiges, il ne procédera donc pas à un examen au fond de cesdemandes.
La demande en réparation est rejetée."
18.   Le requérant saisit la Cour administrative suprême (Regeringsrätten) d’une demande de contrôle en vertu de la loi de 1988 sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives (lag (1988:205) om rättsprövning av vissa förvaltningsbeslut - "la loi de 1988").  Le 29 juin 1989, la Cour administrative suprême débouta le requérant au motif que la décision du gouvernement ne concernait pas une question administrative touchant à l’exercice de la puissance publique, condition nécessaire pour procéder à un contrôle en vertu de l’article 1 de la loi précitée.
19.   Le 15 septembre 1989, l’Association suédoise du tourisme (Svenska turistföreningen - "la STF"), association sans but lucratif chargée de promouvoir le tourisme en Suède, résilia le contrat de l’auberge de jeunesse du requérant en invoquant un manque de coopération du requérant et son attitude négative envers elle.  L’auberge de jeunesse disparut donc du catalogue des auberges de jeunesse suédoises publié par la STF.  En 1989, la moitié environ des auberges de jeunesse suédoises faisaient partie de cette association.
20.   Le requérant intenta une action devant le tribunal de district (tingsrätten) de Stockholm.  Il dénonçait ce qu’il considérait comme une mesure personnelle d’exclusion de la STF, alléguant qu’elle résultait de ce que le HRF avait menacé de prendre des mesures de rétorsion à l’encontre d’autres auberges de jeunesse affiliées à la STF si son auberge n’en était pas exclue.  Il contestait également la résiliation du contrat de son auberge de jeunesse par la STF.
La STF reconnut notamment que, même s’il n’avait pas provoqué la résiliation du contrat avec l’auberge de jeunesse du requérant, le conflit opposant ce dernier et les syndicats avait pu l’accélérer. La STF se réclama également d’un avis du médiateur en matière de concurrence (ombudsmannen för näringsfrihet) du 14 novembre 1989, selon lequel la résiliation de ce contrat n’aurait qu’un très faible impact sur les établissements du requérant.
21.   Par un jugement du 8 mai 1991, le tribunal de district débouta le requérant sur les deux points.  Il conclut notamment que le requérant n’avait pas prouvé que la résiliation du contrat de son auberge de jeunesse avec la STF fût la cause de son exclusion personnelle de cette association.  S’appuyant sur les conclusions du médiateur en matière de concurrence, il estima également que le requérant n’avait pas démontré que le contrat ait eu des incidences financières notables sur ses activités.
22.   Le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Svea (Svea hovrätt), laquelle confirma le 6 mars 1992 le jugement du tribunal de district.  La cour d’appel estima notamment que la résiliation du contrat relatif à l’auberge de jeunesse avait entraîné l’expiration de l’affiliation personnelle du requérant à la STF. Toutefois, cela n’équivalait pas à son exclusion, puisqu’il aurait pu maintenir ou renouveler son adhésion.  En outre, malgré l’importance réelle du contrat pour les établissements du requérant, sa résiliation par la STF ne pouvait être considérée comme abusive.
23.   Au début de 1991, le requérant vendit son restaurant en raison de ses difficultés à le faire fonctionner, dues selon lui aux mesures de rétorsion.  Le restaurant fut acheté par une personne qui souscrivit une convention collective avec le HRF.  L’intéressé continua à gérer l’auberge de jeunesse de Lummelunda avec l’aide de membres de sa famille.
Sur ces entrefaites, le syndicat mit fin à ses actions.
24.   Le 9 novembre 1991, le requérant demanda au gouvernement d’appuyer sa requête à la Commission.  Le 12 décembre 1991, le gouvernement décida de s’abstenir de toute mesure concernant cette demande.
II.   LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Liberté d’association
25.   L’article 1 du chapitre 2 de l’Instrument de gouvernement dispose:
"Tout citoyen, dans ses relations avec les pouvoirs publics,est assuré de disposer de:
1. La liberté d’expression, à savoir la liberté de communiquerdes informations et d’exprimer des idées, des opinions et dessentiments par la parole, par l’écrit ou par l’image, ou de touteautre manière que ce soit;
5. la liberté d’association, à savoir la liberté de s’allieravec d’autres personnes à des fins d’intérêt général ou privé;(...)"
26.   L’article 2 du chapitre 2 prévoit:
"Tout citoyen, dans ses relations avec les pouvoirs publics,est protégé contre toute forme de contrainte l’obligeant àexprimer ses opinions en matière politique, religieuse,culturelle ou autre.  Cette protection joue également contretoute pression visant à forcer sa participation à des réunionsdestinées à orienter l’opinion, à des manifestations ou autresévénements similaires, ou l’appartenance à une organisationpolitique, à une communauté religieuse ou à un autre groupeprofessant des idées visées dans la phrase précédente."
27.   L’article 12 paras. 1 et 2 du chapitre 2 est ainsi libellé:
"Les libertés et droits visés à l’article 1 paras. 1 à 5 (...)peuvent, dans la limite définie aux articles 13 à 16, être soumisà des restrictions prévues par la loi.  (...)
Les restrictions visées à l’alinéa précédent ne peuvent êtreimposées que dans un but acceptable dans une sociétédémocratique.  Elles ne peuvent jamais excéder ce qui estnécessaire pour atteindre le but recherché, ni s’étendre au pointde constituer une menace pour la liberté de l’opinion en tant quepilier de la démocratie.  Aucune restriction ne peut être imposéeuniquement pour des motifs politiques, religieux, culturels ouautres."
28.   L’article 14 par. 2 du chapitre 2 dispose:
"La liberté d’association peut uniquement faire l’objet derestrictions dans le cas d’organisations dont l’activité est denature militaire ou analogue, ou implique la persécution d’ungroupe caractérisé par une race, une couleur de peau ou uneorigine ethnique particulière."
29.   Aux termes de l’article 17 du chapitre 2:
"Tout syndicat, tout employeur ou toute association patronalepeut, sauf législation ou convention contraire, prendre desmesures de rétorsion."
B. Liberté syndicale
30.   L’article 7 de la loi de 1976 sur la co-décision dans l’entreprise se lit ainsi:
"On entend par liberté syndicale le droit, pour employeurs et salariés, d’appartenir à une organisation patronale ou salariale,de profiter des avantages que leur confère leur adhésion et detravailler pour un tel syndicat ou pour en créer un."
31.   L’article 8 est ainsi libellé:
"La liberté syndicale est inviolable.  Elle (...) est tenuepour violée si des employeurs ou des salariés prennent desmesures portant préjudice à un travailleur ou à un employeur aumotif que celui-ci a exercé sa liberté syndicale, ou si desemployeurs ou des salariés prennent des mesures tendant à inciterun salarié ou un employeur à ne pas exercer sa liberté syndicale.Il y a violation même si la mesure vise à faire exécuter uneobligation à l’égard des salariés ou des employeurs.
Les organisations patronales ou salariales ne doivent toléreraucune violation de leur liberté syndicale empiétant sur leursactivités.  Lorsqu’il existe à la fois un syndicat local et unecentrale nationale, les présentes dispositions s’appliquent à lacentrale.
Si la dénonciation d’un accord ou d’un autre acte juridique ouune disposition d’une convention collective ou d’un autre contratemportent violation de la liberté syndicale, ladite violationentraîne nullité de l’acte ou de la disposition en question."
32.   L’article 10 énonce:
"Une organisation salariale bénéficie du droit de négocier avecun employeur sur toute question touchant les relations entrel’employeur et tout membre du syndicat qui est ou a été employépar lui.  Le même droit de négocier avec une organisationsalariale est reconnu à l’employeur.
L’organisation salariale jouit également du droit de négocieravec toute organisation patronale à laquelle appartient unemployeur, et cette dernière jouit du même droit à l’égard del’organisation salariale."
C. Recours judiciaires
33.   L’article 3 du chapitre 11 de l’Instrument de gouvernement est ainsi libellé:
"Les litiges entre particuliers ne peuvent être tranchés quepar un tribunal, sauf si la loi en dispose autrement (...)"
34.   Un employeur ayant fait l’objet de mesures de rétorsion peut en principe demander qu’il y soit mis un terme par voie d’ordonnance judiciaire, et exiger des dommages-intérêts.  Le tribunal compétent peut émettre de telles ordonnances si les mesures de rétorsion sont illégales ou enfreignent une convention collective en vigueur.
Si les mesures de rétorsion constituent une infraction pénale, une action en réparation peut être intentée en vertu de l’article 4 du chapitre 2 de la loi de 1972 sur l’indemnisation (skadeståndslag 1972:207).
35.   Aux termes de l’article 1 de la loi de 1988, quiconque a été partie à une procédure administrative devant le gouvernement ou une autre autorité publique peut, à défaut d’autre recours, inviter la Cour administrative suprême, statuant en premier et dernier ressort, à contrôler les décisions prises en l’espèce et impliquant l’exercice d’une prérogative de puissance publique à l’égard d’une personne privée.  Le genre de décision administrative couvert par la loi se trouve précisé au chapitre 8, articles 2 et 3, de l’Instrument de gouvernement, auquel renvoie l’article 1 de la loi de 1988.  Selon ces dispositions, la loi énonce des mesures régissant, notamment, les relations personnelles et d’ordre économique entre les particuliers d’une part, et entre ceux-ci et l’Etat, d’autre part.  L’article 2 de la loi énumère plusieurs types de décisions échappant à son empire; aucun d’eux n’entre en jeu ici.
Dans une instance engagée en vertu de la loi de 1988, la Cour administrative suprême recherche si la décision contestée "contrevient à une règle légale" (article 1 de la loi de 1988).  Si ladite Cour déclare illégale la décision attaquée, elle l’annule et, au besoin, renvoie la cause à l’autorité administrative compétente (article 5 de la loi de 1988).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
36.   Dans sa requête du 1er juillet 1989 à la Commission (no 15573/89), M. Gustafsson dénonçait une violation du droit à la liberté d’association que lui garantit l’article 11 (art. 11) de la Convention et du droit au respect de ses biens, consacré par l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) combiné avec l’article 17 (art. 17) de la Convention, du fait que l’Etat ne l’a pas protégé contre les mesures de rétorsion visant son restaurant.  Il se plaignait en outre d’atteintes aux droits que lui reconnaissent l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable) et l’article 13 (art. 13) (droit à un recours effectif), faisant valoir que les voies de recours judiciaires qu’il aurait pu utiliser pour contester les mesures de rétorsion n’auraient pas été effectives, puisque ces mesures étaient conformes à la loi suédoise.
37.   La Commission a retenu la requête le 8 avril 1994.  Dans son rapport du 10 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis:
a) qu’il y a eu violation de l’article 11 (art. 11) (treize voix contre quatre);
b) qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) combiné avec l’article 17 (art. 17) de la Convention (onze voix contre six);
c) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (seize voix contre une);
d) qu’il y a eu violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention (quatorze voix contre trois).
Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt 3.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
38.   A l’audience du 22 novembre 1995, le Gouvernement, comme dans son mémoire, a invité la Cour à dire qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de la Convention.
39.   A cette même occasion, le requérant a réitéré la demande qu’il avait déjà exprimée dans son mémoire, priant la Cour de conclure à la violation des articles 6, 11 et 13 (art. 6, art. 11, art. 13) de la Convention, et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) combiné avec l’article 17 (art. 17) de la Convention.
EN DROIT
I.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 11 (art. 11) DE LA CONVENTION
40.   Le requérant se plaint de ce que les mesures prises par le syndicat ont porté atteinte à son droit à la liberté d’association et que l’absence de protection de l’Etat contre ces mesures a emporté violation de l’article 11 (art. 11) de la Convention, aux termes duquel:
"1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifiqueet à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avecd’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour ladéfense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent desmesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécuriténationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à laprévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale,ou à la protection des droits et libertés d’autrui.  Le présentarticle (art. 11) n’interdit pas que des restrictions légitimessoient imposées à l’exercice de ces droits par les membres desforces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat."
41.   Le Gouvernement combat cette thèse, tandis que la Commission estime comme le requérant qu’il y a eu violation.
A. Applicabilité de l’article 11 (art. 11)
42.   Le Gouvernement conteste que l’article 11 (art. 11) s’applique aux mesures dont le requérant fait grief.  Contrairement à ce qui s’est passé dans les précédentes affaires où la Cour a reconnu l’existence d’un droit à la liberté d’association au sens négatif (arrêts Young, James et Webster c. Royaume-Uni du 13 août 1981, série A no 44, pp. 21-22, paras. 55-58, et Sigurdur A. Sigurjónsson c. Islande du 30 juin 1993, série A no 264, pp. 15-16, par. 35), le requérant n’aurait pas en l’espèce été contraint d’adhérer à un syndicat.  Les actions du syndicat auraient eu principalement pour objectif d’amener l’intéressé à appliquer à ses salariés une certaine convention négociée par les organisations compétentes.  Dans ce but, le requérant pouvait adhérer à l’un des deux syndicats patronaux de la branche - le syndicat patronal suédois de l’hôtellerie et de la restauration ("le HRAF") et l’Union patronale du syndicat suédois des restaurateurs ("la SRA") -  mais aussi souscrire avec le syndicat du personnel de l’hôtellerie et de la restauration ("le HRF") un accord remplaçant les conventions collectives en vigueur dans la restauration (paragraphe 10 ci-dessus). Il aurait pu éviter les actions du syndicat en entamant avec lui des négociations, comme il en avait la possibilité, afin de parvenir à une solution par la voie d’un accord de remplacement rédigé de manière à refléter le caractère particulier des établissements qu’il dirigeait (paragraphes 11 et 12 ci-dessus).  La conclusion d’un tel accord aurait peut-être porté atteinte à la liberté du requérant à conclure comme employeur des contrats avec ses salariés, mais la Convention ne protège pas cette liberté en tant que telle.
Le Gouvernement avance en outre qu’en pratique, les mesures lancées par le syndicat ont surtout eu pour effet d’interrompre les livraisons de marchandises destinées au restaurant (paragraphe 14 ci-dessus); il n’y aurait eu ni occupation ni blocage de l’accès des établissements du requérant.  Ce dernier n’a pas non plus fourni d’éléments prouvant que, comme il le prétend, il a été obligé de vendre son restaurant ou a subi d’autres préjudices matériels en raison des mesures de rétorsion.
43.   Le requérant et la Commission affirment que la mise à l’index et le blocus décrétés par le syndicat à l’encontre des établissements de l’intéressé ont méconnu sa liberté d’association au sens négatif. Certes, si le requérant avait conclu un accord de remplacement, le principal objectif des mesures de rétorsion - faire accepter et appliquer par le plus grand nombre la convention collective à laquelle le HRF était partie - aurait pu être atteint sans qu’il adhère au HRAF ou à la SRA.  Cependant, l’intéressé s’opposait non seulement à une adhésion formelle au syndicat, mais également à toute participation au système de négociation collective, puisqu’il aurait été dans les deux cas lié par une convention collective avec le HRF.  En effet, l’une des principales conséquences de l’adhésion à un syndicat patronal en Suède est la participation de l’adhérent, au travers du syndicat, au système de la négociation collective, et son engagement à se trouver lié par toute convention conclue par le syndicat.  C’est pourquoi, même si le requérant pouvait accepter ces obligations sans s’affilier au HRAF ou à un autre syndicat, il serait artificiel et formaliste de nier toute atteinte à sa liberté de ne pas s’associer.
44.   La Cour estime que, même si l’étendue des inconvénients ou du préjudice subis par le requérant par suite des mesures lancées par le syndicat n’est pas connue avec précision, ces mesures ont dû faire peser sur lui une pression considérable en vue de l’amener à souscrire une convention collective, comme le syndicat le lui demandait.  Il pouvait pour cela soit adhérer à un syndicat patronal, auquel cas il aurait été automatiquement lié par une convention collective, soit souscrire un accord de remplacement (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). La Cour admet que sa liberté syndicale a ainsi été dans une certaine mesure touchée. L’article 11 (art. 11) est dès lors applicable.  La Cour recherchera donc s’il y a eu une atteinte au droit à la liberté syndicale dont l’Etat défendeur serait responsable.
B. Observation de l’article 11 (art. 11)
1. Principes généraux
45.   Les mesures que le requérant dénonce, même si la loi interne les tolère, ne concernaient pas une intervention directe de l’Etat.  La responsabilité de la Suède se trouverait néanmoins engagée si ces mesures résultaient d’un manquement de sa part à l’obligation d’assurer à l’intéressé, dans sa législation interne, les droits garantis par l’article 11 (art. 11) de la Convention (voir, entre autres, l’arrêt Sibson c. Royaume-Uni du 20 avril 1993, série A no 258-A, p. 13, par. 27).  Même si l’article 11 (art. 11) a pour objectif essentiel de protéger l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics dans l’exercice des droits qui y sont énoncés, il peut en outre impliquer l’obligation positive d’assurer le respect effectif de ces droits.
Dans le dernier arrêt en date rendu à cet égard, l’article 11 (art. 11) de la Convention a été interprété comme consacrant non seulement le droit positif de créer et d’adhérer à un syndicat, mais également l’aspect négatif de cette liberté, à savoir le droit de ne pas adhérer à un syndicat ou de s’en retirer (arrêt Sigurdur A. Sigurjónsson précité, pp. 15-16, par. 35).  Sans trancher la question de savoir si l’aspect négatif de ce droit se trouve inclus dans l’article 11 (art. 11) à l’égal de l’aspect positif, la Cour a estimé que si contraindre quelqu’un à s’inscrire à un syndicat déterminé peut ne pas se heurter toujours à la Convention, une forme de contrainte qui dans une situation donnée touche à la substance même de la liberté d’association, telle que la consacre ce texte, porte atteinte à ladite liberté (voir, par exemple, l’arrêt Sibson précité, p. 14, par. 29).
Il s’ensuit que les autorités nationales peuvent être obligées, dans certaines circonstances, d’intervenir dans les relations entre des personnes privées en adoptant des mesures raisonnables et appropriées afin d’assurer le respect effectif du droit à la liberté de ne pas se syndiquer (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Plattform "Ärzte für das Leben" c. Autriche du 21 juin 1988, série A no 139, p. 12, paras. 32-34).
Parallèlement, il convient de rappeler que, si l’article 11 (art. 11) n’assure pas aux syndicats, ni à leurs membres, un traitement particulier de la part de l’Etat, comme le droit à conclure une convention collective donnée, les termes "pour la défense de [leurs] intérêts" figurant à l’article 11 par. 1 (art. 11-1) montrent que la Convention protège la liberté de défendre les intérêts professionnels des adhérents d’un syndicat par l’action collective de celui-ci. Chaque Etat a le choix des moyens à employer à cette fin; la Cour a reconnu que la conclusion de conventions collectives peut constituer l’un d’eux (voir, par exemple, l’arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède du 6 février 1976, série A no 20, pp. 15-16, paras. 39-40).
Eu égard à la nature sensible des questions sociales et politiques que soulève la recherche d’un juste équilibre entre les divers intérêts en présence et, en particulier, l’évaluation du caractère approprié de l’intervention de l’Etat en vue de limiter les mesures prises par le syndicat pour accroître la portée du système de négociation collective, et compte tenu des différences importantes que présentent les systèmes juridiques internes dans le domaine considéré, il convient d’accorder aux Etats contractants une grande latitude dans le choix des moyens à employer.
2. Application des principes énoncés ci-dessus
46.   Le requérant souligne qu’il était surtout opposé à se voir lié par une convention collective pour des raisons d’ordre politique et philosophique.  Au lieu de se soumettre, avec ses salariés, au corporatisme syndical, il souhaite conserver un caractère personnel à la relation qui l’unit, en tant qu’employeur, à ses salariés.
Le requérant et la Commission estiment que les pressions subies par celui-ci étaient telles que les autorités suédoises auraient dû prendre des mesures positives en sa défense.  Par suite du blocus et de la mise à l’index dirigés contre l’intéressé, les livraisons de marchandises nécessaires au fonctionnement de son restaurant auraient pratiquement cessé (paragraphe 14 ci-dessus).  Ses affaires en auraient considérablement souffert et il aurait dû vendre son restaurant (paragraphe 23 ci-dessus).  Ces mesures draconiennes n’auraient pas été contrebalancées par un important intérêt légitime du HRF à obliger le requérant à souscrire une convention collective.  Lorsqu’il a pris ces mesures à l’encontre de M. Gustafsson, le HRF ne représentait aucun de ses adhérents.  La seule adhérente du HRF employée par le requérant n’avait pas fait appel au syndicat mais avait expressément déclaré qu’elle jugeait toute mesure de rétorsion inutile, puisque ses conditions de travail dans le restaurant du requérant n’avaient rien de critiquable (paragraphe 15 ci-dessus).  Au contraire elles étaient meilleures que celles dont elle aurait bénéficié au titre de la convention collective en vigueur.  L’action du HRF aurait donc été disproportionnée aux intérêts qu’il cherchait à défendre.
Le requérant et la Commission soulignent que, dans ce contexte, l’Etat défendeur avait le devoir d’offrir au requérant des recours juridiques effectifs, par exemple en lui permettant d’engager une procédure en vue d’obtenir un adoucissement ou un arrêt des mesures dirigées contre lui.  La loi suédoise ne prévoyant aucune protection de la sorte, les faits à l’origine du grief du requérant emporteraient une violation dans son chef des droits consacrés par l’article 11 (art. 11) de la Convention.
47.   Le requérant estime que le Gouvernement, s’étant abstenu de faire valoir devant la Commission que les mesures du syndicat étaient justifiées, est forclos à modifier sa position et à présenter des preuves à cet égard au cours de la procédure devant la Cour.
La déléguée de la Commission indique que les informations complémentaires et les nouveaux arguments présentés par le Gouvernement à ce sujet auraient pu, et dû, être soumis auparavant à la Commission. Elle invite la Cour à réfléchir très attentivement au poids que celle-ci accordera à ces renseignements et arguments à ce stade avancé de la procédure.
48.   Dans son mémoire à la Cour, le Gouvernement fait observer pour la première fois que la conclusion de la Commission, selon laquelle les conditions de travail que le requérant accordait à ses employés étaient meilleures que celles prévues dans les conventions collectives, reprend les arguments du requérant devant celle-ci.  Il n’a jamais ni confirmé ni admis cette conclusion, mais l’a contestée devant la Cour, en s’appuyant sur des renseignements fournis par le HRF.  La convention collective que le syndicat cherchait à conclure avec le requérant aurait eu pour but d’améliorer sensiblement la situation économique et sociale des personnes employées à cette époque et à l’avenir par le requérant (paragraphe 15 ci-dessus).  En l’absence d’une convention collective pour régir les rapports entre le requérant et ses salariés, ces derniers ne pouvaient jouir de la protection offerte par de larges pans de la législation suédoise du travail.  Les conditions de travail octroyées par le requérant lui auraient en outre conféré un avantage concurrentiel sur les autres restaurateurs.
49.   Pour le Gouvernement, le requérant contesterait en fait un système en vigueur en Suède depuis soixante ans, dont on peut dire qu’il constitue l’un des piliers de ce qu’il est convenu d’appeler le "modèle suédois" de rapports entre les partenaires sociaux et dont beaucoup pensent qu’il a largement contribué à l’établissement de l’Etat providence en Suède.  Il indique que, dans son pays, la plupart des patrons de grandes entreprises sont affiliés à un syndicat patronal ayant souscrit une convention collective et que 85 % environ des salariés sont syndiqués.  L’une des caractéristiques fondamentales et anciennes du modèle suédois est que les rapports entre les partenaires sociaux sont régis avant tout par les intéressés eux-mêmes plutôt que par l’intervention de l’Etat.  C’est ainsi que les salaires, la durée du travail, les droits à congé et autres conditions de travail sont fixés dans les conventions collectives, qui couvrent 90 % du marché du travail, et non par la législation.  Une autre caractéristique importante en est que les patrons ne doivent pas avoir la possibilité de se placer dans une position avantageuse par rapport à leurs concurrents en appliquant des conditions de travail moins bonnes que celles prévues dans les conventions collectives.
De plus, le Gouvernement soutient que la législation suédoise interdisant aux patrons et syndicats liés par des conventions collectives de recourir à des grèves, mises à l’index et autres mesures, ces actions se sont maintenues pendant de nombreuses années à un niveau acceptable.  Par contre, les syndicats n’ayant pas conclu de convention collective avec un patron donné ont joui d’une grande marge de manoeuvre pour amener cet employeur à signer une telle convention.  Cela reflète l’importance que le législateur a accordée au droit des syndicats à promouvoir leurs intérêts.
50.   Dans ces conditions, le Gouvernement considère que la Suède n’était pas tenue, en vertu de l’article 11 (art. 11) de la Convention, de prendre des mesures positives pour protéger le requérant contre les actions lancées par le syndicat.
51.   En ce qui concerne les circonstances particulières de l’espèce, la Cour relève d’emblée que les nouveaux renseignements relatifs aux conditions de travail que le Gouvernement lui a soumis complètent les faits à l’origine de la requête déclarée recevable par la Commission. Rien n’empêche la Cour de les prendre en considération pour évaluer quant au fond les griefs du requérant sur le terrain de la Convention si elle les estime pertinents (arrêts Barthold c. Allemagne du 25 mars 1985, série A no 90, p. 20, paras. 41-42, et McMichael c. Royaume-Uni du 24 février 1995, série A no 307-B, p. 51, par. 73).
52.   Comme indiqué plus haut (paragraphe 44 ci-dessus), les mesures décrétées par le syndicat ont dû faire peser une pression considérable sur le requérant pour l’amener à souscrire une convention collective, ainsi que le syndicat le souhaitait, soit en s’affiliant à un syndicat patronal soit en signant un accord de remplacement, seul le premier membre de l’alternative impliquant l’adhésion à un syndicat.
Il est vrai que si le requérant avait choisi la seconde possibilité, il aurait eu moins de facilité pour peser sur la teneur de futures conventions collectives que s’il avait adhéré à un syndicat patronal.  Un accord de remplacement, en revanche, lui aurait permis d’y faire inclure des clauses adaptées à la nature particulière de ses activités commerciales.  Quoi qu’il en soit, il n’apparaît pas, et aucune partie ne l’a prétendu, que le requérant a été contraint de choisir d’adhérer à un syndicat patronal en raison des inconvénients qu’aurait présentés, sur le plan économique, l’accord de remplacement.
En réalité, la principale objection du requérant à l’encontre de la seconde possibilité, comme à l’encontre de la première, était de nature politique, c’est-à-dire qu’il désapprouvait le système de négociation collective en vigueur en Suède.  Cependant, l’article 11 (art. 11) de la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit à ne pas souscrire une convention collective (arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotives précité, pp. 15-16, paras. 40-41). L’obligation positive que l’article 11 (art. 11) impose à l’Etat, y compris en ce qui concerne la protection de l’opinion individuelle, pourrait s’étendre aux mesures liées au fonctionnement du système de négociation collective, mais seulement lorsque celles-ci empiètent sur la liberté d’association.  Une contrainte qui, comme en l’espèce, n’entrave pas de manière importante l’exercice de cette liberté, même si elle provoque un préjudice économique, n’entraîne aucune obligation positive au titre de l’article 11 (art. 11).
53.   De plus, le requérant n’a pas fourni de preuves à l’appui de sa thèse selon laquelle les conditions de travail dans son restaurant étaient meilleures que celles imposées par une convention collective. Eu égard au rôle particulier et à l’importance que revêtent les conventions collectives dans la réglementation des relations de travail en Suède, la Cour n’aperçoit aucune raison de douter de ce que les mesures du syndicat visaient des buts légitimes compatibles avec l’article 11 (art. 11) de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotives précité, pp. 15-16, par. 40, et l’arrêt Schmidt et Dahlström c. Suède du 6 février 1976, série A no 21, p. 16, par. 36).  On peut rappeler également à cet égard que le caractère légitime de la négociation collective est reconnu par plusieurs instruments internationaux, en particulier l’article 6 de la Charte sociale européenne, l’article 8 du Pacte international de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et les Conventions nos 87 et 98 de l’Organisation internationale du Travail (la première traite de la liberté syndicale et de la protection du droit syndical et la seconde se rapporte au droit d’organisation et de négociation collective).
54.   A la lumière de ce qui précède et eu égard à la marge d’appréciation qu’il convient d’accorder à l’Etat défendeur dans le domaine considéré, la Cour n’estime pas que la Suède ait failli à son obligation d’assurer au requérant les droits énoncés à l’article 11 (art. 11) de la Convention.
55.   En bref, la Cour conclut que les faits de la cause n’ont pas donné lieu à une violation de l’article 11 (art. 11) de la Convention.
II.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 (P1-1)
56.   Se référant à ses allégations précitées (paragraphes 39, 43, 46 et 47 ci-dessus), le requérant soutient que le fait que l’Etat défendeur ne l’a pas protégé contre les mesures de rétorsion du syndicat lui a causé un préjudice matériel, en violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), ainsi libellé:
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de sesbiens.  Nul ne peut être privé de sa propriété que pour caused’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi etles principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droitque possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ilsjugent nécessaires pour réglementer l’usage des biensconformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement desimpôts ou d’autres contributions ou des amendes."
Le requérant affirme que, par suite de ces mesures, il s’est vu contraint de vendre son restaurant (paragraphe 23 ci-dessus) au prix d’une perte de 600,000 SEK.
57.   Le Gouvernement conteste cette allégation, tandis que la Commission, ayant conclu à la violation de l’article 11 (art. 11), a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
58.   Le Gouvernement concède que les mesures de rétorsion, ayant surtout eu pour effet d’empêcher les fournisseurs du requérant de lui livrer les marchandises nécessaires au fonctionnement de son restaurant, ont dû le gêner dans la gestion de son établissement. Cependant, le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve concernant le préjudice financier qu’il aurait en réalité subi de ce fait et le Gouvernement nourrit des doutes quant à la gravité des conséquences réelles sur ses affaires.  Le Gouvernement n’admet pas non plus que cette affaire, qui met essentiellement en jeu les rapports contractuels entre le requérant et ses fournisseurs, soit de nature à engager la responsabilité de l’Etat au titre de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).  L’Etat ne s’est pas immiscé dans les affaires du requérant mais a simplement toléré, de façon passive, les activités des syndicats sur un marché libre.  Cette situation se compare à une mise à l’index déclenchée par des consommateurs à l’égard d’une société privée.  Or des clients doivent être libres de prendre pareilles mesures sans que la responsabilité de l’Etat soit engagée, même si cette mise à l’index accule la société en question à la faillite.
59.   Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 1 (P1-1), qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes: la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier paragraphe (P1-1) et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même paragraphe (P1-1), vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions; quant à la troisième, consignée dans le second paragraphe (P1-2), elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général.  La deuxième et la troisième normes, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi d’autres, l’arrêt Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique du 20 novembre 1995, série A no 332, pp. 21-22, par. 33).
Nul n’a contesté que les deuxième et troisième normes trouvaient à s’appliquer et la Cour n’aperçoit aucune raison d’en disconvenir. Par ailleurs, le requérant allègue une violation de la première norme, à savoir le droit "au respect de ses biens".
60.   L’Etat peut certes être tenu pour responsable, au regard de l’article 1 (P1-1), des ingérences dans l’exercice du droit au respect des biens résultant de transactions conclues entre particuliers (voir l’arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A no 98, pp. 28-29, paras. 35-36).  En l’occurrence, cependant, les faits dénoncés n’étaient pas la conséquence d’un exercice de l’autorité gouvernementale; de plus, ils concernaient exclusivement des relations contractuelles entre des particuliers, à savoir le requérant et ses fournisseurs ou livreurs.  De l’avis de la Cour, les répercussions que l’arrêt des livraisons pouvait avoir sur le restaurant du requérant n’étaient pas de nature à entraîner l’application de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
III.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LACONVENTION
61.   Le requérant allègue une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention au motif que les recours judiciaires dont il pouvait se prévaloir pour combattre les mesures de rétorsion n’auraient pas été effectifs.  Les passages pertinents de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) sont ainsi libellés:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendueéquitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) descontestations sur ses droits et obligations de caractère civil(...)"
62.   Selon le Gouvernement et la Commission, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne s’applique pas.
63.   D’après les principes dégagés dans la jurisprudence de la Cour (voir, par exemple, l’arrêt Kerojärvi c. Finlande du 19 juillet 1995, série A no 322, p. 12, par. 32), la Cour doit d’abord rechercher s’il y avait "contestation" sur un "droit" que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne.  Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice; enfin, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour un tel droit.  Si la Cour conclut à l’existence d’une contestation sur un droit, elle doit rechercher s’il s’agit d’un droit "de caractère civil".
64.   Le Gouvernement et la Commission font observer que, même si le requérant pouvait emprunter plusieurs voies pour porter le fond de son affaire devant un tribunal suédois (paragraphes 33 et 34 ci-dessus), il est clair que les mesures lancées par le syndicat à son encontre revêtaient un caractère légal et que la législation suédoise ne permettait aucunement aux tribunaux internes d’émettre une ordonnance redressant la situation dénoncée par le requérant.  Dans ces conditions, il n’y aurait pas eu de contestation sur un droit que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit suédois.  Partant, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne s’appliquerait pas.
65.   Le requérant, invoquant la jurisprudence suédoise, soutient que la législation de son pays reconnaît la liberté de ne pas s’associer. Or, selon lui, la Suède aurait renoncé à ses responsabilités en tant que Partie contractante à la Convention de par l’article 17 de l’Instrument de gouvernement, qui laisse aux partenaires sociaux le soin de résoudre les conflits qui surgissent entre eux (paragraphe 29 ci-dessus).  La notion de "grief défendable", que l’on trouve dans la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6 (art. 6) de la Convention, ne se limiterait pas au droit interne mais s’étendrait également au droit de la Convention.
66.   La Cour fait observer que l’article 6 (art. 6) de la Convention s’applique en cas de contestation sur un droit reconnu par la législation interne.  Or le requérant ne se plaint pas, sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), de s’être vu refuser un recours effectif qui lui aurait permis d’alléguer devant un tribunal le non-respect de la législation interne (comme, par exemple, dans l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 29-30, paras. 80-82).  Son grief porte en substance plutôt sur le fait que les mesures prises par le syndicat étaient conformes à la législation suédoise.  Cependant, l’article 6 (art. 6) ne garantit aucun contenu particulier aux "droits et obligations" (de caractère civil) dans les Etats contractants (voir, par exemple, l’arrêt Powell et Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A no 172, pp. 16-17, par. 36).  Il n’existe en l’espèce aucun droit reconnu par la législation suédoise entraînant l’application de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
IV.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13) DE LACONVENTION
67.   Le requérant avance en outre que les faits qui, selon lui, emportent violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphes 62 et 66 ci-dessus) sont également à l’origine d’une transgression de l’article 13 (art. 13) de la Convention, ainsi libellé:
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans laprésente Convention ont été violés a droit à l’octroi d’unrecours effectif devant une instance nationale, alors même quela violation aurait été commise par des personnes agissant dansl’exercice de leurs fonctions officielles."
68.   Le Gouvernement combat cette affirmation.
69.   La Commission, eu égard aux observations qu’elle a formulées quant au grief du requérant sur le terrain de l’article 11 (art. 11) (paragraphes 43 et 46 ci-dessus), estime que cette allégation était défendable quant au fond.  De plus, nul n’a contesté l’absence de recours effectif, judiciaire ou autre, ouvert au requérant, étant donné que les mesures de rétorsion n’étaient pas contraires à la législation suédoise.  C’est pourquoi la Commission, souscrivant au point de vue du requérant, conclut à la violation de l’article 13 (art. 13).
70.   Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 13 (art. 13) prévoit qu’un individu qui, de manière plausible, se prétend victime d’une violation des droits reconnus dans la Convention doit disposer d’un recours devant une instance nationale afin de voir statuer sur son grief et, s’il y a lieu, d’obtenir réparation.  Cependant, l’article 13 (art. 13) ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on puisse contester en tant que telles, devant une autorité nationale, les lois d’un Etat contractant (voir, par exemple, les arrêts James et autres précité, p. 47, par. 84, et Powell et Rayner précité, p. 16, par. 36). Le requérant se plaignant en substance, sur le terrain de la Convention, de la conformité au droit suédois des mesures déclenchées par le syndicat, l’article 13 (art. 13) ne s’applique pas.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par onze voix contre huit, que l’article 11 (art. 11) de laConvention s’applique en l’espèce;
2.   Dit, par douze voix contre sept, qu’il n’y a pas eu violation del’article 11 (art. 11);
3.  Dit, par treize voix contre six, que l’article 1 duProtocole no 1 (P1-1) ne s’applique pas aux griefs du requérantet qu’il n’y a donc pas eu violation dudit article (P1-1);
4.  Dit, par quatorze voix contre cinq, que l’article 6 par. 1(art. 6-1) de la Convention ne s’applique pas en l’espèce etqu’il n’y a donc pas eu violation dudit article (art. 6-1);
5.  Dit, par dix-huit voix contre une, que l’article 13 (art. 13) dela Convention ne s’applique pas en l’espèce et qu’il n’y a donc pas eu violation dudit article (art. 13).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 25 avril 1996.
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 55 par. 2 du règlement B, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion partiellement dissidente de M. Ryssdal, M. Spielmann, Mme Palm, M. Foighel, M. Pekkanen, M. Loizou, M. Makarczyk et M. Repik;
- opinion partiellement dissidente de M. Jambrek;
- opinion dissidente de M. Walsh;
- opinion dissidente de M. Martens, à laquelle se rallie M. Matscher;
- opinion dissidente de M. Morenilla;
- opinion dissidente de M. Mifsud Bonnici.
R. R.
H. P.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. RYSSDAL, M. SPIELMANN, Mme PALM, M. FOIGHEL, M. PEKKANEN, M. LOIZOU, M. MAKARCZYK ET M. REPIK, JUGES
(Traduction)
Si nous pensons, comme nos collègues, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 (art. 11) de la Convention, c’est parce que nous estimons que cet article (art. 11) n’est pas applicable au grief présenté par M. Gustafsson.
Intérêts protégés par l’article 11 (art. 11)
Comme indiqué dans l’arrêt (paragraphe 45), l’article 11 (art. 11) est interprété comme englobant également l’aspect négatif de la liberté d’association, à savoir le droit de ne pas adhérer à une association (arrêt Sigurdur A. Sigurjónsson c. Islande du 30 juin 1993, série A no 264, pp. 15-16, par. 35).  Les Etats contractants sont tenus, de par l’article 11 (art. 11), de mettre en place un cadre juridique autorisant le respect de ce droit négatif.  Il ressort cependant de la jurisprudence de la Cour que l’article 11 (art. 11) n’est pas un instrument permettant de réglementer les rapports sociaux en général ou d’assurer une protection générale contre le préjudice résultant d’une mesure de rétorsion prise par l’un des partenaires sociaux à l’encontre d’un autre.  La Cour a donc estimé que le droit à la négociation collective n’est pas un élément inhérent à la liberté d’association garantie par l’article 11 (art. 11) (voir l’arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède du 6 février 1976, série A no 20, p. 15, par. 39).  A notre avis, la contrainte exercée dans le but d’amener un employeur à souscrire une convention collective n’entre pas non plus en soi - c’est-à-dire si la contrainte ne vise pas à obliger à adhérer à un syndicat - dans le cadre de la garantie prévue à l’article 11 (art. 11).
Contrainte dénoncée par le requérant
L’arrêt admet que "les mesures décrétées par le syndicat ont dû faire peser une pression considérable sur le requérant pour l’amener à souscrire une convention collective, ainsi que le syndicat le souhaitait, soit en s’affiliant à un syndicat patronal soit en signant un accord de remplacement" (paragraphes 44 et 52).  Les faits de la cause se distinguent donc de ceux des affaires Young, James et Webster c. Royaume-Uni (arrêt du 13 août 1981, série A no 44), et Sigurdur A. Sigurjónsson (arrêt précité), où les requérants étaient contraints d’adhérer à un syndicat sous peine de perdre leurs moyens d’existence.  En l’espèce, le requérant n’a pas été obligé de s’affilier à un syndicat afin de pouvoir poursuivre ses activités économiques, puisqu’il avait une autre possibilité à sa disposition, à savoir négocier un accord de remplacement adapté au caractère particulier de son établissement.  Ses objections à l’encontre de cette dernière possibilité, en raison de son hostilité envers le système de négociation collective en vigueur en Suède, ne font intervenir aucun intérêt protégé par l’article 11 (art. 11).
Conclusion
A la lumière des considérations ci-dessus, nous concluons que les faits dénoncés - en particulier les contraintes exercées sur le requérant en vue de l’amener à souscrire un accord régissant les conditions d’emploi de ses salariés - ne font pas entrer en jeu l’article 11 (art. 11).
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE JAMBREK
(Traduction)
1.   Conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 11 (art. 11) de la Convention impose à la Suède l’obligation positive d’assurer à quiconque relève de sa juridiction le respect effectif du droit à la liberté d’association, y compris le droit de ne pas adhérer à un syndicat ou de s’en retirer.  La Convention étant un instrument vivant à interpréter à la lumière des circonstances actuelles, cette obligation entraîne pour l’Etat défendeur le devoir d’empêcher les syndicats d’abuser d’une position dominante en vue de contraindre une personne à s’affilier à une association ou à adhérer à un système de négociation collective.
J’ajouterais que les termes "touche à la substance même [d’un droit]", utilisés par la Cour dans sa jurisprudence dans le contexte de griefs portant sur des contraintes en vue d’obliger à adhérer à un syndicat, ne signifient pas qu’il faille appliquer un critère différent ou plus strict pour évaluer s’il y a eu ou non ingérence.  Toute ingérence dans l’exercice du droit à la liberté de ne pas s’associer "touche à la substance même" de cette liberté, par définition et de manière absolue.
2.   Comme la majorité, j’estime que la responsabilité de la Suède peut être engagée même lorsque les griefs d’un requérant ne portent pas sur une intervention directe de l’Etat défendeur, et notamment s’ils découlent du fait que l’Etat a failli à son obligation de lui reconnaître, dans le système interne, le respect des droits garantis par l’article 11 (art. 11).
Je suis par contre d’un avis différent en ce qui concerne l’interprétation et l’application de l’article 11 (art. 11) à la lumière du principe d’opposabilité aux tiers (Drittwirkung).  Selon moi, les mesures de rétorsion à l’origine des griefs du requérant doivent être soumises à des restrictions strictement identiques à celles qui s’appliqueraient à une ingérence directe de l’Etat.  Si ces actions ne se justifient pas au regard du paragraphe 2 de l’article 11 (art. 11-2), l’Etat défendeur se trouve dans l’obligation positive de prendre des mesures en vue d’assurer au requérant le respect de son droit à la liberté d’association.
3.   Quant aux circonstances particulières de l’espèce, j’estime que les faits dénoncés non seulement font entrer l’article 11 (art. 11) en jeu, mais constituent en outre une ingérence dans le droit à la liberté d’association que le paragraphe 1 de cet article (art. 11-1) garantit au requérant.  Il échet donc de rechercher si cette ingérence se justifie au regard du paragraphe 2 (art. 11-2).
4.  La légalité des mesures du syndicat n’est pas contestée et je n’aperçois aucune raison de douter de ce qu’elles étaient "prévues par la loi" au sens du paragraphe 2 de l’article 11 (art. 11-2).
5.   Ces restrictions visaient à l’évidence "la protection des droits et libertés d’autrui".
A cet égard, l’arrêt mentionne les "intérêts professionnels des adhérents d’un syndicat" (paragraphe 45), le "rôle particulier et l’importance que revêtent les conventions collectives dans la réglementation des relations de travail en Suède" et le caractère légitime de la négociation collective, reconnu par "plusieurs instruments internationaux" (paragraphe 53).
Le libellé de l’arrêt n’indique pas clairement si la majorité a évalué les intérêts des syndicats en fonction du premier ou du second paragraphe de l’article 11 (art. 11-1, art. 11-2).  Tandis que la partie de l’arrêt consacrée aux "principes généraux" indique "les termes "pour la défense de [leurs] intérêts" figurant à l’article 11 par. 1 (art. 11-1) (...)", celle traitant de "l’application des principes énoncés ci-dessus" omet de mentionner lequel des deux paragraphes de l’article 11 (art. 11) s’applique.
Pour appliquer le critère de proportionnalité à la question de la nécessité, il importe que les "intérêts des syndicats" soient placés dans une perspective correcte.  Les syndicats n’étant pas parties à l’affaire portée devant les institutions de la Convention, leurs intérêts sont pris en compte pour apprécier le but légitime visé par les restrictions litigieuses aux droits que l’article 11 (art. 11) garantit au requérant.  La seule question à trancher est celle de savoir s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi et l’intérêt qu’avait M. Gustafsson à ne pas se voir contraint de conclure une convention collective.
6.   Or pour des motifs que j’exposerai ci-dessous, je n’estime pas qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les intérêts antagonistes en présence.
7.  En premier lieu, il n’apparaît pas que le refus persistant de M. Gustafsson de participer ou de faire participer ses salariés au système suédois de négociation collective ait en quoi que ce soit porté atteinte aux droits et libertés du syndicat du personnel de l’hôtellerie et de la restauration ("le HRF").  Il n’apparaît pas non plus que l’intérêt d’un adhérent particulier du syndicat ait été en jeu.  De fait, l’une des salariés de M. Gustafsson affiliée au HRF à l’époque des faits avait publiquement déclaré qu’elle jugeait les mesures du syndicat inutiles puisque les salaires octroyés et les conditions de travail dans le restaurant n’étaient pas critiquables.
8.  De plus, je n’attacherai pas d’importance particulière aux autres intérêts invoqués par la majorité, à savoir "accroître la portée du système de négociation collective" eu égard "au rôle particulier et à l’importance que revêtent les conventions collectives dans la réglementation des relations de travail en Suède" (paragraphes 45 et 53 de l’arrêt).
A cet égard, il convient de se rappeler que 85 % environ des salariés suédois sont déjà enrôlés dans le système de négociation collective.  Il s’ensuit que ce système, principalement fondé sur des relations institutionnalisées entre employeurs et salariés, était déjà remarquablement étendu, ancré et puissant.  Cela est d’autant plus vrai que, selon le requérant, le système de négociation collective constitue un moyen efficace d’accroître l’assise du parti social-démocrate suédois par le biais d’adhésions collectives.
Une nouvelle extension de ce système le rendrait pratiquement omniprésent et omnipotent, ce qui peut difficilement être considéré comme conforme à la notion de pluralisme inhérente à toute démocratie. Au contraire, pour défendre les objectifs implicitement contenus dans ce concept, à savoir la diversité des institutions et la liberté de choix et l’accomplissement individuels, l’Etat peut être amené à prendre des mesures de protection empêchant les syndicats d’acquérir ou d’utiliser une position dominante, notamment lorsqu’ils sont des partenaires sociaux jouissant d’un large soutien économique, financier et politique.
9.  M. Gustafsson avait pour sa part de nombreux intérêts légitimes à défendre lorsqu’il s’est trouvé en butte aux mesures collectives prises par le syndicat.  En effet, celles-ci mettaient en danger ses intérêts commerciaux et financiers et, en outre, menaçaient sa philosophie des affaires, ses relations de travail et son mode de vie.
La politique de l’emploi suivie à son niveau par le requérant dans son restaurant était de fait fondée sur le principe de la co-décision et recherchait exactement les mêmes buts que ceux poursuivis par le système de négociation collective dans l’ensemble de la société, à savoir la paix sociale et la solidarité.
10.   Dans ces conditions, je ne pense pas que les restrictions que les mesures du syndicat ont entraînées sur le droit du requérant à la liberté d’association répondaient à un besoin social impérieux.  Les motifs avancés à cet égard par le gouvernement suédois ne sont ni pertinents ni suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 11 (art. 11-2).  La contrainte subie par M. Gustafsson était disproportionnée aux buts légitimes visés, tant par sa forme que par son intensité, et n’était ainsi pas nécessaire dans une société démocratique.
L’Etat défendeur était donc tenu de prendre des mesures appropriées pour protéger le requérant contre les actions du syndicat afin de lui reconnaître le respect effectif du droit à la liberté de ne pas s’associer garanti par l’article 11 (art. 11).  Ayant failli à cette obligation, l’Etat a outrepassé la marge d’appréciation dont il jouit et a donc violé l’article 11 (art. 11).
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE WALSH
(Traduction)
1.  Je souscris à l’opinion dissidente de M. le Juge Martens, qui estime que cette affaire révèle une violation de l’article 11 (art. 11), ainsi qu’à son raisonnement.
2.  La Suède doit répondre de toutes les infractions à la Convention qui se produisent dans sa juridiction, qu’elles soient dues à des particuliers ou à l’Etat ou ses services (arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni du 13 août 1981, série A no 44, p. 20, par. 49).
3.   Le paragraphe 1 de l’article 11 (art. 11-1) garantit au requérant le droit à la liberté d’association. Or, de cette liberté découle le droit corollaire de ne pas être contraint, de manière directe ou indirecte, de s’associer.  Même en considérant que le droit dérivé peut subir des restrictions conformément à ce qui est prévu au paragraphe 2 de l’article 11 (art. 11-2), rien en l’espèce ne le fait tomber sous le coup de cette disposition (art. 11-2).
4.  Je souscris pour le reste à l’opinion du juge Martens.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS, A LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE MATSCHER
(Traduction)
1.   Je regrette de ne pouvoir me rallier à la majorité.  Mon analyse différant radicalement de la sienne, je me bornerai à exposer mon avis en me gardant de toute controverse.
2.  Je m’appuie sur les faits tels qu’établis par la Commission. Je ne tiendrai pas compte des affirmations du Gouvernement lorsqu’elles sont étayées sur des faits nouvellement présentés à la Cour et en contradiction avec ceux établis par la Commission.
Lors de la procédure devant la Cour, les parties ont certes la faculté, en principe, de présenter des faits nouveaux, c’est-à-dire non communiqués lors de la procédure devant la Commission.  Cette liberté est cependant limitée par le principe de l’équité de la procédure. Dans le système de la Convention, l’établissement et la vérification des faits incombent au premier chef à la Commission (voir notamment l’arrêt Ribitsch c. Autriche du 4 décembre 1995, série A no 336, p. 24, par. 32).  En conséquence, les faits nouveaux complétant ou précisant ceux établis par la Commission sont recevables (arrêt McMichael c. Royaume-Uni du 24 février 1995, série A no 307-B, p. 51, par. 73), tandis que, par principe, les faits nouveaux contradictoires avec ceux constatés par la Commission ne le sont pas.  Ce principe admet certes des exceptions: les faits inconnus des parties et de la Commission à la date où celle-ci a établi son rapport et les faits survenus après cette date sont eux aussi recevables.  En revanche, sont irrecevables les faits qui auraient pu être connus de la partie qui les avance si elle avait fait preuve d’une diligence et d’un soin raisonnables.  Les nouveaux faits contradictoires que le Gouvernement tente maintenant d’invoquer appartiennent à cette dernière catégorie.  Le Gouvernement n’a pas nié avoir eu, devant la Commission, toutes facilités pour présenter son argumentation.  Il a simplement déclaré avoir oublié à cette occasion de consulter le syndicat concerné, en se contentant d’expliquer cette omission par des "difficultés pratiques".  Il doit assumer les conséquences d’un tel oubli.
3.  Rappelons que la Commission a établi que: a) seul l’un des membres du personnel du requérant, qui comptait moins de dix salariés, était affilié au HRF, le syndicat qui a lancé les actions contre le requérant; b) cette salariée a publiquement déclaré qu’elle jugeait les mesures du syndicat inutiles puisque les salaires octroyés et les conditions de travail dans le restaurant n’étaient pas critiquables; c) les termes des contrats de travail conclus avec les salariés étaient meilleurs que les conditions prévues dans la convention collective en vigueur.
Les mesures du syndicat n’étaient donc pas destinées à améliorer des conditions de travail inacceptables ou à tout le moins défavorables, mais visaient seulement à enrôler le requérant et ses salariés dans le système de négociation collective.
En témoigne le fait que, outre le requérant, cinq de ses salariés se sont adressés aux organes de la Convention, se plaignant que l’Etat n’offrait aucune protection contre la violation de leur liberté de ne pas s’associer résultant de mesures de rétorsion à l’encontre du restaurant de leur employeur, qu’ils qualifiaient d’injustifiées.  Ils soulignaient que ces mesures avaient pour but de les priver de toute possibilité de peser sur les termes de leur contrat de travail avec leur employeur.  Dans sa décision du 8 avril 1994 (requête no 15533/89, Décisions et rapports 77-A, pp. 10 et suiv.), la Commission a déclaré ces griefs irrecevables; cependant, dans la mesure où ils corroborent ses constatations de fait dans la présente affaire, ils constituent un argument de plus pour ne pas examiner les nouveaux faits soumis par le Gouvernement.
Article 11 (art. 11)
4.   A première vue, cette affaire se présente comme un conflit entre - d’une part - un petit restaurateur aux convictions politiques affirmées, selon lesquelles un système donné de négociation et de conventions collectives ayant un effet négatif sur la société dans son ensemble est inadmissible en soi et qui, en conséquence, non seulement s’abstient de s’affilier à un syndicat patronal, mais s’oppose obstinément à tous les efforts de ce syndicat pour l’amener à participer d’une manière ou d’une autre à ce système et - d’autre part - un syndicat qui, cela se comprend, estime que ses intérêts catégoriels exigent que tout patron de la branche professionnelle qu’il représente doit participer au système et s’efforce donc de briser la résistance de ce patron par l’action collective.
Aux termes de cette analyse provisoire s’opposent deux droits fondamentaux, à savoir le droit du syndicat à la liberté d’association au sens positif et celui du salarié à la liberté d’association au sens négatif.
5.   Le Gouvernement nie cependant que la liberté négative d’association du requérant soit en jeu.  Il fait valoir que le but principal des mesures collectives n’était pas d’obliger le requérant à adhérer à un syndicat patronal, mais de lui faire adopter une convention collective.
Cet argument ne tient pas.
Il convient tout d’abord de relever que le but subjectif des mesures collectives n’entre pas en ligne de compte.  Ce qui importe, en revanche, est l’effet objectif de la conduite du syndicat.  Dans les faits, il était demandé au requérant - sous la menace de mesures collectives - de s’intégrer au système de négociation collective soit en adhérant à un syndicat patronal, soit en signant un "accord de remplacement", qui l’aurait conduit à être lié, non seulement par les conventions salariales en vigueur mais également par celles à venir ou, au moins, par celle de la saison suivante.
Le requérant était donc soumis à d’importantes pressions en vue d’entrer, d’une manière ou d’une autre, dans le système de négociation collective.  Ces pressions portaient atteinte à sa liberté de ne pas s’associer dans la mesure où elles étaient incompatibles avec un élément nécessairement inhérent à cette liberté, à savoir la faculté de négocier librement ses propres accords salariaux.
6.  Le Gouvernement déclare que la Convention ne protège pas cette liberté.  Cet argument ne tient cependant pas compte du lien indissoluble qui, dans le contexte des rapports sociaux, existe entre la liberté syndicale (en tant qu’aspect particulier de la liberté d’association), le droit de procéder à des négociations collectives et le droit de prendre des mesures collectives afin de protéger des intérêts catégoriels.  Comme l’illustrent entre autres les deux articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne (ainsi que les conclusions y relatives du Comité d’experts indépendants), selon le droit international du travail, le droit de négociation collective, s’il n’en est pas un objectif, est à tout le moins une conséquence à la fois de la liberté positive d’association des syndicats et de son corollaire obligé, la liberté des syndicats de protéger leurs intérêts catégoriels par l’action collective.
Il est vrai que, dans ses jugements datant de plus de vingt ans et assez timides sur la portée de la protection que l’article 11 (art. 11) confère aux syndicats (arrêt Syndicat national de la police belge c. Belgique du 27 octobre 1975, série A no 19; arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède du 6 février 1976, série A no 20 et arrêt Schmidt et Dahlström c. Suède du 6 février 1976, série A no 21), la Cour s’est abstenue de souscrire à l’opinion de la Commission, fondée sur un raisonnement rigoureux et de nombreuses références, selon laquelle le droit de négociation collective est indispensable pour exercer effectivement la liberté syndicale et constitue donc un élément nécessairement inhérent à cette liberté garantie par l’article 11 (art. 11) (série B no 18, pp. 47 et suiv., paras. 76-78).  Cependant, dans les circonstances actuelles - telles qu’elles ressortent notamment des conclusions du comité de l’Organisation internationale du Travail ("l’OIT") sur la liberté d’association dans le cadre de la Convention de l’OIT no 98 - nul doute que le droit à la négociation collective constitue un tel élément, tout comme le droit de protéger les intérêts catégoriels des adhérents d’un syndicat par l’action collective.
De même, en raisonnant en négatif, la liberté d’un employeur de ne pas s’associer entraîne forcément la liberté de ne pas être intégré au système de négociation collective, à savoir celle de négocier ses propres accords salariaux.
En bref, l’article 11 (art. 11) est applicable.  Il convient maintenant de déterminer s’il a été violé.
7.  Constater que l’article 11 (art. 11) confère un caractère définitif à l’analyse provisoire exposée plus haut, considérant l’affaire comme un conflit entre la liberté d’association du syndicat et la liberté du requérant de ne pas s’associer.  En conséquence, il s’impose en l’occurrence de se prononcer sur la question laissée en suspens dans l’arrêt Sigurdur A. Sigurjónsson c. Islande (30 juin 1993, série A no 264, p. 16, par. 35).  Dans cet arrêt, la Cour a reconnu (tout comme le comité d’experts indépendants l’avait fait dans le cadre de l’article 5 de la Charte sociale européenne), qu’"il échet donc de considérer que l’article 11 (art. 11) consacre un droit d’association négatif" mais n’a pas tranché la question - fondamentale - de savoir "si ce droit s’y trouve inclus à l’égal du droit positif".
8.  Dans ce cadre de conflit entre deux droits, le problème est sûrement mal posé lorsqu’on postule que la seule façon de résoudre le conflit consiste à accorder à ces droits un poids différent.  Car alors il faut se demander lequel des deux doit être considéré comme le plus lourd.  Pour répondre à cette question dans le cadre de la Convention, il faut en premier lieu tenir compte de la nature de cet instrument. La Convention vise en effet à énoncer les droits fondamentaux de l’individu et à offrir à celui-ci une protection efficace contre les atteintes à ces droits.  En conséquence, une fois admis que l’article 11 (art. 11) consacre un droit d’association négatif en plus d’un droit positif, la liberté négative doit par principe l’emporter lorsque ces deux libertés sont en conflit.
Il convient de souligner les termes "par principe".  Certes, il est désormais admis que ces libertés forment les deux faces d’un même droit, mais lorsqu’elles entrent en conflit, les aspects collectifs du droit positif, notamment l’importance de la solidarité sociale, ne doivent pas être négligés.  C’est pourquoi, dans l’exercice de mise en balance, le fait que la liberté négative en jeu soit celle d’un employé ou celle d’un employeur peut se révéler pertinent.  La solidarité sociale n’a pas toujours la même teneur ni la même valeur.  En d’autres termes: les choses peuvent être différentes lorsque le conflit de droits se produit au sein du même camp (désaccord entre un syndicat et un salarié) ou entre camps adverses (dissension entre un syndicat et un employeur); de même, lorsque le conflit est interne à un même camp, la situation peut être différente suivant l’objet du conflit.
Quoi qu’il en soit, la prépondérance de principe du droit négatif implique que, dans des affaires (comme celle-ci) où les syndicats recourent à l’action collective pour contraindre un employeur à participer, directement ou indirectement, au système de la négociation collective, il n’y a plus de raison de rechercher si la substance même de la liberté garantie par l’article 11 (art. 11) est touchée, critère établi dans l’arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni (13 août 1981, série A no 44, p. 23, par. 52).  Cela tient au fait que ce critère assez restrictif se fondait sur l’hypothèse - avancée seulement pour les besoins de l’argumentation (ibidem, p. 21) - selon laquelle la liberté de ne pas s’associer n’est pas consacrée par la Convention.
Ce critère doit être remplacé par un autre, qui exprime mieux l’idéal de défense des droits de l’homme, voulant que l’individu doit en principe être libre d’agir en accord avec ses idées et, en conséquence, il doit lui être épargné d’écorner ses convictions sous la pression d’une action collective menée par un ou plusieurs syndicats.  Dans ce cadre, il convient de rappeler que la protection de la liberté de pensée, de conscience et de religion et des opinions personnelles est précisément l’un des objectifs de la liberté d’association (voir notamment l’arrêt Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A no 323, p. 25, par. 64).
9.  Etant donné qu’en cas de conflit entre la liberté d’association et celle de ne pas s’associer, c’est cette dernière qui l’emporte en principe, l’intérêt professionnel traditionnel et légitime des syndicats - obtenir l’adhésion la plus large au système de négociation collective - ne peut justifier en lui-même le recours à l’action collective pour contraindre un employeur à adhérer à un syndicat patronal ou à être enrôlé d’autre façon dans le système de négociation collective.  Il s’ensuit qu’une telle coercition exercée par un syndicat à l’égard d’un employeur doit être considérée comme violant sa liberté de ne pas s’associer garantie par l’article 11 (art. 11), sauf lorsque:
- elle est motivée par d’autres intérêts catégoriels légitimes que celui d’obtenir l’adhésion la plus large possible au système de négociation collective; et
- le recours à l’arme de l’action collective est proportionné aux autres intérêts reconnus.
C’est sur le syndicat que doit peser la charge de prouver l’existence de ces autres intérêts.  Dans une affaire comme le cas d’espèce, il peut s’agir, par exemple, de dénoncer l’exploitation par l’employeur de ses salariés affiliés à ce syndicat, ou de tous ses salariés si l’on est prêt à considérer - comme je le serais - que les syndicats peuvent dans ce cas agir aussi dans l’intérêt de tous les salariés.
10.   Il s’ensuit que les Hautes Parties contractantes, tenues de protéger la liberté négative d’association de tout individu, se trouvent dans l’obligation positive de protéger cette liberté contre les abus ou le recours disproportionné à l’action collective des syndicats.  Il faut en déduire que l’article 11 (art. 11) - tout comme l’article 8 (art. 8) et l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) - comporte une exigence de procédure: les personnes se prétendant victimes d’un abus ou d’un recours disproportionné à l’action collective de la part des syndicats doivent pouvoir recourir à un tribunal indépendant et impartial.  Je relève que cette conclusion est conforme à la jurisprudence du comité d’experts indépendants relative à l’obligation positive, incombant aux Etats contractants, d’offrir des recours juridiques pour se défendre contre les actions restreignant indûment la liberté négative d’association garantie par l’article 5 de la Charte sociale européenne (conclusions VIII, p. 77 et XI-1, p. 78).
11.   Eu égard aux arguments bien sentis du Gouvernement fondés sur ce qu’il est convenu d’appeler le "modèle suédois", j’ajouterais que l’exigence selon laquelle les victimes d’un recours disproportionné à l’action syndicale doivent être en mesure de faire entendre leur cause devant un tribunal est également dictée par le principe de la prééminence du droit.  Ce principe - protection fondamentale de l’individu citée dans le préambule de la Convention et que la Cour européenne se doit de respecter - n’exige pas seulement que l’individu se trouve à même de saisir un tribunal pour qu’il contrôle la légalité et la proportionnalité des atteintes à ses droits de la part de l’exécutif; il implique également que l’individu bénéficie d’une telle protection contre les agissements d’organismes puissants créés ou autorisés par l’Etat.  La Convention ne prévoit aucunement que les syndicats soient soumis à un contrôle du juge moins sévère que l’Etat.
C’est ainsi que le principe de prééminence du droit exige qu’un système juridique qui, comme celui en vigueur en Suède, accorde aux syndicats ouvriers et patronaux le droit constitutionnel de faire grève, de fermer des usines ou de prendre d’autres mesures similaires, doit également permettre à toute personne victime de ces mesures de recourir aux tribunaux pour que ces derniers évaluent si le syndicat ouvrier ou patronal, selon le cas, a abusé de la liberté que lui confère la Constitution.  Il se peut que, selon le "modèle suédois", le pouvoir législatif démocratique ait été convaincu qu’accorder aux syndicats un droit (presque) illimité de défendre les intérêts de ses membres soit bénéfique pour la société dans son ensemble, mais la prééminence du droit - et, de plus, l’égalité devant la loi au sein du Conseil de l’Europe - met dans l’impossibilité d’accepter, même d’une démocratie, que pour quelque raison que ce soit, un syndicat ait le privilège d’être le seul arbitre entre les intérêts de ses membres et ceux d’un employeur qui ne souhaite pas adhérer au système.
12.   L’on sait que la loi suédoise n’a pas permis au requérant d’engager une action en justice contre les syndicats en vue de faire contrôler si l’atteinte à son droit négatif d’association due à l’action collective était motivée par des raisons pertinentes et suffisantes (paragraphe 7 ci-dessus).  Cela suffit à conclure qu’il y a eu violation des droits que l’article 11 (art. 11) reconnaît au requérant.
13.   Le Gouvernement a fait valoir que considérer les syndicats comme devant répondre en justice des actions collectives qu’ils mènent constituerait une atteinte à la règle d’interprétation exposée à l’article 60 (art. 60) de la Convention, puisque la loi suédoise leur confère l’immunité de poursuites à titre de liberté fondamentale.
Cet argument n’est pas valable.  En effet, l’immunité de poursuites dont bénéficient les syndicats en vertu de la loi suédoise ne fait pas partie des "droits de l’homme et libertés fondamentales" dont il est question à l’article 60 (art. 60).  Cette immunité présente le défaut essentiel d’être incompatible, d’une part, avec la prééminence du droit et, d’autre part, avec une protection adéquate de la liberté négative d’association prévue à l’article 11 (art. 11). Ayant créé un droit présentant un tel vice, la Suède ne doit pas être autorisée à le faire passer pour un droit de l’homme ou une liberté fondamentale au sens de la Convention.
Autres griefs
14.   Compte tenu de ce qui précède, il ne s’impose pas d’examiner les griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) ou des articles 6 et 13 (art. 6, art. 13) de la Convention, puisque l’absence d’accès à un tribunal constitue déjà un élément décisif au regard de l’article 11 (art. 11).
J’ajouterais simplement que les exigences de procédure prévues à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) n’ont pas été respectées, ce qui justifie de conclure aussi à la violation de cette disposition (P1-1).
L’on ne saurait accepter l’argument du Gouvernement selon lequel le blocus ne tombe pas sous le coup de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) parce qu’il s’agit d’une mesure prise par un organisme privé contre un particulier.  Même si l’action collective des syndicats pouvait, comme le Gouvernement le suggère à tort, être placée sur le même plan qu’une mise à l’index commerciale et d’autres mesures similaires, l’argument du Gouvernement ne tient pas compte de ce qu’un système juridique qui ne permettrait pas à la victime de ces actions commerciales d’en attaquer les auteurs en justice afin d’obtenir une injonction ou des dommages-intérêts, violerait également cet article (P1-1).  Quoi qu’il en soit, le Gouvernement d’un Etat qui donne à ses syndicats le droit pratiquement illimité de prendre des mesures collectives dès lors qu’ils jugent ces mesures dans l’intérêt de leurs adhérents, est certainement tenu par l’obligation positive de veiller à ce que lesdites mesures ne portent pas atteinte aux droits d’autrui dans le cadre de la première règle de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); cette obligation positive implique à tout le moins que les victimes de ces mesures collectives puissent recourir à un tribunal indépendant et impartial qui contrôlera la question de la proportionnalité.
Conclusion
15.   En résumé, la Suède a commis une violation de l’article 11 (art. 11).
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA
(Traduction)
1.   Je regrette de ne pouvoir souscrire ni à l’approche de la majorité ni à sa décision de non-violation de l’article 11 (art. 11) de la Convention en cette affaire.  Pour les raisons que j’ai exposées dans mon opinion dissidente dans l’arrêt Sibson c. Royaume-Uni du 20 avril 1993 (série A no 258-A, pp. 16-19), je me rallie cependant à sa conclusion quant à l’applicabilité de l’article 11 (art. 11) de la Convention au grief du requérant.  En dépit d’une certaine réticence à "ouvrir la porte" à la liberté négative d’association (paragraphe 45, alinéa 2), la Cour, suivant en cela l’arrêt Sigurdur A. Sigurjónsson c. Islande du 30 juin 1993 (série A no 264, pp. 15-16, par. 35), a respecté la logique de cet article (art. 11) et considéré que la liberté négative d’association - le droit de ne pas adhérer à un syndicat ou celui de s’en retirer - ne constitue que l’un des aspects de la liberté d’association.
2.  Selon moi, cependant, la majorité n’a pas tiré de cette prémisse la conclusion voulue par la logique, à savoir que les faits allégués par M. Gustafsson constituent une violation de son droit de ne pas s’affilier à un syndicat et de son droit de refuser de s’engager dans une négociation collective avec les syndicats, au risque de subir des mesures de rétorsion telles que blocus ou mise à l’index.
3.   Au contraire, la majorité conclut à la non-violation après avoir établi les "principes généraux" suivants pour régir l’observation de l’article 11 (art. 11) de la Convention (paragraphe 45 de l’arrêt): a) les mesures que le requérant dénonce ne concernaient pas une intervention directe de l’Etat; b) la Cour a estimé, dans l’arrêt Sibson précité, qu’une forme de contrainte qui, dans une situation donnée, touche à la substance même de la liberté d’association, telle que la consacre l’article 11 (art. 11), porte atteinte à ladite liberté; c) les termes de l’article 11 (art. 11) montrent que la Convention protège la liberté de défendre les intérêts professionnels des adhérents d’un syndicat par l’action collective de celui-ci; d) selon la jurisprudence de la Cour (arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotives du 6 février 1976, série A no 20), la conclusion de conventions collectives peut constituer l’un des moyens employés par l’Etat à cette fin, et e) les Etats contractants jouissent d’une grande latitude dans le choix des moyens à employer.
4.  A mon avis, ce raisonnement ne respecte pas la substance même de la liberté négative d’association dont bénéficie M. Gustafsson au titre de l’article 11 (art. 11).  Il découle de l’obligation positive de reconnaître au requérant les droits définis dans la Convention qu’impose à la Suède l’article 1 (art. 1) de la Convention, qu’elle doit prévoir les moyens de droit et de procédure nécessaires à la protection de l’individu contre les mesures des syndicats jugées "déraisonnables ou inappropriées" par des employeurs ou salariés. C’est précisément parce qu’elle n’a pas fourni une telle protection que la responsabilité de la Suède est engagée au regard de la Convention.
5.  Il semblerait que le blocus et la mise à l’index aient été déclenchés par le syndicat parce que le requérant refusait tant d’adhérer à un syndicat que de souscrire une convention collective de remplacement.  La contrainte exercée par le syndicat ne servait donc pas l’intérêt de M. Gustafsson, mais plutôt celui d’un système de conventions salariales collectives qui ne semble pas prendre en compte la volonté individuelle.  Dans l’affaire précitée du Syndicat suédois des conducteurs de locomotives, la Cour indique aux paragraphes 39 et 40 les conditions dans lesquelles sont conclues les conventions collectives entre les employeurs et un syndicat ouvrier (article 11 (art. 11) de la Convention) et souligne que la Charte sociale européenne (article 6 par. 2) "met l’accent sur le caractère volontaire des négociations et conventions collectives".  Le droit que l’article 11 (art. 11) confère aux syndicats - oeuvrer à la défense des intérêts de leurs adhérents "dans le cadre de la législation nationale" - n’englobe pas à mon avis des mesures aussi peu respectueuses de la substance même du droit à la liberté d’association; assurer la "paix à l’industrie" me semble également incompatible avec la protection du droit garanti par la Convention.
6.   Les seules restrictions autorisées au droit à la liberté d’association sont celles énoncées au paragraphe 2 de l’article 11 (art. 11-2) de la Convention.  Ces restrictions doivent être prévues par la loi et répondre aux exigences mentionnées dans l’article (art. 11).  Je ne pense pas que la marge d’appréciation dont dispose l’Etat en matière sociale ou politique puisse être valablement invoquée pour justifier les lacunes du système juridique suédois s’agissant de la protection des employeurs et des salariés contre des mesures collectives de contrainte lorsque leur pertinence et leur proportionnalité ne sont pas contrôlées par des juridictions ou commissions contentieuses indépendantes et impartiales.
7.  Ayant conclu à la violation de l’article 11 (art. 11) de la Convention du fait que le système juridique suédois ne protège pas l’individu contre les actions collectives des syndicats préjudiciables à ses droits ou à ses biens, les autres griefs du requérant tirés de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) et des articles 6 et 13 (art. 6, art. 13) de la Convention ne sont que de simples conséquences de la violation de l’article 11 (art. 11).  La présentation du dispositif m’incite cependant à répondre par la négative aux points en litige.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MIFSUD BONNICI
(Traduction)
1.   Je souscris dans l’ensemble aux opinions dissidentes de mes confrères Martens et Morenilla et conclus comme eux à la violation de l’article 11 (art. 11).
2.  J’ajouterais simplement une brève remarque.  Comme le juge Martens, j’ai été particulièrement impressionné par les faits relatés aux paragraphes 11 et 15 de l’arrêt.  Non seulement le requérant, un employeur, n’était pas syndiqué, puisqu’il avait décidé de ne pas adhérer au syndicat patronal suédois de l’hôtellerie et de la restauration ("le HRAF"), mais ses salariés eux-mêmes, à l’exception d’un seul, n’étaient pas affiliés au syndicat du personnel de l’hôtellerie et de la restauration ("le HRF").  L’employeur et les salariés avaient à l’évidence choisi de ne pas adhérer à un quelconque syndicat, conformément au droit fondamental garanti par l’article 11 (art. 11) de la Convention.  Ils considéraient tous qu’il était dans leurs intérêts respectifs de ne pas s’affilier à un syndicat, car le contraire aurait soumis leurs rapports à une convention collective qu’ils considéraient d’un commun accord comme moins avantageuse que le contrat qu’ils avaient conclu ensemble.  La seule adhérente du HRF travaillant pour le requérant à l’époque des faits avait en fait "déclaré publiquement que les mesures de rétorsion étaient selon elle inutiles, puisque les salaires et conditions de travail appliqués au restaurant ne méritaient aucune critique".
3.   Les actions lancées par le syndicat ont introduit des contraintes qui ont entraîné des conséquences décisives, dont la plus importante et pertinente en l’espèce est que le ou les contrats conclus entre le requérant et ses salariés ont été privés d’effet, puisqu’ils ne pouvaient plus être appliqués en pratique.  Le paragraphe 52 de l’arrêt conclut au sujet de la question de la contrainte:
"Une contrainte qui, comme en l’espèce, n’entrave pas demanière importante l’exercice de cette liberté, même si elleprovoque un préjudice économique, n’entraîne aucune obligationpositive au titre de l’article 11 (art. 11)."
Or selon moi, la contrainte exercée en l’occurrence a bien empiété de manière importante sur l’exercice par le requérant du droit à la liberté d’association.
1 L'affaire porte le n° 18/1995/524/610.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2 Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s'applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9 (P9).
3 Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-II), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. RYSSDAL, M. SPIELMANN, Mme PALM, M. FOIGHEL, M. PEKKANEN, M. LOIZOU, M. MAKARCZYK ET M. REPIK, JUGES
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. RYSSDAL, M. SPIELMANN, Mme PALM, M. FOIGHEL, M. PEKKANEN, M. LOIZOU, M. MAKARCZYK ET M. REPIK, JUGES
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE JAMBREK
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE JAMBREK
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE WALSH
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS, A LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE MATSCHER
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS, A LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE MATSCHER
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA
ARRÊT GUSTAFSSON c. SUEDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MIFSUD BONNICI


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 15573/89
Date de la décision : 25/04/1996
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'Art. 11 ; Non-violation de l'Art. 6-1 ; Non-violation de l'Art. 13 ; Non-violation de P1-1

Analyses

(Art. 11) LIBERTE DE REUNION ET D'ASSOCIATION, (Art. 11-1) NE PAS S'AFFILIER A DES SYNDICATS, (Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 13) GRIEF DEFENDABLE, (Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : GUSTAFSSON
Défendeurs : SUEDE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1996-04-25;15573.89 ?

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