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16/09/1996 | CEDH | N°20024/92

CEDH | AFFAIRE SÜSSMANN c. ALLEMAGNE


COUR (GRANDE CHAMBRE)
AFFAIRE SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
(Requête no 20024/92)
ARRÊT
STRASBOURG
16 septembre 1996 
En l’affaire Süßmann c. Allemagne 1,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 53 de son règlement B 2, en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
A. Spielmann,
N. Valticos,
Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
R. Pekkanen,
Sir John Freeland,
MM

.  A.B. Baka,
M.A.  Lopes Rocha,
G. Mifsud Bonnici,
J. Makarczyk,
D. Gotchev,
B. Repik,
P. Jambrek,
K. Jungwie...

COUR (GRANDE CHAMBRE)
AFFAIRE SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
(Requête no 20024/92)
ARRÊT
STRASBOURG
16 septembre 1996 
En l’affaire Süßmann c. Allemagne 1,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 53 de son règlement B 2, en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
A. Spielmann,
N. Valticos,
Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
R. Pekkanen,
Sir John Freeland,
MM.  A.B. Baka,
M.A.  Lopes Rocha,
G. Mifsud Bonnici,
J. Makarczyk,
D. Gotchev,
B. Repik,
P. Jambrek,
K. Jungwiert,
U. Lohmus,
J. Casadevall,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 avril et 31 août 1996,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne ("le Gouvernement") le 30 juin 1995, puis par un ressortissant de cet Etat, M. Gerhard Süßmann ("le requérant"), le 16 août 1995, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention").
A son origine se trouve une requête (no 20024/92) dirigée contre l’Allemagne et dont M. Süßmann avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") en son nom et au nom de Mme Irmgard Stieler (paragraphe 24 ci-dessous) le 21 mai 1992 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La requête du Gouvernement renvoie aux articles 32 et 48 de la Convention (art. 32, art. 48), celle du requérant à l’article 48 (art. 48) modifié par le Protocole no 9 (P9), que l’Allemagne a ratifié.  Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale) et également, pour la requête du requérant, de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (procès équitable) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), ainsi que de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1).
2.   Le 30 octobre 1995, le président a autorisé le requérant à assumer lui-même la défense de ses intérêts (article 31 du règlement B) et à employer l’allemand dans la procédure tant écrite qu’orale (article 28 par. 3).
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 4 du règlement B).  Le 13 juillet 1995, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir Mme E. Palm, M. I. Foighel, M. R. Pekkanen, M. A.B. Baka, M. M.A. Lopes Rocha, M. G. Mifsud Bonnici et M. J. Makarczyk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement B) (art. 43).
4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement B), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, le requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 39 par. 1 et 40). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 20 décembre 1995 et celui du requérant le 4 janvier 1996.
Le 19 mars 1996, la Commission avait produit des pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l’y avait invitée sur les instructions du président.
5.   Le 28 mars 1996, la chambre a décidé de se dessaisir avec effet immédiat au profit d’une grande chambre (article 53 du règlement B). Le président et le vice-président, M. Bernhardt, qui siégeait déjà en tant que juge national, ainsi que les autres membres, et suppléants de la chambre, à savoir M. C. Russo, M. P. Jambrek, M. K. Jungwiert et M. U. Lohmus, étaient de plein droit membres de la grande chambre.  Le président a tiré au sort, le 30 mars, le nom des huit juges supplémentaires, à savoir M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. A. Spielmann, M. N. Valticos, Sir John Freeland, M. D. Gotchev, M. B. Repik et M. J. Casadevall, en présence du greffier (article 53 par. 2 a) à c)).  M. Russo, qui n’avait pu assister aux délibérations du 26 avril 1996, n’a pas pris part à la suite de la procédure.
6.   Ainsi qu’en avait décidé le président - qui avait également autorisé l’agent du Gouvernement à plaider en allemand (article 28 par. 2 du règlement B) -, les débats se sont déroulés en public le 24 avril 1996 au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. J. Meyer-Ladewig, Ministerialdirigent,
ministère fédéral de la Justice, agent,
M. Weckerling, Regierungsdirektor,
ministère fédéral de la Justice,
E. Radziwill, Regierungsrat zur Anstellung,
ministère fédéral de la Justice, conseillers;
- pour la Commission
M. F. Martínez délégué,
- le requérant.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Martínez, M. Süßmann et M. Meyer-Ladewig, ainsi qu’en leurs réponses aux questions de deux juges.
EN FAIT
I.   LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.   Ressortissant allemand né en 1916, M. Süßmann a travaillé comme physicien dans des instituts de recherche qui avaient adopté le système de rétribution et de retraite de la fonction publique.
8.   Retraité depuis 1980, il perçoit, outre la pension légale, une pension de retraite complémentaire (Versorgungsrente) que lui verse la caisse de retraite complémentaire de la Fédération et des Länder (Versorgungsanstalt des Bundes und der Länder - "VBL").  Cet organisme gère un régime complémentaire d’assurance vieillesse, qui permet aux fonctionnaires allemands ou à des personnes disposant d’un statut équivalent de bénéficier d’une pension complémentaire progressive.
9.   Constatant que le total des sommes versées au titre du régime général d’assurance vieillesse et du régime complémentaire d’assurance vieillesse de la fonction publique dépassait régulièrement celui des derniers salaires nets des fonctionnaires, les partenaires sociaux se mirent d’accord pour amender les statuts de la caisse de retraite complémentaire afin d’aboutir à une réduction progressive du surplus. Ces modifications, intervenues en mars 1982 et en mars 1984, touchaient également les personnes déjà affiliées au régime complémentaire ou percevant des pensions de retraite.
Le 16 mars 1988, la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof), dans une série d’arrêts de principe, entérina la validité de ces modifications.    
A. La procédure devant les juridictions arbitrales
10.   Les 30 avril et 31 mai 1985, la caisse de retraite complémentaire calcula sur la base des nouvelles règles le montant à verser au requérant au titre de sa pension complémentaire, qui s’en trouva réduite.
11.   L’intéressé saisit alors le tribunal arbitral de la caisse de retraite complémentaire (Schiedsgericht der VBL) d’un recours contre cette caisse, contestant notamment la légalité des modifications de statuts intervenues.
12.   Dans un compromis d’arbitrage des 3 et 18 septembre 1985, M. Süßmann et la caisse de retraite complémentaire avaient reconnu la compétence des juridictions arbitrales de cette dernière.
13.   Le 20 février 1987, le tribunal arbitral rejeta le recours.
14.   Le 11 mai 1987, M. Süßmann interjeta appel de cette décision devant la haute cour d’arbitrage de la caisse de retraite complémentaire (Oberschiedsgericht der VBL).
15.   Le 10 mars 1989, celle-ci débouta également le requérant, aux motifs que la diminution de sa pension de retraite complémentaire résultant de la modification des statuts n’était pas contraire à la loi.    
B. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale
16.   Le 11 juillet 1988, l’intéressé saisit la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) d’un recours, relatif aux modifications de statuts intervenues en 1982 et 1984.  Par la suite il souleva aussi d’autres moyens.
Le 4 avril 1989, il étendit ses griefs à la décision de la haute cour d’arbitrage du 10 mars 1989.
17.   Statuant en comité de trois membres, la deuxième section de la première chambre (zweite Kammer des ersten Senats) de la Cour constitutionnelle fédérale décida, le 6 novembre 1991, de ne pas retenir le recours; elle l’estimait dénué de chances suffisantes de succès.
Après avoir relevé que le recours était irrecevable dans la mesure où il soulevait pour la première fois des questions de fait ou de droit qui auraient pu être soumises aux juridictions ordinaires, la Cour constitutionnelle fédérale déclara recevables les griefs pour le surplus, notamment ceux relatifs au caractère inéquitable de la procédure devant la Cour fédérale de justice et à l’atteinte au droit de propriété de l’intéressé.  La Cour fédérale de justice ayant tranché en dernier ressort les questions de fait et de droit dans ses arrêts de principe du 16 mars 1988, il n’y avait pas lieu de former d’autres recours pour épuiser les voies de recours ordinaires.
Toutefois, même à l’égard des griefs déclarés recevables, la Cour constitutionnelle fédérale estima que le recours constitutionnel était dénué de chances suffisantes de succès, pour les raisons suivantes:
1.  Il n’y avait pas eu violation du droit du requérant à être entendu en justice (Recht auf Gewährung rechtlichen Gehörs).  En particulier, rien ne portait à croire que les tribunaux n’avaient pas dûment pris en compte les éléments de fait afférents à la modification des statuts.  Les décisions se fondaient pour l’essentiel sur deux rapports établis par des commissions d’experts en septembre 1975 et en novembre 1983.  L’administration d’autres moyens de preuve n’était pas nécessaire.
2. A supposer que les droits à pension relèvent du droit constitutionnel de propriété, rien n’indiquait qu’il y avait eu atteinte à ce droit.  Il était licite de réduire les droits à pension par le biais des modifications des statuts dans le cadre des règles du droit privé.
En effet, la Cour fédérale de justice avait jugé que les pensions versées au titre du régime géré par la caisse de retraite complémentaire relevaient du droit privé, analyse qui ne fut pas contestée par le requérant.  Elle avait par ailleurs considéré l’assurance vieillesse en question comme une assurance collective (Gruppenversicherung), seuls les employeurs étant considérés comme assurés, les salariés (Arbeitnehmer) demeurant de simples ayants droit (Bezugsberechtigte).  Enfin, la Cour fédérale de justice avait examiné si la révision des statuts respectait les intérêts des salariés et le principe de "bonne foi" (Treu und Glauben), estimant que cette mesure avait contré une évolution socialement et politiquement intolérable et mis fin à une déviation importante des objectifs de la retraite complémentaire.  D’après elle, la modification des statuts visait la consolidation de l’ensemble des régimes d’assurance vieillesse rendue nécessaire par l’évolution économique et démographique, et se fondait sur une décision de principe prise par les partenaires sociaux.
La Cour constitutionnelle fédérale conclut en ces termes:
"Cette application du droit civil n’emporte violation d’aucun droit fondamental.  La fonction de protection objective de la garantie de propriété n’a été trahie ni par la qualification du contrat d’assurance comme assurance de groupe, où les salariés ne sont que des ayants droit, ni dans l’appréciation des intérêts individuels de ceux-ci.  La thèse selon laquelle des intérêts publics, notamment ceux de l’ensemble des salariés de la fonction publique à voir consolider leurs régimes de retraite, rendraient nécessaire une refonte de ces derniers est plausible et ne prête en tout cas pas à critique au regard du droit constitutionnel.  Les intérêts des salariés considérés comme ayants droit peuvent être défendus de manière adéquate par les organisations qui les représentent.  Compte tenu des intérêts supérieurs de l’ensemble des salariés de la fonction publique à un régime de retraite solide et finançable, une défense collective de ces intérêts apparaît objectivement appropriée, dès lors que c’est la seule façon d’assurer la péréquation nécessaire au sein du groupe.  Quoi qu’il en soit, la teneur objective de la garantie de propriété ne requiert pas un surcroît de protection de l’ayant droit individuel.  Il en va de même de l’appréciation du contenu du nouveau régime.  Celui-ci s’inspire aussi bien du principe de proportionnalité que de la nécessité de protéger la confiance dans le maintien des droits à retraite acquis."
Elle ajouta que le revirement de jurisprudence opéré par la Cour fédérale de justice, qui avait auparavant considéré le salarié comme étant l’assuré au regard des statuts en question, ne portait pas non plus atteinte au droit de propriété, car la jurisprudence n’avait pas valeur législative et pouvait évoluer.
Enfin, la Cour constitutionnelle fédérale releva que la modification des statuts en question ne méconnaissait pas le principe de l’égalité devant la loi, ni celui de la liberté d’association. Quant aux doutes du requérant sur l’impartialité des arbitres, ils ne sauraient être pris en considération, ces juges ne relevant pas de l’ordre judiciaire, mais de juridictions arbitrales de droit privé.
18.   La décision fut notifiée au requérant le 5 décembre 1991.
19.   Dans les deux ans qui suivirent le dépôt de son recours en juillet 1988, la deuxième section de la première chambre eut à connaître de vingt-quatre affaires portant sur la compatibilité des nouveaux statuts de la caisse de retraite complémentaire avec la Loi fondamentale (Grundgesetz).  Parallèlement, elle fut saisie d’autres recours concernant notamment les préavis de licenciement de salariés (décision du 30 mai 1991), le droit d’un employeur de mener des actions de lock-out en cas de grève (décision du 26 juin 1991), ainsi que ceux d’anciens fonctionnaires de la République démocratique allemande contestant une disposition du Traité sur l’unité allemande qui mettait fin aux contrats de travail d’environ 300 000 personnes (décision du 24 avril 1991).
II.   LE DROIT INTERNE PERTINENT    
A. La Loi fondamentale
20.  L’article 93 par. 1 de la Loi fondamentale (Grundgesetz) est ainsi rédigé:
"La Cour constitutionnelle fédérale statue:
4.  a) sur les recours constitutionnels qui peuvent être formés par quiconque estime avoir été lésé par la puissance publique dans l’un de ses droits fondamentaux ou dans l’un de ses droits garantis par les articles 20, al. 4, 33, 38, 101, 103 et 104 [de la Loi fondamentale]."    
B. La loi sur la Cour constitutionnelle fédérale
21.   La composition et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle fédérale sont régis par la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (Gesetz über das Bundesverfassungsgericht).
22.   Les articles 90 à 96 de cette loi ont trait aux recours constitutionnels individuels (paragraphe 20 ci-dessus).  La version de 1985, applicable depuis le 1er janvier 1986, était en vigueur à l’époque des faits 3.
Article 90
"1.   Toute personne peut introduire devant la Cour constitutionnelle fédérale un recours constitutionnel en affirmant que la puissance étatique a porté atteinte à l’un de ses droits fondamentaux ou à l’un des droits énoncés dans la Loi fondamentale à l’alinéa 4 de son article 20, ainsi qu’à ses articles 33, 38, 101, 103 et 104.  
2.   Si la voie de droit est admissible contre la violation, alors le recours constitutionnel ne peut être introduit qu’après épuisement de la voie de droit.  Toutefois la Cour constitutionnelle fédérale peut statuer immédiatement sur un recours constitutionnel avant l’épuisement de la voie de droit lorsque ce recours revêt une importance générale ou si le requérant devait subir un désavantage important et inéluctable dans le cas où il serait d’abord tenu d’épuiser la voie de droit.
Article 92
"Dans la justification du recours, il y a lieu de spécifier le droit prétendument violé ainsi que l’action ou le manquement de l’organe ou de l’autorité par lequel le plaignant se sent lésé.
Article 93a
"Le recours constitutionnel doit d’abord être admis aux fins de décision (Annahme zur Entscheidung)."
Article 93b
"(1)   La section peut, par une décision unanime, refuser d’admettre le recours constitutionnel lorsque
1.   le demandeur n’a pas versé, ou n’a pas versé dans les délais, la provision exigée de lui (article 34 par. 6),  
2. le recours est irrecevable ou présente pour d’autres motifs des chances insuffisantes de succès, ou  
3. il est probable que la chambre n’admettra pas le recours conformément à l’article 93c, deuxième phrase.
La décision est sans appel.  
(2)   La section peut, par une décision unanime, accueillir le recours constitutionnel lorsque celui-ci est manifestement fondé au motif que la Cour constitutionnelle fédérale a déjà statué sur la question de droit constitutionnel pertinente
(3)   La section statue sans audience.  Pour motiver la décision par laquelle elle refuse d’admettre le recours constitutionnel, il lui suffit de mentionner l’élément juridique déterminant pour le refus d’admission."
Article 93c
"Si la section n’a ni refusé d’admettre le recours constitutionnel ni accueilli celui-ci, la chambre se prononce sur l’admission.  Elle admet le recours lorsque deux juges au moins estiment que la décision sur le recours est de nature à clarifier une question de droit constitutionnel ou que le refus d’admission cause au demandeur un préjudice grave et inévitable.  L’article 93b par. 3 s’applique mutatis mutandis."
L’article 94 prévoit le droit pour des tiers d’être entendus lors de la procédure de recours devant la Cour constitutionnelle fédérale.
Article 95
"1.   S’il est donné suite au recours constitutionnel, alors il y a lieu de se prononcer sur la question de savoir quelle prescription de la Loi fondamentale a été violée et par quelle action ou par quel manquement la violation a eu lieu.  La Cour constitutionnelle fédérale peut également décider que toute répétition de la mesure contestée viole la Loi fondamentale.  
2. S’il est donné suite à un recours constitutionnel portant sur une décision de justice, alors la Cour constitutionnelle fédérale abroge la décision [et] dans les cas énoncés à la première phrase de l’alinéa 2 de l’article 90 ci-dessus, elle renvoie l’affaire à un tribunal compétent.  
3. S’il est donné suite à un recours constitutionnel ayant pour objet une loi, alors il y a lieu d’abroger la loi.  Il en va de même lorsqu’il est donné suite à un recours constitutionnel conformément à l’alinéa 2 ci-dessus, parce que la décision de justice abrogée est fondée sur une loi anticonstitutionnelle (...)"
23.   La loi sur la Cour constitutionnelle fédérale a été modifiée ultérieurement afin d’alléger la charge de travail de cette juridiction; le texte amendé en 1993 (entré en vigueur le 11 août 1993) a notamment réorganisé la procédure concernant les recours individuels (article 93a-d de la loi de 1993 sur la Cour constitutionnelle fédérale).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
24.   M. Süßmann a saisi la Commission en son nom et au nom de Mme Stieler le 21 mai 1992.  Invoquant les articles 1 du Protocole no 1 et 6 de la Convention (P1-1, art. 6), il se plaignait de la réduction de leur pension de retraite complémentaire, de l’absence de procès équitable devant les juridictions internes, notamment devant les tribunaux arbitraux et la Cour fédérale de justice, et, uniquement en ce qui le concerne, de la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale.
25.   Les 8 septembre 1993 et 30 août 1994, la Commission a déclaré la requête (no 20024/92) recevable quant au grief de M. Süßmann relatif à la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1) et l’a déclarée irrecevable pour le surplus.
Dans son rapport du 12 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).  Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt 4.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
26.   Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire
"que la requête est irrecevable ou, à défaut, qu’il n’y a pas eu violation du droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, garanti par l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1)".
27.   De son côté, le requérant prie la Cour, en son nom et au nom de Mme Stieler
"de conclure à la violation de l’article 6 de la Convention (art. 6) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), ainsi que de l’article 14 de la Convention [combiné avec] l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) et de rétablir les requérants dans leurs droits contractuels antérieurs en guise de réparation".
EN DROIT
I.   SUR L’OBJET DU LITIGE
28.   Dans sa requête à la Cour et dans son mémoire, M. Süßmann réitère l’ensemble des griefs qu’il avait déjà soumis à la Commission en son nom et au nom de Mme Stieler (paragraphe 24 ci-dessus).
29.   Or la Commission, dans ses décisions des 8 septembre 1993 et 30 août 1994, n’a retenu que le grief du requérant relatif à la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale (paragraphe 25 ci-dessus).
La Cour rappelle que dès lors que l’objet du litige qui lui est déféré se trouve délimité par la décision de la Commission sur la recevabilité, elle n’a pas compétence pour faire revivre des doléances déclarées irrecevables (voir, en dernier lieu, l’arrêt Leutscher c. Pays-Bas du 26 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 434, par. 22).
30.   Par ailleurs, le requérant allègue devant la Cour une atteinte à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1).  L’intéressé n’ayant pas soumis ce grief à la Commission, la Cour ne peut en connaître.  De plus, l’article 14 (art. 14) complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles et n’a pas d’existence indépendante (voir, par exemple, l’arrêt Karlheinz Schmidt c. Allemagne du 18 juillet 1994, série A no 291-B, p. 32, par. 22), et la Commission a écarté le grief relatif à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) (paragraphe 25 ci-dessus).
II.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 DE LA CONVENTION (art. 6-1)
31.   D’après le requérant, la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale a dépassé le délai raisonnable prévu à l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), ainsi libellé:      
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)"
32.   Le Gouvernement combat cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
33.   Il y a lieu d’abord de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).    
A. Applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
34.   Selon le Gouvernement, la Cour constitutionnelle fédérale n’est pas une juridiction ordinaire.  Son rôle au niveau national serait comparable à celui de la Cour européenne des Droits de l’Homme au niveau européen.  Gardienne suprême de la Constitution, la Cour constitutionnelle fédérale aurait pour mission de veiller au respect d’un droit constitutionnel objectif et non de statuer sur des "droits et obligations de caractère civil" de particuliers.  C’est pourquoi les exigences énoncées à l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) ne sauraient s’appliquer à elle.  Il en irait de même du critère dégagé par la jurisprudence de la Cour quant à l’incidence qu’une décision d’une Cour constitutionnelle aurait sur l’issue du litige devant les juridictions ordinaires; il serait pratiquement inconcevable qu’une telle décision n’eût pas d’incidence sur l’issue du litige devant ces juridictions.  De plus, la présente affaire ne porterait que sur la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale et non sur la durée de la procédure prise dans son ensemble.  Enfin, la décision rendue par la Cour constitutionnelle fédérale serait de nature préliminaire et se situerait dans le cadre d’une procédure d’admissibilité: elle sortirait donc du champ d’application de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
35.  Le requérant soutient que son recours ne portait pas sur la vérification par la Cour constitutionnelle fédérale de la constitutionnalité d’une loi, mais uniquement sur l’examen par cette dernière de la bonne application d’une loi par les juridictions inférieures.  Or l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) à ce type de contentieux ne saurait être mise en doute.
36.   Se référant à ses propres décisions et avis ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour, la Commission conclut également à l’applicabilité de cette disposition (art. 6-1) à la procédure litigieuse.  Elle relève notamment qu’un Etat qui se dote de juridictions de type constitutionnel a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (art. 6).
37.   La Cour ne méconnaît point le rôle et le statut particuliers d’une Cour constitutionnelle, dont la mission est de veiller au respect de la Constitution par les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et qui, dans les Etats ayant instauré le droit de recours individuel, garantit aux citoyens une protection juridique supplémentaire au niveau national de leurs droits fondamentaux garantis par la Constitution.
38.   Elle rappelle qu’elle a déjà eu à connaître à plusieurs reprises de la question de l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) à une procédure devant une Cour constitutionnelle.
39.   Conformément à sa jurisprudence bien établie sur cette question (voir les arrêts Deumeland c. Allemagne du 29 mai 1986, série A no 100, p. 26, par. 77, Bock c. Allemagne du 29 mars 1989, série A no 150, p. 18, par. 37, et Ruiz-Mateos c. Espagne du 23 juin 1993, série A no 262, p. 19, par. 35), le critère pertinent pour déterminer s’il faut prendre en compte une instance devant une Cour constitutionnelle en vue d’établir le caractère raisonnable de la durée globale d’une procédure, consiste à rechercher si le résultat de ladite instance peut influer sur l’issue du litige devant les juridictions ordinaires.
Dans son arrêt Ruiz-Mateos, la Cour jugea aussi applicables à une procédure devant une Cour constitutionnelle les exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) relatives au caractère équitable du procès (voir l’arrêt Ruiz-Mateos précité, pp. 23-24, paras. 55-60). Elle estima que, si elle n’avait pas à se prononcer dans l’abstrait sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) aux Cours constitutionnelles en général, il lui fallait néanmoins rechercher si des droits garantis aux requérants par ce texte avaient été touchés en l’espèce (ibidem, par. 57).  Elle rappela aussi qu’en suscitant des questions de constitutionnalité, les intéressés utilisaient l’unique moyen - indirect - dont ils disposaient pour se plaindre d’une atteinte à leur droit de propriété (ibidem, par. 59).
Il s’ensuit qu’en principe une procédure devant une Cour constitutionnelle n’échappe pas au domaine de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
40.   Toutefois, la présente espèce se distingue d’affaires antérieures en ce qu’elle concerne seulement la durée d’une procédure suivie devant une Cour constitutionnelle et non également la durée d’une procédure menée devant des juridictions ordinaires.  En l’occurrence, la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale n’était pas un "prolongement" de celle devant les juridictions ordinaires.  Le requérant avait dans un premier temps contesté la légalité de la diminution de sa pension de retraite complémentaire, par le biais des modifications de statuts, devant des juridictions arbitrales (paragraphes 10-15 ci-dessus).  Comme la Cour fédérale de justice, dans une série d’arrêts de principe, avait entériné la validité de ces modifications (paragraphe 9 ci-dessus), l’intéressé pouvait directement former un recours constitutionnel sans devoir saisir les juridictions civiles (paragraphes 16-17 ci-dessus).
41.   La Cour rappelle qu’une procédure relève de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), même si elle se déroule devant une juridiction constitutionnelle, si son issue est déterminante pour des droits ou obligations de caractère civil (voir notamment l’arrêt Kraska c. Suisse du 19 avril 1993, série A no 254-B, p. 48, par. 26).
42.   Le litige relatif au montant de la pension du requérant était de nature pécuniaire et concernait indubitablement un droit de caractère civil au sens de l’article 6 (art. 6) (voir notamment les arrêts Schuler-Zgraggen c. Suisse du 24 juin 1993, série A no 263, p. 17, par. 46, et Massa c. Italie du 24 août 1993, série A no 265-B, p. 20, par. 26).  Après les arrêts de principe rendus par la Cour fédérale de justice, la seule voie qui s’ouvrait à M. Süßmann pour faire à nouveau statuer sur ce litige était l’introduction d’un recours alléguant une atteinte à son droit constitutionnel de propriété. Partant, la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale avait trait à une contestation sur un droit de caractère civil.
43.   En cas de succès d’un recours devant la Cour constitutionnelle fédérale, celle-ci ne se borne pas à mentionner la disposition de la Loi fondamentale qui a été violée et à indiquer l’autorité publique responsable; elle infirme la décision litigieuse ou annule la loi en cause (article 95 de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale - paragraphe 22 ci-dessus).
En l’espèce, le constat par la Cour constitutionnelle fédérale que les modifications apportées au régime complémentaire de retraite des fonctionnaires étaient contraires au droit constitutionnel de propriété et l’annulation par elle des décisions litigieuses auraient conduit au rétablissement de M. Süßmann dans ses droits.  Ce dernier aurait ainsi perçu l’intégralité du montant de sa pension de retraite complémentaire initiale.
44.   La décision de la Cour constitutionnelle fédérale était donc directement déterminante pour le droit de caractère civil du requérant.
45.   Il est vrai qu’en l’espèce, la deuxième section de la première chambre, statuant en comité de trois membres, a rejeté le recours de M. Süßmann dans le cadre d’une procédure préliminaire d’admissibilité (articles 93a et 93b de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale dans sa version de 1985 - paragraphe 22 ci-dessus).  Cependant, dans ses motifs, elle s’est penchée sur les moyens de fond soulevés par le requérant et a notamment recherché en détail si la Cour fédérale de justice, en entérinant la validité des modifications de statuts, avait porté atteinte au droit constitutionnel de propriété du requérant (paragraphe 17 ci-dessus).
46.   Partant, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) trouvait à s’appliquer à la procédure litigieuse.    
B. Observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
1. Période à considérer
47.   La période à considérer ne concerne que la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale: elle a débuté le 11 juillet 1988, date à laquelle le requérant a saisi ladite juridiction et s’est achevée le 5 décembre 1991, date de la notification de la décision à l’intéressé. Elle a donc duré trois ans, quatre mois et trois semaines.
2. Critères applicables
48.   Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et en fonction de la complexité de l’affaire, du comportement des parties et des autorités concernées, ainsi que de l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, en dernier lieu, l’arrêt Phocas c. France du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, p. 546, par. 71).
a) Complexité de l’affaire
49.   D’après la Commission, l’affaire n’était en soi pas particulièrement complexe; la procédure revêtait un caractère sommaire et ne comportait aucune phase susceptible d’entraîner des retards.
50.   La Cour estime que le constat de non-admissibilité du recours de M. Süßmann par la Cour constitutionnelle fédérale à l’issue d’une procédure préliminaire ne saurait faire oublier que l’affaire revêtait quelque complexité: elle s’inscrivait dans le cadre de vingt-quatre recours constitutionnels portant sur des questions similaires d’une certaine difficulté et touchait les pensions de retraite complémentaire de nombreux fonctionnaires allemands, nécessitant un examen détaillé au fond par la Cour (paragraphes 19 et 45 ci-dessus).     
b) Comportement du requérant
51.   La Cour relève avec la Commission que le requérant n’a été à l’origine d’aucun retard dans la procédure.  Cela n’a d’ailleurs pas été allégué par le Gouvernement.      
c) Comportement de la Cour constitutionnelle fédérale
52.   D’après M. Süßmann, la Cour constitutionnelle fédérale n’a procédé à l’examen des recours relatifs aux modifications des statuts de la caisse de retraite complémentaire que trois ans après sa saisine. Or ces litiges toucheraient environ 600 000 personnes.  De plus, un bon nombre d’entre eux, déjà âgés, auraient souffert de ce délai sur le plan à la fois moral, physique et financier.
53.   Le Gouvernement, au contraire, insiste sur les particularités de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale ainsi que sur les spécificités de la présente affaire.  Le requérant n’avait pas saisi les juridictions civiles, contrairement à d’autres personnes qui ont suivi cette voie et ont de ce fait saisi la Cour constitutionnelle fédérale à une date ultérieure.  Or, afin d’aboutir à une décision cohérente, cette dernière se devait de regrouper l’ensemble des vingt-quatre recours portant sur des questions similaires.  Par ailleurs, à la même époque, la Cour constitutionnelle fédérale devait statuer sur des affaires plus urgentes, d’une importance politique considérable, relatives notamment à des suites de la réunification allemande.
54.   Selon la Commission, il incombait au premier chef à la Cour constitutionnelle fédérale d’adapter sa procédure à la multiplication des recours relatifs à la réduction des pensions de retraite complémentaires des fonctionnaires, et de mettre un terme aux autres procédures pendantes, en particulier aux affaires assignées à la deuxième section.  En l’espèce, la durée de l’instance devant la Cour constitutionnelle fédérale serait excessive, eu égard notamment à l’importance de celle-ci pour le requérant étant donné son âge.
55.   La Cour rappelle qu’elle a affirmé à maintes reprises que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) astreint les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences, notamment quant au délai raisonnable (voir, par exemple, l’arrêt Muti c. Italie du 23 mars 1994, série A no 281-C, p. 37, par. 15).
56.   Si cette obligation vaut aussi pour une Cour constitutionnelle, elle ne saurait cependant s’interpréter de la même façon que pour une juridiction ordinaire.  Son rôle de gardien de la Constitution rend particulièrement nécessaire pour une Cour constitutionnelle de parfois prendre en compte d’autres éléments que le simple ordre d’inscription au rôle d’une affaire, telles la nature de celle-ci et son importance sur le plan politique et social.
57.   Par ailleurs, si l’article 6 (art. 6) prescrit la célérité des procédures judiciaires, il met aussi l’accent sur le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice (voir à ce propos, mutatis mutandis, l’arrêt Boddaert c. Belgique du 12 octobre 1992, série A no 235-D, p. 82, par. 39).
58.   Vu l’importance, en l’espèce, des décisions rendues par la Cour constitutionnelle fédérale, dont l’impact allait bien au-delà du simple recours individuel, ce principe vaut particulièrement ici.
59.   Il apparaît également légitime que la Cour constitutionnelle fédérale ait regroupé les vingt-quatre affaires pendantes devant elle, afin d’avoir une vue d’ensemble des questions juridiques relatives à la réduction des pensions de retraite complémentaires des fonctionnaires.
60.  De plus, ces recours furent introduits à la même époque que ceux d’anciens fonctionnaires de la République démocratique allemande contestant une disposition du Traité sur l’unité allemande, qui mettait fin aux contrats de travail d’environ 300 000 personnes (paragraphe 19 ci-dessus).
Il est vrai, comme le souligne la Commission, que les modifications apportées au régime complémentaire de retraite touchaient également de nombreux fonctionnaires allemands.
Cependant, eu égard au contexte politique unique de la réunification allemande et à l’importance des litiges sur le plan social, s’agissant de ruptures de contrats de travail, la Cour constitutionnelle fédérale a valablement pu juger qu’elle devait donner priorité à ces affaires.
d) Enjeu du litige
61.   Enfin, l’enjeu de la procédure pour le requérant est également un facteur à prendre en considération.  M. Süßmann a subi une diminution de sa pension de retraite complémentaire et, vu son âge, la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale revêtait pour lui une importance certaine.
Cependant, les modifications apportées au régime complémentaire de retraite n’ont pas causé au requérant un préjudice suffisant pour imposer à la juridiction saisie d’agir avec une diligence exceptionnelle, comme c’est le cas pour certains types de litiges (voir, en dernier lieu, l’arrêt A et autres c. Danemark du 8 février 1996, Recueil 1996-I, p. 107, par. 78).
e) Conclusion
62.   A la lumière de l’ensemble des circonstances de la cause, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu dépassement du délai raisonnable prévu à l’article 6 par. 1 (art. 6-1), lequel n’a donc pas été violé sur ce point.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, à l’unanimité, que l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) s’applique à la procédure litigieuse;
2.   Dit, par quatorze voix contre six, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à la durée de la procédure.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 16 septembre 1996.
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 de la Convention (art. 51-2) et 55 par. 2 du règlement B, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion partiellement dissidente de M. Foighel, à laquelle se rallie M. Lohmus;
- opinion partiellement dissidente de M. Mifsud Bonnici;
- opinion partiellement dissidente de M. Jambrek, à laquelle se rallie M. Pettiti;
- opinion partiellement dissidente de M. Casadevall.
R. R.
H. P.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE FOIGHEL, A LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE LOHMUS
(Traduction)
A l’instar de la majorité, j’estime que l’article 6 (art. 6) s’applique.  Je partage toutefois l’avis unanime de la Commission et considère comme trop longue une procédure ayant duré devant la Cour constitutionnelle fédérale presque trois ans et cinq mois pour aboutir à la décision de ne pas admettre le recours de l’intéressé, faute de chances suffisantes de succès.  A cet égard, comme la Commission, je tiens compte de ce que, vu l’âge du requérant, l’enjeu de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale revêtait une importance cruciale (arrêt A et autres c. Danemark du 8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I).
Je conclus à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE MIFSUD BONNICI
(Traduction)
1.   Je regrette de ne pouvoir souscrire à l’arrêt de la majorité de la Cour d’après lequel la Cour constitutionnelle allemande a statué sur le recours de M. Süßmann dans un délai raisonnable et, partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
2.  Le requérant introduisit son recours le 11 juillet 1988.  Le rejet lui en fut notifié le 5 décembre 1991, trois ans et cinq mois plus tard.
3.   Au paragraphe 48 de l’arrêt, la Cour dit que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie
a) suivant les circonstances de la cause et en fonction de la complexité de l’affaire;       
b) en fonction du comportement des parties et des autorités concernées;
c) en fonction de l’enjeu du litige pour l’intéressé.
4.   D’après l’arrêt, l’affaire revêtait une certaine complexité; elle s’inscrivait dans le cadre de vingt-quatre recours constitutionnels similaires à celui du requérant et les questions à trancher touchaient les pensions de retraite complémentaire de nombreux fonctionnaires allemands (paragraphe 50).
Il ne fait aucun doute que le recours revêtait de l’importance car il avait trait à une question de principe concernant la réduction des pensions de retraite complémentaire de nombreux fonctionnaires. La décision de ne pas accueillir le recours fut pourtant prise à l’issue d’une procédure préliminaire (paragraphe 50); l’on est donc en droit de conclure que la Cour constitutionnelle n’a pas estimé que les points soulevés étaient fondés du point de vue constitutionnel et je vois donc mal, dans ces conditions, comment l’on peut tenir la question en litige pour dénuée de fondement du point de vue constitutionnel et la considérer dans le même temps comme revêtant une certaine complexité.
5.   Par ailleurs, j’ai le sentiment que plusieurs éléments de la cause commandaient d’examiner le recours plus rapidement que d’ordinaire.  De par leur nature, les droits à pension requièrent à l’évidence presque toujours une décision d’urgence.  Ce ne serait donc pas raisonnable de se borner à dire, pour se conformer à cette nécessité, qu’il ne faut pas prendre en compte la procédure d’arbitrage, qui relevait du droit privé, sans considérer que l’affaire du requérant et le litige ont pris naissance en juillet 1985 (paragraphe 17).  Ce sont des éléments qui peuvent échapper à la compétence mais auxquels il faut assurément accorder du poids lorsqu’on en vient à apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure de "droit public", car plus longtemps l’affaire reste pendante devant quelque juridiction que ce soit, plus il y a lieu de hâter l’instance devant la Cour constitutionnelle.
6.   Quant à la conduite de la Cour constitutionnelle, il est fâcheux que l’arrêt absolve cette dernière de plusieurs hypothèses erronées quant aux faits.  Au paragraphe 60, notre Cour dit ceci:
"De plus, ces recours [à savoir les vingt-quatre recours similaires] furent introduits à la même époque que ceux d’anciens fonctionnaires de la République démocratique allemande contestant une disposition du Traité sur l’unité allemande, qui mettait fin aux contrats de travail d’environ 300 000 personnes (...)  
(...) eu égard au contexte politique unique de la réunification allemande et à l’importance des litiges sur le plan social, s’agissant de ruptures de contrats de travail, la Cour constitutionnelle fédérale a valablement pu juger qu’elle devait donner priorité à ces affaires."
Cette argumentation ne tient pas.  Le Traité sur l’unité allemande fut signé le 3 octobre 1990, soit deux ans et deux mois après le dépôt du recours de l’intéressé et alors que les vingt-quatre autres recours similaires se trouvaient déjà tous devant la Cour constitutionnelle (paragraphe 19).
7.   Par ces motifs, je ne puis constater aucune circonstance atténuante réelle expliquant la durée déraisonnable de l’instance devant la Cour constitutionnelle allemande dans la présente affaire et conclus donc à la violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE JAMBREK, A LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE PETTITI
(Traduction)
1.   Je souscris à la décision de la majorité selon laquelle l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) s’applique à la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale, en particulier lorsqu’elle est directement déterminante pour un litige relatif à un droit de caractère civil du requérant sur lequel porte le recours constitutionnel de celui-ci.
2.   En l’occurrence, la Cour n’avait à connaître que de la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale allemande. Elle avait pour tâche de rechercher si la période pertinente répondait à l’exigence du délai raisonnable.  L’instance devant la Cour constitutionnelle - au terme de laquelle la deuxième section de la première chambre (zweite Kammer des ersten Senats), statuant en comité de trois juges, a abouti à la décision de ne pas retenir le recours, qu’elle estimait dénué de chances suffisantes de succès - a duré trois ans, quatre mois et trois semaines.
3.   Je regrette de ne pouvoir suivre la majorité de la Cour, qui a estimé que la période en cause n’a pas dépassé le délai raisonnable voulu par l’article 6 par. 1 (art. 6-1), et qu’il n’y a donc pas eu violation de cette disposition (art. 6-1).  J’énonce ci-après les motifs de mon dissentiment.
4.   La décision de ne pas examiner le recours de l’intéressé fut prise à l’issue d’une procédure préliminaire.  Le comité de trois juges se borna à examiner les observations du requérant sur le fond afin de rechercher si elles avaient des chances suffisantes de succès devant le comité de sept juges formant la première chambre de la Cour constitutionnelle.  Une telle décision préliminaire ne correspond donc pas à l’exercice de la plénitude de juridiction de la Cour constitutionnelle, qui se terminerait par une décision définitive sur le bien-fondé de la cause.
5.   Avec la majorité, j’estime que même la décision préliminaire comportait l’examen détaillé des moyens de fond.  La lecture du texte de la décision pertinente ne me convainc toutefois pas qu’il fallait absolument plus de trois ans pour rédiger l’arrêt et se prononcer. Après tout, la section (die Kammer) avait l’avantage de s’appuyer sur les arrêts de principe de la Cour fédérale de justice, ainsi que sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale elle-même, concernant la nature des droits à pension dans le cadre du droit constitutionnel de propriété et la confiance que le droit doit inspirer à l’opinion dans le cas où des droits à pension acquis se trouvent affectés ex nunc.
6.   J’estime moi aussi que de bonnes raisons militent pour que la Cour constitutionnelle regroupe plusieurs affaires soulevant des questions analogues afin de rendre une décision cohérente.  Un tel regroupement ne peut toutefois servir une bonne administration de la justice que si le délai déterminé par l’arrivée de la première et de la dernière de ces affaires reste raisonnable, c’est-à-dire s’il est plus bref que le "délai raisonnable au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)" de la Convention.  Si ce n’est pas le cas, il vaudrait mieux qu’une cour constitutionnelle se prononce sur l’une des premières affaires, puis adapte les nouvelles au précédent jurisprudentiel ainsi énoncé en fonction des circonstances particulières à chacune d’elles.
7.   La Cour dit aussi que l’obligation d’examiner les affaires dans un délai raisonnable "ne saurait (...) s’interpréter de la même façon" pour une Cour constitutionnelle "que pour une juridiction ordinaire".
La Cour semble alors assimiler l’application de cette obligation avec l’"ordre d’inscription au rôle".  Je pourrais en principe marquer mon accord avec cette opinion.  Je ne puis en revanche souscrire au raisonnement qu’implique le paragraphe 56 de l’arrêt de la majorité.
8.   D’abord, la rétrogradation d’affaires au rôle - même si c’est en principe légitime - n’en doit pas moins se concilier avec l’obligation essentielle de la Cour constitutionnelle, à savoir examiner aussi les affaires rétrogradées au rôle dans le délai raisonnable voulu par la Convention européenne.
9.   Ensuite, toutes les affaires inscrites au rôle doivent être traitées sur un pied d’égalité lorsqu’on prend pour critère de priorité leur nature et leur importance sur les plans politique et social.  Le raisonnement de la Cour semble contradictoire ici.  Au paragraphe 53, elle relève que la Cour constitutionnelle "devait statuer sur des affaires plus urgentes, d’une importance politique considérable, relatives notamment à des suites de la réunification allemande".  Elle réitère cet argument en faveur d’une inégalité de traitement au paragraphe 60 de l’arrêt, où elle laisse entendre que le "contexte politique unique de la réunification allemande" autorisait la Cour constitutionnelle allemande à donner la priorité à de telles affaires.
La Cour note pourtant, à l’inverse, que le recours de l’intéressé concernait "les pensions de retraite complémentaire de nombreux fonctionnaires allemands".  D’après M. Süßmann, ce nombre se situait autour de 600 000 personnes.  La Cour dit encore (au paragraphe 58) que l’importance de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale en l’espèce découlait de son impact, lequel allait bien au-delà du simple recours individuel dont elle se trouvait saisie.
C’est donc comme si la Cour voulait, d’une part (dans les affaires ayant trait à la réunification allemande), considérer "l’importance d’une affaire sur le plan politique et social" comme une bonne raison de lui accorder la priorité et de la traiter plus tôt et plus rapidement et, d’autre part (dans les affaires de pension de retraite complémentaire), considérer autrement le motif d’"une bonne administration de la justice".
10.   La Cour note que: "Son rôle de gardien de la Constitution rend particulièrement nécessaire pour une Cour constitutionnelle de parfois prendre en compte d’autres éléments (...) telles la nature [d’une affaire] et son importance sur le plan politique et social."
Là encore, je ne souscrirais à une formulation aussi générale que dans un contexte bien défini au préalable.  D’abord, toute Constitution moderne repose sur la prééminence du droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales; un respect véritable et effectif est subordonné aux principes d’équité et de célérité du procès.  Les "autres éléments" que la Cour constitutionnelle doit prendre en compte doivent donc nécessairement être des "considérations relatives aux droits de l’homme".
Cela vaut aussi pour le critère de "l’importance d’une affaire sur le plan politique et social", que l’on ne doit, du moins en principe, jamais interpréter de manière à justifier la prolongation du délai raisonnable dans lequel il faut statuer sur une affaire relative aux droits de l’homme.
11.   L’affaire dont la Cour doit connaître ici tire son origine d’une requête adressée par M. Süßmann à la Commission européenne des Droits de l’Homme le 21 mai 1992.  Elle a été enregistrée le 22 mai 1992.  La Commission a retenu le 30 août 1994 le grief relatif à la durée de la procédure.  Elle a adopté son rapport le 12 avril 1995.  Elle a déféré l’affaire à la Cour le 30 juin 1995 et l’audience devant celle-ci a eu lieu en public le 24 avril 1996.
12.   J’ai bien conscience que ni la Cour constitutionnelle fédérale allemande ni la Cour européenne des Droits de l’Homme ne sont des juridictions ordinaires.
Elles ne sauraient toutefois ni l’une ni l’autre se soustraire à l’obligation de statuer dans un délai raisonnable.  D’ailleurs, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) astreint à mon sens les Etats contractants non seulement à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences, notamment quant au délai raisonnable, mais aussi à organiser leur mécanisme international commun à cette même fin.
13.   Au paragraphe 37, la Cour reconnaît le rôle et le statut particuliers d’une Cour constitutionnelle, dont la mission est de veiller au respect de la Constitution, et qui, dans les Etats ayant instauré le droit de recours individuel, garantit aux citoyens une protection juridique supplémentaire de leurs droits fondamentaux.
Je souscris à cette appréciation.  Toutefois, même dans les pays où le contrôle judiciaire de la constitutionnalité est concentré et spécialisé, les cours et tribunaux sont de manière générale considérés comme les gardiens de la Constitution au sens large.  Dans le cas dont nous avons à connaître ici, un autre trait spécifique de la Cour constitutionnelle, habilitée à se prononcer sur des affaires individuelles relatives aux droits de l’homme, semble entrer en ligne de compte.
14.   De par ce statut, les Cours constitutionnelles - et toutes les autres juridictions suprêmes - sont tenues de répondre à deux exigences parfois contradictoires:
Le public et les parties requérantes s’attendent à ce que la Cour suprême d’un pays s’occupe de l’ensemble des injustices qui se produisent, et en particulier de leurs propres recours.
D’un autre côté, les Cours suprêmes doivent contrôler l’évolution du droit jurisprudentiel dans un pays, fixer les précédents et les normes, articuler la philosophie judiciaire d’une nation.  Ces deux rôles sont fréquemment difficiles à concilier.
En tout cas, la phase préliminaire de "sélection des affaires" ne devrait donc pas être trop longue.  Les requérants ne devraient pas attendre aussi longtemps avant d’obtenir une décision préliminaire sur l’admissibilité.
Le recours de M. Süßmann aurait donc dû plus rapidement faire l’objet d’une décision dans le cadre de la procédure préliminaire.       
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE CASADEVALL
A la suite de la décision prise à l’unanimité par la Cour au sujet de l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), je regrette de ne pouvoir suivre la majorité en ce qui concerne la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale et j’estime qu’il y a eu un dépassement du "délai raisonnable" pouvant constituer une violation dudit article de la Convention (art. 6-1).
D’après la jurisprudence de la Cour, la question de savoir si le "délai raisonnable" a été dépassé dépend toujours d’un examen attentif des faits, de la complexité de l’affaire, des circonstances et des causes de tout retard, du comportement du requérant et de celui des autorités, ainsi que de l’enjeu du litige pour l’intéressé, et non pas de la simple prise en considération du laps de temps écoulé durant l’instance (arrêt Buchholz c. Allemagne du 6 mai 1981, série A no 42).
Chaque Etat doit organiser son système judiciaire de manière à permettre que toutes les contestations sur les droits et obligations de caractère civil fassent l’objet d’une décision en justice dans un "délai raisonnable" (arrêts König c. Allemagne du 28 juin 1978, série A no 27, et Milasi c. Italie du 25 juin 1987, série A no 119).
Un Etat ne peut pas s’abriter derrière les imperfections de son appareil judiciaire, que ce soit en matière de procédure ou dans d’autres domaines, pour échapper à la responsabilité des lenteurs de procédure (arrêt Guincho c. Portugal du 10 juillet 1984, série A no 81).
Prendre en compte l’argument d’une surcharge de travail de la Cour constitutionnelle fédérale supposerait aller à l’encontre des décisions déjà prises par la Cour dans des cas semblables (arrêt Ruiz-Mateos c. Espagne du 23 juin 1993, série A no 262).  Dès lors, un tel argument pourrait être accepté pour toutes sortes de juridictions.
Dans la présente affaire, même en acceptant qu’elle pouvait revêtir une certaine complexité dans le fond, la décision prise par la deuxième section de la première chambre de la Cour constitutionnelle fédérale est d’une simplicité extrême s’agissant d’une cause d’irrecevabilité fondée sur les dispositions de la loi sur ladite juridiction (paragraphe 2 de l’article 93b).
Le refus d’accueillir le recours du requérant pour examen a été simplement basé sur le motif que ses chances de succès n’étaient pas suffisantes.
Prendre une telle décision, d’ordre absolument procédural, ne saurait justifier une durée de l’instance devant la Cour constitutionnelle de trois ans et cinq mois.  De plus, compte tenu de l’âge de M. Süßmann (quatre-vingts ans), l’affaire revêtait pour lui une importance certaine.  Si la Cour accepte, dans le cas présent, une durée de trois ans et cinq mois pour aboutir à une décision de refus fondée sur une cause d’irrecevabilité d’un recours (même s’agissant d’une Cour constitutionnelle) pourquoi n’accepterait-elle pas, dans un cas futur, une durée de quatre, voire même cinq ans?
Je partage donc l’avis unanime de la Commission et je conclus, compte tenu de la jurisprudence de la Cour en la matière, que la durée de la procédure a excédé le "délai raisonnable" et qu’il y a donc eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
1 L'affaire porte le n° 57/1995/563/649.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. 
2 Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s'applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9 (P9).
3 La traduction française des articles 90, 92, 93 et 95 - dispositions non modifiées en 1985 - est parue dans le recueil Loi sur la Cour constitutionnelle fédérale, "Documentation sur la politique et la société dans la République fédérale d'Allemagne", Bonn, 1982.
4 Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-IV), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE FOIGHEL, A LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE LOHMUS
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE MIFSUD BONNICI
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE MIFSUD BONNICI
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE JAMBREK, A LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE PETTITI
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE JAMBREK, A LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE PETTITI
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE CASADEVALL
ARRÊT SÜSSMANN c. ALLEMAGNE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE CASADEVALL


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 20024/92
Date de la décision : 16/09/1996
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'Art. 6-1

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CONSTITUTIONNELLE, (Art. 6-1) CONTESTATION, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : SÜSSMANN
Défendeurs : ALLEMAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1996-09-16;20024.92 ?

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