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26/02/1997 | CEDH | N°24552/94

CEDH | DRUELLE contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 24552/94 présentée par Jean-Marie DRUELLE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 26 février 1997 en présence de Mme G.H. THUNE, Présidente MM. J.-C. GEUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H. DANELIUS F. MARTINEZ M.A. NOWICKI I

. CABRAL BARRETO D. SVÁBY ...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 24552/94 présentée par Jean-Marie DRUELLE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 26 février 1997 en présence de Mme G.H. THUNE, Présidente MM. J.-C. GEUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H. DANELIUS F. MARTINEZ M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO D. SVÁBY P. LORENZEN E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 28 janvier 1994 par Jean-Marie DRUELLE contre la France et enregistrée le 7 juillet 1994 sous le N° de dossier 24552/94 ; Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 10 janvier 1996 et les observations en réponse présentées par le requérant le 10 février 1996 et par son avocat le 25 novembre 1996 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, de nationalité française, est chaudronnier-tuyauteur de profession. Il est actuellement détenu au centre de détention de Bapaume. Devant la Commission, il est représenté par Maître Véronique Parent, avocate au barreau d'Arras. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Par arrêt du 18 juin 1992, la cour d'assises du Pas-de-Calais condamna le requérant à vingt ans de réclusion criminelle pour assassinat. Le 24 juin 1992, le requérant forma un pourvoi en cassation. Par lettre adressée au président de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation en date du 27 juin 1992, et reçue au bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation le 1er juillet 1992, le requérant sollicita le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par décision du 3 juillet 1992, le bureau d'aide juridictionnelle prononça son admission provisoire à l'aide juridictionnelle. Le même jour, le président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation désigna un avocat pour assister le requérant. Le 24 juillet 1992, le requérant déposa au greffe de la Cour de cassation un mémoire ampliatif personnel. Il précisa qu'il avait "expliqué sa cause par courriers dont une lettre recommandée du 18 septembre 1992" à l'avocat désigné pour l'assister et qu'il adresserait à celui-ci "d'autres explications concernant l'ensemble des (...) incohérences du dossier, explications qui constitueront sa défense". Par lettre du 12 novembre 1992, l'avocat aux conseils désigné pour assister le requérant indiqua au président du bureau d'aide juridictionnelle qu'il ressortait de l'examen du dossier que le pourvoi était voué à l'échec en raison de "l'absence de moyen d'annulation sérieux". Le 17 décembre 1992, le bureau d'aide juridictionnelle rejeta définitivement la demande du requérant faute de moyens sérieux de cassation relevés contre l'arrêt attaqué. Cette décision fut notifiée au requérant le 30 décembre 1992. Le 8 janvier 1993, le requérant exerça un recours contre cette décision devant le premier président de la Cour de cassation auquel il demanda par ailleurs copie du dossier de la procédure. Par arrêt du 13 janvier 1993, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle constata "qu'aucun moyen n'était produit, après consultation du dossier par l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle" et que le mémoire personnel produit ne visait "aucun texte de loi dont la violation serait alléguée et n'offre à juger aucun point de droit ; que dès lors il (...) ne peut être accueilli". La Cour ajouta que la procédure était régulière et que la peine était légalement appliquée aux faits déclarés constants par la Cour et le jury. Par ordonnance du 30 janvier 1995, notifiée le 10 février 1995, le recours du requérant contre la décision de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle fut rejeté au motif que la première décision avait "souverainement apprécié les éléments de fait du litige".
GRIEF Le requérant se plaint du rejet de sa demande d'aide juridictionnelle devant la Cour de cassation. Il invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 28 janvier 1994 et enregistrée le 7 juillet 1994. Le 28 juin 1995, la Commission a décidé de porter le grief du requérant concernant le rejet de sa demande d'aide juridictionnelle à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Le Gouvernement défendeur a présenté ses observations le 10 janvier 1996, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 10 février 1996. Le 23 janvier 1996, la Commission a décidé d'accorder au requérant le bénéfice de l'assistance judiciaire. Le 25 novembre 1996, après prorogation du délai imparti, l'avocat désigné au titre de l'assistance judiciaire a présenté au nom du requérant des observations en réponse à celles du Gouvernement.
EN DROIT Le requérant se plaint du rejet de sa demande d'aide juridictionnelle devant la Cour de cassation. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a examiné le grief sous l'angle de l'article 6 par. 1 et 3 c) (art. 6-1+6-3-c) combinés, en tant que le droit à l'assistance gratuite d'un avocat d'office constitue un élément parmi d'autres de la notion plus générale du procès équitable (Cour eur. D. H., arrêt Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A n° 37, p. 15, par. 32). Ces dispositions prévoient : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). 3. Tout accusé a droit notamment à : (...) c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ; (...)." Le Gouvernement défendeur considère que le grief est manifestement mal fondé. En premier lieu, il relève que le requérant a bénéficié d'une assistance gratuite et effective par un avocat à la Cour de cassation. Il estime en effet que l'admission à titre provisoire à l'aide juridictionnelle permet un examen sérieux du dossier par un avocat. Il relève en l'espèce que le requérant a formulé une demande d'aide juridictionnelle le 27 juin 1992 et que, dès le 3 juillet 1992, l'admission provisoire était accordée et un avocat à la Cour de cassation désigné. Le Gouvernement précise que, dans un souci de garantir au mieux les droits de la défense, le bureau d'aide juridictionnelle prononce systématiquement l'admission provisoire, avant même toute vérification concernant les ressources du demandeur. Il souligne que le requérant a été assisté dès le début par un avocat à la Cour de cassation, lequel s'est livré à un examen approfondi du dossier. Celui-ci a conclu, par lettre du 12 novembre 1992, à l'absence de moyen de cassation sérieux, raison pour laquelle il n'a pas déposé de mémoire. Le Gouvernement considère, en second lieu, que le refus d'accorder l'aide juridictionnelle à titre définitif n'a pas remis en cause cette défense effective. Il relève que le refus définitif, fondé sur l'absence de moyens sérieux constatée tant par l'avocat désigné que par le bureau d'aide juridictionnelle, se justifiait faute d'"intérêt" pour la justice (Cour eur. D.H., arrêt Boner c. Royaume-Uni du 28 octobre 1994, série A n° 300-B, p. 9, par. 36). Le requérant n'ayant aucune chance objective de succès, le refus d'accorder l'aide juridictionnelle à titre définitif se trouve pleinement justifié (Cour eur. D.H., arrêt Monnell et Morris c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A n° 115, p. 25, par. 67). Le Gouvernement ajoute que l'examen de la procédure antérieure au pourvoi en cassation du requérant a été équitable et que les règles procédurales en matière criminelle lui offraient la possibilité de présenter des recours tout au long de la procédure. En outre, selon le Gouvernement, les griefs que le requérant entendait soulever devant la Cour de cassation, tels qu'ils sont mentionnés dans ses courriers, ne semblaient pas, a priori, susceptibles d'être retenus par les magistrats de la Cour de cassation, dès lors qu'elle n'est pas une instance d'appel et que son rôle dans l'ordre juridique interne est limité. Le Gouvernement soutient que le fait que la demande d'aide juridictionnelle a été rejetée le 30 janvier 1995, soit deux ans après l'arrêt de la Cour de cassation, n'a pas pour autant privé le requérant d'un procès équitable. En effet, à supposer même que le recours du requérant contre la décision de rejet du bureau d'aide juridictionnelle, si ce recours avait pu être examiné en temps utile, c'est-à-dire avant l'arrêt de rejet du pourvoi en cassation, ait été accueilli favorablement, un nouvel avocat aurait été désigné pour examiner le dossier, lequel aurait été confronté aux mêmes difficultés que son confrère pour assurer la défense d'un dossier ne présentant pas de moyen sérieux de cassation. Le Gouvernement note enfin, après avoir rappelé qu'un justiciable ne peut imposer un système de défense à son avocat, que le requérant a présenté ses propres moyens de cassation en déposant un mémoire personnel, expressément pris en considération par la Cour de cassation. Il précise que le rejet d'un pourvoi n'intervient qu'après vérification que la décision attaquée n'est pas entachée de la violation d'une règle d'ordre public, la Cour de cassation pouvant relever d'office les moyens tirés de telles violations ; or il ressort de l'arrêt que la Cour de cassation a pris soin d'effectuer cet examen d'office. Le requérant considère que les modalités de traitement d'une demande d'aide juridictionnelle devant la Cour de cassation en matière pénale n'assurent pas une défense effective au demandeur en cassation. Il souligne que l'avocat désigné est en pratique seul juge de l'opportunité du pourvoi, notamment dans le cas où il ne trouve aucun moyen de cassation sérieux car le bureau d'aide juridictionnelle sera tenté de suivre son avis. En outre, rien ne permet d'apprécier la motivation des décisions du bureau. Le requérant indique qu'en l'espèce l'intervention de l'avocat désigné se résume à sa lettre du 12 novembre 1992 sans plus de précision. En outre, selon le requérant, l'avocat n'a pas assuré efficacement sa défense car il n'a pas non plus présenté de moyen en cassation. Le requérant estime ensuite que le rejet de son recours contre la décision du bureau d'aide juridictionnelle après l'arrêt de la Cour de cassation a privé ce recours de toute efficacité et a privé le requérant d'une défense effective. Il souligne que la procédure antérieure n'avait pas respecté le droit à un procès équitable au sens de l'article 6 (art. 6) précité et qu'à aucun moment de la procédure, il ne disposait des pièces de son dossier qui lui auraient permis de se défendre correctement. Le requérant ajoute que, s'il a effectivement pu déposer un mémoire personnel au soutien de son pourvoi, il n'était pas en mesure de soulever des moyens de droit utiles dans le respect de l'égalité des armes. En outre, il n'avait pas accès à son dossier. Il en conclut que, sans l'assistance d'un praticien du droit, il n'a pu assurer correctement sa défense. La Commission rappelle que le droit de l'accusé à l'assistance gratuite d'un avocat d'office constitue un élément, parmi d'autres, de la notion de procès équitable en matière pénale (Cour eur. D.H., arrêts Quaranta c. Suisse du 24 mai 1991, série A n° 205, p. 16, par. 27 ; Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A n° 243, p. 23, par. 39). L'alinéa c) de l'article 6 par. 3 (art. 6-3) l'assortit de deux conditions. La première, l'absence de "moyens de rémunérer un défenseur", ne prête pas ici à controverse. En revanche, il y a lieu de rechercher si les "intérêts de la justice" commandaient d'accorder au requérant une telle assistance et, dans l'affirmative, d'examiner si l'assistance apportée au requérant répondait aux exigences de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention (mutatis mutandis Cour eur. D.H., arrêts Boner et Maxwell c. Royaume-Uni du 28 octobre 1994, série A n° 300 B et C, p. 74, par. 36 et p. 96, par. 33). La Commission relève tout d'abord que le requérant a été condamné à une peine sévère. Elle constate en outre qu'il manquait au requérant la formation juridique indispensable pour présenter et développer lui- même des moyens de droit. Enfin, la Commission estime, compte tenu de l'enjeu de la procédure, que les "intérêts de la justice" commandaient l'assistance d'un avocat d'office, seul compétent pour rechercher efficacement l'existence éventuelle de moyens de cassation. La Commission doit donc s'assurer que l'assistance dont a bénéficié le requérant, dans le cadre de l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, répondait aux exigences du paragraphe 3 c) de l'article 6 (art. 6-3-c) de la Convention. En l'espèce, la Commission relève que le bureau d'aide juridictionnelle a mis en place un système d'admission provisoire des demandes en matière pénale, afin de ne pas interdire l'exercice des droits de la défense pendant le délai de vérification des ressources du demandeur. La Commission constate que le requérant a pu obtenir, dès le 3 juillet 1992, la désignation d'un avocat à la Cour de cassation. Elle note que celui-ci, sans attendre la décision définitive du bureau d'aide juridictionnelle, s'est rendu au greffe criminel de la Cour de cassation pour consulter le dossier et que, après examen de la procédure, il a conclu par écrit qu'aucun moyen sérieux de cassation ne pouvait être retenu. La Commission constate donc que le bureau d'aide juridictionnelle n'a rejeté définitivement la demande qu'après examen du dossier par l'avocat commis d'office. Elle relève en outre que les conclusions de l'avocat commis ne lient pas le bureau d'aide juridictionnelle, ce dernier pouvant commettre un nouvel avocat d'office s'il estime néanmoins qu'un moyen est susceptible d'être relevé. Par ailleurs, la Commission constate que le requérant a pu exercer un recours devant le premier président de la Cour de cassation pour faire valoir ses griefs et que celui-ci a confirmé la décision du bureau d'aide juridictionnelle. Il est vrai que ce recours n'a été tranché que deux ans après l'arrêt de la Cour de cassation. Toutefois, il ne ressort ni expressément ni en substance du grief tel qu'il a été formulé par le requérant dans la requête elle-même que celui-ci se soit plaint de ce retard au regard de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Enfin, la Commission estime que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne garantit pas le droit pour le requérant d'imposer des moyens de défense à l'avocat commis d'office, pas plus qu'il ne garantit le droit à ce que des moyens de cassation soient invoqués, y compris lorsque l'avocat à la Cour de cassation commis d'office n'en aurait relevé aucun. Dans un tel cas de figure, le requérant garde la faculté de déposer un mémoire personnel, comme cela a été le cas en l'espèce. La Commission rappelle en outre que les intérêts de la justice ne vont pas jusqu'à commander l'octroi de l'aide judiciaire toutes les fois qu'un condamné, n'ayant aucune chance objective de succès, souhaite relever appel après avoir obtenu en première instance un procès équitable au sens de l'article 6 (art. 6) (arrêt Monnell et Morris c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, précité, p. 25, par. 67). En conséquence, la Commission estime que le refus d'aide juridictionnelle à titre définitif n'a pas porté atteinte au droit du requérant à un procès équitable, dans la mesure où le requérant a bénéficié d'une assistance effective d'un avocat à la Cour de cassation, lequel s'est livré à l'examen du dossier pénal en vue de rechercher des moyens de cassation. Le fait que l'intervention de cet avocat rentre dans le cadre d'une admission à titre "provisoire" ne constitue qu'un problème de terminologie qui ne remet pas en cause l'effectivité de l'assistance dont le requérant a bénéficié dans le cadre de son pourvoi. Il s'ensuit que le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE IRRECEVABLE. M.-T. SCHOEPFER G.H. THUNE Secrétaire Présidente de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre


Type d'affaire : DECISION (Finale)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6-1) EGALITE DES ARMES, (Art. 6-1) PROCEDURE CONTRADICTOIRE


Parties
Demandeurs : DRUELLE
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 26/02/1997
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 24552/94
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1997-02-26;24552.94 ?

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