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02/04/1997 | CEDH | N°21503/93

CEDH | AFFAIRE P.L. c. FRANCE


En l'affaire P.L. c. France (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Bernhardt, président, F. Matscher, L.-E. Pettiti, B. Walsh, J. De Meyer, A.N. Loizou, Sir John Freeland, MM. D. Gotchev, B. Repik,
ainsi que de MM. H

. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint, ...

En l'affaire P.L. c. France (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Bernhardt, président, F. Matscher, L.-E. Pettiti, B. Walsh, J. De Meyer, A.N. Loizou, Sir John Freeland, MM. D. Gotchev, B. Repik,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mars 1997, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date: _______________ Notes du greffier
1. L'affaire porte le n° 76/1996/695/887. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 28 mai 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (n° 21503/93) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet état, M. P.L., avait saisi la Commission le 20 juillet 1992 en vertu de l'article 25 (art. 25). Le requérant a prié la Cour de ne pas divulguer son identité. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant, qui conservait le bénéfice de l'assistance judiciaire pour sa représentation devant la Cour (article 3 par. 1 de l'addendum au règlement A), a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 10 juin 1996, M. R. Ryssdal, président de la Cour, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. B. Walsh, M. J. De Meyer, M. A.N. Loizou, Sir John Freeland, M. D. Gotchev et M. B. Repik, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le mémoire du Gouvernement est parvenu au greffe le 31 octobre 1996. Le 3 décembre 1996, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué n'entendait pas y répondre par écrit. Le requérant n'a pas déposé d'observations.
5. Le 8 janvier 1997, la Commission a produit divers documents que le greffier avait demandés sur les instructions du président.
6. Le 3 février 1997, l'agent du Gouvernement a informé le greffier que le requérant avait obtenu du président de la République française une grâce le dispensant de subir une partie de sa peine; à la lettre dudit agent était jointe une copie du courrier qu'il avait adressé le même jour à l'avocat de M. P.L.: "J'ai l'honneur de vous informer que M. [P.L.] vient de bénéficier d'une grâce présidentielle dont le quantum s'élève à un an et dix-huit jours, soit la durée de la détention provisoire initialement subie par votre client, dans le cadre de la procédure qui fut annulée par arrêt du 3 octobre 1989 de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens. En conséquence, dans la mesure où la grâce ainsi accordée à M. [P.L.] répond très exactement à l'objet de sa requête devant les organes de la Convention, un règlement amiable de l'affaire pourrait intervenir. Dans une telle hypothèse, l'audience de l'affaire dans laquelle vous représentez le requérant, et qui est actuellement fixée au 19 mars prochain devant la Cour (...), serait sans objet. A défaut d'accord de votre part sur le règlement amiable de cette requête, le Gouvernement français envisagerait de demander à la Cour de rayer l'affaire de son rôle, sur la base de l'article 49 par. 2 de son règlement intérieur. (...)"
7. Le 25 février 1997, l'agent du Gouvernement a écrit au greffier en ces termes: "Comme vous le savez, M. [P.L.] vient de bénéficier d'une grâce présidentielle dont le quantum correspond très exactement à la durée de la détention provisoire qu'il avait initialement subie dans le cadre de la procédure qui fut ensuite annulée. Compte tenu de cette situation, il m'apparaît que la poursuite de l'examen de cette affaire ne se justifie plus, puisque la grâce ainsi accordée à M. [P.L.] répond à l'objet de sa requête devant les organes de la Convention. Aussi ai-je l'honneur de demander à votre Cour de bien vouloir, en application de l'article 49 par. 2 de son règlement intérieur, rayer l'affaire de son rôle. Par ailleurs, je vous confirme que j'ai adressé un courrier à l'avocat de M. [P.L.] le 3 février 1997, afin de parvenir à un règlement amiable. A ce jour, je n'ai toujours pas reçu de réponse écrite de sa part."
8. Le 26 février 1997, le greffier a envoyé une copie de ces deux lettres à l'avocat du requérant et au délégué de la Commission et les a invités à lui communiquer leur opinion sur les informations et la demande de radiation qu'elles contenaient.
9. Le 3 mars 1997, le secrétaire de la Commission a adressé la lettre suivante au greffier: "(...) (...) le délégué de la Commission est d'avis qu'il revient au requérant de déterminer si la grâce présidentielle qui lui a été accordée constitue, en l'occurrence, une réparation suffisante. Si tel était le cas, compte tenu de ce que l'adoption d'une mesure de grâce a été, par le passé, la base de règlements amiables conclus devant la Commission, celle-ci ayant estimé que le règlement ainsi atteint s'inspirait du respect des droits de l'Homme, le délégué ne s'opposerait pas à la demande de radiation du rôle présentée par le Gouvernement (...)"
10. Le 5 mars 1997, le président a décidé d'ajourner sine die l'audience publique qui devait avoir lieu le 19 mars 1997.
11. Le 12 mars 1997, l'agent du Gouvernement a communiqué au greffier une copie d'une lettre adressée le 11 mars par le ministre de la Justice au ministre des Affaires étrangères, et précisant que la grâce en question avait été accordée par le président de la République sous la forme d'un décret du 27 janvier 1997.
12. Le 14 mars 1997, le greffier a reçu un courrier du conseil du requérant l'informant que M. P.L. "se désist[ait] de sa demande".
13. Le 20 mars 1997, la Cour a décidé de se passer d'audience en l'espèce, après avoir constaté la réunion des conditions à remplir pour déroger de la sorte à sa procédure habituelle (articles 26 et 38 du règlement A).
EN FAIT
14. Le 9 juillet 1983, M. P.L. épousa Mme R.V., laquelle avait trois filles d'un précédent mariage, Catherine, Cathy et Sophie, nées respectivement les 5 novembre 1971, 8 janvier 1973 et 31 janvier 1975.
15. En septembre 1988, Catherine, qui était enceinte d'une vingtaine de semaines, révéla à l'assistante sociale de son établissement scolaire que son beau-père abusait d'elle depuis plusieurs années. Ces faits furent signalés au parquet et une enquête préliminaire de gendarmerie suivit: Catherine confirma ses dires et Cathy et Sophie affirmèrent que le requérant leur avait également imposé des rapports sexuels. M. P.L. reconnut les faits pour ce qui concerne les deux aînées. A. L'instruction 1. La première procédure
16. Le 16 septembre 1988, M. P.L. fut mis en examen pour viols sur mineurs de quinze ans par personne ayant autorité et viols par personne ayant autorité, et placé en détention provisoire.
17. Le 18 septembre 1989, le ministère public requit auprès de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens l'annulation de l'ordonnance désignant le juge d'instruction ainsi que celle des actes d'instruction postérieurs, au motif que ladite ordonnance était revêtue non de la signature manuscrite du président du tribunal de grande instance de Laon mais d'un cachet reproduisant celle-ci. Par un arrêt du 3 octobre 1989, la chambre d'accusation accueillit la demande aux motifs suivants: "(...) Attendu (...) que le procédé de la signature par griffe ne peut conférer l'authenticité qu'apporte seule la signature originale et manuscrite de l'acte par son auteur; (...) Attendu qu'il s'ensuit que tous les actes accomplis par [le juge d'instruction] sont l'oeuvre d'un magistrat non valablement désigné, et donc nuls; (...)" M. P.L. fut libéré le jour même. 2. La seconde procédure
18. Un autre juge d'instruction avait été désigné le 22 août 1989. Le 5 décembre 1989, il mit le requérant en examen pour viols sur mineurs de quinze ans par personne ayant autorité et viols par personne ayant autorité, et le plaça en détention provisoire. B. Le jugement
19. Par un arrêt du 18 octobre 1991 la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens renvoya M. P.L. devant la cour d'assises de l'Aisne. Le 25 mars 1992, celle-ci reconnut des circonstances atténuantes au bénéfice de M. P.L. et le condamna à une peine de dix-sept ans de réclusion criminelle pour viols aggravés. C. Les demandes de réduction de la peine
20. M. P.L. demanda vainement au juge de l'application des peines de soustraire une année et dix-huit jours - soit la durée de sa première détention provisoire - à sa peine de réclusion. Il s'adressa ensuite au procureur de la République de Laon qui, le 19 mai 1992, lui répondit en ces termes: "(...) j'ai l'honneur de vous répéter les explications qui vous ont été données à de multiples reprises, notamment par M. le juge de l'application des peines: La procédure d'instruction antérieure au 3 octobre 1989 ayant été annulée, la détention provisoire que vous avez subie du 16 septembre 1988 au 3 octobre 1989 est juridiquement censée n'avoir jamais existé. Par conséquent, cette période, dont la cour d'assises avait connaissance lorsqu'elle vous a condamné, ne peut venir en déduction de la peine de dix-sept ans de réclusion criminelle qui vous a été infligée le 25 mars 1992. (...)"
21. Le directeur du centre pénitentiaire de Laon où le requérant était incarcéré attira l'attention de la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice sur la situation de l'intéressé. Le chef du bureau de l'individualisation des régimes de détention répondit par une note du 14 novembre 1992: "(...) la période de détention provisoire subie par M. P.L. dans le cadre de [la] première instruction ne peut (...) être prise en compte pour l'exécution de sa peine, dans la mesure où elle correspond à une procédure annulée, qui est donc réputée, de ce fait, n'avoir jamais existé. Il reste cependant à M. P.L. la possibilité de présenter éventuellement un recours en grâce auprès du président de la République, afin de solliciter une remise exceptionnelle d'une partie de sa peine, compte tenu de sa situation pénale."
22. Le 8 avril 1994, le requérant présenta au président de la République française un recours en grâce tendant à être dispensé de subir une partie (un an et dix-huit jours) de sa peine. Rejeté le 28 février 1995, ledit recours fut réexaminé et accueilli le 27 janvier 1997 (paragraphes 6 et 11 ci-dessus).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
23. M. P.L. a saisi la Commission le 20 juillet 1992. Sans invoquer une disposition spécifique de la Convention, il se plaignait du fait que la peine de réclusion criminelle prononcée contre lui n'avait pas été réduite de la durée de sa première détention provisoire, subie dans le cadre d'une procédure d'instruction annulée.
24. La Commission a examiné ce grief au regard des articles 5 par. 1 et 14 de la Convention (art. 5-1, art. 14). Le 16 octobre 1995, elle a retenu la requête (n° 21503/93). Dans son rapport du 11 avril 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 5 par. 1 (art. 5-1) (vingt-cinq voix contre trois) et à l'absence de nécessité d'examiner séparément s'il y a eu violation de l'article 14 combiné avec l'article 5 par. 1 (art. 14+5-1) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier
1. Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-II), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
EN DROIT
25. L'article 49 du règlement A de la Cour dispose: (...) 2. Lorsque la chambre reçoit communication d'un règlement amiable, arrangement ou autre fait de nature à fournir une solution du litige, elle peut, le cas échéant après avoir consulté les Parties, les délégués de la Commission et le requérant, rayer l'affaire du rôle. Il en va de même lorsque les circonstances permettent de conclure que le requérant n'entend plus maintenir un grief ou si, pour tout autre motif, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de l'affaire. (...) 4. La chambre peut, eu égard aux responsabilités incombant à la Cour aux termes de l'article 19 de la Convention (art. 19), décider de poursuivre l'examen de l'affaire nonobstant le désistement, règlement amiable, arrangement ou fait visés aux paragraphes 1 et 2 du présent article."
26. Le Gouvernement a informé la Cour que, par un décret du 27 janvier 1997, le président de la République française avait accordé au requérant une grâce dispensant celui-ci de subir une partie (un an et dix-huit jours) de sa peine équivalant à la durée de la détention provisoire litigieuse (paragraphes 6, 11 et 22 ci-dessus). Il considère que ladite grâce "répond à l'objet de [la] requête devant les organes de la Convention" et sollicite en conséquence la radiation de l'affaire du rôle (paragraphes 6-7 et 11 ci-dessus). Consulté, le délégué de la Commission a indiqué qu'il revenait au requérant de déterminer si la grâce présidentielle qui lui avait été accordée constituait une réparation suffisante, et a précisé que, le cas échéant, il ne s'opposerait pas à la demande de radiation (paragraphe 9 ci-dessus). Par la suite, le conseil du requérant a informé le greffier que son client "se désist[ait] de sa demande" (paragraphe 12 ci-dessus).
27. La Cour observe que le Gouvernement et le requérant n'ont pas conclu un "règlement amiable" au sens de l'article 49 par. 2 du règlement A, mais que le second a déclaré "se désiste[r]". Elle constate par ailleurs que le décret de grâce du 27 janvier 1997 accorde au requérant ce qu'il réclamait devant les autorités françaises: il sera détenu un an et dix-huit jours en moins, de la même manière que si sa première détention provisoire avait été déduite de la durée de sa peine. En outre, il a bénéficié de l'assistance judiciaire devant la Commission puis la Cour et n'a présenté aucune demande au titre de l'article 50 de la Convention (art. 50). Dans ces conditions, les circonstances décrites ci-dessus peuvent passer pour constituer un "arrangement" ou un "autre fait de nature à fournir une solution du litige" au sens de l'article 49 par. 2 du règlement A. De plus, il n'existe aucun motif d'ordre public s'opposant à la radiation (article 49 paras. 2 et 4). Il échet donc de rayer l'affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE, Décide de rayer l'affaire du rôle. Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 2 avril 1997, en application de l'article 55 par. 2, second alinéa, du règlement A.
Signé: Rudolf BERNHARDT Président
Signé: Herbert PETZOLD Greffier


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 21503/93
Date de la décision : 02/04/1997
Type d'affaire : Arrêt (Au principal)
Type de recours : Radiation du rôle (arrangement)

Analyses

(Art. 39) REGLEMENT AMIABLE


Parties
Demandeurs : P.L.
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1997-04-02;21503.93 ?
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