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29/05/1997 | CEDH | N°21522/93

CEDH | AFFAIRE GEORGIADIS c. GRÈCE


En l'affaire Georgiadis c. Grèce (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Gölcüklü, N. Valticos, R. Pekkanen, A.N. Loizou, A.B. Baka, D. Gotchev, P. Kuris, U. Lohmus,
ainsi que de MM. H. Petzold, gref

fier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint, Après en avoir...

En l'affaire Georgiadis c. Grèce (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Gölcüklü, N. Valticos, R. Pekkanen, A.N. Loizou, A.B. Baka, D. Gotchev, P. Kuris, U. Lohmus,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 janvier et 25 avril 1997, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date: _______________ Notes du greffier
1. L'affaire porte le n° 56/1996/675/865. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors. _______________
PROCÉDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 17 avril 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouvent une requête (n° 21522/93) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Anastassios Georgiadis, avait saisi la Commission le 27 février 1993 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration grecque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 et 13 de la Convention (art. 6, art. 13).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30).
3. Le 27 avril 1996, le président de la Cour a décidé, conformément à l'article 21 par. 7 du règlement A de la Cour et aux fins d'une bonne administration de la justice, qu'une même chambre entendrait la présente cause et l'affaire Tsirlis et Kouloumpas c. Grèce (n° 54/1996/673/859-860). La chambre à constituer dans ce but comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge élu de nationalité grecque (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le même jour, ce dernier a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, R. Pekkanen, A.N. Loizou, A.B. Baka, D. Gotchev, P. Kuris et U. Lohmus en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement grec ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 25 octobre 1996 et les prétentions du requérant au titre de l'article 50 (art. 50) le 31 octobre 1996.
5. Ainsi que le président en avait décidé, les débats se sont déroulés en public le 21 janvier 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Ont comparu: - pour le Gouvernement M. P. Georgakopoulos, conseiller auprès du Conseil juridique de l'Etat, délégué de l'agent, Mme K. Grigoriou, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, conseiller; - pour la Commission M. P. Lorenzen, délégué; - pour le requérant Me P. Bitsaxis, avocat au barreau d'Athènes, conseil. La Cour a entendu en leurs déclarations M. Lorenzen, Me Bitsaxis et Mme Grigoriou ainsi qu'en leurs réponses à ses questions.
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
6. Né en 1963, M. Georgiadis habite Athènes.
7. Le 3 janvier 1989, le requérant fut nommé ministre du culte pour les préfectures de Karditsa et Larissa par la Congrégation centrale des chrétiens témoins de Jéhovah de Grèce. Il fut notamment habilité à célébrer des mariages entre des personnes de cette religion et à notifier ces mariages aux bureaux compétents de l'état civil. Par un courrier du 13 janvier 1989, le directeur des affaires intérieures de la préfecture de Karditsa avisa de cette nomination les bureaux de l'état civil de Karditsa. Par une lettre du 24 janvier 1989, il en informa également les bureaux de l'état civil de Larissa.
8. Le 11 septembre 1991, le requérant demanda au bureau de recrutement de Serres ("le bureau de recrutement") à être exempté du service militaire, invoquant l'article 6 de la loi n° 1763/1988 ("la loi de 1988"), qui reconnaît ce droit à tous les ministres du culte des "religions connues". Le 17 septembre 1991, le bureau de recrutement rejeta la demande au motif que les témoins de Jéhovah n'appartenaient pas à une "religion connue".
9. Le 7 octobre 1991, le requérant forma un recours auprès du directeur du recrutement de l'état-major de la défense nationale ("le directeur du recrutement"). Il fut débouté le 18 décembre 1991 au motif qu'il n'était pas ministre du culte d'une "religion connue". Le jour même, le bureau de recrutement lui donna l'ordre de se présenter au centre d'instruction militaire de Nauplie en vue de son incorporation le 20 janvier 1992.
10. Le requérant s'y rendit bien mais refusa l'incorporation, invoquant sa qualité de ministre du culte d'une "religion connue". Considérant que le requérant s'était rendu coupable d'insubordination (paragraphe 19 ci-dessous), le commandant militaire du centre d'instruction le plaça en détention provisoire dans le quartier disciplinaire du centre et ordonna une enquête préliminaire. A l'issue de celle-ci, le 29 janvier 1992, le requérant fut traduit en justice. L'ordonnance relative à son maintien en détention fut renouvelée, et il fut transféré à la prison militaire d'Avlona.
11. Le 13 février 1992, le requérant saisit le Conseil d'Etat (Symvoulio tis Epikratias) d'un recours en annulation de la décision rendue le 18 décembre 1991 par le directeur du recrutement.
12. Le 16 mars 1992, le tribunal militaire permanent (Diarkes Stratodikio) d'Athènes, composé d'un juge militaire et de quatre officiers non juristes, examina les accusations dirigées contre le requérant. Après avoir pris connaissance des éléments de preuve et des arguments des parties relatifs à la culpabilité du requérant, le tribunal se retira pour délibérer. A l'issue des délibérations, le président du tribunal annonça le verdict. Le requérant fut acquitté au motif "qu'il n'avait commis aucun acte d'insubordination", puisque son statut de ministre du culte d'une "religion connue" le dispensait des obligations militaires.
13. Le requérant fut libéré sur-le-champ mais se vit intimer l'ordre de se présenter au centre de Nauplie en vue de son incorporation le 4 avril 1992. A cette date, il se rendit au centre de Nauplie où il reçut l'ordre d'accomplir son service militaire. Lorsqu'il refusa, il fut de nouveau inculpé d'insubordination et placé en détention. Il fut renvoyé en jugement le 15 avril 1992.
14. Le 8 mai 1992, le tribunal militaire permanent d'Athènes examina les nouvelles accusations pénales dirigées contre le requérant. Après avoir pris connaissance des éléments de preuve et des arguments des parties relatifs à la culpabilité du requérant, le tribunal se retira pour délibérer. A l'issue des délibérations, le président du tribunal annonça le verdict. Le requérant fut acquitté en raison de doutes quant à son intention de se rendre coupable d'insubordination. Il fut donné lecture du verdict et de l'ordonnance suivante qui y était jointe: "Aucune indemnité ne sera accordée à l'intéressé pour sa détention provisoire, considérant que celle-ci était due à une faute lourde de sa part."
15. Le requérant fut immédiatement libéré de la prison d'Avlona, se vit accorder une permission et intimer l'ordre de se présenter au centre de Nauplie en vue de son incorporation le 22 mai 1992. Il reçut à nouveau l'ordre d'effectuer son service militaire. Ayant refusé, il fut inculpé d'insubordination et placé en détention provisoire.
16. Le 7 juillet 1992, le Conseil d'Etat cassa la décision prise le 18 décembre 1991 par le directeur du recrutement, au motif que les témoins de Jéhovah appartenaient à une religion connue et que l'administration n'avait pas contesté les éléments produits par le requérant pour prouver qu'il était ministre de ce culte.
17. Le 27 juillet 1992, le requérant fut libéré provisoirement, en application d'une décision prise par le tribunal militaire permanent de Thessalonique en chambre du conseil. Un certificat d'exemption provisoire du service militaire lui fut délivré au motif qu'il était ministre du culte d'une "religion connue".
18. Le 10 septembre 1992, le tribunal militaire permanent de Thessalonique examina les accusations pénales portées contre le requérant. Après avoir pris connaissance des éléments de preuve et des arguments des parties quant à la culpabilité du requérant, le tribunal se retira pour délibérer. A l'issue des délibérations, le président du tribunal annonça le verdict. Le requérant fut acquitté au motif qu'il n'avait pas eu l'intention de se rendre coupable d'insubordination. Il fut donné lecture du verdict et de l'ordonnance suivante qui y était jointe: "L'Etat ne se trouve nullement dans l'obligation d'indemniser l'intéressé pour sa détention provisoire, considérant que celle-ci était due à une faute lourde de sa part."
II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Le code de justice militaire
19. L'article 70 du code de justice militaire dispose: "Un membre des forces armées qui refuse (...) d'obéir à l'ordre donné par son supérieur d'exécuter l'une de ses tâches sera sanctionné (...)"
20. Le 16 mars 1992, le tribunal militaire permanent d'Athènes estima qu'un ministre du culte des témoins de Jéhovah qui avait refusé d'aller chercher des vêtements militaires lorsqu'il avait été convoqué en vue de son incorporation n'était pas coupable d'insubordination. Selon le tribunal, l'intéressé n'avait pas commis d'acte d'insubordination car il n'était pas tenu d'accomplir son service militaire en sa qualité de ministre du culte d'une "religion connue".
21. Aux termes de l'article 434 dudit code, si celui-ci ne réglemente pas une question de procédure, le code de procédure pénale s'applique. B. Le code de procédure pénale
22. Le code de procédure pénale contient les dispositions pertinentes suivantes: Article 533 par. 2 "Les personnes placées en détention provisoire puis acquittées (...) ont le droit de demander réparation (...), s'il a été établi au cours de la procédure qu'elles n'avaient pas commis l'infraction pénale pour laquelle elles avaient été détenues (...)" Article 535 par. 1 "L'Etat n'est nullement dans l'obligation d'indemniser une personne qui (...) a été placée en détention provisoire si celle-ci, volontairement ou à la suite d'une faute lourde, s'est rendue responsable de sa propre détention." Article 536 "1. Sur demande orale de la personne acquittée, la juridiction qui a examiné l'affaire statue sur l'obligation de l'Etat d'indemniser l'intéressé en rendant, en même temps que le verdict, une décision distincte. Toutefois, cette juridiction peut aussi rendre d'office une telle décision (...) 2. La décision relative à l'obligation d'indemnisation de l'Etat ne peut être contestée séparément; elle est toutefois annulée lorsque la décision portant sur la question principale de l'instance pénale est infirmée." Article 537 "1. Quiconque a subi un préjudice peut, à un stade ultérieur, saisir la même juridiction d'une demande en réparation. 2. En ce cas, la demande doit être présentée au procureur [Epitropos] de cette juridiction dans les quarante-huit heures suivant le prononcé du jugement en audience publique." Article 539 par. 1 "Lorsqu'il a été décidé que l'Etat doit verser une réparation, la personne y ayant droit peut intenter une action devant les juridictions civiles, qui ne peuvent pas remettre en cause l'obligation de l'Etat." Article 540 par. 1 "Les personnes qui ont été injustement (...) mises en détention provisoire doivent être indemnisées pour tout préjudice matériel qu'elles pourraient avoir subi en raison de leur (...) détention. Elles doivent également être indemnisées du préjudice moral (...)"
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
23. M. Georgiadis a saisi la Commission le 27 février 1993. Invoquant les articles 3, 5 paras. 1 et 5, 6 par. 1, 9, 13 et 14 de la Convention (art. 3, art. 5-1, art. 5-5, art. 6-1, art. 9, art. 13, art. 14), il se plaignait d'avoir été détenu irrégulièrement et d'avoir fait l'objet d'une discrimination fondée sur ses convictions religieuses, d'avoir été soumis à des traitements inhumains et dégradants et de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable au sujet de la réparation de sa détention irrégulière. Enfin, il se plaignait d'avoir été poursuivi à deux reprises pour une infraction du chef de laquelle il avait déjà été acquitté, au mépris de l'article 4 par. 1 du Protocole n° 7 (P7-4-1).
24. Le 10 octobre 1994, la Commission a retenu la requête (n° 21522/93) pour ce qui concerne le rejet par les tribunaux militaires, sans entendre le requérant, de sa demande en indemnisation ainsi que le raisonnement insuffisant suivi dans les décisions pertinentes; elle a jugé irrecevable le grief tiré de l'article 5 par. 1 (art. 5-1), en raison du non-épuisement des voies de recours internes. Dans son rapport du 27 février 1996 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'avis qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) et qu'il ne s'impose pas d'examiner s'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier
1. Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR
25. A l'audience, le requérant a demandé à la Cour de dire qu'il y a eu violation en son chef des articles 6 par. 1 et 13 de la Convention (art. 6-1, art. 13). Le Gouvernement, pour sa part, a prié la Cour de rejeter toute allégation de violation de la Convention.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 DE LA CONVENTION (art. 6-1)
26. M. Georgiadis se plaint de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable au sujet de la réparation de sa détention, selon lui irrégulière. Il invoque l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), dont les passages pertinents disposent: "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" La Commission souscrit à la thèse du requérant, tandis que le Gouvernement conteste que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) s'applique à la procédure en cause. A. Applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
27. Selon M. Georgiadis, lorsqu'une détention fait suite à une condamnation infirmée en appel, le droit à réparation qui en découle est régi par le droit civil: il peut être cédé, hérité et transmis de toute autre manière conformément aux modalités de cette branche du droit. A son sens, le fait que l'autorité de jugement soit une juridiction militaire statuant dans le cadre d'une procédure de droit public n'entre pas en ligne de compte, car c'est une juridiction civile qui fixe le montant de l'indemnité (paragraphe 22 ci-dessus). Dans ces conditions, la procédure ayant visé à déterminer si le requérant avait droit à une réparation au sujet de sa détention consécutive à sa condamnation porterait bien sur des "droits de caractère civil" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
28. La Commission estime que l'issue de la procédure devant les tribunaux militaires était directement déterminante pour le droit du requérant à réparation. Elle conclut ainsi qu'en refusant de lui accorder une indemnité, les tribunaux militaires permanents ont "décidé" d'une contestation sur un "droit" pouvant passer, de manière défendable, pour reconnu en droit interne. Elle estime en outre que les griefs du requérant au titre de l'article 533 du code de procédure pénale (paragraphe 22 ci-dessus) se rapportaient à un préjudice matériel et moral dû à de longues périodes de détention. Il s'ensuit que le droit en question revêt un "caractère civil" au sens de l'article 6 de la Convention (art. 6), nonobstant l'origine du différend et la compétence des tribunaux militaires.
29. Le Gouvernement allègue que, le requérant n'ayant pas présenté de demande en réparation, l'on ne saurait soutenir qu'il y a eu contestation. Quoi qu'il en soit, il estime en outre que la responsabilité extracontractuelle de l'Etat s'agissant d'actes commis jure imperii se distingue du système qui régit la responsabilité civile en droit privé. La différence fondamentale tient à ce que l'on ne peut porter un droit à réparation devant les tribunaux civils que lorsque son existence a été admise par la juridiction pénale. Les tribunaux pénaux ont à cet égard entière discrétion. Il n'existerait donc aucun "droit de caractère civil" au stade de la procédure auquel le requérant fait référence.
30. Selon les principes qu'elle a dégagés dans sa jurisprudence (voir, entre autres, les arrêts Zander c. Suède du 25 novembre 1993, série A n° 279-B, p. 38, par. 22, et Kerojärvi c. Finlande du 19 juillet 1995, série A n° 322, p. 12, par. 32), la Cour doit rechercher en particulier s'il y a eu "contestation" sur un "droit" que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne et si l'issue de la procédure en cause était directement déterminante pour un tel droit.
31. En ce qui concerne l'allégation du Gouvernement selon laquelle le requérant n'a jamais déposé de demande en réparation, la Cour ne voit pas quelle aurait pu être l'utilité d'une telle démarche puisque les tribunaux s'étaient prononcés d'office et de manière définitive. Partant, il y avait "contestation" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
32. La Cour relève en outre que, quelle que soit sa qualification en droit interne, l'article 533 par. 2 du code de procédure pénale crée, pour une personne ayant subi une détention, un droit à réparation après son acquittement (paragraphe 22 ci-dessus). Cependant, le paragraphe 1 de l'article 535 (ibidem) exclut toute indemnisation lorsqu'il est établi que la personne détenue s'est rendue responsable de sa propre détention, "volontairement ou à la suite d'une faute lourde". Enfin, l'article 536 par. 2 (ibidem) dispose que les décisions relatives à l'obligation de l'Etat de réparer ne peuvent être contestées séparément.
33. Eu égard au caractère succinct des décisions par lesquelles les tribunaux militaires d'Athènes et de Thessalonique ont décidé qu'"aucune indemnisation ne sera[it] accordée à l'intéressé pour sa détention provisoire, considérant que celle-ci était due à une faute lourde de sa part" (paragraphes 14 et 18 ci-dessus), on ne saurait nier que l'issue de la procédure fondée sur l'article 533 était directement déterminante pour établir le droit à réparation du requérant.
34. Il reste à établir si ce droit revêtait un "caractère civil", ainsi que l'affirme le requérant. A cet égard, la Cour rappelle que la notion de "droits et obligations de caractère civil" ne doit pas s'interpréter par simple référence au droit interne de l'Etat défendeur et que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) s'applique indépendamment de la qualité des parties comme de la nature de la loi régissant la "contestation" et de l'autorité compétente pour trancher (voir notamment l'arrêt Baraona c. Portugal du 8 juillet 1987, série A n° 122, p. 18, par. 42).
35. La Cour relève que, bien que la condition préalable à l'applicabilité de l'article 533 du code de procédure pénale - une détention suivie d'un acquittement - se rapporte à des questions de droit public, le droit à réparation découlant de cette disposition revêt, de par sa nature même, un "caractère civil". Ses caractéristiques incontestablement de droit privé - et qui n'ont pas été mises en doute par le Gouvernement - renforcent cette conclusion tout comme le fait qu'il appartient aux juridictions civiles de fixer le montant exact de l'indemnité à accorder (paragraphe 22 ci-dessus).
36. Dans ces conditions, la Cour conclut que la question de l'application de l'article 533 au cas du requérant relève du domaine de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). B. Observation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
37. Le requérant se plaint de n'avoir pas eu l'occasion de se faire entendre au sujet de la réparation de sa détention. En effet, les tribunaux militaires ont examiné d'office la question de la responsabilité de l'Etat avec celle de la culpabilité pénale. L'intéressé allègue en outre que le fait que les tribunaux militaires n'aient pas suffisamment motivé leurs décisions constitue une atteinte supplémentaire à l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
38. La Commission relève qu'il n'a pas été établi clairement que le requérant avait renoncé au droit de se faire entendre et pense comme lui qu'il y a eu manquement aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
39. Le Gouvernement soutient que, le requérant n'ayant soumis aucune demande en réparation, il n'y avait pas lieu d'entendre d'arguments ni de réfuter des allégations au moyen d'une décision motivée. L'article 6 par. 1 (art. 6-1) aurait ainsi été respecté.
40. La Cour ne partage pas ce point de vue. Aucune décision n'aurait dû être prise au sujet de la réparation sans permettre au requérant de faire entendre sa cause par un tribunal. Une procédure par laquelle une juridiction statue sur des droits de caractère civil sans jamais entendre les arguments des parties ne saurait passer pour conforme à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). En outre, les tribunaux militaires permanents se sont prononcés d'office sur la réparation, ce qui a empêché l'intéressé de présenter lui-même une requête (paragraphe 22 ci-dessus). Enfin, le requérant n'avait pas la possibilité de contester les décisions de ces tribunaux (ibidem).
41. Quant à l'allégation d'absence de motivation adéquate des décisions des tribunaux militaires, il convient de noter que les juridictions internes ont invoqué une "faute lourde" du requérant pour dire que l'Etat n'était pas responsable de la détention de celui-ci, ce en quoi elles ont repris les termes de l'article 533 par. 2 (paragraphe 22 ci-dessus).
42. La Cour rappelle que l'étendue du devoir qu'ont les tribunaux de motiver leurs décisions peut varier notamment en fonction de la nature de la décision. La question de savoir si un tribunal a manqué à son obligation de motiver découlant de l'article 6 de la Convention (art. 6) ne peut s'analyser qu'à la lumière des circonstances de l'espèce (voir l'arrêt Ruiz Torija c. Espagne du 9 décembre 1994, série A n° 303-A, p. 12, par. 29).
43. En l'occurrence, les juridictions internes ont estimé que l'Etat n'était pas responsable de la détention du requérant au motif que celui-ci avait commis une "faute lourde". L'absence de précision quant à cette notion, qui implique une appréciation des faits, imposait que les tribunaux énoncent des motifs plus détaillés, eu égard notamment au caractère déterminant de leur conclusion pour le droit à réparation du requérant. En conséquence, la Cour conclut qu'il y a eu de ce fait aussi violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION (art. 13)
44. Le requérant se plaint de n'avoir bénéficié d'aucun recours effectif en droit interne pour exposer la violation en son chef des droits garantis par la Convention, du fait que les décisions des tribunaux militaires en matière de réparation ne peuvent être contestées. Il y voit une violation de l'article 13 de la Convention (art. 13), ainsi libellé: "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles."
45. Eu égard à sa conclusion relative à l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), la Cour n'estime pas nécessaire d'étudier aussi l'affaire sous l'angle de l'article 13 (art. 13).
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA CONVENTION (art. 50)
46. Aux termes de l'article 50 de la Convention (art. 50): "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Dommage
47. M. Georgiadis sollicite une indemnité de 18 000 000 drachmes (GRD).
48. Pour le Gouvernement, ces prétentions ne sont ni justifiées ni étayées par des éléments prouvant qu'il y a eu préjudice. Une somme de 600 000 GRD devrait suffire tant pour le dommage que pour les frais et dépens, aussi bien dans le cas d'espèce que dans l'affaire Tsirlis et Kouloumpas c. Grèce, qui a été entendue au cours de la même audience (paragraphe 3 ci-dessus).
49. La Cour relève que le grief de M. Georgiadis au titre de l'article 5 par. 1 (art. 5-1) n'a pas été retenu par la Commission (paragraphe 24 ci-dessus). Elle rappelle que son constat de violation se limite au grief du requérant, tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), selon lequel il n'a pas eu droit à un procès équitable au sujet de la réparation de sa détention après son acquittement. Dans la mesure où la demande de satisfaction équitable porte sur un préjudice matériel, la Cour ne saurait conjecturer sur l'issue de la procédure en réparation que l'intéressé aurait pu engager s'il avait bénéficié de toutes les garanties consacrées par l'article 6 (art. 6). Il y a donc lieu de rejeter cette demande. Quant au dommage moral qu'il aurait pu subir, la Cour estime que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante. B. Frais et dépens
50. Le requérant réclame au total 4 650 000 GRD pour frais et dépens afférents aux procédures suivies devant les juridictions internes et les institutions de la Convention.
51. Le Gouvernement juge cette somme exagérée, tandis que le délégué de la Commission laisse la question à l'appréciation de la Cour.
52. Statuant en équité, comme le veut l'article 50 (art. 50), la Cour accorde au requérant la somme de 750 000 GRD pour frais et dépens. C. Intérêts moratoires
53. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux légal applicable en Grèce à la date d'adoption du présent arrêt est de 6% l'an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1);
2. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief du requérant sous l'angle de l'article 13 de la Convention (art. 13);
3. Dit que le présent arrêt constitue une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral éventuel;
4. Dit a) que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois, 750 000 (sept cent cinquante mille) drachmes au requérant pour frais et dépens; b) que ce montant sera à majorer d'un intérêt simple de 6% l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 29 mai 1997.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Herbert PETZOLD Greffier


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6-1) CONTESTATION, (Art. 6-1) DECIDER (CIVIL), (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL


Parties
Demandeurs : GEORGIADIS
Défendeurs : GRÈCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 29/05/1997
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21522/93
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1997-05-29;21522.93 ?
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