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25/06/1997 | CEDH | N°20605/92

CEDH | AFFAIRE HALFORD c. ROYAUME-UNI


En l'affaire Halford c. Royaume-Uni (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Bernhardt, président, L.-E. Pettiti, C. Russo, A. Spielmann, I. Foighel, J.M. Morenilla, Sir John Freeland, MM. M.A. Lopes Rocha, P. Kuris,
ainsi que de MM. H.

Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint, ...

En l'affaire Halford c. Royaume-Uni (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Bernhardt, président, L.-E. Pettiti, C. Russo, A. Spielmann, I. Foighel, J.M. Morenilla, Sir John Freeland, MM. M.A. Lopes Rocha, P. Kuris,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 19 mars et 27 mai 1997, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date: _______________ Notes du greffier
1. L'affaire porte le n° 73/1996/692/884. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors. _______________
PROCÉDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 28 mai 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). Le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ("le Gouvernement") a également soumis une requête introductive d'instance le 27 août 1996 (paragraphe 6 ci-dessous). A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 20605/92) dirigée contre le Royaume-Uni et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Alison Halford, avait saisi la Commission le 22 avril 1992 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8, 10, 13 et 14 de la Convention (art. 8, art. 10, art. 13, art. 14).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, la requérante a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 10 juin 1996, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. L.-E. Pettiti, C. Russo, A. Spielmann, I. Foighel, J.M. Morenilla, M.A. Lopes Rocha et P. Kuris, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier adjoint, l'agent du Gouvernement, l'avocat de la requérante et la déléguée de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 2 janvier 1997 et celui de la requérante le 6 janvier 1997.
5. Le 20 août 1996, M. Bernhardt avait autorisé Liberty, organisation non gouvernementale de défense des droits de l'homme ayant son siège à Londres, à soumettre des observations écrites sur certains aspects précis de l'affaire (article 37 par. 2 du règlement A), reçues au greffe le 2 janvier 1997.
6. Le 21 février 1997, la chambre a décidé de rejeter la requête introductive d'instance du Gouvernement au motif qu'elle était parvenue à la Cour après l'expiration du délai de trois mois prévu aux articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47) et qu'aucune raison exceptionnelle ne justifiait de prolonger ce délai.
7. Ainsi que le président en avait décidé, les débats se sont déroulés en public le 17 mars 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Ont comparu: - pour le Gouvernement MM. M. Eaton, conseiller juridique adjoint, ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, agent, J. Eadie, Barrister-at-Law, conseil, H. Carter, ministère de l'Intérieur, P. Regan, ministère de l'Intérieur, C. Raikes, ministère du Commerce et de l'Industrie, conseillers; - pour la Commission Mme J. Liddy, déléguée; - pour la requérante MM. R. Makin, Solicitor, P. Duffy, Barrister-at-Law, conseils. La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Liddy, M. Makin, M. Duffy et M. Eadie, ainsi que la réponse à une question de l'un des juges.
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
8. La requérante, Mme Alison Halford, est née en 1940 et réside au Wirral. Elle a travaillé dans la police de 1962 jusqu'à sa retraite, en 1992. A. Contexte des interceptions téléphoniques alléguées
9. En mai 1983, Mme Halford fut nommée au grade de contrôleur général (Assistant Chief Constable) de la police de Merseyside. Elle devint ainsi la femme la plus gradée de la police britannique.
10. Au cours des sept années suivantes, Mme Halford postula en vain à huit reprises au grade d'inspecteur général adjoint (Deputy Chief Constable), des postes étant devenus vacants dans la police de Merseyside et d'autres régions. L'accord du ministère de l'Intérieur était requis pour une telle promotion. La requérante avance cependant que celui-ci lui a chaque fois été refusé sur la recommandation de l'inspecteur général (Chief Constable) de la police de Merseyside, qui désapprouvait son engagement en faveur de l'égalité de traitement entre hommes et femmes.
11. A la suite d'un nouveau rejet de sa candidature en février 1990, Mme Halford engagea le 4 juin de la même année une action pour discrimination fondée sur le sexe devant le tribunal du travail, notamment contre l'inspecteur général de la police de Merseyside et le ministre de l'Intérieur. Le 14 juin 1990, le président et le vice-président du comité de contrôle de la police (Police Authority) furent désignés pour constituer un "comité spécial" chargé d'examiner les questions soulevées par cette affaire de discrimination.
12. Mme Halford allègue que certains membres du comité de contrôle de la police de Merseyside lancèrent une "campagne" contre elle parce qu'elle avait déposé plainte auprès du tribunal du travail, sous forme notamment de fuites dans la presse, d'interception de ses appels téléphoniques (paragraphe 16 ci-dessous) et de la décision d'ouvrir une procédure disciplinaire contre elle.
13. Le 14 septembre 1990, le comité spécial adressa à la commission disciplinaire des hauts fonctionnaires (Senior Officers' Disciplinary Committee) un rapport rédigé par l'inspecteur général indiquant que Mme Halford aurait commis une faute professionnelle le 24 juillet 1990. La commission disciplinaire décida le 20 septembre 1990 d'ouvrir une enquête officielle et de renvoyer l'affaire à la direction des plaintes contre la police (Police Complaints Authority) puis, le 8 février 1991, d'engager une procédure disciplinaire. Mme Halford fut suspendue de ses fonctions en continuant à percevoir intégralement son traitement à compter du 12 décembre 1990.
14. Elle saisit la High Court d'une demande de contrôle juridictionnel. En septembre 1991, le juge MacPherson ajourna l'affaire en raison de la possibilité d'un accord entre les parties. Celles-ci n'étant pas parvenues à s'entendre, l'affaire revint devant lui le 20 décembre 1991. Il jugea que le président et le vice-président du comité de contrôle de la police avaient outrepassé leurs compétences et, sans les accuser de mauvaises intentions, déclara que l'affaire n'était pas exempte d'iniquité. Il annula donc les décisions concernées.
15. Le tribunal du travail tint audience en juin 1992. La procédure fut suspendue le 14 juillet 1992 dans l'attente du résultat des négociations entre les parties, qui débouchèrent sur le règlement de l'affaire. L'inspecteur général versa à titre gracieux à Mme Halford 10 000 livres sterling (GBP) (somme maximale que le tribunal du travail pouvait légalement octroyer) et le ministre de l'Intérieur 5 000 GBP pour les dépens exposés par elle. Il fut convenu qu'elle prendrait sa retraite pour raisons médicales (en raison d'une blessure au genou survenue en 1989). De plus, le ministère de l'Intérieur accepta de mettre en oeuvre diverses propositions présentées par la commission sur l'égalité des chances, comme l'actualisation et la révision des procédures de sélection pour les grades élevés dans la police. B. Les interceptions alléguées
16. En sa qualité de contrôleur général, Mme Halford eut droit à un bureau réservé à son usage et à deux téléphones, dont un pour ses communications privées. Ces postes faisaient partie du système interne de communications de la police de Merseyside, indépendant du réseau public. L'utilisation de ces téléphones n'était assortie d'aucune restriction et aucun conseil ne fut donné à la requérante à cet égard, sauf lorsqu'elle demanda à l'inspecteur général, peu après avoir engagé la procédure devant le tribunal du travail, si elle était autorisée à s'occuper de l'affaire pendant ses heures de service, notamment en se servant du téléphone, ce qu'il lui confirma. En outre, étant donné qu'elle était souvent d'astreinte à domicile, la police de Merseyside réglait une part importante de sa facture téléphonique personnelle. Le téléphone installé chez elle se composait d'un appareil relié au réseau public des télécommunications, par l'intermédiaire d'un "point terminal de réseau".
17. Elle allègue que des appels téléphoniques passés depuis son domicile et son bureau ont été interceptés dans le but d'obtenir des informations à utiliser contre elle au cours de la procédure en matière de discrimination. Elle a présenté à la Commission divers éléments de preuve à l'appui de ces affirmations (rapport de la Commission, paragraphe 21). En outre, elle a informé la Cour que, selon ce qu'une personne lui avait déclaré sous le couvert de l'anonymat le 16 avril 1991, cette dernière avait surpris peu avant cette date des agents de la police de Merseyside en train de vérifier des transcriptions de conversations téléphoniques qu'elle avait eues à son domicile. Aux fins de l'affaire devant la Cour, le Gouvernement admet que la requérante a présenté suffisamment d'éléments pour établir, avec une probabilité raisonnable, que des appels passés depuis les téléphones de son bureau ont été interceptés, mais ne reconnaît pas que cela soit le cas en ce qui concerne le téléphone du domicile.
18. Mme Halford se plaignit de l'interception de ses appels téléphoniques devant le tribunal du travail le 17 juin 1992. Le 2 juillet 1992, au cours de l'audience, le conseil du ministre de l'Intérieur déclara qu'elle ne pouvait présenter au tribunal de preuves se rapportant aux interceptions alléguées car l'article 9 de la loi de 1985 sur l'interception de communications (Interception of Communications Act 1985 - "la loi de 1985") exclut expressément de présenter à quelque tribunal ou commission que ce soit des éléments tendant à montrer qu'il y a eu infraction à l'article 1 de ladite loi (paragraphe 25 ci-dessous).
19. Le 6 décembre 1991, Mme Halford demanda à la commission compétente en matière d'interception de communications (Interception of Communications Tribunal - "la commission") d'ouvrir une enquête en vertu de l'article 7 de la loi de 1985 (paragraphes 30-32 ci-dessous). La commission l'informa par un courrier du 21 février 1992 que son enquête l'avait convaincue que, dans son cas, il n'y avait pas eu d'infraction aux articles 2 à 5 de la loi de 1985 (paragraphes 26-29 ci-dessous). Elle confirma par une lettre du 27 mars 1992 ne pas être en mesure de préciser si des interceptions s'étaient en fait produites ou non (paragraphe 32 ci-dessous).
20. Dans une lettre du 4 août 1992 adressée à M. David Alton, député, le ministre de l'Intérieur expliqua que la requête de Mme Halford relative à l'interception d'appels émanant de ses téléphones de bureau "ne relevait pas de [ses] responsabilités de ministre de l'Intérieur ni de la loi [de 1985]".
II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Systèmes publics de télécommunications 1. Infraction créée par la loi de 1985 sur l'interception de communications
21. La loi de 1985 sur l'interception de communications (Interception of Communications Act 1985), adoptée à la suite de l'arrêt rendu par la Cour en l'affaire Malone c. Royaume-Uni (2 août 1984, série A n° 82), est entrée en vigueur le 10 avril 1986. Son objectif, exposé dans le Livre blanc du ministère de l'Intérieur qui l'a précédée, était d'indiquer clairement les conditions dans lesquelles seraient autorisées et contrôlées les interceptions de communications sur les systèmes publics, de manière à inspirer confiance aux citoyens (Interception of Communications in the United Kingdom (février 1985) HMSO, Cmnd. 9438).
22. Un système de télécommunications "public" est un réseau exploité en vertu d'une licence délivrée conformément à la loi de 1984 sur les télécommunications (Telecommunications Act 1984 - "la loi de 1984") et désigné comme tel par le ministre (article 10 par. 1 de la loi de 1985, lequel renvoie à l'article 4 par. 1 de la loi de 1984).
23. Aux termes de l'article 1 par. 1 de la loi de 1985, quiconque intercepte volontairement une communication au cours de sa transmission sur un réseau public de communications se rend coupable d'une infraction pénale.
24. L'article 1 paras. 2 et 3 indique les quatre cas où une personne se livrant à une interception ainsi définie ne se rend pas coupable d'infraction. La seule qui soit pertinente en l'espèce est la suivante: l'interception d'une communication en exécution d'un mandat délivré par le ministre en vertu de l'article 2 de la loi (paragraphe 26 ci-dessous). 2. Exclusion de preuves
25. L'article 9 de la loi de 1985 interdit la production, au cours de toute procédure devant un tribunal ou une commission, de preuves donnant à penser qu'un fonctionnaire a commis une infraction à l'article 1 de ladite loi ou qu'un mandat a été délivré à une telle personne en vertu de l'article 2 de la loi. 3. Mandats
26. Les articles 2 à 6 de la loi de 1985 contiennent des règles détaillées sur l'octroi, par le ministre, de mandats d'interception de communications et la divulgation des éléments interceptés. L'article 2 par. 2 est ainsi libellé: "Le ministre ne peut délivrer de mandat (...) à moins qu'il ne le juge nécessaire a) à la sécurité nationale; b) à la prévention ou à la découverte d'une infraction grave; ou c) à la protection du bien-être économique du Royaume-Uni." Pour juger de l'opportunité de délivrer un mandat, le ministre doit évaluer si l'information que l'on juge nécessaire d'obtenir ne pourrait pas raisonnablement être recueillie par d'autres moyens (article 2 par. 2 de la loi de 1985).
27. Le mandat doit indiquer le nom de la personne autorisée à effectuer l'interception et donner des renseignements précis sur les communications à intercepter, comme sur les locaux d'où celles-ci doivent partir et le nom des personnes concernées (articles 2 par. 1 et 3 de la loi de 1985).
28. Un mandat ne peut être décerné que s'il est signé par le ministre en personne ou, en cas d'urgence, par un haut fonctionnaire lorsque le ministre en a expressément autorisé la délivrance. Les mandats signés par le ministre sont valables deux mois, tandis que ceux qui le sont par un fonctionnaire n'ont qu'une durée de validité de deux jours ouvrés. Les mandats peuvent être modifiés ou renouvelés dans certaines circonstances précises (articles 4 et 5 de la loi de 1985).
29. L'article 6 de la loi prévoit notamment de limiter la divulgation, la copie et la conservation des éléments obtenus en vertu d'un mandat. 4. La commission compétente en matière d'interception de communications
30. La loi de 1985 prévoit la création d'une commission compétente en matière d'interception de communications). Celle-ci se compose de cinq membres, qui doivent tous être des juristes exerçant depuis au moins dix ans et sont nommés pour une durée de cinq ans renouvelable (article 7 et annexe 1 à la loi de 1985).
31. Toute personne pensant, entre autres, que des appels qu'elle a passés ou reçus ont pu être interceptés au cours de leur transmission sur un réseau public de télécommunications, peut demander à la commission d'ouvrir une enquête. Si cette demande ne lui paraît ni futile ni abusive, la commission est tenue de rechercher si un mandat a été délivré et, si oui, s'il l'a été dans le respect de la loi de 1985. A cette fin, la commission doit suivre "les principes applicables par les tribunaux saisis d'une demande de contrôle juridictionnel" (article 7 paras. 2-4 de la loi de 1985).
32. Si la commission conclut qu'il n'y a pas eu violation de la loi de 1985, elle en informe le plaignant, mais sans préciser si elle est parvenue à cette conclusion parce qu'aucune interception n'a eu lieu ou parce que l'interception pratiquée se justifiait au regard des dispositions de la loi de 1985. Lorsque la commission estime qu'il y a eu violation, elle est tenue de rendre compte de ses constats au premier ministre et peut en informer le plaignant. Elle peut également, entre autres mesures, ordonner l'annulation du mandat et le versement d'une indemnité au plaignant. La commission ne motive pas ses décisions, qui sont insusceptibles de recours (article 7 paras. 7 et 8 de la loi de 1985). 5. Le commissaire
33. La loi de 1985 prévoit aussi la nomination d'un commissaire par le premier ministre. Lord Justice Lloyd (maintenant Lord Lloyd) fut le premier nommé à ce poste, suivi en 1992 de Lord Bingham, puis en 1994 de Lord Nolan, tous deux également hauts magistrats.
34. Le commissaire a pour tâche de contrôler la manière dont le ministre s'acquitte des fonctions qui lui sont dévolues par les articles 2 à 5 de la loi de 1985, de faire rapport au premier ministre sur les infractions auxdits articles qui n'ont pas été signalées par la commission et de rédiger un rapport annuel, remis au premier ministre, sur ses activités. Ce rapport doit être présenté au Parlement, même si le premier ministre a le pouvoir d'en supprimer la référence à toute question susceptible de nuire à la sécurité nationale, à la prévention ou à la découverte d'infractions graves ou au bien-être du Royaume-Uni. Le rapport doit indiquer s'il a été ainsi expurgé (article 8 de la loi de 1985).
35. Dans leurs rapports au premier ministre, les commissaires ont de manière générale fait état d'une augmentation du nombre de mandats, mais se sont déclarés convaincus que ceux décernés se justifiaient chaque fois au regard de l'article 2 de la loi de 1985. B. Systèmes de télécommunications indépendants du réseau public
36. La loi de 1985 ne s'applique pas aux réseaux de télécommunications indépendants du réseau public, comme le système interne à la police de Merseyside, et il n'existe pas d'autre texte réglementant l'interception des communications sur ce type de système.
37. La common law anglaise ne prévoit aucun recours contre l'interception de communications, car "elle n'apporte aucune restriction générale aux atteintes à l'intimité de la vie privée en tant que telles" (au dire du juge Sedley dans l'affaire R. v. Broadcasting Complaints Commission, ex parte Barclay, 4 octobre 1996, non publiée).
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
38. Dans sa requête du 22 avril 1992 à la Commission (n° 20605/92), Mme Halford se plaignait de ce que l'interception d'appels qu'elle avait passés depuis ses téléphones de bureau et celui de son domicile constituaient des atteintes injustifiables à son droit au respect de la vie privée et à la liberté d'expression, contraires aux articles 8 et 10 de la Convention (art. 8, art. 10), de n'avoir disposé d'aucun recours effectif au sujet de ces interceptions, au mépris de l'article 13 de la Convention (art. 13), et d'avoir fait l'objet d'une discrimination fondée sur le sexe, interdite par l'article 14 de la Convention combiné avec les articles 8 et 10 (art. 14+8, art. 14+10).
39. La Commission a retenu la requête le 2 mars 1995. Dans son rapport du 18 avril 1996 (article 31) (art. 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation des articles 8 et 13 de la Convention (art. 8, art. 13) en ce qui concerne les téléphones de bureau de Mme Halford (vingt-six voix contre une) et qu'il n'y a pas eu violation des articles 8, 10 ou 13 (art. 8, art. 10, art. 13) concernant le téléphone du domicile, qu'il ne s'impose pas d'examiner le grief sous l'angle de l'article 10 (art. 10) s'agissant des téléphones de bureau et qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 combiné avec les articles 8 ou 10 (art. 14+8, art. 14+10) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier
1. Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR
40. Dans son mémoire et à l'audience, le Gouvernement a invité la Cour à conclure à la non-violation de la Convention. La requérante a pour sa part soutenu qu'il y avait eu violation, et demandé à la Cour de lui accorder une réparation au titre de l'article 50 de la Convention (art. 50).
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION (art. 8)
41. Mme Halford avance que l'interception de ses communications téléphoniques a emporté violation de l'article 8 de la Convention (art. 8), ainsi libellé: "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." La Commission convient qu'il y a eu violation en ce qui concerne l'interception des appels téléphoniques émis par la requérante depuis son bureau. Le Gouvernement nie toute violation. A. Les téléphones de bureau 1. Sur l'applicabilité de l'article 8 (art. 8) au grief relatif aux téléphones de bureau
42. La requérante, rejointe en cela par la Commission, affirme que les conversations téléphoniques qu'elle a eues dans son bureau, situé dans les locaux de la police de Merseyside, relèvent des notions de "vie privée" et de "correspondance" figurant à l'article 8 par. 1 (art. 8-1), la Cour ayant adopté dans sa jurisprudence une interprétation large de ces termes (voir, par exemple, les arrêts Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21, par. 41, Huvig c. France du 24 avril 1990, série A n° 176-B, p. 41, par. 8, et p. 52, par. 25, Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992, série A n° 251-B, et A. c. France du 23 novembre 1993, série A n° 277-B).
43. Le Gouvernement arguë que les appels téléphoniques passés par Mme Halford depuis son lieu de travail échappent à la protection de l'article 8 (art. 8) car elle ne pouvait raisonnablement s'attendre à leur voir reconnaître un caractère privé. Lors de l'audience de la Cour, le conseil du Gouvernement a déclaré qu'en principe un employeur doit pouvoir surveiller, sans prévenir les intéressés au préalable, les appels que ses salariés passent sur les téléphones qu'il met à leur disposition.
44. Pour la Cour, il ressort clairement de sa jurisprudence que les appels téléphoniques émanant de locaux professionnels, tout comme ceux provenant du domicile, peuvent se trouver compris dans les notions de "vie privée" et de "correspondance" visées à l'article 8 par. 1 (art. 8-1) (voir l'arrêt Klass et autres précité, loc. cit., l'arrêt Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984, série A n° 82, p. 30, par. 64, l'arrêt Huvig précité, loc. cit., et, mutatis mutandis, l'arrêt Niemietz précité, pp. 33-35, paras. 29-33).
45. Rien ne prouve que Mme Halford ait été prévenue, en qualité d'utilisatrice du réseau interne de télécommunications mis en place dans les locaux de la police de Merseyside, que les appels passés sur ce système étaient susceptibles d'être interceptés. La Cour estime qu'elle pouvait raisonnablement croire au caractère privé de ce type d'appels, attente qu'un certain nombre de facteurs viennent renforcer: en sa qualité de contrôleur général, elle disposait d'un bureau réservé à son usage, équipé de deux téléphones, dont un spécialement destiné à ses communications privées. De plus, en réponse à un mémorandum de sa part, elle avait reçu l'assurance qu'elle pouvait se servir de ses téléphones de bureau dans le cadre de la procédure qu'elle avait intentée pour discrimination fondée sur le sexe (paragraphe 16 ci-dessus).
46. Pour toutes ces raisons, la Cour conclut que les entretiens téléphoniques que Mme Halford a eus sur les postes de son bureau relèvent des notions de "vie privée" et de "correspondance" et qu'en conséquence l'article 8 (art. 8) s'applique à cet aspect du grief. 2. Sur l'existence d'une ingérence
47. Le Gouvernement concède que la requérante a présenté suffisamment d'éléments pour établir une probabilité raisonnable que ses téléphones de bureau aient été mis sur écoute. Pour la Commission, l'examen de la requête confirme aussi l'existence d'une telle probabilité.
48. La Cour partage ce point de vue. Les éléments de preuve amènent à conclure à l'existence d'une probabilité raisonnable que la police de Merseyside a intercepté les conversations téléphoniques que Mme Halford a eues dans son bureau, principalement dans le but de recueillir des informations pour étayer sa défense dans la procédure relative à la discrimination intentée contre elle par la requérante (paragraphe 17 ci-dessus). Pareille interception constitue une "ingérence d'une autorité publique", au sens de l'article 8 par. 2 (art. 8-2), dans l'exercice par Mme Halford du droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance. 3. L'ingérence était-elle "prévue par la loi"?
49. L'article 8 par. 2 (art. 8-2) dispose en outre que toute ingérence d'une autorité publique dans le droit d'une personne au respect de sa vie privée et de sa correspondance doit être "prévue par la loi". Selon la jurisprudence constante de la Cour, cette expression impose non seulement le respect du droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi, qui doit être compatible avec la prééminence du droit. Lorsqu'il s'agit de mesures secrètes de surveillance ou de l'interception de communications par les autorités publiques, l'absence de contrôle public et le risque d'abus de pouvoir impliquent que le droit interne doit offrir à l'individu une certaine protection contre les ingérences arbitraires dans les droits garantis par l'article 8 (art. 8). C'est ainsi que la loi doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à prendre pareilles mesures secrètes (voir l'arrêt Malone précité, p. 32, par. 67, et, mutatis mutandis, l'arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 23, paras. 50-51).
50. En l'espèce, le Gouvernement admet que si la Cour devait conclure, contrairement à ce qu'il affirme, qu'il y a eu ingérence dans les droits garantis à la requérante par l'article 8 (art. 8) en ce qui concerne ses téléphones de bureau, cette ingérence ne serait pas "prévue par la loi" puisque le droit interne ne réglemente nullement l'interception d'appels transmis sur des systèmes de télécommunications indépendants du réseau public.
51. La Cour relève que la loi de 1985 ne s'applique pas aux réseaux de communications internes exploités par les autorités publiques tels que celui de la police de Merseyside, et qu'aucune autre disposition du droit interne ne réglemente les écoutes pratiquées sur de tels systèmes (paragraphes 36-37 ci-dessus). L'ingérence ne saurait donc passer pour "prévue par la loi" aux fins de l'article 8 par. 2 de la Convention (art. 8-2), puisque le droit interne n'a offert à Mme Halford aucune protection appropriée contre les ingérences de la police dans son droit au respect de la vie privée et de la correspondance. Il s'ensuit qu'il y a eu violation de l'article 8 (art. 8) en ce qui concerne l'interception des appels passés par Mme Halford sur les postes téléphoniques de son bureau. B. Le téléphone du domicile 1. Sur l'applicabilité de l'article 8 (art. 8) au grief relatif au téléphone du domicile
52. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour (voir les références indiquées au paragraphe 44 ci-dessus) que les conversations téléphoniques intervenant au domicile relèvent des notions de "vie privée" et de "correspondance" figurant à l'article 8 de la Convention (art. 8). Le Gouvernement ne le conteste d'ailleurs pas. L'article 8 (art. 8) s'applique donc à cet aspect du grief de Mme Halford. 2. Sur l'existence d'une ingérence
53. La requérante allègue que la police de Merseyside a aussi intercepté des appels émanant du téléphone du domicile de l'intéressée en vue d'étayer sa défense dans la procédure relative à la discrimination fondée sur le sexe. Elle renvoie aux preuves qu'elle a présentées à cet égard à la Commission ainsi qu'aux informations complémentaires soumises à la Cour (paragraphe 17 ci-dessus). Elle affirme de surcroît que, contrairement à ce que soutient la Commission, elle ne devrait pas être tenue d'établir l'existence d'une "probabilité raisonnable" que le téléphone de son domicile avait été placé sur écoute. Cela serait en effet en contradiction avec la décision rendue par la Cour en l'affaire Klass et autres précitée, selon laquelle une simple menace de surveillance pourrait constituer une ingérence dans les droits garantis par l'article 8 (art. 8). A titre subsidiaire, elle plaide que, si la Cour exigeait quand même qu'elle fournisse un indice qu'elle a bien fait l'objet de pareille ingérence, les éléments qu'elle a présentés sont suffisants; compte tenu du caractère secret des mesures alléguées, placer trop haut le niveau de la preuve exigée saperait l'efficacité de la protection qu'offre la Convention.
54. Le Gouvernement explique qu'il ne peut révéler s'il y a eu ou non interception des appels provenant du téléphone situé au domicile de Mme Halford car la loi de 1985 dispose délibérément que la commission compétente en matière d'interception de communications doit formuler ses conclusions de manière à ne pas dévoiler si une interception sur un réseau public de télécommunications a été pratiquée dans les conditions autorisées par ladite loi ou s'il n'y a pas eu d'interception du tout. En revanche, il est en mesure de confirmer que la commission fut convaincue de l'absence d'infraction aux articles 2 à 5 de la loi de 1985 dans le cas de Mme Halford (paragraphes 19 et 32 ci-dessus).
55. Conformément à sa jurisprudence, la Commission a demandé à la requérante d'établir l'existence d'une "probabilité raisonnable" que les communications téléphoniques passées à son domicile ont fait l'objet d'une écoute (voir, par exemple, le rapport de la Commission sur la requête n° 12175/86, Hewitt et Harman c. Royaume-Uni, 9 mai 1989, Décisions et rapports 67, pp. 114-115, paras. 29-32). Ayant examiné tous les éléments de preuve, elle n'estime pas une telle probabilité établie.
56. La Cour rappelle que, dans l'affaire Klass et autres précitée, elle devait notamment décider si la législation habilitant les autorités à surveiller en secret la correspondance et les conversations téléphoniques des requérants, lesquels n'étaient pas en mesure d'établir s'ils avaient fait eux-mêmes l'objet d'une telle mesure, constituait une ingérence dans les droits que l'article 8 (art. 8) garantissait à ces derniers. A cette occasion, la Cour a jugé que "la législation elle-même crée par sa simple existence, pour tous ceux auxquels on pourrait l'appliquer, une menace de surveillance entravant forcément la liberté de communication entre usagers des services des postes et télécommunications et constituant par là une "ingérence d'une autorité publique" dans l'exercice du droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale ainsi que de leur correspondance" (p. 21, par. 41). La Cour rappelle au surplus que, dans l'arrêt Malone précité, elle a non seulement conclu qu'une conversation téléphonique du requérant avait été interceptée à la demande de la police sous couvert d'un mandat du ministre de l'Intérieur, mais également constaté que "l'existence en Angleterre et au pays de Galles de lois et pratiques autorisant et instaurant un système de surveillance secrète des communications constituait en soi une "ingérence" (pp. 30-31, par. 64).
57. Cependant, contrairement aux requérants en l'affaire Klass et autres (arrêt précité, p. 20, par. 38), Mme Halford fait valoir en substance que ce n'est pas l'existence même de lois et pratiques reconnues autorisant une surveillance secrète qui menace les droits que lui reconnaît l'article 8 (art. 8), mais qu'elle a réellement subi de telles mesures de surveillance. De plus, elle allègue que la police de Merseyside a intercepté ses appels illégalement, dans un but non autorisé par la loi de 1985 (paragraphes 26 et 53 ci-dessus). Dans ces conditions, étant donné que la requérante se plaint de mesures concrètes d'interception téléphonique non conformes à la loi, la Cour doit se convaincre de l'existence d'une probabilité raisonnable que l'intéressée ait fait l'objet d'une telle mesure.
58. A cet égard, la Cour note tout d'abord que la Commission - organe auquel le système de la Convention confie en premier lieu l'établissement et la vérification des faits (voir, par exemple, l'arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2272, par. 38) - a estimé qu'il ne ressortait pas avec une probabilité raisonnable des éléments qui lui avaient été soumis que des appels passés par la requérante sur le téléphone de son domicile avaient été interceptés (rapport de la Commission, paragraphe 65).
59. La Cour relève que le seul élément de preuve donnant à penser qu'ont été interceptés des appels passés sur le téléphone du domicile de Mme Halford, en plus de ceux effectués de son bureau, consiste en l'information selon laquelle des policiers de Merseyside auraient été découverts en train de vérifier des transcriptions de conversations téléphoniques. La requérante a fourni à la Cour des précisions au sujet de cette découverte, à savoir qu'elle est intervenue après sa propre suspension de fonctions (paragraphe 17 ci-dessus). Or la Cour note que cette information n'est pas totalement fiable car la requérante n'en a pas révélé la source. En outre, même en la supposant vraie, ce n'est pas parce que la police a été surprise en train de vérifier des transcriptions de conversations téléphoniques de l'intéressée à une date postérieure à sa suspension, qu'il faut nécessairement en conclure qu'il s'agissait de transcriptions de communications émanant de son domicile.
60. Ayant étudié l'ensemble des preuves, la Cour ne juge pas établi qu'il y ait eu ingérence dans le droit de Mme Halford au respect de sa vie privée et de sa correspondance en ce qui concerne le téléphone de son domicile. Eu égard à cette conclusion, la Cour estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention (art. 8) pour ce qui est des appels téléphoniques passés par Mme Halford sur le téléphone de son domicile.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION (art. 13)
61. Mme Halford allègue en outre avoir été privée d'un recours effectif en droit interne pour exposer ses griefs, au mépris de l'article 13 de la Convention (art. 13), ainsi libellé: "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles." A. Les téléphones de bureau
62. La requérante, rejointe en cela par la Commission, fait valoir qu'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13) en ce que le droit interne n'offre aucune voie de recours pour se plaindre de l'interception d'appels émis sur des systèmes de télécommunications indépendants du réseau public.
63. Le Gouvernement soutient que l'article 13 (art. 13) ne trouve pas à s'appliquer car Mme Halford n'a pas présenté de "grief défendable" relatif à une violation des articles 8 ou 10 de la Convention (art. 8, art. 10). A titre subsidiaire, il avance qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de cette disposition (art. 13) quant aux téléphones de bureau.
64. La Cour rappelle que l'article 13 (art. 13) a pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant l'instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition (art. 13) (arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, par. 145). Toutefois, un tel recours n'est requis que pour les griefs pouvant passer pour "défendables" au regard de la Convention.
65. La Cour observe que la doléance de Mme Halford selon laquelle des écoutes avaient été pratiquées sur ses téléphones de bureau, en violation de l'article 8 de la Convention (art. 8), revêtait sans conteste un caractère "défendable" (paragraphes 42-51 ci-dessus). Elle était donc en droit de bénéficier d'un recours interne effectif au sens de l'article 13 (art. 13). Néanmoins, comme le Gouvernement l'a concédé à propos de l'article 8 de la Convention (art. 8) (paragraphe 50 ci-dessus), le droit britannique ne comporte aucune disposition réglementant les interceptions d'appels téléphoniques transmis par des réseaux internes de communications exploités par des autorités publiques telles que la police de Merseyside. La requérante n'a donc pas été en mesure d'obtenir un redressement devant une instance nationale pour ce qui est de son grief relatif à ses téléphones de bureau. Partant, il y a eu violation de l'article 13 de la Convention (art. 13) quant aux téléphones situés dans le bureau de l'intéressée. B. Le téléphone du domicile
66. La requérante se plaint aussi de n'avoir disposé d'aucun recours pour dénoncer l'interception de communications téléphoniques passées de chez elle, à laquelle la police aurait procédé sans mandat. Elle invoque le premier rapport du commissaire nommé en vertu de la loi de 1985 (paragraphes 33-34 ci-dessus), où celui-ci indique "qu'il ne s'occupait pas de [l'infraction d'interception illégale créée par la loi de 1985 et qu'il ne pouvait] par définition savoir, ni n'avait les moyens de découvrir, s'il y avait eu interception illégale (...). Cette tâche incombe à la police" (loi de 1985 sur l'interception de communications, rapport du commissaire pour 1986, Cm 108, p. 2, par. 3).
67. Le Gouvernement plaide que Mme Halford n'a pas établi l'existence d'un grief défendable de violation de la Convention quant aux écoutes pratiquées sur le téléphone de son domicile. A titre subsidiaire, il soutient que l'ensemble des recours dont elle pouvait se prévaloir, y compris ceux prévus par la loi de 1985 (paragraphe 31 ci-dessus), était suffisant pour satisfaire aux exigences de l'article 13 (art. 13).
68. Ayant conclu à l'absence de probabilité raisonnable que des écoutes aient été opérées sur les communications téléphoniques passées par Mme Halford de son domicile, la Commission estime que l'intéressée n'avait pas de grief défendable appelant un recours au titre de l'article 13 (art. 13).
69. La Cour rappelle que, pour conclure à l'existence d'une "ingérence", au sens de l'article 8 (art. 8), en ce qui concerne le téléphone du domicile de Mme Halford, elle doit être convaincue de l'existence d'une probabilité raisonnable que la requérante a fait l'objet de mesures de surveillance (paragraphe 57 ci-dessus). Elle renvoie de surcroît à son appréciation des éléments de preuve soumis par la requérante pour étayer son allégation selon laquelle des appels émanant du téléphone de son domicile ont été interceptés (paragraphes 58-60 ci-dessus).
70. La Cour considère que ces preuves ne sont pas suffisantes pour fonder un grief "défendable" au sens de l'article 13 (art. 13) (paragraphe 64 ci-dessus). Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention (art. 13) quant au grief de la requérante relatif au téléphone de son domicile.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 10 ET 14 DE LA CONVENTION (art. 10, art. 14)
71. Dans sa requête à la Commission, Mme Halford se plaignait de ce que l'interception d'appels téléphoniques provenant tant de son domicile que de son bureau avait emporté violation des articles 10 et 14 de la Convention (art. 10, art. 14). Devant la Cour, elle a toutefois reconnu qu'il pouvait ne pas se révéler nécessaire d'examiner sous l'angle de ces dispositions (art. 10, art. 14) des questions déjà étudiées au titre de l'article 8 (art. 8). L'article 10 de la Convention (art. 10) dispose, en ses passages pertinents: "1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (...) 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire." L'article 14 (art. 14) est ainsi libellé: "La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
72. La Cour considère que les allégations ayant trait aux articles 10 et 14 (art. 10, art. 14) s'analysent en une répétition de celles présentées sur le terrain de l'article 8 (art. 8). Dès lors, il n'y a pas lieu de les examiner séparément.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA CONVENTION (art. 50)
73. Mme Halford prie la Cour de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention (art. 50), ainsi libellé: "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Préjudice moral
74. Mme Halford sollicite une réparation pour les intrusions subies dans l'intimité de sa vie privée et pour le désarroi qui en est résulté. Elle indique à la Cour qu'en 1992, elle a dû suivre un traitement médical pour tension nerveuse.
75. Le Gouvernement fait valoir qu'aucun lien de causalité n'a été établi entre la tension éprouvée par la requérante à l'époque de la procédure devant le tribunal du travail et l'écoute de ses conversations téléphoniques.
76. La Cour estime que les événements en cause ont provoqué une ingérence grave dans les droits de Mme Halford par le fait des personnes concernées, étant donné que l'interception des appels passés par celle-ci sur les téléphones du bureau qu'elle occupait dans les locaux de la police de Merseyside, ne tombant sous le coup d'aucune clause du droit interne, semble avoir été menée par la police principalement dans le but de rassembler des éléments à utiliser contre l'intéressée au cours de la procédure pour discrimination fondée sur le sexe. En revanche, rien ne prouve que la tension dont Mme Halford a souffert ait résulté directement de l'interception de ses communications plutôt que des autres conflits qui l'opposaient à la police de Merseyside. Tout bien considéré, la Cour estime que la somme de 10 000 GBP représente une réparation équitable du préjudice moral subi par la requérante. B. Préjudice matériel
77. Mme Halford demande le remboursement des dépenses qu'elle a personnellement exposées pour la procédure de Strasbourg, qui seraient de l'ordre de 1 000 à 1 250 GBP.
78. Le Gouvernement admet qu'il convient d'accorder à la requérante une certaine somme pour couvrir ses frais en vue de se rendre à l'audience de la Cour. Cependant, il relève que Mme Halford n'a produit aucun justificatif de ses autres dépenses.
79. Etant donné que Mme Halford n'a fourni aucun justificatif de ses frais mais qu'elle a assurément assisté à l'audience, la Cour décide de lui allouer 600 GBP de ce chef. C. Frais et dépens
80. La requérante réclame aussi le remboursement de ses frais de solicitors et d'avocat. Ses solicitors ont demandé des honoraires sur la base de 239 GBP l'heure. Ils ont estimé avoir consacré à la procédure de Strasbourg l'équivalent de 500 heures de travail et sollicitent ainsi 119 500 GBP (hors taxe sur la valeur ajoutée, "TVA"), ainsi que 7 500 GBP (hors TVA) pour frais divers. Les honoraires du conseil s'élèvent à 14 875 GBP et ses débours à 1 000 GBP (hors TVA).
81. Le Gouvernement trouve trop élevé le taux horaire demandé par les solicitors de Mme Halford; pour la procédure interne, le taux applicable serait de 120 à 150 GBP l'heure. De plus, il estime que l'affaire ne nécessitait pas 500 heures de travail. A titre d'exemple, il fait observer que le solicitor de la requérante a pris le parti de soumettre un mémoire de 200 pages environ, assorti de 500 pages d'annexes se composant pour l'essentiel d'informations dépourvues de pertinence ou n'ayant qu'un rapport lointain avec l'affaire, alors que celle-ci ne soulevait qu'un nombre limité de questions. Selon lui, une somme de 25 000 GBP environ pour couvrir l'ensemble des frais suffirait amplement.
82. Vu la nature des questions que soulève l'espèce, la Cour n'est pas convaincue que les montants revendiqués par la requérante aient été nécessairement exposés ou soient d'un montant raisonnable (voir, par exemple, l'arrêt Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2070, par. 93). Statuant en équité, elle octroie 25 000 GBP de ce chef, plus tout montant pouvant être dû au titre de la TVA. D. Intérêts moratoires
83. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux légal applicable au Royaume-Uni à la date d'adoption du présent arrêt est de 8% l'an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l'unanimité, que l'article 8 de la Convention (art. 8) est applicable aux griefs relatifs tant aux téléphones de bureau qu'à celui du domicile;
2. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 8 (art. 8) en ce qui concerne les appels passés par la requérante sur les téléphones de son bureau;
3. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 (art. 8) en ce qui concerne les appels passés par la requérante sur le téléphone de son domicile;
4. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention (art. 13) en ce qui concerne le grief de la requérante relatif à ses téléphones de bureau;
5. Dit, par huit voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 (art. 13) en ce qui concerne le grief de la requérante relatif au téléphone de son domicile;
6. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner les doléances tirées des articles 10 et 14 de la Convention (art. 10, art. 14);
7. Dit, à l'unanimité, a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 10 600 (dix mille six cents) livres sterling pour dommage matériel et moral; b) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 25 000 (vingt-cinq mille) livres sterling pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la TVA; c) que ce montant sera à majorer d'un intérêt simple de 8% l'an, à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 25 juin 1997.
Signé: Rudolf BERNHARDT Président
Signé: Herbert PETZOLD Greffier Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 de la Convention (art. 51-2) et 53 par. 2 du règlement A, l'exposé de l'opinion dissidente de M. Russo.
Paraphé: R. B.
Paraphé: H. P. OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RUSSO (Traduction) Je ne souscris pas à la conclusion de la Cour selon laquelle il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention (art. 13) en ce qui concerne le grief de la requérante relatif à l'interception des appels émanant du téléphone de son domicile. Tout en admettant que l'ingérence dans les droits que lui reconnaît l'article 8 (art. 8) n'a pas été établie pour ce qui est du téléphone de son domicile, je note que son grief à cet égard a été déclaré recevable par la Commission et examiné par la Commission et la Cour. Selon moi, on ne saurait donc dire que son grief selon lequel elle avait subi une violation de l'article 8 (art. 8) en ce qui concerne le téléphone de son domicile ne revêtait pas un caractère "défendable" (voir, par exemple, l'arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 30, par. 79). Il s'ensuit que Mme Halford avait droit à un recours interne effectif pour exposer ce grief. Or je ne suis pas convaincu qu'elle ait bénéficié d'un tel recours.


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 20605/92
Date de la décision : 25/06/1997
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 8 ; Violation de l'art. 13 ; Non-lieu à examiner l'art. 10 ; Non-lieu à examiner l'art. 14 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 10-1) AUTORITE PUBLIQUE, (Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 13) GRIEF DEFENDABLE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : HALFORD
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1997-06-25;20605.92 ?
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