La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/02/1998 | CEDH | N°23372/94;26377/94;26378/94

CEDH | AFFAIRE LARISSIS ET AUTRES c. GRÈCE


AFFAIRE LARISSIS ET AUTRES c. GRÈCE
(140/1996/759/958–960)
ARRÊT
STRASBOURG
24 février 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
Liste des agents de vente
Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
  B-1000

Bruxelles)
Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
  (place de...

AFFAIRE LARISSIS ET AUTRES c. GRÈCE
(140/1996/759/958–960)
ARRÊT
STRASBOURG
24 février 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
Liste des agents de vente
Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
  B-1000 Bruxelles)
Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
  (place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)
Pays-Bas : B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat
  A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC La Haye) 
SOMMAIRE1
Arrêt rendu par une chambre
Grèce – condamnation d'officiers de l'armée de l'air pour prosélytisme (article 4 de la loi n° 1363/1938)
I. Article 7 de la Convention
Situation : état du droit grec pas devenu moins précis depuis l'arrêt Kokkinakis c. Grèce rendu par la Cour et disant que la définition du prosélytisme satisfait aux conditions de sécurité et de prévisibilité fixées à l'article 7.
Conclusion : non-violation (huit voix contre une).
II. Article 9 de la Convention
A. Ingérence
Non contesté que poursuite, condamnation et sanction des requérants s'analysent en des ingérences dans l'exercice du droit garanti par l'article 9.
B. « Prévue par la loi »
Les mesures étaient « prévues par la loi », pour la même raison que celle à l'appui du constat de non-violation de l'article 7.
C. But légitime
Protéger les droits et libertés d'autrui.
D. « Nécessaire dans une société démocratique »
1. Principes généraux
Réaffirmation des principes énoncés dans l'arrêt Kokkinakis c. Grèce.
2. Prosélytisme envers les soldats
La Convention vaut en principe pour les forces armées – à cause de la structure hiérarchique des forces armées, un subordonné a du mal à se soustraire à une conversation engagée par son supérieur, ce qui comporte un risque de harcèlement – les Etats peuvent donc être fondés à prendre des mesures particulières pour protéger les droits des subordonnés.
Preuves que trois soldats se sont sentis obligés de prendre part à des discussions religieuses avec les requérants, leurs supérieurs – mesures prises pas particulièrement sévères – non disproportionnées.
Conclusion : non-violation s'agissant des mesures prises pour prosélytisme envers les soldats Antoniadis et Kokkalis (huit voix contre une) ; non-violation s'agissant des mesures prises pour prosélytisme envers le soldat Kafkas (sept voix contre deux).
3. Prosélytisme envers les civils
Aucune preuve que les civils aient fait l'objet de pressions abusives. Donc, mesures injustifiées.
Conclusion : violation (sept voix contre deux).
III. Article 10 de la Convention
Conclusion : pas de question distincte (unanimité).
IV. Articles 14 et 9 de la Convention
Aucune preuve que la loi ait été appliquée de manière discriminatoire.
Conclusion : non-violation s'agissant du prosélytisme envers les soldats (unanimité) ; aucune question distincte s'agissant du prosélytisme à l'égard des civils (unanimité).
V. Article 50 de la Convention
Tort moral : octroi d'une indemnité.
Frais et dépens : remboursement partiel.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser certaines sommes aux requérants (sept voix contre deux).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
8.6.1976, Engel et autres c. Pays-Bas ; 26.4.1979, Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1) ; 25.5.1993, Kokkinakis c. Grèce ; 25.11.1997, Grigoriades c. Grèce
En l'affaire Larissis et autres c. Grèce2,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A3, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. F. Gölcüklü, président,
R. Macdonald,
J. De Meyer,
N. Valticos,
R. Pekkanen,
J.M. Morenilla,
B. Repik,
P. Kūris,
P. van Dijk,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 septembre 1997 et 30 janvier 1998,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 28 octobre 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention.  A son origine se trouvent trois requêtes (nos 23372/94, 26377/94 et 26378/94) dirigées contre la République hellénique et dont trois ressortissants de cet Etat, M. Dimitrios Larissis, M. Savvas Mandalarides et M. Ioannis Sarandis, avaient saisi la Commission le 28 janvier 1994 en vertu de l'article 25.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48, ainsi qu'à la déclaration grecque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 7, 9, 10 et 14 de la Convention.
2.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, les requérants ont manifesté le désir de participer à l'instance et désigné leur conseil (article 30).
3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge élu de nationalité grecque (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 29 octobre 1996, celui-ci a tiré au sort en présence du greffier le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, R. Macdonald, J. De Meyer, R. Pekkanen, D. Gotchev, P. Kūris et P. van Dijk (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A). Ultérieurement, M. B. Repik, suppléant, a remplacé M. Gotchev, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement A).
4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement grec (« le Gouvernement »), le représentant des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et des requérants respectivement le 27 et le 28 mai 1997.
5.  Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats ont eu lieu en public le 22 septembre 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu : 
– pour le Gouvernement  M. P. Georgakopoulos, conseiller     auprès du Conseil juridique de l'Etat, agent,  Mme K. Grigoriou, auditeur      auprès du Conseil juridique de l'Etat, conseil ;
– pour la Commission  M. D. Šváby, délégué ;
– pour les requérants  MM. J.W. Montgomery, Barrister-at-Law, conseil,     A. Dos santos, conseiller.
La Cour a entendu M. Šváby, M. Montgomery et Mme Grigoriou.
6.  Par la suite, M. Gölcüklü a remplacé M. Ryssdal, empêché, à la présidence de la chambre, et M. J.M. Morenilla, suppléant, est devenu membre titulaire de la chambre.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE
7.  Le premier requérant, M. Dimitrios Larissis, né en 1949, habite Tanagra Viotias. Le deuxième, M. Savvas Mandalarides, né en 1948, habite Agria Volou. Le troisième, M. Ioannis Sarandis, né en 1951, habite Kamatero Attikis.
A l'époque des événements en cause, ils servaient tous les trois comme officiers dans la même unité de l'armée de l'air grecque. Ils étaient adeptes de l'Eglise pentecôtiste, confession chrétienne protestante qui adhère au principe selon lequel tous les croyants doivent évangéliser.
A. Les actes allégués de prosélytisme
1. Le prosélytisme allégué des premier et deuxième requérants envers le soldat Georgios Antoniadis
8.  Dans la déposition qu'il fit aux fins des poursuites dirigées contre les requérants (paragraphe 13 ci-dessous), le soldat Antoniadis déclara qu'il avait été muté à l'unité des intéressés en 1986, deux mois après s'être engagé dans l'armée de l'air, et avait été placé sous le commandement du deuxième requérant au service des transmissions. A quelque sept reprises les premier et deuxième requérants le mêlèrent à des discussions religieuses, lisant à haute voix des extraits de la Bible et l'encourageant à adhérer aux croyances de l'Eglise pentecôtiste. Le deuxième requérant lui dit que certains membres de la secte pouvaient s'exprimer dans des langues étrangères avec l'assistance de la puissance divine. A chaque fois que le soldat Antoniadis revenait de permission, le deuxième requérant lui demandait s'il s'était rendu à l'église pentecôtiste. Le soldat affirma qu'il se sentait obligé de prendre part à ces discussions parce que les requérants étaient ses supérieurs.
2. Le prosélytisme allégué des premier et troisième requérants envers le soldat Athanassios Kokkalis
9.  Dans sa déposition devant le tribunal militaire permanent de l'armée de l'air d'Athènes (paragraphe 13 ci-dessous), le soldat Kokkalis certifia qu'il avait servi dans l'unité des requérants entre le printemps 1987 et octobre 1988, encore qu'il ne fût placé directement sous les ordres d'aucun d'entre eux. A cette époque, le premier requérant le mêla à des discussions théologiques à quelque trente occasions, et le troisième une cinquantaine de fois, en cachant d'abord qu'ils n'étaient pas des chrétiens orthodoxes mais critiquant par la suite certains dogmes de cette foi et exhortant le soldat Kokkalis à adhérer à leurs croyances. Le troisième requérant lui demanda à plusieurs reprises de se rendre à l'église pentecôtiste à Larissa quand il serait en permission, lui affirmant que des miracles s'y produisaient et notamment que les croyants y acquéraient la capacité de s'exprimer dans des langues étrangères ; il lui donna à lire le journal Christianismos. Les requérants étaient de très bons officiers et étaient toujours polis avec lui ; la manière dont ils l'abordaient l'ennuyait néanmoins.
3. Le prosélytisme allégué des premier et troisième requérants envers le soldat Nikolaos Kafkas
10.  Le soldat Nikolaos Kafkas ne put témoigner à l'audience en première instance parce que son épouse était souffrante, mais il déclara devant la cour d'appel militaire (paragraphe 21 ci-dessous) qu'il avait servi de l'hiver 1988 à août 1989 dans la même unité que les requérants, sous les ordres du troisième d'entre eux. Les intéressés n'avaient exercé aucune pression sur lui pour qu'il devînt membre de l'Eglise pentecôtiste. C'était lui qui avait abordé le troisième requérant pour lui demander pourquoi il était si serein, à quoi celui-ci lui avait répondu que c'était grâce à la lecture de l'Evangile. Les deux requérants lui avaient suggéré de lire la Bible. Ce faisant, il avait constaté un certain nombre de divergences entre les enseignements de l'Eglise orthodoxe et la Bible. Il n'avait eu aucune discussion sur les Eglises orthodoxe et pentecôtiste avec les requérants, mais s'était adressé à eux lorsqu'il avait des questions sur la Bible et leurs réponses lui avaient toujours paru convaincantes. Les deux requérants ne lui avaient jamais donné de littérature à lire ni ordonné de se rendre à l'église pentecôtiste. Le troisième requérant ne l'avait jamais autorisé à s'absenter pour des raisons liées à l'église ; il s'y était rendu pour la première fois en septembre 1989, après la fin de son service militaire.
M. Alexandros Kafkas, père du soldat Kafkas, déclara au tribunal que son fils s'était converti de l'Eglise orthodoxe à l'Eglise pentecôtiste alors qu'il servait sous les ordres du troisième requérant. Peu après son incorporation dans cette unité, il changea de comportement. Il cessa de voir ses amis et se mit à lire la Bible pendant de longues heures dans sa chambre et à écouter des sermons enregistrés. Il rapporta chez lui les postes de télévision et de radio qu'il avait à la caserne. Il rapporta également les manuels qu'il étudiait pour préparer les examens nécessaires à son admission à l'université. Il dit à son père qu'il avait rencontré deux officiers qui, contrairement à celui-ci, étaient de véritables chrétiens. Lorsque ses parents le suivirent lors d'une de ses visites à l'église pentecôtiste, il quitta son domicile et se rendit à Athènes. Vingt jours plus tard, il rentra chez lui et regagna l'Eglise orthodoxe. Il expliqua à son père que les premier et troisième requérants l'avaient converti au pentecôtisme. Ils avaient profité de leur grade pour faire pression sur lui en utilisant leurs talents particuliers de persuasion. Ils lui avaient dit qu'il obtiendrait une permission s'il promettait de se rendre à leur église. Lors d'un voyage d'Alexandros Kafkas, Nikolaos se convertit de nouveau au pentecôtisme. Son père conclut qu'il n'avait pas de volonté et ne faisait qu'obéir aux autres membres de l'Eglise pentecôtiste.
4. Le prosélystisme allégué du deuxième requérant envers la famille Baïramis et ses voisins
11.  D'après la déclaration du capitaine Ilias Baïramis, son beau-frère, M. Charalampos Apostolidis, membre de l'Eglise pentecôtiste, s'en prit un jour à sa femme et, écumant de rage, lui dit qu'il voyait Satan en elle. On appela le deuxième requérant et dès son arrivée, M. Apostolidis s'apaisa. Le deuxième requérant fit un sermon aux membres de la famille Baïramis et à certains de ses voisins venus voir ce qui se passait, sur quoi il les exhorta à se convertir à la religion pentecôtiste.
5. Le prosélytisme allégué des deuxième et troisième requérants envers Mme Anastassia Zounara
12.  Dans une déclaration préparée aux fins d'une enquête administrative dirigée contre les requérants, Mme Anastassia Zounara expliqua que son mari avait adhéré à l'Eglise pentecôtiste, ce qui entraîna une rupture de la vie familiale. Afin de comprendre le comportement de son mari, Mme Zounara se rendit à l'église pentecôtiste et au domicile des requérants plusieurs fois en quelque cinq mois. A cette époque, les intéressés, en particulier le deuxième et le troisième, venaient souvent la voir et la pressaient d'adhérer à leur Eglise. Ils affirmaient avoir reçu des signes de Dieu et pouvoir prédire l'avenir ; ils prétendaient aussi que Mme Zounara et ses enfants étaient possédés du démon. Elle finit par avoir des problèmes psychologiques et brisa tous liens avec les requérants et l'Eglise pentecôtiste.
B.  Le procès en première instance
13.  Le 18 mai 1992, les requérants comparurent devant le tribunal permanent de l'armée de l'air (Diarkes Stratodikio Aeroporias) d'Athènes, composé d'un officier juriste et de quatre autres officiers. Ils étaient jugés pour divers délits de prosélytisme au regard de l'article 4 de la loi n° 1363/1938, tel que modifié (« l'article 4 » ; paragraphe 27 ci-dessous).
14.  Par un jugement (n° 209/92) rendu le jour de l'audience, le tribunal écarta l'exception d'inconstitutionnalité de la loi sur le prosélytisme soulevée par la défense. Il estima qu'aucune question ne pouvait se poser en vertu du principe nullum crimen sine lege certa au motif que le droit pénal ne donnait pas une liste exhaustive des moyens susceptibles d'être utilisés pour pénétrer la conscience religieuse d'autrui. Le tribunal jugea les requérants coupables de prosélytisme. Il déclara notamment ce qui suit.
1. Le premier requérant
15.  Le tribunal releva ceci à propos du premier requérant :
« Le prévenu, alors qu'il était officier dans l'armée de l'air, (...), dans l'unité X, s'est livré au prosélytisme entre novembre 1986 et décembre 1987 dans l'enceinte militaire où était basée cette unité, par plusieurs actes constituant cependant une infraction unique, mais continue, aux dispositions pénales pertinentes ; agissant dans le but de pénétrer la conscience religieuse, pour en modifier le contenu, du soldat Georgios Antoniadis, chrétien orthodoxe affecté à la même unité, et abusant de la confiance que ce dernier, qui était sous ses ordres, plaçait en lui, le prévenu a tenté en une vingtaine d'occasions de convaincre le soldat Antoniadis de devenir membre de la secte de l'Eglise pentecôtiste, en engageant avec lui des discussions théologiques au cours desquelles il contestait la justesse des enseignements de la faculté de théologie sur Dieu et le dogme orthodoxe, encourageait le soldat Antoniadis à lire la Bible à la lumière de ses propres convictions pentecôtistes, mettait en doute les traditions sacrées et recommandait à Georgios Antoniadis de se rendre à l'église de la secte, à Athènes.
Dans la même qualité, le prévenu s'est livré au prosélytisme entre mai 1987 et février 1988, par plusieurs actes constituant cependant une infraction unique, mais continue, aux dispositions pénales pertinentes ; agissant dans le but de pénétrer la conscience religieuse, pour en modifier le contenu, du soldat Athanassios Kokkalis, chrétien orthodoxe affecté à la même unité, le prévenu a tenté en une trentaine d'occasions de convaincre celui-ci de devenir membre de la secte de l'Eglise pentecôtiste en engageant avec lui, de manière insistante et importune, des discussions sur la justesse de ses convictions pentecôtistes, au cours desquelles il mettait en doute la sainteté de l'Eglise chrétienne orthodoxe et invitait le soldat Kokkalis à écouter des enregistrements des préceptes de la secte pentecôtiste, profitant de la confiance inhérente à la relation entre un subordonné et son supérieur ainsi que de la naïveté et de l'inexpérience du jeune soldat, à qui il affirmait que, dans son Eglise, certaines personnes se mettaient à parler en langues étrangères sous l'influence du Saint-Esprit.
Dans la même qualité, le prévenu s'est livré au prosélytisme entre le printemps 1989 et le 18 août 1989 dans l'enceinte susmentionnée (…) ; agissant dans le but de pénétrer la conscience religieuse, pour en modifier le contenu, du soldat Nikolaos Kafkas, qui servait sous ses ordres dans la même unité, et profitant de la confiance inhérente à la relation entre un subordonné et son supérieur ainsi que de la naïveté et de l'inexpérience du jeune soldat, le prévenu a tenté de convaincre celui-ci de devenir membre de la secte de l'Eglise pentecôtiste en lui exposant de manière incessante, insistante et importune ses vues sur la secte en question, en lui lisant et expliquant constamment la Bible à la lumière de ses propres convictions et en lui fournissant des exemplaires d'une publication de son dogme, intitulée Christianismos. Le prévenu a réussi à convertir le soldat Kafkas en profitant de l'inexpérience de celui-ci quant aux questions théologiques et de l'influence qu'il avait sur lui du fait de sa position et de son grade. »
Le tribunal jugea également que le premier requérant s'était livré au prosélytisme à l'égard d'un autre soldat, Stefanos Voikos.
16.  Le tribunal infligea au premier requérant une peine d'emprisonnement de cinq mois  pour prosélytisme envers le soldat Antoniadis, de cinq mois pour prosélytisme envers le soldat Kokkalis, de cinq mois pour prosélytisme envers le soldat Voikos, et de sept mois pour prosélytisme envers le soldat Kafkas. Certaines des périodes dont il s'agit coïncidant, l'intéressé fut condamné à une peine de treize mois d'emprisonnement au total. Le tribunal ordonna la conversion de ces peines en amendes et le sursis à exécution si le requérant ne récidivait pas dans les trois ans.
2. Le deuxième requérant
17.  En ce qui concerne le deuxième requérant, le tribunal déclara :
« Le prévenu, alors qu'il était officier dans l'armée de l'air, (...), dans l'unité X, s'est livré au prosélytisme entre novembre 1986 et décembre 1987 dans l'enceinte militaire où était basée cette unité, par plusieurs actes constituant (…) une infraction unique, mais continue, aux dispositions pénales pertinentes ; profitant de l'autorité qu'il pouvait exercer, de par la différence de grade, sur le soldat Georgiades Antoniadis, affecté à la même unité, le prévenu a tenté à sept occasions environ, à des dates non précisées, de pénétrer la conscience religieuse du soldat Antoniadis, pour en modifier le contenu, au moyen de discussions habilement menées sur la religion et d'exhortations pressantes ; le prévenu a instamment demandé au soldat Antoniadis, en raison de son jeune âge, de ne lire que l'Evangile car il y trouverait la vérité, différente du dogme orthodoxe ; il a également essayé, par une interprétation habile d'extraits de l'Evangile conformes aux convictions de la secte pentecôtiste, de convaincre le soldat Antoniadis que la foi orthodoxe n'était pas juste, qu'il devait adopter ses propres convictions, l'exhortant en même temps à se rendre à l'église de la secte pentecôtiste, à Athènes, à l'occasion d'une permission.
Le prévenu s'est également livré au prosélytisme à Vólos, à une date non précisée en 1988 (…) ; profitant de l'inexpérience et de la faiblesse intellectuelle de Mme Anastassia Zounara, il a tenté à plusieurs reprises, à des dates non précisées, de pénétrer la conscience religieuse de cette dernière, pour en modifier le contenu, par une analyse adroite des convictions pentecôtistes et des différences qu'elles présentaient par rapport à la foi orthodoxe, s'étendant sur la justesse des premières ; il a tenté avec insistance de convaincre A. Zounara que les adeptes de l'Eglise pentecôtiste portaient la marque de Dieu, qu'ils avaient le don de prophétie, qu'A. Zounara et ses enfants étaient possédés par le démon, que le démon luttait pour garder le contrôle qu'il avait sur elle, qu'A. Zounara adorait des idoles et des démons et que c'était l'Eglise pentecôtiste qui détenait la vérité ; le prévenu a également vivement engagé A. Zounara à se faire baptiser et devenir membre de l'Eglise pentecôtiste.
Le prévenu s'est également livré au prosélytisme à Vólos, à une date non précisée, vers le début du mois de juin 1989 ; appelé par un autre officier, le capitaine Ilias Baïramis, il s'est rendu au domicile de M. Apostolos Baïramis, le frère du capitaine Baïramis, où M. Charalampos Apostolidis, beau-frère d'A. et I. Baïramis et adepte de la secte de l'Eglise pentecôtiste, était en transe sous l'influence de ses convictions religieuses, l'écume aux lèvres, invoquant le nom du Christ et disant : « Merci Jésus, parce que la vérité m'a été révélée, je vois le démon sur le visage de ma femme et de mes enfants » ; sa simple apparition ayant calmé M. Apostolidis, le prévenu a habilement profité de cet incident pour tenter de pénétrer la conscience religieuse, pour en modifier le contenu, d'Apostolos Baïramis et de Marigoula, Sotirios et Evangelis Baïrami, qui avaient assisté à l'incident et avaient été impressionnés, ainsi que d'un certain nombre de voisins venus plus tard ; le prévenu a longuement prêché devant eux les préceptes de la secte de l'Eglise pentecôtiste, leur affirmant notamment que c'était son Eglise qui détenait la vérité et non la religion orthodoxe, qu'en 1992, ce serait la fin du monde et que l'Eglise serait « capturée » ; le prévenu les a engagés de façon insistante et importune à croire au vrai Christ et leur a déclaré qu'ils avaient pris parti pour le démon, puisqu'ils étaient chrétiens orthodoxes. »
18.  Le deuxième requérant fut condamné respectivement à cinq mois, cinq mois et huit mois d'emprisonnement pour prosélytisme à l'égard du soldat Antoniadis, de Mme Zounara et de la famille Baïramis et ses voisins, mais la peine globale fut de douze mois seulement. Le tribunal décida de convertir ces peines en amendes et de surseoir à l'exécution si l'intéressé ne récidivait pas dans les trois ans.
3. Le troisième requérant
19.  Quant au troisième requérant, le tribunal parvint aux conclusions suivantes :
« Le prévenu, alors qu'il était officier dans l'armée de l'air, (...), dans l'unité X, s'est livré au prosélytisme entre mai 1987 et février 1988 dans l'enceinte militaire où était basée cette unité, par plusieurs actes (…) constituant cependant une infraction unique, mais continue, aux dispositions pénales pertinentes ; agissant dans le but de pénétrer la conscience religieuse, pour en modifier le contenu, du soldat Athanassios Kokkalis, chrétien orthodoxe affecté à la même unité, et profitant de la confiance inhérente à la relation entre un subordonné et son supérieur, le prévenu a tenté à plus de cinquante reprises de convaincre le soldat Kokkalis que les enseignements de la foi orthodoxe n'étaient pas justes sur plusieurs points, notamment la virginité de la Sainte Vierge, la hiérarchie du clergé, le pouvoir du Saint-Esprit, etc. ; le prévenu engageait avec le soldat Kokkalis des discussions incessantes et importunes sur les préceptes de la secte de l'Eglise pentecôtiste, dont il était membre ; il déclarait au soldat Kokkalis que c'étaient les enseignements de la secte qui étaient justes, et non ceux de l'Eglise orthodoxe, et l'invitait instamment à se rendre à Larissa, dans un lieu de réunion des pentecôtistes, et à devenir un de leurs adeptes ; le prévenu a également donné au soldat Kokkalis un exemplaire d'une publication des pentecôtistes intitulée Christianismos ; au cours des conversations susmentionnées, le prévenu a délibérément omis d'informer le soldat Kokkalis qu'il était membre de la secte pentecôtiste.
Dans la même qualité, le prévenu s'est livré au prosélytisme pendant quatre ou cinq mois en 1988, sur les mêmes lieux (…) ; agissant dans le but de pénétrer la conscience religieuse, pour en modifier le contenu, de Mme Anastassia Zounara, chrétienne orthodoxe, et profitant habilement de son inexpérience quant aux questions religieuses et de sa faiblesse intellectuelle, due à son faible niveau d'instruction, le prévenu a importunément tenté de la convaincre de se faire baptiser et de devenir membre de la secte de l'Eglise pentecôtiste, en lui répétant constamment qu'il portait les signes de Dieu, qu'il pouvait prédire l'avenir et qu'elle était possédée, ainsi que ses enfants ; le prévenu a tenté d'ébranler la foi orthodoxe de Mme Zounara et de la convertir aux préceptes de la secte de l'Eglise pentecôtiste.
Dans la même qualité, le prévenu s'est livré au prosélytisme entre le printemps 1989 et le 18 août 1989, sur les mêmes lieux (…) ; agissant dans le but de pénétrer la conscience religieuse, pour en modifier le contenu, du soldat Nikolaos Kafkas, chrétien orthodoxe affecté à la même unité, et profitant de la confiance inhérente à la relation entre un subordonné et son supérieur ainsi que de la naïveté et de l'inexpérience du jeune soldat, le prévenu a tenté de convaincre celui-ci de devenir membre de la secte de l'Eglise pentecôtiste ; le prévenu procédait de façon incessante, insistante et importune, à l'analyse de ses convictions pentecôtistes, lisait constamment l'Evangile au soldat Kafkas en l'interprétant selon ses propres croyances, donnait au soldat Kafkas des publications de la secte et l'emmenait à son lieu de culte ; le prévenu a réussi à convertir le soldat Kafkas en profitant de l'inexpérience de celui-ci en matière de religion et de l'influence qu'il avait sur lui du fait de sa position et de son grade. »
Le tribunal jugea également que le troisième requérant s'était rendu coupable de prosélytisme à l'égard d'un adjudant, M. Theophilos Tsikas.
20.  Il lui infligea une peine d'emprisonnement de huit mois pour prosélytisme à l'égard du soldat Kokkalis, de cinq mois pour prosélytisme à l'égard de Mme Zounara, de cinq mois pour prosélytisme à l'égard de l'adjudant Tsikas, et de sept mois pour prosélytisme à l'égard du soldat Kafkas, soit une peine globale de quatorze mois d'emprisonnement. Le tribunal décida de convertir ces peines en amendes et de surseoir à l'exécution si le requérant ne récidivait pas dans les trois ans.
C. Le recours devant la cour d'appel militaire
21.  Les requérants saisirent immédiatement la cour d'appel militaire (Anatheoritiko Dikastirio), composée de cinq juges militaires. Leur appel fut examiné le 7 octobre 1992.
22.  Par un arrêt (n° 390/1992) prononcé à l'issue de l'audience, la cour d'appel militaire rejeta le moyen soulevé par la défense selon lequel les prévenus n'avaient fait qu'exercer un droit constitutionnel. Souscrivant au raisonnement du tribunal ayant statué en première instance, elle confirma en outre la plupart des condamnations prononcées. En revanche, elle annula la condamnation du premier requérant pour prosélytisme envers le soldat Voikos et celle du troisième pour prosélytisme envers l'adjudant Tsikas (paragraphes 15 et 19 ci-dessus).
23.  La cour d'appel militaire maintint à l'encontre des premier et troisième requérants les peines infligées par le tribunal pour les condamnations qu'elle confirma. Les peines globales furent toutefois ramenées respectivement à onze et douze mois d'emprisonnement, deux des condamnations ayant été infirmées.
La condamnation du deuxième requérant fut réduite à quatre mois d'emprisonnement pour prosélytisme à l'égard du soldat Antoniadis, à quatre mois pour prosélytisme à l'égard de Mme Zounara, et à six mois pour prosélytisme à l'égard de la famille Baïramis et de ses voisins. Sa peine globale fut ramenée à dix mois d'emprisonnement.
24.  Aucune des peines globales prononcées ne dépassant un an d'emprisonnement, elles furent automatiquement converties en sanctions pécuniaires de 1 000 drachmes par jour. La cour d'appel militaire décida enfin de ne pas appliquer les sanctions pécuniaires sous réserve que les requérants ne récidivent pas au cours des trois années suivantes.
D. Le pourvoi en cassation
25.  Les requérants se pourvurent en cassation.
Dans son arrêt prononcé le 30 juillet 1993 (n° 1266/1993), la Cour de cassation (Arios Pagos) déclara :
« Des dispositions de l'article 4 §§ 1 et 2 de la loi n° 1363/1938 [paragraphe 27 ci-dessous] (…) il résulte que pour que soit constitué le délit de prosélytisme, il doit y avoir tentative directe ou indirecte visant à pénétrer la conscience religieuse d'une personne de confession différente dans le but d'en changer le contenu, pour autant que cette tentative soit engagée par les moyens visés de manière non limitative à l'article susmentionné, à savoir par des prestations de toute sorte ou la promesse de telles prestations ou de secours moral ou matériel, soit par des moyens frauduleux, soit en abusant de son inexpérience ou de sa confiance, soit en profitant de son besoin, sa faiblesse intellectuelle ou sa naïveté.
Les dispositions susvisées de ce même texte légal (…) se concilient parfaitement [avec les dispositions de la Constitution garantissant le principe nullum crimen, nulla poena sine lege] et avec l'article 13 [paragraphe 26 ci-dessous] aux termes duquel toute religion connue est libre, puisque ce même article interdit le prosélytisme (…). La thèse contraire ne saurait pas être fondée sur le fait [qu'en vertu des Constitutions antérieures] (…), l'interdiction du prosélytisme tendait à la protection de la religion qui dominait (et qui domine toujours), alors qu'en vertu de la Constitution actuelle, ladite interdiction s'associe à la liberté de la conscience religieuse, laquelle se rapporte à toute religion connue. Ce raisonnement se concilie indiscutablement aussi bien avec la lettre qu'avec l'esprit général [de l'article 4], en vertu desquels sont protégées du prosélytisme engagé par les moyens illégaux qui y sont rapportés les convictions religieuses de tout individu de confession différente, c'est-à-dire de tous   ceux qui appartiennent à une autre religion ou à un autre dogme que celui de l'auteur du prosélytisme et non pas de ceux qui professent exclusivement les principes de l'Eglise orthodoxe.
D'ailleurs, la liberté de la conscience religieuse et de la pensée qui, en tant que manifestation des droits de l'homme, est prévue, non seulement par la Constitution en vigueur, mais aussi par les dispositions correspondantes aussi bien des articles 18 et 19 de la Déclaration universelle des Nations unies, que des articles 9 et 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ladite liberté ne se trouve en rien affaiblie par les dispositions pénales susvisées, en vertu desquelles ce n'est pas la conviction religieuse de chaque individu, laquelle est entièrement libre, qui est sanctionnée, mais seulement la tentative de la pénétrer dans le but de la modifier, ce qui est totalement incompatible avec la liberté religieuse dont découle l'obligation de respecter les convictions de quiconque est de confession différente. »
La Cour de cassation débouta donc les intéressés.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le droit à la liberté religieuse au regard de la Constitution grecque
26.  L'article 13 de la Constitution grecque est ainsi libellé :
« 1. La liberté de la conscience religieuse est inviolable. La jouissance des droits individuels et politiques ne dépend pas des croyances religieuses de chacun.
2. Toute religion connue est libre ; les pratiques de son culte s'exercent sans entrave sous la protection des lois. L'exercice du culte ne peut pas porter atteinte à l'ordre public ou aux bonnes mœurs. Le prosélytisme est interdit. »
B.  La loi sur le prosélytisme
27.  L'article 4 de la loi n° 1363/1938, telle que modifiée par la loi n° 1672/1939, dispose :
« 1. Quiconque se livre au prosélytisme encourt une peine d'emprisonnement et une sanction pécuniaire de 1 000 à 50 000 drachmes ; il est de surcroît placé sous la surveillance de la police pour une durée de six mois à un an, à déterminer dans le jugement de condamnation.
2. Par prosélytisme, il faut entendre, notamment, toute tentative directe ou indirecte de pénétrer la conscience religieuse d'une personne de confession différente (eterodoxos) dans le but d'en modifier le contenu, soit par toute sorte de prestation ou promesse de prestation ou de secours moral ou matériel, soit par des moyens frauduleux, soit en abusant de son inexpérience ou de sa confiance, soit en profitant de son besoin, sa faiblesse intellectuelle ou sa naïveté.
3. Accomplir un tel acte dans une école ou dans un autre établissement éducatif ou philanthropique constitue une circonstance particulièrement aggravante. »
Une jurisprudence abondante interprète et applique cet article : voir l'arrêt de la Cour du 25 mai 1993 dans l'affaire Kokkinakis c. Grèce, série A n° 260-A, pp. 13–15, §§ 17–21.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
28.  Dans leurs requêtes introduites devant la Commission le 28 janvier 1994 (nos 23372/94, 26377/94 et 26378/94), MM. Larissis, Mandalarides et Sarandis alléguaient que l'article 4 de la loi n° 1363/1938 était trop large et vague pour respecter les exigences de la sécurité juridique au regard des articles 7, 9 § 2 et 10 § 2 de la Convention. Ils affirmaient en outre que leurs condamnations pour prosélytisme portaient atteinte à leurs droits à la liberté de religion et d'expression garantis par les articles 9 et 10 de la Convention, et étaient discriminatoires, au mépris de l'article 14 combiné avec l'article 9.
29.  Le 27 novembre 1995, la Commission a décidé de joindre les trois requêtes en application de l'article 35 de son règlement intérieur et les a déclarées recevables.
30.  Dans son rapport du 12 septembre 1996 (article 31), elle formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 9 de la Convention pour autant que le deuxième requérant a été condamné pour prosélytisme à l'égard de la famille Baïramis et de ses voisins (unanimité) et pour autant que les deuxième et troisième requérants ont été condamnés pour prosélytisme à l'égard de Mme Zounara (vingt-quatre voix contre cinq). Elle ne constate en revanche pas de violation de l'article 9 pour autant que les premier et deuxième requérants ont été condamnés pour prosélytisme à l'égard du soldat Antoniadis et que les premier et troisième requérants ont été condamnés pour prosélytisme à l'égard du soldat Kokkalis (vingt-huit voix contre une) et pour autant que les premier et troisième requérants ont été condamnés pour prosélytisme à l'égard du soldat Kafkas (vingt-trois voix contre six).
Elle conclut en outre qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 de la Convention (vingt-huit voix contre une) et qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 10 de la Convention (unanimité) ou sous celui de l'article 14 combiné avec l'article 9 pour autant que le deuxième requérant a été condamné pour prosélytisme à l'égard de la famille Baïramis et de ses voisins et que les deuxième et troisième requérants ont été condamnés pour prosélytisme à l'égard de Mme Zounara (unanimité). Elle conclut enfin qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 combiné avec l'article 9 pour autant que les premier et deuxième requérants ont été   condamnés pour prosélytisme à l'égard du soldat Antoniadis et que les premier et troisième requérants l'ont été pour prosélytisme à l'égard des soldats Kokkalis et Kafkas (unanimité).
Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt4.
CONCLUSIONS PRéSENTéES À LA COUR
31.  Dans son mémoire et à l'audience devant la Cour, le Gouvernement a soutenu qu'il n'y avait pas eu violation de la Convention à l'encontre des requérants.
Quant aux intéressés, ils invitent la Cour à constater des violations des articles 7, 9, 10 et 14 de la Convention et à leur octroyer une satisfaction équitable au titre de l'article 50.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L'ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
32.  Les requérants prétendent que la loi réprimant le prosélytisme ne respecte pas l'article 7 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droits reconnus par les nations civilisées. »
Selon eux, la loi grecque enfreint le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), consacré à l'article 7, car il est impossible de prévoir si certains types de comportement entraîneront des poursuites pour prosélytisme. Cette lacune de la loi ressortirait du texte de l'article 4 § 2 (paragraphe 27 ci-dessus) ainsi que de la jurisprudence à laquelle il a donné lieu.
Ainsi, l'emploi de l'adverbe « notamment » impliquerait que la définition qui suit ne constitue qu'une forme du prosélytisme réprimé par la loi et d'autres expressions, telles que « tentative directe ou indirecte » ou « toute sorte de prestation ou promesse de prestation ou de secours moral ou matériel » seraient si larges et imprécises qu'elles engloberaient quasiment tout type de pratique évangélisatrice. La jurisprudence qu'a suscitée l'article 4 (voir les exemples cités dans l'arrêt de la Cour européenne dans l'affaire Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, série A n° 260-A, p. 13, § 18) montrerait qu'en Grèce nul ne peut déterminer par avance si ses actes religieux seront ou non constitutifs du délit de prosélytisme.
33.  Le Gouvernement et la Commission, qui se réfèrent à l'arrêt Kokkinakis précité, estiment tous deux qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition.
34.  La Cour rappelle, comme elle l'a dit dans l'arrêt Kokkinakis (op. cit., p. 22, § 52), que la définition du délit de prosélytisme figurant à l'article 4 comme la jurisprudence constante des juridictions internes l'interprétant et l'appliquant, satisfont aux conditions de sécurité et de prévisibilité fixées à l'article 7.
Elle n'a pas la conviction que l'état du droit grec soit devenu moins précis au cours des cinq ans à peine qui se sont écoulés depuis cette appréciation. En raison de la nécessité d'éviter une rigidité excessive et de s'adapter aux changements de situation, nombre de lois se servent par la force des choses de formules plus ou moins floues (ibidem, p. 19, § 40) ; la Cour n'aperçoit aucune raison de revenir sur sa décision antérieure.
35.  Dès lors, il n'y a pas eu violation de l'article 7 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
36.  Les requérants font valoir que les poursuites, la condamnation et la peine dont ils ont été l'objet pour prosélytisme s'analysent en des violations de l'article 9 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Le Gouvernement dément qu'il y ait eu pareil manquement. La Commission estime qu'il n'y a pas eu violation en ce qui concerne les mesures prises contre les requérants pour prosélytisme à l'égard des soldats, mais conclut en revanche à la violation de l'article 9 en ce qui concerne le prosélytisme à l'égard de civils (paragraphe 31 ci-dessus).
37.  La Cour recherchera s'il y a eu ingérence dans les droits que l'article 9 garantit aux requérants et, dans l'affirmative, si cette ingérence était « prévue par la loi », poursuivait un but légitime et était « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l'article 9 § 2.
A. Sur l'existence d'une ingérence
38.  La Cour considère, et de fait les comparants ne le contestent pas, que la poursuite, la condamnation et la sanction des requérants pour délits de prosélytisme s'analysent en des ingérences dans l'exercice de leur droit à la « liberté de manifester [leur] religion ou [leur] conviction » (voir l'arrêt Kokkinakis cité au paragraphe 32 ci-dessus, p. 18, § 36).
B.  « Prévue par la loi »
39.  Pour les mêmes raisons que celles avancées aux fins d'un constat de violation de l'article 7 (paragraphe 32 ci-dessus), les requérants prétendent que les mesures prises à leur encontre n'étaient pas « prévues par la loi » comme le veut l'article 9 § 2.
Le Gouvernement et la Commission sont de l'avis contraire et invoquent à nouveau l'arrêt Kokkinakis.
40.  La Cour rappelle que l'expression « prévues par la loi » figurant à l'article 9 § 2 commande notamment que la loi dont il s'agit soit suffisamment accessible à l'individu et énoncée avec assez de précision pour permettre à celui-ci de régler sa conduite (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1) du 26 avril 1979, série A n° 30, p. 31, § 49).
41.  Elle renvoie à son constat dans l'affaire Kokkinakis précitée : les mesures prises contre ce requérant-là en vertu de l'article 4 étaient « prévues par la loi » (op. cit., pp. 19–20, §§ 40–41). Comme elle l'a déjà conclu à propos de l'article 7 (paragraphes 34–35 ci-dessus), elle n'a pas la conviction que l'état du droit grec ait changé dans l'intervalle ou qu'elle doive s'écarter de son appréciation antérieure pour toute autre raison.
42.  En conclusion, les mesures dénoncées étaient « prévues par la loi » au sens de l'article 9 § 2.
C. But légitime
43.  Le Gouvernement, rejoint par la Commission, avance que les mesures en cause ont été prises à l'encontre des requérants dans le but de protéger les droits et libertés d'autrui et aussi, pour celles prises pour prosélytisme à l'égard des soldats, dans le but de maintenir l'ordre dans les forces armées et par là même de défendre l'ordre et la sécurité publique.
Les requérants ne présentent pas d'argument particulier à ce sujet.
44.  Eu égard aux circonstances de la cause et aux termes mêmes des décisions des juridictions internes, la Cour considère que les mesures incriminées poursuivaient pour l'essentiel le but légitime de protéger les droits et libertés d'autrui (voir aussi l'arrêt Kokkinakis précité, p. 20, § 44).
D. « Nécessaire dans une société démocratique »
45.  La Cour souligne d'emblée que si la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur, elle implique de surcroît, notamment, celle de « manifester sa religion », y compris le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un « enseignement » (ibidem, p. 17, § 31).
L'article 9 ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une croyance. Ainsi, il ne protège pas le prosélytisme de mauvais aloi, tel qu'une activité offrant des avantages matériels ou sociaux ou l'exercice d'une pression abusive en vue d'obtenir des adhésions à une Eglise (ibidem, p. 21, § 48).
46.  La tâche de la Cour consiste à rechercher si les mesures prises à l'encontre des requérants se justifiaient dans leur principe et étaient proportionnées. Pour statuer sur ces points, il y a lieu de mettre en balance les exigences de la protection des droits et libertés d'autrui avec le comportement reproché aux intéressés (ibidem, p. 21, § 47). Des éléments différents entrent en ligne de compte selon qu'il s'agit du prosélytisme à l'égard des soldats ou à l'égard des civils ; la Cour examinera donc les deux questions séparément.
1. Le prosélytisme envers les soldats
47.  Le Gouvernement prétend que les requérants ont abusé de leur qualité d'officiers de l'armée de l'air et ont commis les actes incriminés de manière systématique et réitérée. Les mesures prises à leur encontre se justifiaient par la nécessité de protéger le prestige et le bon fonctionnement des forces armées et de mettre les soldats à l'abri d'une coercition idéologique.
48.  Selon les requérants, la pratique de l'évangélisation dans des relations entre supérieur et subordonné ne saurait valablement s'assimiler à un abus de confiance. Les intéressés soulignent que les soldats sont des adultes prêts à mourir pour leur pays et que rien n'indique qu'eux-mêmes aient usé de leur position pour forcer ou vaincre la volonté de leurs subordonnés. Interpréter l'article 9 de manière à restreindre l'évangélisation aux « pairs » limiterait gravement la liberté de religion, au sein des forces armées comme dans d'autres cadres.
49.  La Commission estime que l'ingérence pouvait se justifier comme tendant à assurer le respect des convictions religieuses des trois soldats, eu égard notamment à la nature particulière de la relation entre un supérieur et son subordonné dans les forces armées, qui rend ce dernier plus influençable dans divers domaines, dont celui des convictions religieuses.
50.  La Cour fait observer qu'il est bien établi que la Convention vaut en principe pour les membres des forces armées et non pas uniquement pour les civils. En interprétant et appliquant les normes de ce texte dans des affaires comme la présente, la Cour doit cependant être attentive aux particularités de la condition militaire et aux conséquences de celle-ci sur la situation des membres des forces armées (arrêt Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, p. 23, § 54, et, mutatis mutandis, arrêt Grigoriades c. Grèce du 25 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII, pp. 2589–2590, § 45).
51.  La Cour relève à cet égard que la structure hiérarchique qui constitue une caractéristique de la condition militaire peut donner une certaine coloration à tout aspect des relations entre membres des forces armées, de sorte qu'un subordonné a du mal à repousser un supérieur qui l'aborde ou à se soustraire à une conversation engagée par celui-ci. Ce qui, en milieu civil, pourrait passer pour un échange inoffensif d'idées que le destinataire est libre d'accepter ou de rejeter peut, dans le cadre de la vie militaire, être perçu comme une forme de harcèlement ou comme l'exercice de pressions de mauvais aloi par un abus de pouvoir. Il faut préciser que les discussions entre individus de grades inégaux sur la religion ou d'autres questions délicates ne tomberont pas toutes dans cette catégorie. Il reste que, si les circonstances l'exigent, les Etats peuvent être fondés à prendre des mesures particulières pour protéger les droits et libertés des subordonnés dans les forces armées.
52.  La Cour se réfère aux éléments de preuve produits dans la procédure interne (paragraphes 8–10 ci-dessus).
Elle note que les soldats Antoniadis et Kokkalis ont affirmé dans leurs dépositions que les requérants les avaient abordés à plusieurs reprises afin de les persuader de se convertir et de se rendre à l'église pentecôtiste. M. Antoniadis a déclaré s'être senti obligé de prendre part aux discussions parce que les requérants étaient ses officiers supérieurs, et M. Kokkalis a dit que les démarches des intéressés l'ennuyaient. Comme la Commission l'a constaté, rien n'indique que les requérants aient recouru à la menace ou à des prestations incitatives. Il apparaît néanmoins qu'ils ont persisté dans leurs démarches et que les deux soldats se sont sentis contraints et soumis à une certaine pression vu la qualité d'officier des requérants, même si cette pression n'était pas délibérée.
53.  La Cour relève que, contrairement à son père en première instance, le soldat Kafkas a dit lors de sa déposition devant la cour d'appel militaire que les requérants n'avaient exercé sur lui aucune pression pour qu'il adhérât à l'Eglise pentecôtiste et qu'il fut lui-même l'instigateur des discussions religieuses qui se déroulèrent entre eux (paragraphe 10 ci-dessus). Il reste que la cour d'appel, qui eut l'occasion d'apprécier les preuves, y compris le comportement et la crédibilité de M. Kafkas, confirma la décision du tribunal ayant statué en première instance d'après laquelle les premier et troisième requérants avaient indûment tiré parti de l'influence que leur position et leur rang leur conféraient sur M. Kafkas (paragraphes 15, 18 et 22 ci-dessus). Estimant que les juridictions internes se trouvaient mieux placées qu'elle pour établir les faits de la cause et tenant compte des éléments mentionnés au paragraphe 51 ci-dessus, la Cour estime que M. Kafkas, comme les deux autres soldats, a dû se sentir dans une certaine mesure contraint, voire obligé de participer à des discussions religieuses avec les requérants, et peut-être même de se convertir à la foi pentecôtiste.
54.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère comme justifié en principe que les autorités grecques aient pris certaines mesures pour mettre les hommes du rang à l'abri des pressions abusives que les requérants leur faisaient subir dans leur désir de promouvoir leurs convictions religieuses. Elle note que les mesures en question n'étaient pas particulièrement sévères et revêtaient un caractère plus préventif que répressif, les sanctions infligées n'étant pas exécutoires si les requérants ne récidivaient pas au cours des trois années suivantes (paragraphes 16, 18, 20 et 24 ci-dessus). Compte tenu de l'ensemble des circonstances, elle ne juge pas ces mesures disproportionnées.
55.  Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 9 en ce qui concerne les mesures décidées contre le premier requérant pour prosélytisme à l'égard des soldats Antoniadis, Kokkalis et Kafkas, celles dirigées contre le deuxième pour prosélytisme à l'égard du soldat Antoniadis et celles ayant frappé le troisième pour prosélytisme à l'égard des soldats Kokkalis et Kafkas.
2. Le prosélytisme envers les civils
56.  Le Gouvernement rappelle à la Cour que, selon l'article 4, seul est réprimé le prosélytisme de mauvais aloi. Selon lui, les deuxième et troisième requérants ont exploité de manière systématique les problèmes familiaux et le désarroi psychologique de la famille Baïramis et de Mme Zounara et ont donc exercé des pressions abusives. Les sanctions qui leur ont été infligées n'étaient d'ailleurs pas très lourdes.
57.  La Commission, rejointe par les requérants, estime que les circonstances qui ont présidé à la condamnation des deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard de la famille Baïramis et de Mme Zounara s'apparentaient à celles de l'affaire Kokkinakis (citée au paragraphe 32 ci-dessus), en ce que les « cibles » du prosélytisme n'étaient pas des militaires et en ce que les juridictions internes ont établi la responsabilité des accusés en se contentant de reproduire les termes de l'article 4 sans préciser suffisamment en quoi les méthodes employées par les intéressés étaient « abusives ». Il n'aurait pas été démontré de manière satisfaisante que les condamnations de ceux-ci sur ces chefs étaient « nécessaires dans une société démocratique ».
58.  La Cour rappelle que le deuxième requérant fut condamné en vertu de l'article 4 pour avoir fait un unique sermon à la famille Baïramis et ses voisins, à la suite d'un incident au cours duquel il réussit à ramener au calme un membre de la famille Baïramis en train de délirer. Avec le troisième requérant, il fut aussi condamné pour prosélytisme à l'égard de Mme Zounara, qu'ils avaient tenté de convertir à plusieurs reprises alors qu'elle rencontrait des difficultés conjugales (paragraphes 11, 12, 17 et 19 ci-dessus).
59.  Pour la Cour, revêt une importance décisive le fait que les requérants n'aient pas exercé sur les civils qu'ils cherchaient à convertir des pressions et des contraintes du même ordre que celles exercées sur les soldats.
En ce qui concerne la famille Baïramis et ses voisins, aucun élément n'indique qu'ils se soient sentis obligés d'écouter le requérant ou que son comportement à leur égard ait été abusif en quoi que ce soit.
Quant à Mme Zounara, il n'a pas prêté à controverse devant les juridictions internes que c'est elle qui a d'abord sollicité les requérants pour tenter de comprendre les raisons expliquant le comportement de son mari. Certes, pendant la période où elle fut en contact avec eux, elle se trouvait dans un état de désarroi provoqué par la rupture de son mariage ; la Cour n'estime toutefois pas établi qu'elle fût dans un état mental commandant une protection particulière contre les activités évangélisatrices des requérants ou que ceux-ci eussent exercé sur elle des pressions abusives, comme en témoigne le fait qu'elle a pu finalement prendre la décision de briser tout lien avec l'Eglise pentecôtiste.
60.  Pour les raisons qui précèdent, la Cour ne considère pas que les condamnations des deuxième et troisième requérants sur les chefs dont il s'agit étaient justifiées dans les circonstances de la cause.
61.  Dès lors, il y a eu violation de l'article 9 en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre du deuxième requérant pour prosélytisme à l'égard de la famille Baïramis et de ses voisins et celles ayant frappé les deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard de Mme Zounara.
III. sur la violation alléguée de l'article 10 de la convention
62.  Les requérants prétendent que les mesures prises à leur encontre ont aussi entravé leur droit à la liberté d'expression, au mépris de l'article 10 de la Convention, dont les passages pertinents sont ainsi libellés :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques (…)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
63.  La Commission, rejointe par le Gouvernement, estime qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de cet article.
64.  Eu égard à l'examen auquel elle s'est livrée sur le terrain de l'article 9, la Cour estime elle aussi qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 10.
IV. sur la violation alléguée de l'article 14 de la convention combiné avec l'article 9
65.  Les requérants se prétendent victimes d'une discrimination contraire à l'article 14 de la Convention, qui énonce :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Ils affirment que la loi réprimant le prosélytisme est appliquée seulement aux membres des minorités religieuses en Grèce, aucun fidèle de l'Eglise orthodoxe n'ayant jamais été reconnu coupable du délit visé à l'article 4 de la loi.
66.  Le Gouvernement ne formule aucun argument particulier quant à ce grief.
67.  La Commission conclut qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle des articles 9 et 14 combinés en ce qui concerne les mesures dirigées contre les deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard des civils. Quant aux mesures visant les requérants pour prosélytisme à l'égard des soldats, en l'absence d'éléments venant étayer le grief tiré des articles 9 et 14, elle conclut à la non-violation.
68.  La Cour note que, selon le mémoire des requérants, la loi grecque réprimant le prosélytisme est appliquée d'une manière discriminatoire. Or les intéressés n'ont produit aucun élément donnant à penser qu'un officier des forces armées qui aurait tenté de convertir ses subordonnés à la religion orthodoxe d'une manière semblable à celle suivie par les intéressés eût été traité différemment. Dès lors, aucune violation des articles 9 et 14 combinés ne se trouve établie en ce qui concerne le prosélytisme à l'égard des soldats.
69.  Comme elle a constaté une violation de l'article 9 quant aux mesures dont les deuxième et troisième requérants furent frappés pour prosélytisme à l'égard de la famille Baïramis et de Mme Zounara, la Cour estime qu'aucune question distincte ne se pose à ce sujet sous l'angle des articles 9 et 14 combinés.
V. sur l'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA CONVENTION
70.  Les requérants sollicitent une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention, ainsi libellé :
« Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
A. Dommage moral
71.  Les intéressés réclament 500 000 drachmes (GRD) chacun pour réparation du préjudice matériel et moral. C'est la somme que la Cour a octroyée à M. Kokkinakis en 1993 (op. cit., p. 23, § 60).
72.  A l'audience devant la Cour, le Gouvernement a soutenu que, si la Cour devait constater une violation, ce constat fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante.
73.  A la même occasion, le délégué de la Commission a fait observer que le fait que les juridictions internes n'aient pas suivi la jurisprudence de la Cour était un élément à considérer sur le terrain de l'article 50.
74.  La Cour note qu'elle n'a constaté de violation de la Convention que pour les mesures prises à l'encontre du deuxième requérant pour prosélytisme à l'égard de la famille Baïramis et à l'encontre des deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard de Mme Zounara (paragraphes 58–61 ci-dessus). Le premier requérant ne peut donc prétendre à aucune satisfaction équitable au titre de l'article 50.
Statuant en équité, elle octroie à M. Mandalarides et M. Sarandis 500 000 GRD chacun.
B.  Frais et dépens
75.  Les requérants revendiquent aussi 11 800 livres sterling (GBP) en remboursement des frais et dépens afférents à la procédure devant la Commission et la Cour de Strasbourg.
76.  Le Gouvernement estime excessif le montant réclamé et la somme octroyée ne doit pas selon lui dépasser 1 000 000 GRD.
77.  La Cour note ici encore qu'elle n'a constaté aucune violation de la Convention dans le chef du premier requérant et qu'elle se prononce en faveur des deuxième et troisième requérants seulement pour une partie de leurs griefs, à savoir les mesures dirigées contre eux pour prosélytisme envers des civils.
Eu égard à ce qui précède, elle alloue aux deuxième et troisième requérants une fraction des frais et dépens revendiqués, 6 000 GBP au total, ainsi que la taxe sur la valeur ajoutée qui pourrait être due, moins le montant perçu du Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire.
C. Intérêts moratoires
78.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux légal applicable à la date d'adoption du présent arrêt était de 6 % l'an en Grèce et de 8 % l'an au Royaume-Uni.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.      Dit, par huit voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 de la Convention ;
2. Dit, par huit voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 9 de la Convention en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre des premier, deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard des soldats Antoniadis et Kokkalis ;
3. Dit, par sept voix contre deux, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 9 en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre des premier et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard du soldat Kafkas ;
4. Dit, par sept voix contre deux, qu'il y a eu violation de l'article 9 en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre des deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard des civils ;
5. Dit, à l'unanimité, qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 10 de la Convention ;
6. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation des articles 9 et 14 de la Convention combinés en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre des premier, deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard des soldats ;
7. Dit, à l'unanimité, qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle des articles 9 et 14 combinés en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre des deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard des civils ;
8. Dit, par sept voix contre deux,
a)  que l'Etat défendeur doit verser aux deuxième et troisième requérants, dans les trois mois, 500 000 (cinq cent mille) drachmes chacun pour réparation du tort moral ;
b)  que l'Etat défendeur doit verser aux deuxième et troisième requérants, dans les trois mois, pour frais et dépens, 6 000 (six mille) livres sterling au total, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, moins 11 149 (onze mille cent quarante-neuf) francs français à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du prononcé du présent arrêt ;
c)  que ce montant sera à majorer d'un intérêt non capitalisable de 6 % l'an pour le montant octroyé en drachmes et de 8 % l'an pour celui octroyé en livres sterling, à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
9. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 24 février 1998.
Signé: Feyyaz Gölcüklü
Président
Signé: Herbert Petzold
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 53 § 2 du règlement A, l'exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion concordante de M. De Meyer ;
– opinion partiellement dissidente de M. Valticos, à laquelle se rallie M. Morenilla ;
– opinion partiellement dissidente de M. Repik ;
– opinion partiellement dissidente de M. van Dijk.
Paraphé : F. G.
Paraphé : H. P.
OPINION CONCORDANTE  DE M. LE JUGE DE MEYER
La loi dont il s'agit en l'espèce est illégitime en son principe même, puisqu'elle porte directement atteinte à l'essence même de la liberté que doit avoir toute personne de manifester sa religion.
Toutefois, en ce qu'elle fut appliquée aux tentatives de conversion de militaires par leurs supérieurs, elle n'a pu violer cette liberté dans le chef de ces derniers, ceux-ci ayant en l'occurrence abusé de leur position et de leur rang. 
Opinion partiellement dissidente  de M. le juge Valticos, à laquelle se rallie  M. LE JUGE MORENILLA
L’affaire en cause présente, après diverses autres, une grande analogie, tout en étant accompagnée de circonstances aggravantes, avec l’affaire Kokkinakis c. Grèce (arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A) qui avait suscité une variété d’opinions au sein de la Cour. Je ne reviendrai pas en détail sur la position que j’avais adoptée à cette occasion. Je m’y réfère.
Comme dans l’affaire Kokkinakis, je maintiens que toute tentative, allant au-delà du simple échange de vues, et visant de manière intentionnelle à altérer les opinions religieuses d’un individu, constitue un acte de prosélytisme délibéré et par définition abusif, allant à l’encontre de « la liberté de pensée, de conscience et de religion » que consacre l’article 9 de la Convention. De tels actes de prosélytisme peuvent prendre des formes franches ou tortueuses, abusives ou non de l’autorité dont est revêtu l’auteur, pacifiques ou violentes comme l’histoire nous en a donné bien des exemples sanglants, et les tentatives de « lavage de cerveau » peuvent se faire à grande eau ou goutte à goutte, mais elles n’en sont pas moins, quelle que soit la qualification qu’on leur donne, des efforts déployés pour violer les consciences individuelles et doivent être considérées comme incompatibles avec la liberté d’opinion qui constitue un droit de l’homme fondamental.
Les mesures prises sur le plan national en vue de les interdire et, le cas échéant, de les réprimer ne sauraient donc être considérées comme constituant des violations de la Convention.
Dans le cas présent, je me joins en partie à l’arrêt de la Cour et partage son opinion pour ce qui est de la non-violation de la Convention concernant des sanctions visant les tentatives de prosélytisme effectuées par des officiers sur des soldats que leur autorité aurait pu contribuer à influencer.
Cependant, j’estime que, même s’agissant de tentatives de prosélytisme que ces officiers auraient effectuées sur des civils, il y aurait eu, à mon avis, justification des sanctions auxquelles elles ont donné lieu car le prestige de l’uniforme a pu avoir un effet même à l’égard de civils et, de toute manière, de tels actes délibérés de prosélytisme vont à l’encontre du respect de la liberté de conscience et de religion que consacre la Convention. 
opinion partiellement dissidente  de M. le juge Repik
Je regrette de ne pouvoir être en accord avec la majorité sur le respect de l'article 7 ainsi que sur la conclusion que l'ingérence dans l'exercice du droit des requérants de manifester leur religion était « prévue par la loi ».
Sur le respect de l'article 7
Il est vrai que dans l'affaire Kokkinakis c. Grèce (arrêt du 25 mars 1993, série A n° 260-A, p. 22, §§ 52–53), la Cour a déjà dit que l'article 4 de la loi n° 1363/1938 portant sur l'infraction de prosélytisme était compatible avec l'article 7 de la Convention. Toutefois, les données du problème ont changé depuis lors.
Je comprends l'arrêt de la Cour dans cette affaire, de telle manière que la loi grecque en cause ne remplit les exigences de l'article 7 de la Convention qu'avec le concours de la jurisprudence des juridictions nationales qui, publiée et accessible, complète la lettre de l'article 4 de la loi et est de nature à permettre aux justiciables de régler leur conduite en la matière. La loi elle-même rentre dans la catégorie des lois qui se servent de formules plus ou moins vagues et dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique (ibidem, pp. 19 et 22, §§ 40 et 52).
Cependant la Cour, bien que sur le terrain de la nécessité de l'ingérence et non sur celui de sa légalité, a posé le principe qu'il échet de distinguer le témoignage chrétien correspondant à la vraie évangélisation, mission essentielle de chaque croyant et de chaque Eglise, d'une part, du prosélytisme abusif qui ne s'accorde pas avec le respect dû à la liberté de pensée, de conscience et de religion d'autrui, d'autre part. Et de là à formuler une réserve : les critères adoptés par le législateur grec peuvent cadrer avec cette distinction si et dans la mesure (italique mis par moi) où ils visent à réprimer, sans plus, le prosélytisme abusif (ibidem, p. 21, § 48). Apparemment, il incombait à la jurisprudence, au moyen d'une interprétation adéquate des termes de la loi, de pratiquer cette distinction. En l'espèce, la Cour a constaté que les juridictions grecques avaient établi la responsabilité de M. Kokkinakis en se contentant de reproduire les termes de la loi, sans préciser suffisamment en quoi le prévenu aurait essayé de convaincre son prochain par des moyens abusifs (ibidem, p. 21, § 49).
Je laisse de côté la question – qui se pose d'emblée – de savoir si, dans un système de droit écrit, le principe de la légalité des délits et des peines est respecté lorsque ce n'est pas la loi mais le juge qui fait la distinction entre ce qui est répréhensible pénalement et ce qui n'est que l'exercice normal d'une liberté garantie par la Constitution et par la Convention. N'est-ce pas exiger du juge plus qu'une simple interprétation restrictive de la loi, à savoir une  
redéfinition d'une infraction énoncée en termes si larges qu'elle englobe aussi des comportements qui devraient rester licites ?
Bien que la jurisprudence des juridictions nationales, passée en revue par la Cour dans l'arrêt Kokkinakis (ibidem, pp. 13–14, §§ 17–21), soit loin d'être faite de la même étoffe et présente des contradictions, l'attente de la Cour que la répression se limiterait au prosélytisme abusif pouvait se fonder sur ce que la Cour de cassation, dans un arrêt de 1975 renversant sa jurisprudence antérieure, avait éliminé les incidences de certains termes vagues de la loi, en particulier du mot « notamment ». Or il n'a pas été répondu à cette attente. Comme l'ont relevé la Commission (paragraphes 69–70 de son rapport) et son délégué à l'audience, en l'espèce la Cour de cassation s'est nettement démarquée de la jurisprudence de la Cour, n'a pas tenu compte de la distinction entre le recours aux moyens abusifs et non abusifs et est revenue sur sa jurisprudence antérieure selon laquelle les moyens indiqués dans la loi sont énumérés de manière non limitative et, ce qui à mon sens est encore plus important, a mis l'accent sur les éléments de caractère subjectif de l'infraction, à savoir sur cette soi-disant pénétration ou tentative de pénétration, directe ou indirecte, de la conscience d'autrui dans le but de la changer. La Cour, en distinguant entre les moyens abusifs et non abusifs, s'est efforcée de trouver un élément objectif dans lequel se matérialise le comportement du justiciable et qui seul peut servir de critère un tant soit peu sûr d'un acte délictueux ; la Cour de cassation, en revanche, a de nouveau replacé l'accent sur les éléments de nature subjective, inaptes à servir de critère de distinction entre prosélytisme abusif et prosélytisme non abusif. La Cour n'a pas pris en compte dans la présente espèce ce changement de position de la Cour de cassation.
Est-ce la faute de la loi ou bien de son interprétation et de son application par les juridictions nationales que les limites de son champ d'application se soient de nouveau considérablement brouillées, comme le constate à juste raison Mme Liddy dans son opinion dissidente jointe au rapport de la Commission ? Les difficultés d'appliquer la loi de manière à ne pas empiéter incongrûment sur les libertés garanties par la Convention sont évidentes. Il est non moins évident que les juridictions nationales n'ont pas réussi à remédier aux insuffisances de la loi. La jurisprudence, y compris la jurisprudence de la plus haute juridiction grecque, présente des flottements considérables, et des comportements dans lesquels il n'y a rien d'abusif (par exemple la distribution de la littérature religieuse) sont trop souvent poursuivis et même condamnés. C'est la Cour de Strasbourg qui, après coup, s'est efforcée d'introduire dans la matière des distinctions voulues, mais ces distinctions ne découlent pas nécessairement de la loi et, en fait, les juridictions nationales persistent à ne pas les y trouver.
Dans ces conditions, un croyant qui se consacre à répandre sa foi religieuse ne sait jamais avec certitude si son comportement tombe ou non sous le coup de la loi. Celle-ci ne présente pas un degré suffisant de précision et donc de prévisibilité, ne peut garantir la sécurité juridique et l'égalité de traitement des justiciables ni protéger ceux-ci contre l'arbitraire des autorités d'application.
Je ne suis pas en mesure de conclure que la loi en cause satisfait aux exigences de l'article 7 et je considère en conséquence que celui-ci a été violé.
L'article 9
Pour les même raisons, je ne suis pas persuadé que l'ingérence dans l'exercice du droit des requérants de manifester leur religion était « prévue par la loi » au sens de l'article 9 § 2.
Il n'y a rien dans la législation grecque ni dans la jurisprudence des juridictions nationales qui puisse concerner les débats religieux dans le milieu militaire. Les décisions des tribunaux nationaux en cause ne font pas non plus de distinction entre le prosélytisme exercé envers les soldats et celui exercé envers les personnes civiles. C'est de nouveau la Cour, à l'instar de la Commission, qui introduit, après coup, cette distinction. Je ne vois pas bien comment les requérants auraient pu prévoir avec le degré de certitude voulue que leur attitude envers les militaires tomberait sous le coup de la loi et non celle adoptée envers d'autres personnes.
opinion partiellement dissidente  de M. le juge van Dijk
(Traduction)
Je n’ai pu me rallier à la majorité pour une partie de sa conclusion, à savoir celle concernant la compatibilité avec l’article 9 de la Convention de la condamnation des premier et troisième requérants pour s'être prétendument livrés au prosélytisme à l’encontre du soldat Kafkas.
Je souscris au raisonnement général figurant au paragraphe 51 de l’arrêt, en particulier à la déclaration d’après laquelle ce qui, en milieu civil, pourrait passer pour un échange inoffensif d’idées que le destinataire est libre d’accepter ou de rejeter peut, dans l’enceinte de la vie militaire, être perçu comme une forme de harcèlement ou comme l’exercice de pressions de mauvais aloi par un abus de pouvoir. Pourtant, dans le même paragraphe, la Cour précise que les discussions entre individus de grades inégaux sur la religion ou d’autres questions délicates ne tomberont pas toutes dans cette catégorie.
Comme M. Schermers et les quatre autres membres de la Commission qui ont joint une opinion partiellement dissidente au rapport de celle-ci dans la présente affaire, j’estime qu'il doit être possible de réfuter l’hypothèse que dans l’armée un supérieur hiérarchique a exercé une influence indue sur un subordonné. Alors que les dépositions des soldats Antoniadis et Kokkalis devant les juridictions internes avaient confirmé ladite hypothèse, le soldat Kafkas a attesté devant la cour d’appel que c’était lui qui avait abordé le troisième requérant et que, par la suite, c’était lui qui avait sollicité les conseils des premier et troisième requérants, et qu’il n’avait jamais été l’objet d’aucune pression (paragraphe 10 de l’arrêt).
La majorité fait état de la manière dont la cour d’appel a apprécié cette déposition, « y compris le comportement et la crédibilité de M. Kafkas » et l’admet, « estimant que les juridictions internes se trouvaient mieux placées qu’elle pour établir les faits de la cause » (paragraphe 53 de l'arrêt). Pour apprécier la proportionnalité de la limitation, la Cour avait toutefois la compétence de se prononcer sur le fait que la cour d’appel, bien qu’elle eût entendu la déposition de M. Kafkas lui-même, ait souscrit au raisonnement du tribunal ayant statué en première instance sur la question, lequel n’avait pas entendu comme témoin le soldat Kafkas, mais uniquement son père. Dans ce même contexte, la majorité eût dû dire pourquoi le « comportement et la crédibilité » du soldat Kafkas entraient en jeu – sans doute parce qu’il s’était converti à l’Eglise pentecôtiste dans l’intervalle – tandis qu’il n’en allait pas de même de son père comme témoin, bien que l’on puisse supposer que la conversion de son fils n’ait pas plu à ce dernier. Il n’est pour le moins pas satisfaisant que la cour d’appel n’ait pas jugé devoir   
apprécier les déclarations de ces deux témoins l'une par rapport à l'autre. Tout bien pesé, je vois mal pourquoi la Cour accepte sans examen ni contrôle les constats des juridictions internes quant au prosélytisme à l’égard de soldats alors qu’elle adopte un point de vue critique pour les constats concernant le prosélytisme vis-à-vis de civils. J’estime que, dans ces circonstances, la Cour n’aurait pas dû s’en remettre aux juridictions internes pour ce qui est des dépositions du soldat Kafkas et de son père et aurait dû, faute d’indications en sens contraire, accorder plus de poids au témoignage de la prétendue victime du prosélytisme qu’à celui d’un témoin dont la déposition s’appuyait sur une connaissance par ouï-dire.
Comme je ne puis déceler dans les données fournies à la Cour aucun élément prépondérant indiquant que le soldat Kafkas ne se serait pas engagé dans des discussions sur la religion puis converti de son plein gré, je ne puis dire avec la majorité qu’il existait un besoin social impérieux de poursuivre et sanctionner ceux dont il a sollicité les conseils dans ce cheminement, même s’il s’agissait de ses supérieurs dans l’armée.
1.  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
Notes du greffier
1.  L'affaire porte le n° 140/1996/759/958–960. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les trois derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3.  Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
4.  Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT LARISSIS ET AUTRES DU 24 FÉVRIER 1998
ARRÊT LARISSIS ET AUTRES DU 24 FÉVRIER 1998
ARRÊT LARISSIS ET AUTRES
ARRÊT LARISSIS ET AUTRES – OPINION PARTIELLEMENT   DISSIDENTE DE M. LE JUGE REPIK
ARRÊT LARISSIS ET AUTRES
ARRÊT LARISSIS ET AUTRES – OPINION PARTIELLEMENT   DISSIDENTE DE M. LE JUGE VAN DIJK


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 23372/94;26377/94;26378/94
Date de la décision : 24/02/1998
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 9 en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre des deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard des civils ; Non-violation de l'art. 7 ; Non-violation de l'art. 9 en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre des premier, deuxième et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard des soldats Antoniadis et Kokkalis ; Non-violation de l'art. 9 en ce qui concerne les mesures prises à l'encontre des premier et troisième requérants pour prosélytisme à l'égard du soldat Kafkas ; Non-violation de l'art. 14+9 ; Non-lieu à examiner l'art. 10 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 7-1) NULLA POENA SINE LEGE, (Art. 7-1) NULLUM CRIMEN SINE LEGE, (Art. 9-1) MANIFESTER SA RELIGION OU SA CONVICTION, (Art. 9-2) INGERENCE, (Art. 9-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 9-2) PREVUE PAR LA LOI


Parties
Demandeurs : LARISSIS ET AUTRES
Défendeurs : GRÈCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-02-24;23372.94 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award