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04/03/1998 | CEDH | N°34109/96

CEDH | OREFICI contre l'ESPAGNE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 34109/96 présentée par Giovanni OREFICI contre l'Espagne __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 mars 1998 en présence de MM. J.-C. GEUS, Président M.A. NOWICKI G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINE

Z I. CABRAL BARRETO J. MUCHA...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 34109/96 présentée par Giovanni OREFICI contre l'Espagne __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 mars 1998 en présence de MM. J.-C. GEUS, Président M.A. NOWICKI G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY P. LORENZEN E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA A. ARABADJIEV Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 18 janvier 1996 par Giovanni OREFICI contre l'Espagne et enregistrée le 10 décembre 1996 sous le N° de dossier 34109/96 ; Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 20 juillet 1997 et les observations en réponse présentées par le requérant le 7 octobre 1997 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant italien, né en 1941 et domicilié à Torremolinos (Málaga). Devant la Commission, il est représenté par Maître Carlos Font Felíu, avocat au barreau de Málaga. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A. Circonstances particulières de l'affaire Le 15 novembre 1994, une procédure pénale fut engagée par le juge d'instruction de Málaga, pour délits présumés d'escroquerie, de corruption, d'atteinte à la propriété, d'un délit fiscal et d'un délit de faux en écriture, suite à la plainte déposée par la Direction générale du patrimoine de l'Etat et de la société I. Les acquéreurs de la société I., dont le requérant faisait partie, n'auraient pas respecté leurs obligations de paiement et auraient utilisé pour leur propre bénéfice les biens de ladite société. Au total, plus de quarante personnes furent mises en examen. La société I. avait fait l'objet d'une décision de la Commission des Communautés Européennes en raison des aides reçues de la part de l'Etat espagnol, considérées contraires au Traité C.E.E. Le 30 novembre 1994, le requérant fut informé de la procédure entamée, entre autres, à son encontre. Il fut contraint de rendre son passeport, ce qu'il fit en date du 1er décembre 1994. Par ordonnance (auto) du 7 mars 1995, le juge d'instruction de Málaga inculpa le requérant du chef des délits d'escroquerie, de corruption, d'atteinte à la propriété, d'un délit fiscal et de deux délits de faux en écriture, et ordonna son placement en détention provisoire. Par ordonnances des 7, 8, 9 et 21 mars 1995, quatre autres inculpés C., G., H. et M. furent également placés en détention provisoire. Contre cette ordonnance de placement en détention, le requérant présenta un recours (recurso de reforma) qui fut rejeté par décision du juge d'instruction de Málaga en date du 17 mars 1995. Le requérant fit appel (recurso de queja) de cette décision auprès de l'Audiencia Provincial de Málaga, qui par décision du 10 avril 1995, rejeta le recours au motif que la décision entreprise respectait les conditions de maintien en détention provisoire prévues par l'article 504 du Code de Procédure pénale. Estimant que le danger de fuite et de faire disparaître les documents nécessaires au procès était réduit, C., G. et H. furent remis en liberté sous caution, par décisions du juge d'instruction des 26 mai et 13 septembre 1995. Le requérant présenta une demande de mise en liberté devant le juge d'instruction qui, par décision (auto) du 15 septembre 1995, la rejeta sur la base de l'importance des délits imputés au requérant, du risque de fuite ainsi que d'obstruction de l'instruction par le biais de la destruction des moyens de preuve. Le recours (recurso de reforma) présenté par le requérant, à l'encontre de cette décision, fut rejeté par décision (auto) du 13 octobre 1995 de l'Audiencia Provincial de Málaga. Le requérant fit appel (recurso de queja), qui fut rejeté par décision (auto) du 26 décembre 1995 de l'Audiencia Provincial de Málaga. Le 23 janvier 1996, le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo sur le fondement du droit à la liberté et de la durée excessive de la détention provisoire (article 17 de la Constitution). Par décision (auto) du 18 juillet 1996, notifiée le 26 juillet 1996, la haute juridiction rejeta le recours, tenant compte du fait que les décisions ayant rejeté la demande de mise en liberté du requérant étaient suffisamment motivées et avaient pris en compte la possibilité du risque de fuite de ce dernier s'il était mis en liberté. Par décision du juge d'instruction en date du 29 janvier 1996, M. fut remis en liberté. Le 5 juin 1996, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté devant le juge d'instruction qui, par décision (auto) du 20 juin 1996, la rejeta en précisant que le risque de fuite du requérant devenait plus important au fur et à mesure que l'instruction avançait. Ladite décision notait, par ailleurs, que le maintien en détention du requérant n'engendrait aucun risque pour la vie ou la santé du requérant. Le recours (recurso de reforma) présenté par le requérant fut rejeté par décision (auto) du 2 juillet 1996 de l'Audiencia Provincial de Málaga. Le requérant fit appel (recurso de queja) devant l'Audiencia Provincial de Málaga qui, par décision (auto) du 13 août 1996, fut rejeté. Entre-temps, le 23 juillet 1996, le ministère public avait demandé au juge de conclure l'instruction et d'ouvrir la phase orale, étant donné la situation de détention provisoire du requérant, qu'il estimait toutefois nécessaire de maintenir. Par décision (auto) du 4 octobre 1996, le juge d'instruction ne donna pas suite aux demandes du ministère public concernant la conclusion de l'instruction. Le 10 octobre 1996, le ministère public présenta un recours (recurso de reforma) en insistant sur ses demandes. Finalement, par ordonnance (auto) du 29 juillet 1997, l'Audiencia Provincial accorda la mise en liberté provisoire du requérant sous caution. L'Audiencia Provincial indiqua notamment que le requérant était un ressortissant d'un pays de l'Union européenne, qu'il avait fait la preuve d'un lien et d'une résidence de plusieurs années en Espagne ainsi que de relations familiales dans ce pays et avait, au surplus, un domicile proche du lieu d'instruction. Par conséquent, il apparaissait peu vraisemblable qu'il tente de se soustraire à l'action de la justice. Le 20 août 1997 le requérant fournit le cautionnement exigé par le tribunal et le juge d'instruction ordonna sa mise en liberté provisoire.
B. Eléments de droit interne Constitution espagnole Article 17 « Toute personne a droit à la liberté et à la sécurité. Nul ne peut être privé de sa liberté si ce n'est conformément aux dispositions du présent article et dans le cas et sous la forme prévus par la loi. » Code de Procédure pénale Article 504 « (...) La détention provisoire aura une durée inférieure à trois mois lorsque la procédure concerne un délit passible d'une peine de détention de courte durée (1 mois à 6 mois), inférieure à un an lorsque la peine est un emprisonnement mineur (6 mois à 6 ans) et inférieure à deux ans lorsque la peine est supérieure. Si dans ces deux derniers cas, il y a des circonstances faisant prévoir que le procès ne pourra pas aboutir dans ces délais et que l'inculpé pourrait se soustraire à la justice, la détention provisoire pourra être prolongée jusqu'à deux ans et quatre ans respectivement. L'ordonnance de prolongation sera rendue après avoir entendu l'inculpé et recueilli l'avis du ministère public. (...). »
GRIEFS Le requérant allègue la violation de l'article 5 par. 3 de la Convention dans la mesure où il a été placé en détention provisoire pendant deux ans, cinq mois et treize jours. Il se plaint également de la durée de la procédure et invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 18 janvier 1996 et enregistrée le 10 décembre 1996. Le 9 avril 1997, la Commission a décidé de porter le grief du requérant concernant l'article 5 par. 3 de la Convention à la connaissance du gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 20 juillet 1997, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 7 octobre 1997.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et allègue la violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, libellé comme suit: « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c) du présent article (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. » La Commission constate que la détention provisoire du requérant a débuté le 7 mars 1995, date à laquelle le juge d'instruction de Málaga inculpa le requérant du chef d'escroquerie, de corruption, d'atteinte à la propriété, d'un délit fiscal et d'un délit de faux en écriture et ordonna son placement en détention. Elle s'est achevée le 20 août 1997, date à laquelle le juge d'instruction ordonna sa mise en liberté après remise par le requérant de la caution exigée dans la décision de l'Audiencia Provincial du 29 juillet 1997. Par conséquent, le requérant a été détenu à titre provisoire pendant deux ans, cinq mois et treize jours. Le gouvernement défendeur soulève d'emblée une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Le Gouvernement observe en effet que le requérant n'a présenté aucun recours ayant trait à la décision judiciaire ordonnant la détention provisoire. En négligeant la possibilité que lui offrait le recours d'amparo, le requérant n'a pas fait un usage efficace, au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention, de cette voie de droit disponible en droit espagnol. Le requérant s'oppose à cette thèse. Il souligne qu'il a saisi valablement le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo à l'encontre d'une décision rejetant sa demande de mise en liberté. La Commission note que le requérant a saisi d'un recours d'amparo le Tribunal constitutionnel, ultime instance juridictionnelle de droit interne, en lui soumettant le même grief qu'il présente maintenant devant la Commission. Or la Commission constate que la haute juridiction n'a pas déclaré irrecevable le recours pour informalité, mais a examiné au fond le grief soulevé par le requérant au titre de l'article 17 par. 1 de la Constitution espagnole (droit à la liberté et à la sécurité). La Commission estime, dès lors, que le requérant a respecté les prescriptions de l'article 26 (art. 26) de la Convention (cf. N° 12794/87, déc. 9.7.88, D.R. 57, p. 251). Il s'ensuit que l'exception soulevée par le Gouvernement ne saurait être accueillie. Sur le fond, le Gouvernement estime que le maintien du requérant en détention était nécessaire eu égard notamment à l'importance des faits, à la complexité de l'enquête et à la préservation de l'ordre public. Le Gouvernement met l'accent sur la gravité des faits délictueux reprochés au requérant. Il souligne que les infractions en question sont passibles de peines importantes. Par ailleurs, il attire l'attention sur la position clé occupée par le requérant dans la trame délictuelle et sur la nécessité d'éviter des recels de preuves, la crise sociale provoquée par la fermeture d'une importante entreprise, ainsi que le risque de fuite permanent. Le Gouvernement souligne également que la procédure concernait un grand nombre de personnes, soit 31 coaccusés et des répercussions sociales très importantes. Selon lui, la procédure revêtait une grande complexité avec de nombreuses ramifications nationales et internationales. Compte tenu du rôle principal du requérant dans le contexte de cette procédure, sa présence paraissait absolument nécessaire. Enfin, il y avait danger de fuite, d'où la nécessité de son maintien en détention provisoire. Pour sa part, le requérant conteste la thèse du Gouvernement. Il estime qu'aucun des motifs allégués par les juridictions internes ne justifiait une détention provisoire aussi longue. S'agissant de l'importance de la peine réclamée contre lui, le requérant relève que les autres personnes poursuivies dans la même affaire n'ont été maintenues en prison que pendant onze mois au plus. Quant au risque de fuite, le requérant souligne que l'Audiencia Provincial de Málaga indiquait dans son ordonnance de mise en liberté qu'il était ressortissant d'un pays de l'Union européenne, qu'il avait fait la preuve d'un lien et d'une résidence de plusieurs années en Espagne ainsi que de relations familiales avec des personnes de ce pays et avait, au surplus, un domicile proche du lieu de l'instruction. Par conséquent, il apparaissait peu vraisemblable qu'il tente de se soustraire à l'action de la justice. Le requérant tient à souligner que les motifs invoqués par les tribunaux pour justifier sa mise en liberté existaient déjà au début de son placement en détention provisoire. Ayant procédé à un examen préliminaire de l'argumentation des parties à la lumière de la jurisprudence des organes de la Convention, la Commission estime que ce grief pose des questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Par conséquent, cette partie de la requête ne saurait être rejetée comme étant manifestement mal fondée. La Commission constate par ailleurs que ce grief ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
2. Le requérant se plaint en outre de la durée de la procédure et invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, qui dispose notamment : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement(...) dans un délai raisonnable, par un tribunal qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). » Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur la question de savoir si le grief tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) sur la durée de la procédure pénale révèle l'apparence d'une violation de la Convention. En effet, la Commission constate que le requérant n'a pas soulevé ce grief devant le Tribunal constitutionnel dans le cadre d'un recours d'amparo, de sorte qu'il n'a pas valablement épuisé les voies de recours disponibles en droit espagnol. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, conformément aux articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant la durée de sa détention provisoire ; DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS Secrétaire Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement) ; recevable (partiellement)

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : OREFICI
Défendeurs : l'ESPAGNE

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission (deuxième chambre)
Date de la décision : 04/03/1998
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 34109/96
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-03-04;34109.96 ?

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