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04/03/1998 | CEDH | N°35191/97

CEDH | WOLSKI contre la POLOGNE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 35191/97 présentée par Roman WOLSKI contre la Pologne __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 mars 1998 en présence de MM. J.-C. GEUS, Président M.A. NOWICKI G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ

I. CABRAL BARRETO J. MUCHA ...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 35191/97 présentée par Roman WOLSKI contre la Pologne __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 mars 1998 en présence de MM. J.-C. GEUS, Président M.A. NOWICKI G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA A. ARABADJIEV Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales; Vu la requête introduite le 12 mars 1995 par Roman WOLSKI contre la Pologne et enregistrée le 6 mars 1997 sous le N° de dossier 35191/97; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, ressortissant polonais, né en 1957, réside à Bydgoszcz. Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant et établis par les autorités judiciaires, peuvent se résumer comme suit. Le procureur a établi que la nuit du 9 au 10 décembre 1993, le requérant se trouvait aux portes de la caserne militaire. Il fit des propositions de relations sexuelles au gardien. Il quitta ensuite les lieux. L'officier de permanence lança deux gendarmes de la gendarmerie militaire (Zandarmeria Wojskowa) à sa poursuite. Ils aperçurent aux alentours de la gare de Bydgoszcz un homme qui répondait au signalement du requérant donné par leur service. Le requérant leur adressa en premier la parole en faisant des propositions sexuelles. Ils se mirent d'accord que l'un d'eux préviendrait l'officier de permanence et l'autre, sous prétexte d'accepter la proposition, rapprocherait le requérant de la caserne. Ce dernier proposa toutefois de les conduire dans un autre endroit. Le gendarme (J.S.) l'attrapa alors par la main et essaya de le traîner vers la caserne. Le requérant, ayant réussi à se débattre, se mit à courir. Il reçut alors deux coups de matraque. Il fut rattrapé, et ses appels au secours se soldèrent par au moins quatre autres coups de matraque. Le procureur poursuit en précisant qu'arrivèrent ensuite sur les lieux les agents de sécurité des chemins de fer et les employés d'une agence de sécurité. Les premiers n'intervinrent pas. Les seconds proposèrent d'aider les gendarmes à conduire le requérant à la caserne. Il y fut détenu pendant environ une heure. Ensuite le requérant fut transporté au poste de police. Il relata les événements qui s'y sont produits de la manière suivante. Il fut battu par un des policiers (M.R.), en état d'ébriété. Il reçut plusieurs coups au niveau des organes génitaux. Son agresseur lui ordonna de se déshabiller devant tous les détenus présents à ce moment au commissariat. Après l'avoir giflé à plusieurs reprises il lui confisqua 3 millions de zloty. Il l'emmena dans une autre pièce ou il le menaça avec une arme. Ensuite, il le conduisit à la cave ou il le frappa de nouveau tout en exigeant de l'argent pour, comme il l'affirmait, racheter de l'alcool. Ensuite le requérant fut libéré. Le requérant fit deux recours : le premier devant les instances militaires et le second devant les instances civiles.
Recours devant les instances militaires : Le requérant se plaignit au procureur militaire de la garnison de Bydgoszcz (Prokurator Wojskowej Prokuratury Garnizonowej). Il produisit une attestation médicale, délivrée le 10 décembre 1993 par son médecin, concluant à des coups et blessures ayant entraîné une incapacité de travail de plus de sept jours. Le 14 février 1994, le procureur rendit une décision infligeant au gendarme J. S. une sanction disciplinaire suspensive et assortie d'une période probatoire (warunkowe umorzenie). Il releva que ce dernier avait confirmé tous les faits. Il précisa également que l'expert désigné par ses soins avait conclu à des coups et blessures ayant entraîné une incapacité de travail de moins de sept jours. Compte tenu de cela, «du danger dérisoire que représente cette infraction pour l'ordre public» et de la bonne réputation du gendarme mis en cause, il considéra qu'une sanction disciplinaire suffirait. Le 19 mai 1994, le requérant fit recours devant le procureur général militaire (Naczelna Prokuratura Wojskowa) et souleva le fait qu'il y avait deux avis médicaux contradictoires. Ce dernier, le 23 juin 1994, l'informa de l'ordre adressé au procureur de la garnison de présenter au tribunal militaire une demande d'annulation de la décision du procureur de la garnison. Le 22 juillet 1994, le tribunal militaire de la région de Poméranie (S*d Pomorskiego Okr*gu Wojskowego) à Bydgoszcz rejeta la demande. Les juges relevèrent que l'annulation de la décision du procureur de la garnison est prévue dans les cas où la personne en ayant fait l'objet se serait rendue coupable d'une autre infraction, refuserait d'accomplir les devoirs imposés par la sanction disciplinaire ou porterait atteinte à l'ordre public. D'autres motifs n'ont pas été prévus par le législateur. La demande du requérant ne relevait d'aucun de ces cas. La décision fut notifiée au requérant le 8 août 1994. Le 19 septembre 1994, le requérant s'adressa de nouveau au procureur général militaire. Ce dernier, par lettre du 27 octobre 1994, l'informa de la fin de toutes les poursuites. Il précisa qu'il ne restait au requérant que le recours extraordinaire. Toutefois, à la date de la lettre, le délai était déjà forclos.
Recours devant les instances civiles : Le 13 décembre 1993, le requérant se plaignit au procureur de district (Prokuratura Rejonowa) de Bydgoszcz du traitement subi au commissariat de police de Bydgoszcz Centre, pendant la nuit du 9 au 10 décembre 1993, après y avoir été conduit par la gendarmerie militaire. Le 29 mars 1994, après une enquête préliminaire, le procureur rendit un non-lieu (umorzenie sledztwa). Il releva qu'après audition des policiers présents cette nuit au poste, les faits allégués s'avéraient infondés. En ce qui concernait des témoins éventuels présents sur les lieux au moment des faits, dans la mesure où le poste de police ne possédait pas de registre mentionnant la présence ou le passage des personnes arrêtées, il était impossible d'établir leur identité. Le 14 mai 1994, le procureur régional (Prokurator Wojewódzki) de Bydgoszcz rejeta l'appel du requérant comme mal fondé, dans la mesure où aucun des officiers de police, témoins auditionnés, n'avait confirmé sa version des faits. Le 12 octobre 1994, le requérant s'adressa au procureur d'appel (Prokuratura Apelacyjna) de Gdansk. Le 14 novembre 1994, ce dernier partagea le point de vue du requérant quant aux irrégularités de l'enquête et notamment le manquement du procureur de ne pas avoir effectué toutes les démarches afin d'établir les faits sans équivoque. Il ordonna au procureur de district un complément d'instruction. Le 23 février 1995, ce dernier informa le requérant que les démarches complémentaires accomplies, telles qu'entre autres la consultation du registre du commissariat, lequel toutefois ne mentionnait aucune présence la nuit des faits, la consultation des plans des locaux et l'audition du requérant, n'avaient pas révélé de faits nouveaux de nature à infirmer la décision de non-lieu. Le procureur rappela que le requérant n'était pas en mesure de présenter d'attestation médicale prouvant des blessures au niveaux des organes génitaux. Ensuite, après avoir consulté le dossier du procureur militaire de la garnison de Bydgoszcz, il estima que les blessures pouvaient être dues aux coups portés par le gendarme J.S. contre lequel une procédure militaire avait eu lieu. En effet, le requérant n'avait pas subi de visite médicale entre les deux détentions. Enfin, il releva que les témoignages des officiers de police présents sur les lieux et des gendarmes ayant conduit le requérant au poste étaient concordants. Le 6 juin 1995, le procureur d'appel approuva le point de vue du procureur de district et rejeta la demande du requérant.
GRIEFS Le requérant invoque l'article 3 de la Convention et estime avoir subi un traitement inhumain et dégradant de la part des gendarmes et de l'officier de police. Il affirme que l'instruction a été menée «de manière préméditée et tendant à humilier la victime». Il cite l'article 6 par. 1 de la Convention. Il invoque enfin l'article 14 de la Convention et considère que le traitement imposé était dû à son homosexualité.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint des traitements inhumains et dégradants subis au poste de la gendarmerie militaire et de police et invoque l'article 3 (art. 3) de la Convention. Il estime que ceci était dû à son homosexualité et cite l'article 14 (art. 14) de la Convention. La Commission considère que les griefs invoqués, le traitement discriminatoire inclus, doivent être examinés sous l'angle de l'article 3 (art. 3) de la Convention (voir notamment N° 24760/94, Assenov et autres c. Bulgarie, rapport du 10 juillet 1997). Cet article se lit comme suit: «Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.» La Commission observe que le grief du requérant est dirigé contre deux organes différents et qu'il a donné lieu à deux procédures différentes.
a. En ce qui concerne la partie dirigée contre la gendarmerie militaire, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur la question de savoir si les faits présentés par le requérant révèlent l'apparence d'une violation de la Convention. En effet, la Commission estime que la décision interne définitive, au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention, est la décision du tribunal militaire de la région de Poméranie rendue le 22 juillet 1994 et notifiée au requérant le 8 août 1994, soit plus de six mois avant la date d'introduction de la requête. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
b. En ce qui concerne la partie de la requête relative aux faits survenus au poste de police, la Commission rappelle en premier lieu qu'en ce qui concerne les allégations de mauvais traitements dans le cadre du système de protection de la Convention, la charge de la preuve ne repose pas sur une des parties. La Commission étudie en effet tous les éléments en sa possession. Le critère à retenir est celui de la preuve "au delà de tout doute raisonnable". Celle-ci peut résulter "d'un faisceau d'indices suffisamment graves, précis et concordants ou de présomptions non réfutées" (Cour eur. D.H., arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, Série A n° 25, par.160-161, p. 64-65). En espèce, le procureur a procédé à plusieurs reprises à l'audition du requérant et a comparé sa version des faits avec celle présentée par les policiers mis en cause. Il a vérifié le registre du commissariat, et a consulté les plans des locaux de la police. Il a également consulté le dossier des instances militaires et a conclu que les blessures constatées pouvaient être dues aux coups portés par le gendarme. Le procureur a également relevé que l'attestation médicale ne mentionnait pas de blessures au niveau des organes génitaux, comme l'affirmait le requérant. Toutes ces démarches n'ont pas révélé de faits nouveaux de nature à exclure l'hypothèse que les blessures du requérant n'étaient pas la conséquence de coups portés par le gendarme et à infirmer ainsi la décision de non-lieu. Dès lors, la Commission constate qu'elle ne possède aucune donnée convaincante qui puisse l'amener à s'écarter des constatations présentées par le procureur de district dans sa décision de non-lieu du 23 février 1995. Il s'ensuit que le grief tiré de l'article 3 (art. 3) et dirigé contre les organes de police doit être rejeté comme manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint ensuite de ce que l'instruction a été menée «de manière préméditée et tendant à humilier la victime». Il cite l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...)». La Commission rappelle toutefois que la Convention ne garantit pas de droit de voir engager et aboutir des poursuites pénales à l'égard d'un tiers. Il s'ensuit que le grief relatif à cette procédure est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de celle-ci. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS Secrétaire Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre


Synthèse
Formation : Commission (première chambre)
Numéro d'arrêt : 35191/97
Date de la décision : 04/03/1998
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : WOLSKI
Défendeurs : la POLOGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-03-04;35191.97 ?

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