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09/03/1998 | CEDH | N°33933/96

CEDH | GUISSET contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 33933/96 présentée par Jean-Claude GUISSET contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 9 mars 1998 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président J.-C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE

F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS ...

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 33933/96 présentée par Jean-Claude GUISSET contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 9 mars 1998 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président J.-C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO B. CONFORTI N. BRATZA I. BÉKÉS J. MUCHA D. SVÁBY G. RESS A. PERENIC C. BÎRSAN K. HERNDL E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA M. VILA AMIGÓ Mme M. HION MM. R. NICOLINI A. ARABADJIEV M. M. de SALVIA, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 31 mai 1996 par Jean-Claude Guisset contre la France et enregistrée le 22 novembre 1996 sous le N° de dossier 33933/96 ; Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 16 juin 1997 et les observations en réponse présentées par le requérant le 28 août 1997 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant français né en 1933 et demeurant à Orgerus. Il est représenté devant la Commission par Maître Guillaume Delvolve, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Circonstances particulières de l'affaire Le requérant fut ambassadeur de France auprès de l'Etat des Emirats arabes unis de décembre 1977 à mars 1982. A l'occasion de l'examen des comptes et de la gestion de la Mission laïque française et de la Fondation scolaire et culturelle à vocation internationale pour les années 1976 à 1983, la Cour des comptes eut connaissance de diverses irrégularités dans les opérations de construction d'un établissement scolaire à Abou Dhabi. L'école française d'Abou Dhabi, gérée par une association de parents d'élèves propriétaire des locaux, était implantée depuis 1974 sur un terrain appartenant à l'Etat français à la suite d'un don de Cheikh Zahed. En mars 1981, les autorités locales demandèrent que le terrain soit remis, le 30 juin suivant, à la disposition de la municipalité d'Abou Dhabi, en échange d'un autre terrain situé à l'extérieur de la ville, dans le quartier des ambassades. Cet échange fut approuvé par la Commission interministérielle compétente. Sur ce terrain, de nouveaux bâtiments furent édifiés qui permirent d'assurer la rentrée scolaire 1981-1982. Cet établissement, qui est aujourd'hui le lycée Louis Massignon, n'était que la première réalisation d'une opération plus vaste qui, sous le nom de « Maison de la culture franco-arabe Cheikh Khalifa », comprend également un centre culturel et un centre de loisirs. L'opération de construction du centre fit l'objet de deux emprunts d'un montant de quinze millions de dirhams chacun, contractés en juin 1980 et mai 1981 pour une durée respective de dix et vingt ans aux taux de 4 %, réduit par la suite à 2 %, auprès du Gouvernement de l'Emirat d'Abou Dhabi. Ces emprunts, engageant l'Etat, furent signés par le requérant, en sa qualité d'ambassadeur et au nom de l'Ambassade de France. Toutefois, le requérant n'avait sollicité aucun pouvoir en vu de ces signatures, en infraction aux règles d'exécution des recettes et dépenses de l'Etat, infraction visée à l'article L 313-1 du Code des juridictions financières, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière. Par décision du 15 février 1984, la Cour des comptes décida de déférer le requérant auprès de la Cour de discipline budgétaire et financière. A compter du 3 juillet 1986, date de l'arrêté mettant fin à ses fonctions d'ambassadeur en Bolivie, poste qu'il avait occupé après celui des Emirats arabes unis, le requérant, tout en continuant à percevoir son traitement de base, sans indemnité, n'obtint plus ni affectation, ni avancement. Le 11 février 1987, le procureur général près la Cour des comptes, exerçant les fonctions de ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, demanda l'ouverture de l'instruction et la nomination d'un rapporteur, lequel fut désigné par le président le 9 mars 1987. Le requérant, avisé le 10 juin 1987 de l'ouverture d'une instruction et de son droit de constituer avocat, fut entendu par le rapporteur les 25 juin et 3 juillet 1987. Les 13 avril et 4 novembre 1988, les ministres des Affaires étrangères et du Budget firent respectivement parvenir leurs avis. Par décision du 15 novembre 1988, le procureur général prononça le renvoi du requérant devant la Cour de discipline budgétaire et financière pour y être jugé. Le 7 février 1989, le requérant fut informé par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière de ce qu'il pouvait prendre connaissance du dossier au secrétariat de la Cour. Le 24 mars 1989, le requérant déposa son mémoire en défense au greffe de la Cour. Le 11 avril 1989, le requérant déposa une plainte contre X auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris visant le retrait de fonds de l'association culturelle France- Emirats arabes unis après son départ d'Abou Dhabi. Le 13 avril 1989, il demanda à la Cour de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur la plainte précitée et sollicita un supplément d'information afin d'obtenir la communication de divers renseignements et documents complémentaires. Par arrêt du 17 avril 1989, notifié au requérant le 3 octobre 1989, la Cour de discipline budgétaire et financière rejeta sa demande au motif que «les documents contenus dans le dossier d'instruction [étaient] suffisants pour permettre à la cour de statuer sans qu'il y ait lieu de réclamer d'autres pièces, ni d'attendre la suite donnée à la plainte susmentionnée ». Elle condamna le requérant à une amende de 2 000 francs pour avoir contrevenu aux règles relatives à l'exécution des recettes de l'Etat. Le 4 décembre 1989, le requérant saisit le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation et, le 4 avril 1990, il produisit un mémoire ampliatif. Déclaré admissible par le Conseil d'Etat le 25 janvier 1991, le pourvoi fut communiqué les 14 février et 18 avril 1991 aux ministres du Budget et des Affaires étrangères qui produisirent leurs mémoires en défense, respectivement les 11 avril et 3 septembre 1991. Le 22 juillet 1991, le dossier fut communiqué à l'avocat du requérant afin qu'il produise son mémoire en réplique. Par arrêt du 29 décembre 1993, le Conseil d'Etat cassa l'arrêt du 17 avril 1989 de la Cour de discipline budgétaire et financière pour défaut de motivation et renvoya l'affaire devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Par arrêt du 12 avril 1995, notifié le 28 décembre suivant, la Cour de discipline budgétaire et financière, où siégeaient deux magistrats ayant déjà siégé lors du premier arrêt du 17 avril 1989 ainsi que le même rapporteur, rejeta comme suit les moyens de la défense. A l'encontre des griefs tirés de la méconnaissance de ses droits de la défense, la Cour releva notamment que : « conformément à l'article 18 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée [L 314-4], [le requérant avait] bien été avisé, par lettre recommandée du 10 juin 1987 dont il a accusé réception, qu'une instruction était ouverte à son encontre, qu'il était autorisé à se faire assister et qu'il serait convoqué en vue de son audition ; que procès- verbal [avait] été dressé contradictoirement à la fin de son audition, le 3 juillet 1987, en présence du greffier de la Cour ; qu'au demeurant l'entretien accordé le 25 juin 1987 avait pour unique but d'informer à l'avance [le requérant] des faits reprochés dont il serait précisément question lors de son audition prochaine ; (...) que [le requérant], lors de l'entretien préalable du 25 juin 1987, [avait] remis au magistrat instructeur 81 pièces, effectivement répertoriées et portées au dossier (...); » S'agissant de la demande de supplément d'information et la communication de pièces sollicitées par le requérant, la Cour considéra avoir été exclusivement saisie, en l'espèce, des conditions dans lesquelles avaient été conclus les deux emprunts à long terme que le requérant avait contractés. Elle estima que les documents sollicités par le requérant « devaient, par leur nature même, porter sur l'évolution, après le départ [du requérant] d'Abou Dhabi, de l'opération qu'il avait engagée ; que ces pièces étaient donc étrangères à l'objet du déféré ». Quant à un éventuel sursis à statuer dans l'attente des suites données à la plainte contre X déposée le 11 avril 1989, la Cour considéra qu'elle n'était « jamais tenue d'attendre, pour statuer, la décision du juge pénal ; qu'au surplus la plainte dont le tribunal de grande instance de Paris [avait] été saisi en l'espèce [portait] sur des événements postérieurs aux faits ayant motivé la saisine de la Cour ». Par ailleurs, la Cour rejeta comme suit les moyens tirés d'une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention : « Considérant que la défense se réfère à la convention précitée, notamment à son article 6 par. 1, dans la mesure où la Cour serait appelée à décider soit des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale ; qu'à ce titre, M. Guisset aurait droit à ce que sa cause soit entendue publiquement et dans un délai raisonnable ; qu'en l'occurrence, plus de dix ans se seraient écoulés entre la décision de déféré enregistrée au Parquet de la Cour le 9 août 1984 et la lettre, en date du 21 mars 1995, de Mme le Procureur général de la République, citant M. Guisset à comparaître le 12 avril 1995 ; que, dès lors, en raison de la durée excessive de la procédure, l'action serait prescrite et la procédure nulle tant en application de la convention européenne que de l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 ; Considérant que les amendes prononcées en application de la loi du 25 septembre 1948 par la Cour de discipline budgétaire et financière n'interviennent pas dans le cadre d'une contestation sur les droits ou obligations de caractère civil ni dans celui d'une accusation en matière pénale ; qu'elles sont ainsi en dehors du champ d'application des dispositions du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention ; que le requérant ne peut donc utilement se prévaloir de ces dispositions de la convention pour soutenir que la procédure aurait été irrégulière faute, pour la décision attaquée, d'avoir été prise à la suite d'une audience publique ; qu'en conséquence, la Cour se doit d'appliquer le dernier alinéa de l'article 23 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée [L 314-15], en vertu duquel les audiences de la Cour ne sont pas publiques ... » Puis, après avoir rappelé les faits à charge contre le requérant, la Cour de discipline budgétaire et financière estima qu'il avait enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes de l'Etat et qu'il tombait sous le coup des sanctions prévues par la loi. A cet égard, elle releva ce qui suit : «[Le requérant ] a signé successivement deux contrats de prêt en tant qu'ambassadeur de France sans avoir préalablement reçu d'instruction à cet effet du ministère des Affaires étrangères ; qu'au demeurant il n'avait aucune compétence pour ce faire, seul le ministre des Finances étant habilité, aux termes de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, à exécuter les opérations d'emprunt conformément aux autorisations générales données chaque année par les lois de finances ; mais qu'agissant apparemment dans le cadre de ses attributions, l'ambassadeur, par l'engagement qu'il avait contracté, imposait à l'Etat français le risque d'avoir à en supporter les éventuelles conséquences dommageables. Considérant cependant que le requérant a dû faire face avec urgence à la situation créée par la volonté de la municipalité et de l'émirat d'Abou Dhabi de reprendre le terrain sur lequel était édifiée l'école française dont, au demeurant, les capacités d'accueil étaient reconnues insuffisantes ; que les initiatives [du requérant] ont permis, dans de bonnes conditions, l'ouverture tenue pour nécessaire du lycée à la rentrée scolaire de septembre 1981 ; que l'administration centrale du ministère des Affaires étrangères n'a réagi qu'avec lenteur à ses correspondances et sans que ses différents services agissent de façon coordonnée ; que tout au long du montage de l'opération, l'ambassadeur a reçu les encouragements du ministre et de son cabinet ; » La Cour considérant que l'ensemble des circonstances rappelées ci-dessus étaient de nature à exonérer le requérant de la condamnation à une amende, celui-ci fut relaxé des fins de la poursuite. Compte tenu de la relaxe prononcée, cet arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière était insusceptible de recours devant le Conseil d'Etat. En dépit de la relaxe prononcée, aucune proposition d'affectation ne fut faite au requérant. En février 1997, il fut mis à la retraite avec le grade et l'échelon qu'il avait atteints en 1978. Eléments de droit interne relatifs à la Cour de discipline budgétaire et financière, tel que présentés par le gouvernement mis en cause Le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables constitue l'un des fondements essentiels et caractéristiques du droit français de la comptabilité publique. Toute opération budgétaire d'un organisme public exige l'intervention successive de deux agents : l'ordonnateur qui a l'initiative des recettes et des dépenses, et le comptable qui est préposé aux recouvrements et aux paiements. La loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 a instauré, pour les ordonnateurs publics qui jusqu'à cette date étaient passibles de seules sanctions disciplinaires en tant que fonctionnaires ou bien de sanctions pénales, une juridiction spécialisée, la Cour de discipline budgétaire et financière, indépendante de la Cour des comptes, mais ayant avec elle des liens étroits. Les dispositions de cette loi, plusieurs fois modifiée, ont fait l'objet d'une codification par une loi n° 95-851 du 24 juillet 1995, et constituent désormais la partie législative du livre II du Code des juridictions financières.
Code des juridictions financières - Livre III - Titre I - La Cour de discipline budgétaire et financière
Chapitre I - Organisation Article L 311-2 (article 11 de la loi de 1948) « La Cour est composée comme suit : Le premier président de la Cour des comptes, président ; Le président de la section des finances du Conseil d'Etat, vice-président ; Deux conseillers d'Etat ; Deux conseillers maîtres à la Cour des comptes. (...)» Article L 311-3 (article 11 de la loi de 1948) « Les conseillers d'Etat et conseillers maîtres à la Cour des comptes sont nommés à la Cour par décret pris en conseil des ministres pour une durée de cinq ans.(...). » Article L 311-4 (article 12 de la loi de 1948) « Les fonctions de Ministère public près la Cour sont remplies par le procureur général près la Cour des comptes, assisté d'un avocat général, et, s'il y a lieu, d'un ou deux commissaires du Gouvernement choisis parmi les magistrats de la Cour des comptes. » Article L 311-5 (article 13 de la loi de 1948) « L'instruction des affaires est confiée à des rapporteurs choisis parmi les membres du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes. »
Chapitre II - Personnes justiciables de la Cour Article L 312-1 (article 1er de la loi de 1948) « Est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière : (...) b) Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l'Etat, tout agent d'une collectivité territoriale, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des collectivités territoriales ; c) Tout représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d'une chambre régionale des comptes (...). »
Chapitre III - Infractions et sanctions Les infractions et leurs sanctions sont définies par les articles L 313-1 à L 313-14 (articles 2 à 9 de la loi de 1948). Les articles pertinents en l'espèce sont les articles L 313-1, L 313-4 et L 313-6 qui disposent : Article L 313-1 « Toute personne visée à l'article L 312-1 qui aura engagé une dépense sans respecter les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l'engagement des dépenses sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 1 000 F et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date à laquelle le fait a été commis. » Article L 313-4 « Toute personne visée à l'article L 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l'amende prévue à l'article L 313-1.(...) » Article L 316-6 « Toute personne visée à l'article L 312-1 qui, dans l'exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécunière ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 2 000 F et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l'infraction. »
Chapitre IV - Procédure devant la Cour Saisine : l'article L 314-1 (article 16 de la loi de 1948) définit les personnes qui ont qualité pour saisir la Cour. Il s'agit, en premier lieu, des présidents des deux assemblées législatives et des ministres. En second lieu, il s'agit, notamment, de la Cour des comptes et du procureur général près la Cour des comptes, en sa qualité de Ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière. L'essentiel de saisines provient, en fait, de la Cour des comptes. Réquisitoire : la saisine de la Cour s'effectue par l'intermédiaire du procureur général. En application de l'article L 314-3 (article 17 de la loi de 1948), le procureur général peut procéder au classement de l'affaire. Dans le cas contraire, il transmet par un « réquisitoire » le dossier au président de la Cour. Instruction : le président, au reçu du réquisitoire, désigne parmi les rapporteurs auprès de la Cour, celui qui est chargé d'instruire l'affaire. « A la diligence du Ministère public », les personnes sont averties de l'ouverture d'une instruction. Le rapporteur, en application de l'article L 314-4 (article 18 de la loi de 1948), dispose des plus larges pouvoirs d'investigation auprès des organismes concernés. Il a le droit de recourir à des fonctionnaires pour effectuer des enquêtes. Il peut entendre les intéressés en présence d'un greffier, un procès-verbal de l'audition est dressé. Les personnes mises en cause ont la possibilité de se faire assister d'un avocat. Le rapporteur est entièrement libre dans le déroulement de l'instruction, dont il doit simplement tenir informé le Procureur général. Avis des ministres : lorsque l'instruction est close, le « dossier est soumis au procureur général » qui peut, en application de l'article L 314-4 (article 18 de la loi de 1948), procéder au classement de l'affaire. Dans l'hypothèse inverse où le procureur décide de poursuivre, le dossier est soumis au ministre chargé de finances et au ministre dont dépend l'agent mis en cause, qui disposent d'un délai fixé par le président et qui ne peut être inférieur à un mois pour produire leurs avis. Ce délai passé, la procédure peut être poursuivie. Décision de renvoi : après réception des réponses ministérielles ou à l'expiration du délai imparti, le dossier est transmis au procureur général qui dispose d'un délai de quinze jours pour prononcer le classement de l'affaire ou son renvoi devant la Cour. Avis des commissions paritaires : l'article L 314-8 (article 22 de la loi de 1948) dispose qu'en cas de renvoi devant la Cour, « le dossier est communiqué à la commission administrative paritaire compétente siégeant en formation disciplinaire ou éventuellement à la formation qui en tient lieu, s'il en existe une ». Celle-ci dispose d'un mois pour se prononcer. En cas d'absence d'avis, « la Cour peut statuer ». Audience de jugement : l'article L 314-8 (article 22 de la loi de 1948) dispose qu'à l'issue de la consultation de la commission paritaire, l'intéressé est avisé qu'il peut prendre connaissance de son dossier dans un délai de quinze jours ; dans le mois qui suit la communication du dossier, l'intéressé peut établir un mémoire. Au terme de cette procédure se déroule l'audience, dont le rôle est « préparé par le Ministère public et arrêté par le président ». L'article 314-13 (article 23 de la loi de 1948) dispose que « la Cour ne peut valablement délibérer que si quatre au moins de ses membres sont présents ». Le même article prévoit que « le rapporteur a voix consultative dans les affaires qu'il rapporte », celui-ci est donc présent à l'audience, où il « résume son rapport écrit » et participe également au délibéré. Droits de la défense : avant la saisine de la Cour, l'intéressé n'intervient pas dans la procédure. Pendant l'instruction, la loi prévoit que l'intéressé est successivement avisé de la mise en cause et de la possibilité de recours à un avocat, et enfin mis en mesure, après communication du dossier, de produire un mémoire en défense. A l'audience, l'intéressé a la possibilité de faire citer des témoins, de recourir au ministère d'un avocat, et lui ou son représentant prend la parole en dernier, comme le prévoit la loi. L'article L 314-15 (article 23 de la loi de 1948) dispose que les audiences ne sont pas publiques. Article L 314-20 « Les arrêts par lesquels la Cour prononce des condamnations peuvent, dès qu'ils ont acquis un caractère définitif, être publiés, en tout ou partie, sur décision de la Cour, au Journal Officiel de la République française. »
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure qui, selon lui, visait à faire examiner le bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre lui.
2. Le requérant se plaint également, toujours sous l'angle de l'article 6 par. 1 de la Convention, de l'absence d'audience publique devant la Cour de discipline budgétaire et financière, l'article L. 314-15 du Code des juridictions financières excluant expressément la tenue d'une audience publique.
3. Relevant que deux des magistrats ainsi que le rapporteur ayant siégé lors de l'audience du 12 avril 1995 avaient déjà participé à la première audience du 17 avril 1989, le requérant se plaint encore de ne pas avoir été jugé par un tribunal impartial, au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention.
4. Le requérant se plaint enfin de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable, au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention, notamment parce qu'il n'a pas obtenu communication de certains documents nécessaires à la préparation de sa défense, qu'une demande de sursis à statuer a été rejetée par la Cour de discipline budgétaire et financière et qu'il a été entendu par le magistrat instructeur en violation des droits de la défense. S'agissant de l'absence de communication des documents, le requérant invoque également l'article 10 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 31 mai 1996 et enregistrée le 22 novembre 1996. Le 26 février 1997, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement mis en cause, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien- fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 16 juin 1997, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 28 août 1997.
EN DROIT Le requérant se plaint de diverses violations de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dont la partie pertinente est rédigée comme suit : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » Le Gouvernement mis en cause soulève, à l'encontre de l'ensemble des griefs, d'une part, une exception d'incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et, d'autre part, l'absence de qualité de victime du requérant.
A. Sur l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) à la procédure en cause Le Gouvernement rappelle que les organes de la Convention ont eu, à maintes reprises, à connaître de requêtes dirigées contre des sanctions qualifiées de disciplinaires par le droit interne des Etats concernés. Ils ont reconnu la spécificité du champ de la matière disciplinaire, laquelle ne se confond ni avec « le bien-fondé d'une accusation en matière pénale » ni avec un litige portant sur des « droits et obligations de caractère civil ». A cet égard, le Gouvernement souligne que la Commission a insisté sur le fait qu'il existait des infractions par nature disciplinaires (N° 4274/69, déc. 21.7.70, Annuaire 8, p. 889). C'est seulement à titre d'exception, dès lors que certaines conditions sont remplies, qu'une mesure disciplinaire peut soit entrer dans le volet civil de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), soit dans le volet pénal. Des poursuites disciplinaires ne conduisent pas d'ordinaire à une contestation sur des droits de caractère civil ou à une décision sur une accusation pénale (N° 23201/94, déc. 3.3.97, D.R. 88-A, p. 25). S'agissant de l'article 6 par 1 (art. 6-1) sous son angle civil, le Gouvernement rappelle que, selon une jurisprudence abondante des organes de la Convention, la disposition précitée n'est applicable au contentieux disciplinaire que si la contestation a porté « sur des droits et obligations de caractère civil », c'est-à-dire que l'issue de la procédure a été déterminante pour un tel droit, c'est-à-dire encore, très concrètement, a eu une incidence patrimoniale pour l'intéressé (Cour eur. D.H., arrêt du 26 septembre 1995, Diennet c. France, série A n° 325-A, p. 9, par. 27). Or, en l'espèce, la procédure n'a emporté aucune conséquence patrimoniale pour le requérant dès lors qu'il a fait l'objet d'une décision de relaxe. Par ailleurs, les conséquences patrimoniales du litige doivent être directes, et tel n'est pas le cas de répercussions, à supposer celles-ci établies, de la procédure sur le déroulement de la carrière du requérant. En outre, le Gouvernement soutient que le présent litige échappe, en raison de sa nature même, à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) dans son volet civil.
Il rappelle que la Cour a encore eu récemment l'occasion d'affirmer que le droit de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe distingue fondamentalement les fonctionnaires de salariés de droit privé. Cela l'a conduite à juger que les contestations concernant le recrutement, la carrière et la cessation d'activité des fonctionnaires sortent, en règle générale, du champ d'application de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (Cour eur. D.H., arrêt du 17 mars 1997, Neigel c. France, Rec. 1997-II, fasc. 32). Il n'en va autrement que si le fonctionnaire se trouve vis- à-vis de son employeur public dans une situation qui serait analogue à celle d'un salarié de droit privé. Or, en l'espèce, la législation en cause a pour but de sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités par des personnes qui, à raison de leurs fonctions, sont ordonnateurs des deniers publics. C'est en tant que fonctionnaire que le requérant a dû répondre de la gestion des deniers publics. Relèvent donc du droit public tant la législation en cause que l'objet de la contestation (le respect des règles de la comptabilité publique) et la procédure qui a été suivie. Si, toutefois, la Commission choisissait d'utiliser en l'espèce la technique dite du « faisceau d'indices » que les organes de la Convention emploient dans certains contentieux dit « mixtes » (Cour eur. D.H., arrêt Muyldermans c. Belgique du 2 octobre 1990, série A n° 214, p. 13), le Gouvernement estime que les éléments de droit public l'emportent sur les éléments de droit privé. En effet, la Cour de discipline budgétaire et financière se fonde sur la responsabilité pour faute et non sur une responsabilité purement objective. Il ne s'agit pas pour elle de prononcer une condamnation en fonction du préjudice subi par l'Etat, ce qui apparenterait la matière au droit commun de la responsabilité civile. Elle se prononce uniquement sur une responsabilité disciplinaire, la sanction qu'elle est éventuellement amenée à prononcer n'ayant aucun caractère indemnitaire. En ce qui concerne l'article 6 par. 1 (art. 6-1) sous son angle pénal, le Gouvernement, se référant aux critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention (Cour eur. D.H., arrêt du 8 juin 1976, Engel et autres c. Pays-Bas, série A n° 22, p. 33, par. 80 et s.), relève que s'agissant de la qualification de la mesure au regard du droit interne, premier critère, la procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière ne relève pas du domaine pénal, puisqu'il s'agit d'une procédure disciplinaire devant la juridiction administrative. Pour ce qui est de la nature du fait sanctionné, second critère, il s'agit d'un manquement à des règles professionnelles qui ne concerne que les ordonnateurs des dépenses publiques et ne présente pas le caractère de généralité requis pour que la sanction puisse relever du domaine pénal. Quant au troisième critère, le but et la sévérité de la sanction, le Gouvernement souligne que l'amende infligée par la Cour de discipline budgétaire et financière se distingue à plusieurs égards d'une amende pénale. En effet, le but de la législation en cause est d'assurer la protection de deniers publics et les amendes infligées, contrairement aux amendes pénales, ne sont pas soumises aux règles du droit pénal relatives, notamment, au sursis, à la récidive, au non cumul des peines ou à l'inscription au casier judiciaire. En conséquence, le Gouvernement conclut, à titre principal, au rejet de la requête comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le requérant soutient au contraire qu'il est incontestable qu'en l'espèce la Cour de discipline budgétaire et financière fut appelée à statuer en matière pénale, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il en veut pour preuve le fait que le Code des juridictions financières définisse de façon large tant les personnes justiciables de la Cour que les infractions punissables et prévoit à titre de sanctions des amendes dont le montant peut être important, puisqu'il peut atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel du prévenu, voire le double. Par ailleurs, la procédure, de type accusatoire, laissant place à une intervention active du parquet, devant une véritable juridiction, aurait elle-même, selon lui, un caractère pénal. A supposer même que la Cour ne statue pas en matière pénale, le requérant estime que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s'applique néanmoins, compte tenu des incidences de la décision en matière d'obligations civiles, notamment en raison de la nature pécuniaire de la sanction, dont le montant est déterminé par rapport au traitement, et des conséquences de la procédure sur sa situation matérielle et morale. Il rappelle, à ce sujet, qu'en raison de cette procédure, il fut dépourvu d'affectation pendant plus de dix ans. La Commission est donc appelée à déterminer si, en l'espèce, la Cour de discipline budgétaire et financière fut saisie, soit d'une contestation sur « des droits et obligations de caractère civil », soit du bien-fondé d'une « accusation pénale » dirigée contre le requérant, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. A cette fin, la Commission rappelle qu'afin de déterminer si l'accusation portée contre le requérant était de nature pénale, « il importe d'abord de savoir si le texte définissant l'infraction en cause ressortit ou non au droit pénal d'après la technique juridique de l'Etat défendeur ; il y a lieu d'examiner ensuite, eu égard à l'objet et au but de l'article 6 (art. 6), au sens ordinaire de ses termes et au droit des Etats contractants, la nature de l'infraction ainsi que la nature et le degré de gravité de la sanction que risquait de subir l'intéressé » (Cour eur. D.H., arrêt Engel et autres c. Pays-Bas précité, pp. 34-35, par. 82). En l'espèce, le droit interne qualifiant la matière de disciplinaire, c'est donc à la nature de l'infraction ainsi qu'à la nature et au degré de gravité de la sanction qu'il convient de s'intéresser. A cet égard, la Commission relève que l'infraction en cause est l'irrespect des règles relatives à l'exécution des recettes de l'Etat, à savoir, dans le cas du requérant, la conclusion de prêts par un ordonnateur public sans l'obtention préalable d'un pouvoir délivré en ce sens. Quant aux sanctions, prévues aux articles L 313-1 à L 313-7 (voir l'article L 313-4), celles-ci sont essentiellement d'ordre financier et peuvent aller de 1 000 francs jusqu'au double du montant du traitement ou salaire brut annuel alloué à l'ordonnateur à la date de l'infraction. S'agissant de la nature de l'infraction, la Commission rappelle « que le caractère général d'[une] norme et le but, à la fois préventif et répressif, de la sanction [suffisent] à établir, aux fins de l'article 6 (art. 6), la nature pénale d'[une] infraction litigieuse » (Cour eur.D.H., arrêt Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A n° 123-A, p. 23, par. 54). La Commission estime que l'objectif à la fois préventif et répressif de la sanction ne fait pas de doute dans la présente affaire, puisqu'il s'agit manifestement à la fois de dissuader et de sanctionner, dans l'intérêt général, toute gestion irrégulière et préjudiciable à l'Etat et à l'ensemble des contribuables, des deniers publics. Elle est d'avis en outre que la norme est bien « générale » puisqu'elle s'applique à tous ceux, sans exception, qui peuvent objectivement se trouver en position de commettre l'infraction en cause. La Commission rappelle que les critères concernant la nature de l'infraction et le degré de sévérité de la sanction « (...) sont alternatifs et non cumulatifs : pour que l'article 6 (art. 6) s'applique au titre des mots "accusation en matière pénale", il suffit que l'infraction en cause soit, par nature, "pénale" au regard de la Convention (...), ou ait exposé l'intéressé à une sanction qui, par sa nature et son degré de gravité, ressortit en général à la "matière pénale" » (arrêt Lutz c. République Fédérale d'Allemagne précité, p. 23 par. 55). Les constats qui précèdent pourraient donc être considérés comme suffisants pour conclure à la nature pénale de l'accusation dont le requérant fit l'objet. Toutefois, la Commission estime que la gravité de la sanction encourue contribue à conforter cette interprétation. En effet, le montant des amendes encourues dépasse largement ce qui pourrait être considéré comme une sanction purement disciplinaire, puisque l'intéressé peut se voir condamné à verser deux fois le montant de son salaire annuel brut. Il s'ensuit que l'exception d'inapplicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention soulevée par le Gouvernement ne saurait être accueillie.
B. Sur la qualité de victime du requérant A titre subsidiaire, le Gouvernement conclut au rejet de la requête pour défaut de qualité de victime du requérant, celui-ci ne pouvant se prétendre victime d'une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dès lors qu'il a fait l'objet d'une décision de relaxe. Il se réfère, à cet égard, à la jurisprudence constante de la Commission, selon laquelle le requérant qui a fait l'objet d'un acquittement ou d'une relaxe ne saurait se prévaloir des griefs relatifs à la procédure qui a abouti à ces décisions. Le requérant revendique au contraire la qualité de victime. Il estime que la décision de relaxe aurait dû lui apporter une reprise de son cursus administratif normal (offre d'une affectation possible, étude du déroulement de sa carrière), ce qui ne fut pas le cas. Il relève également n'avoir pas bénéficié de la pratique constante consistant à élever au grade supérieur, six mois avant la cessation d'activité, tout agent partant à la retraite. La Commission rappelle que les conditions posées par les organes de la Convention pour qu'un requérant cesse d'être victime, au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention, des violations qu'il allègue supposent que les autorités nationales aient reconnu explicitement ou en substance, puis réparé, lesdites violations (voir notamment Cour eur. D.H., arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 30, par. 66). En l'espèce, elle relève que le dispositif de l'arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière du 12 avril 1995 indique que le requérant est « relaxé des fins de la poursuite ». En revanche, elle note qu'il ressort clairement des motifs de cet arrêt que ladite Cour le considéra coupable et passible de la condamnation à une amende. Quant aux violations de la Convention alléguées par le requérant, la Cour s'est contentée de déclarer que l'article 6 (art. 6) était inapplicable à la procédure en cause. Or, la Commission rappelle que dans l'affaire Adolf c. Autriche (Cour eur. D.H., arrêt du 26 mars 1982, série A n° 49, p. 17-18, par. 38 et 39), dans laquelle le requérant avait également bénéficié d'un arrêt des poursuites, la Cour, après avoir relevé que « (...)les motifs de la décision (...) pouvaient fort bien s'interpréter comme déclarant [le requérant] coupable d'une infraction pénale encore que l'acte incriminé ne méritât pas de sanction», déclara que ces motifs « [faisaient] corps avec le dispositif et [que] l'on ne [pouvait] les en dissocier.» En conséquence, la Commission estime qu'en l'espèce, compte tenu à la fois des motifs et du dispositif de l'arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière du 12 avril 1995, le requérant n'a pas perdu la qualité de « victime » au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention, ladite cour ayant expressément rejeté ses griefs fondés sur la Convention et sa relaxe ne pouvant dès lors en aucun cas être considérée comme une réparation des violations alléguées. Il s'ensuit que l'exception tirée de l'absence de qualité de victime du requérant, soulevée par le Gouvernement, ne saurait être accueillie.
C. Sur les griefs du requérant soulevés au titre de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
a. Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure. Cette durée lui aurait causé un préjudice considérable, d'une part, parce qu'il n'a reçu ni affectation ni avancement depuis le 3 juillet 1986, date de l'arrêté mettant fin à ses fonctions d'ambassadeur en Bolivie et, d'autre part, parce qu'il n'a pas été promu au grade de ministre plénipotentiaire, comme il est d'usage, en même temps que ses cinq autres condisciples de la même promotion que lui qui, eux, l'ont été depuis longtemps. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1), dont la partie pertinente dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » Le Gouvernement estime que les phases de la procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière se sont enchaînées sans retards imputables à la juridiction ainsi qu'il ressort de la chronologie de l'affaire. D'après le Gouvernement, la procédure a débuté à la date à laquelle le requérant a été avisé de l'ouverture de l'instruction et de son droit à constituer avocat, soit le 10 juin 1987. Elle s'est terminée le 12 avril 1995 par le deuxième arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière et a donc duré presque huit ans. Or le Gouvernement considère que cette durée n'a rien de déraisonnable si l'on considère que l'affaire a fait l'objet d'un renvoi après cassation. Le Gouvernement précise que la procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière ne se limite pas à la seule instruction menée par le rapporteur. Elle prévoit en effet, préalablement à l'audience, des phases de consultation obligatoires : il s'agit des demandes d'avis adressées aux ministres compétents et de la consultation de la commission administrative paritaire dont relève l'intéressé. Par ailleurs, le procureur général est appelé à intervenir, tout au long de la procédure, en émettant trois types de décisions successives : un réquisitoire, une décision de poursuite et une décision de renvoi. L'ensemble de ces étapes procédurales prévues par les textes en vigueur vise à permettre un examen approfondi du dossier et à prendre en compte tous les arguments et circonstances qui permettront d'éclairer le jugement de la juridiction. En conséquence, le Gouvernement estime que le grief tiré de la durée de la procédure est manifestement mal fondé. Le requérant, quant à lui, souligne les préjudices subis du fait de la durée excessive de la procédure dans le déroulement de sa carrière. Après avoir été, depuis 1986, privé d'affectation et maintenu dans un état de « mort administrative », il partit à la retraite en 1997 avec le même grade et le même échelon que celui qu'il avait en 1978, et cela en dépit des très hautes notes administratives et des excellentes appréciations de ses supérieurs hiérarchiques dont il avait bénéficié depuis le début de sa carrière. Ayant examiné les arguments des parties, la Commission estime que cette partie de la requête soulève des questions de fait et de droit qui ne sauraient être résolues à ce stade de l'examen de l'affaire, mais nécessitent un examen au fond. Cette partie de la requête ne saurait dès lors être déclarée manifestement mal fondée, en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. En outre, elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
b. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) précité, le requérant se plaint de l'absence d'audience publique devant la Cour de discipline budgétaire et financière, l'article L 314-15 du Code des juridictions financières excluant expressément la tenue d'une audience publique. Le Gouvernement estime que l'absence de publicité de l'audience ne peut être considérée comme constitutive d'une violation de la Convention dès lors que la procédure n'a pas abouti à une condamnation du requérant. Le requérant ne répond pas à cet argument du Gouvernement, se contentant de souligner le caractère « secret » de la procédure jusqu'au moment où il lui fut permis de consulter le dossier, c'est-à- dire alors qu'il avait déjà été décidé de le renvoyer devant la Cour de discipline budgétaire et financière. A cet égard, il relève notamment que le réquisitoire ne lui fut pas communiqué avant la première audition et qu'il fut contraint de préparer son mémoire en défense sur de simples hypothèses. Ayant examiné les arguments des parties, la Commission estime que cette partie de la requête soulève des questions de fait et de droit qui ne sauraient être résolues à ce stade de l'examen de l'affaire, mais nécessitent un examen au fond. Cette partie de la requête ne saurait dès lors être déclarée manifestement mal fondée, en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. En outre, elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
c. Le requérant se plaint également de ne pas avoir été jugé par un tribunal impartial, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) précité, dans la mesure où deux des magistrats ainsi que le rapporteur ayant siégé lors de l'audience du 12 avril 1995 avaient déjà participé à la première audience en date du 17 avril 1989. Le Gouvernement relève qu'au vu des motifs invoqués par le requérant, c'est l'impartialité objective de la juridiction qui est mise en cause. A cet égard, il souligne que les règles prévues par le droit interne afin d'éviter que puissent être suspectées l'indépendance ou l'impartialité des personnalités composant une juridiction ont été respectées. En effet, l'article 11 de la loi n° 87-117 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif dispose que « s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut, soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie (...). » En l'espèce, l'unicité de la juridiction en cause ne permettait pas le renvoi vers un tribunal de même nature et sa composition (six membres dont quatre au moins doivent être présents pour que la Cour puisse valablement statuer) lui interdisait de statuer dans une autre formation de jugement. Au demeurant, le Gouvernement rappelle que l'une des personnes mises en cause par le requérant, le rapporteur, n'a que voix consultative dans les affaires qu'il rapporte. Enfin, « aucun intérêt d'une bonne administration de la justice » ne justifiait que le Conseil d'Etat évoque l'affaire. Le Gouvernement rappelle que les organes de la Convention ont relevé, dans des espèces analogues, que l'« on ne saurait poser en principe général découlant du devoir d'impartialité qu'une juridiction de recours annulant une décision administrative ou judiciaire a l'obligation de renvoyer l'affaire à une autre autorité juridictionnelle ou à un organe autrement constitué de cette autorité (...) » (Cour eur. D.H., arrêt Ringeisen c. Autriche du 16 juillet 1971, série A n° 13, p. 40, par. 97). Dans son arrêt du 26 septembre 1995, rendu dans l'affaire Diennet c. France, s'agissant comme en l'espèce d'une juridiction unique, la Cour a considéré qu'« on ne peut voir un motif de suspicion légitime dans la circonstance que trois des sept membres de la section disciplinaire [du Conseil national de l'ordre des médecins] ont pris part à la première décision (...). Au vu de cette jurisprudence, le Gouvernement estime que le grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé. Le requérant estime que la composition de la Cour de discipline budgétaire et financière et le choix même du rapporteur ont conduit à ce que soit adoptée, à dix ans d'intervalle, les mêmes conclusions, sans que soit pris en compte le fait qu'entre temps le premier emprunt et une large partie du second avaient été remboursés. Or, selon lui, ce fait était essentiel pour évaluer sa responsabilité. Lors de l'instruction le rapporteur avait, en effet, bien précisé que ces prêts constituaient un « risque éventuel » pour l'Etat et il eût dès lors fallu se demander si ce risque s'était ou non concrétisé. Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, le requérant est d'avis que le Conseil d'Etat aurait dû évoquer l'affaire au fond. La Commission relève que lors de la première décision de la Cour de discipline budgétaire et financière en 1989, la Cour était composée de cinq membres ainsi que du rapporteur de l'affaire. En 1995, après cassation et renvoi par le Conseil d'Etat, la Cour se composait de six membres, dont seulement deux avaient déjà siégé dans l'affaire en 1989, ainsi que du même rapporteur qu'en 1989. Or la Commission souligne que les dispositions pertinentes du Code des juridictions financières disposent que le rapporteur n'a que voix consultative et que les décisions sont prises à la majorité des voix. Dès lors la Commission estime qu'il n'existe aucun motif de suspicion légitime dans la circonstance que deux des six membres aient déjà pris part à la première décision (voir Cour eur. D.H., arrêt Diennet c. France du 26 septembre 1995, série A n° 325, p. 16, par. 36-38). Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, par application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
d. Le requérant se plaint enfin de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), notamment parce qu'il n'a pas obtenu communication de certains documents nécessaires à la préparation de sa défense, qu'une demande de sursis à statuer a été rejetée par la Cour de discipline budgétaire et financière et qu'il a été entendu par le magistrat instructeur en violation des droits de la défense. Il estime également que le refus de communiquer les documents précités constitue une violation de l'article 10 (art. 10) de la Convention, en vertu duquel toute personne a droit à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées, sans ingérence d'autorités publiques. Le Gouvernement relève que les documents auxquels le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès sont un rapport d'inspection de février 1982, un rapport d'audit sur les comptes de l'association France-Emirats arabes unis, ainsi que les rapports et décisions de la Cour des comptes concernant la mission laïque française et la Fondation scolaire et culturelle à vocation internationale. Or, la Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie en l'espèce des conditions dans lesquelles ont été conclus les deux emprunts à long terme que le requérant avait contractés. Par conséquent les documents visés par le requérant sont sans rapport avec l'objet de la procédure et le requérant n'avance aucun argument tendant à démontrer que lesdits documents aient été nécessaires pour assurer sa défense. S'agissant du refus de sursis à statuer, le Gouvernement relève que le requérant ne précise pas en quoi ce refus aurait constitué une atteinte à l'égalité des armes et souligne que les documents contenus dans le dossier d'instruction ont été suffisants pour permettre à la Cour de statuer. Enfin, le Gouvernement note que le requérant n'apporte, devant la Commission, aucune précision permettant d'apprécier la portée et le bien-fondé du grief fondé sur la méconnaissance des droits de la défense lors de l'audition devant le magistrat instructeur. Au regard des dispositions internes, la Cour de discipline budgétaire et financière a rejeté ce grief dans son arrêt du 12 avril 1995, après avoir constaté que le requérant avait bien été avisé de l'ouverture d'une instruction à son encontre, de la possibilité de se faire assister et de son audition à venir et que procès-verbal avait été dressé contradictoirement à la fin de ladite audition le 3 juillet 1987. La Cour a également relevé que lors d'un entretien accordé le 25 juin 1987, le requérant avait été informé à l'avance des faits reprochés dont il serait question lors de son audition prochaine. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement considère que le grief tiré de l'iniquité de la procédure doit également être rejeté comme étant manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. S'agissant des documents non communiqués, le requérant réaffirme l'importance de ces pièces. En ce qui concerne la méconnaissance des droits de la défense lors de l'audition devant le magistrat instructeur, le requérant souligne que lors de l'entretien du 25 juin 1987, qui eut lieu en l'absence du greffier, le magistrat refusa de lui communiquer le réquisitoire et lui donna oralement les raisons des poursuites. L'affaire lui fut présentée comme mineure, avec la recommandation d'éviter la présence d'un avocat lors de l'interrogatoire, de manière à ne pas donner un aspect trop formel aux choses. Le réquisitoire ne lui fut remis que le jour de son interrogatoire, de sorte qu'il ne put en prendre connaissance qu'à son issue. Enfin, le requérant estime également inéquitable le fait que, selon lui, de nombreuses pièces n'auraient pas été produites, ce qui faussa l'optique des juges, alors que des pièces figurant au dossier ne furent jamais utilisées. La Commission relève, en premier lieu, que la demande du requérant tendant à ce que soit ordonné un supplément d'information, afin d'obtenir du ministère des Affaires étrangères divers renseignements et documents complémentaires et de la Cour des comptes la transmission de certains rapports, fut rejetée par la Cour de discipline budgétaire et financière, dans son arrêt du 12 avril 1995, au motif que les documents visés étaient sans rapport avec la conclusion des emprunts contractés par le requérant, objet de la procédure. Elle note qu'en effet, le requérant n'apporte aucun élément permettant d'établir en quoi les documents réclamés auraient été indispensables pour assurer sa défense, ni en quoi le rejet de sa demande de sursis à statuer aurait constitué une atteinte à l'égalité des armes garantie par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Elle estime en outre que l'article 6 (art. 6) est, en l'espèce, lex specialis par rapport à l'article 10 (art. 10) et qu'il n'est pas nécessaire d'examiner le grief du requérant au regard de cette disposition. S'agissant, en second lieu, du respect des droits de la défense lors de l'audition du requérant par le magistrat instructeur, la Commission relève que le requérant fut avisé, par lettre recommandée du 10 juin 1987 dont il accusa réception, qu'une instruction était ouverte à son encontre, qu'un entretien lui fut accordé le 25 juin 1987 dans le seul but de l'informer, avant son audition, des faits qui lui étaient reprochés, et qu'un procès-verbal fut dressé contradictoirement à la fin de l'audition du requérant le 3 juillet 1987. En conséquence, la Commission ne relève aucune circonstance de nature à étayer le grief du requérant. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, par application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant concernant la durée de la procédure et l'absence d'audience publique devant la Cour de discipline budgétaire et financière, à l'unanimité, DECLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus. M. de SALVIA S. TRECHSEL Secrétaire Président de la Commission de la Commission


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : GUISSET
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission (plénière)
Date de la décision : 09/03/1998
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 33933/96
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-03-09;33933.96 ?

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