La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/03/1998 | CEDH | N°21981/93

CEDH | AFFAIRE K.D.B. c. PAYS-BAS


AFFAIRE K.D.B. c. PAYS-BAS
CASE OF K.D.B. v. THE NETHERLANDS
(80/1997/864/1075)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
27 mars/March 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
The present judgment is subject to editorial revision before its reproduction i

n final form in Reports of Judgments and Decisions 1998. These reports are ...

AFFAIRE K.D.B. c. PAYS-BAS
CASE OF K.D.B. v. THE NETHERLANDS
(80/1997/864/1075)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
27 mars/March 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
The present judgment is subject to editorial revision before its reproduction in final form in Reports of Judgments and Decisions 1998. These reports are obtainable from the publisher Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Köln), who will also arrange for their distribution in association with the agents for certain countries as listed overleaf.
Liste des agents de vente/List of Agents
Belgique/Belgium: Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
B-1000 Bruxelles)
Luxembourg: Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
(place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)
Pays-Bas/The Netherlands: B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat
A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC
La Haye/'s-Gravenhage) 
SOMMAIRE1
Arrêt rendu par une chambre
Pays-Bas – non-information d'un demandeur dans une procédure civile devant la Cour de cassation de la date à laquelle sa cause devait être examinée et impossibilité pour lui de répondre aux conclusions de l'avocat général
I. Article 6 § 1 de la Convention
A. Omission d'aviser le requérant de la date à laquelle sa cause devait être examinée
Rappel de la jurisprudence : la manière dont l'article 6 § 1 s'applique devant les cours d'appel ou de cassation dépend des particularités de la procédure en cause – l'absence de débats publics en deuxième ou troisième degrés peut se justifier par les caractéristiques de la procédure dont il s'agit.
Pourvoi en cassation formé après que les prétentions du requérant eurent été examinées par le tribunal d'arrondissement, qui avait plénitude de juridiction et qui tint une audience, à laquelle tant le requérant que son avocat comparurent – dès lors que le requérant était assisté d'un avocat, on pouvait attendre de lui qu'il invitât la Cour de cassation à tenir une audience – non démontré qu'il n'eût pas été possible à l'intéressé de soumettre un mémoire exposant ses moyens de cassation avant que la haute juridiction ne commençât à examiner sa cause.
Conclusion : non-violation (unanimité).
B. Omission de donner au requérant l'occasion de répondre aux conclusions de l'avocat général
Similarité des caractéristiques essentielles de la procédure applicable devant la Cour de cassation néerlandaise et de celle applicable devant la Cour de cassation belge – but des conclusions du ministère public : assister la Cour de cassation et contribuer au maintien de l'unité de la jurisprudence – obligation pour le parquet de la Cour de cassation d'agir en observant la plus stricte objectivité.
Grande importance du rôle assumé par le membre du ministère public : ses conclusions renferment un avis destiné à conseiller et influencer la Cour de cassation – l'impossibilité pour le requérant de répondre auxdites conclusions a méconnu son droit à une procédure contradictoire.
Conclusion : violation (unanimité).
II. Article 50 de la convention
A. Dommage matériel
Non en cause dans la procédure entachée d'une violation – demande rejetée.
B. Frais et dépens
Remboursement partiel.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser au requérant une certaine somme pour frais et dépens (unanimité).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
22.2.1984, Sutter c. Suisse ; 26.5.1988, Ekbatani c. Suède ; 20.2.1996, Vermeulen c. Belgique ; 25.6.1997, Van Orshoven c. Belgique ; 19.12.1997, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne
En l'affaire K.D.B. c. Pays-Bas2,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement  B3, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. Thór Vilhjálmsson, président,
B. Walsh,
G. Mifsud Bonnici,
P. Kūris,
J. Casadevall,
P. van Dijk,
T. Pantiru,
M. Voicu,
V. Toumanov,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 31 janvier et 25 février 1998,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour par un ressortissant néerlandais, M. K.D.B. (« le requérant »), le 6 août 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 21981/93) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont le requérant avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 23 mars 1993 en vertu de l'article 25. L'intéressé a demandé à la Cour de ne pas divulguer son identité.
La requête de M. K.D.B. à la Cour renvoie à l'article 48 de la Convention tel qu'amendé par le Protocole no 9, que les Pays-Bas ont ratifié. Elle vise à obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.
2.  Le 26 septembre 1997, le comité de filtrage de la Cour a décidé que l'affaire devait être examinée par celle-ci (article 48 § 2 de la Convention).
3.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 35 § 3 d) du règlement B, le requérant a désigné son avocat, Me L.J.L. Heukels (article 31).
4.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. P. van Dijk, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 25 octobre 1997, celui-ci a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, B. Walsh, P. Kūris, J. Casadevall, T. Pantiru, M. Voicu et V. Toumanov (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B). Par la suite, M. Thór Vilhjálmsson a remplacé en qualité de président de la chambre M. Ryssdal, empêché, et M. G. Mifsud Bonnici, juge suppléant, est devenu membre de la chambre (articles 10, 22 § 1 et 24 § 1 du règlement B).
5.  En sa qualité de président de la chambre à l'époque (article 21 § 6 du règlement B), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement néerlandais (« le Gouvernement »), M. R.A.A. Böcker, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission, M. H. Danelius, au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le Gouvernement et le requérant ont fait parvenir leur mémoire au greffier le 12 et le 15 décembre 1997 respectivement, et le Gouvernement a soumis ses observations sur les prétentions du requérant au titre de l'article 50 le 13 janvier 1998.
6.  Le 31 janvier 1998, la chambre a décidé de ne pas tenir d'audience, après s'être assurée que se trouvaient réunies les conditions pour une telle dérogation à la procédure habituelle (articles 27 et 40 du règlement B).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7.  Né en 1959, le requérant réside à Snelrewaard. Il possède une ferme et élève des bovins de boucherie.
8.  Le 15 novembre 1991, du bétail lui appartenant fut examiné par le Service d'inspection générale (Algemene inspectiedienst) du ministère de l'Agriculture, de la Conservation de la Nature et de la Pêche (Ministerie van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij). Celui-ci isola douze vaches   auxquelles le requérant était soupçonné avoir administré une substance interdite, le clenbutérol.
Le même jour, le procureur (officier van justitie) ordonna, sur le fondement de l'article 28 de la loi sur les infractions économiques (paragraphe 21 ci-dessous), une mesure provisoire aux termes de laquelle il était interdit au requérant d'enlever les douze vaches de sa ferme sans autorisation et de faire obstacle à leur identification.
9.  Des tests ayant révélé que du clenbutérol avait été administré à neuf des douze vaches, le Service d'inspection générale saisit les neuf bêtes en question le 3 décembre 1991, conformément à l'article 18 de la loi sur les infractions économiques (paragraphe 23 ci-dessous).
Le requérant se vit délivrer un récépissé précisant qu'en vertu de l'article 552a du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering ; paragraphe 24 ci-dessous) il pouvait former opposition à la saisie auprès du tribunal d'arrondissement d'Utrecht.
Il apparaît que les restrictions touchant les trois autres vaches furent levées.
10.  Le 5 décembre 1991, s'appuyant sur l'article 117 du code de procédure pénale (paragraphe 26 ci-dessous), le procureur sollicita du tribunal d'arrondissement d'Utrecht l'autorisation de faire procéder à la destruction des neuf vaches. Il justifiait sa demande par le fait que les animaux avaient été contaminés par une substance interdite, qu'ils ne seraient plus jamais propres à la consommation humaine ou animale et que, de surcroît, il était contraignant et coûteux de les garder plus longtemps.
11.  Le 9 décembre 1991, le requérant sollicita la mainlevée de la mesure provisoire ordonnée le 15 novembre (paragraphe 8 ci-dessus).
12.  Le tribunal d'arrondissement tint une audience à huis clos le 10 décembre 1991. Le procureur y annonça que ladite mesure serait rapportée. Il n'apparaît toutefois pas que cela se fût produit à l'époque où le tribunal d'arrondissement rendit sa décision.
13.  Le 21 janvier 1992, le requérant demanda derechef au tribunal d'arrondissement d'ordonner la mainlevée de la mesure provisoire ou, à défaut, de faire à nouveau contrôler les vaches et ordonner la mainlevée de la mesure si les nouveaux tests révélaient que les concentrations de clenbutérol relevées n'excédaient pas les limites autorisées.
Une audience se tint à huis clos le même jour. Dans ses observations orales, l'avocat du requérant se référa à la directive du Conseil des Communautés européennes no 86/469 du 16 septembre 1986, qui comportait des règles en matière de contrôle du bétail qui, d'après lui, avaient été méconnues en l'espèce.
14.  Le 4 février 1992, le tribunal d'arrondissement rejeta les demandes formées par le requérant le 9 décembre 1991 et le 21 janvier 1992. Il estima que l'intéressé n'avais pas d'intérêt juridique à solliciter la mainlevée de la mesure provisoire incriminée puisqu'aussi bien le procureur avait déjà annoncé que celle-ci serait rapportée. Dans la même décision, il autorisa le procureur à faire détruire les vaches, le dossier faisant apparaître qu'il était en tout état de cause peu probable qu'elles ne fussent pas en définitive retirées de la circulation (onttrokken aan het verkeer).
15.  Les vaches furent abattues peu après la décision du tribunal d'arrondissement.
16.  Le 13 février 1992, le requérant forma, par l'intermédiaire de son avocat, un pourvoi devant la Cour de cassation (Hoge Raad). L'avocat ne soumit pas de moyens par écrit.
17.  Le 24 décembre 1992, le procureur général près la haute juridiction soumit des conclusions relevant qu'aucun moyen n'avait été soumis à l'appui du pourvoi et que la Cour n'avait aucun motif de casser d'office la décision incriminée. Il joignit à ses conclusions une copie de la décision préjudicielle rendue par la Cour de justice des Communautés européennes au sujet de l'interprétation de la directive no 86/469 du Conseil des Communautés européennes.
Il apparaît que ni le requérant ni son avocat ne furent informés de cela avant l'intervention de l'arrêt de la Cour de cassation.
18.  Le 1er mars 1993, le procureur général fit savoir au requérant que la Cour de cassation avait rejeté son pourvoi le 19 janvier.
II. Le droit et la pratique interneS pertinents
A. Dispositions normatives et généralités
19.  L'ordonnance de 1991 relative aux substances à effet sympathico-mimétique (Verordening stoffen met sympathico mimetische werking) prohibe l'administration à des bovins de plus de quatorze semaines de médicaments pour animaux ayant un effet sympathico-mimétique et contenant du clenbutérol. L'article 3 § 1 de ce texte interdit la détention, la vente et l'achat de bovins auxquels pareilles substances ont été administrées, et l'article 4 § 1 interdit la détention, la vente et l'achat de la viande de tels bovins.
Par ailleurs, le clenbutérol constitue un médicament pour animaux non enregistré dont l'usage ou la détention sont interdits par l'article 2 de la loi sur les médicaments pour animaux (Diergeneesmiddelenwet).
Les infractions précitées constituent des infractions économiques aux fins de la loi sur les infractions économiques (article 1 de cette loi).
20.  Celle-ci fixe des règles particulières pour la poursuite et la répression des infractions économiques. En ce qui concerne la procédure, elle constitue une lex specialis par rapport au code de procédure pénale, les dispositions de ce dernier demeurant applicables pour autant que la loi sur les infractions économiques n'en dispose pas autrement (article 25 de cette loi).
B.  Mesures provisoires
21.  En vertu de l'article 28 § 1 de la loi sur les infractions économiques, le procureur peut, jusqu'à l'ouverture des débats, enjoindre, par voie de mesure provisoire, à une personne sur laquelle pèsent de graves soupçons, de cesser des agissements particuliers ou de maintenir ou entreposer des marchandises particulières en un endroit donné.
22.  Le destinataire de pareille injonction peut en solliciter la mainlevée auprès de la juridiction de jugement appelée à statuer sur la cause (article 28 § 3 de la loi sur les infractions économiques).
En cas de refus, la décision peut être attaquée devant la cour d'appel (article 30).
L'arrêt de celle-ci est susceptible d'un pourvoi devant la Cour de cassation (article 30a). Dans le délai d'un mois à compter de l'introduction de celui-ci, l'accusé doit soumettre, par l'intermédiaire de son avocat, une déclaration écrite énonçant ses moyens, à défaut de quoi son recours est déclaré irrecevable. La Cour de cassation statue aussitôt que possible.
Il apparaît que cette procédure n'a pas été suivie en l'espèce, le requérant n'ayant pas saisi la cour d'appel mais directement la Cour de cassation.
C. Saisie et destruction de marchandises
23.  Les marchandises ou objets pouvant contribuer à établir la vérité ou l'existence de gains illicites, ou susceptibles d'être retirés de la circulation, peuvent être saisis par des fonctionnaires investis de pouvoirs de recherche (opsporingsambtenaren ; article 18 § 1 de la loi sur les infractions économiques, combiné avec l'article 94 du code de procédure pénale).
24.  Les intéressés peuvent adresser une plainte écrite (schriftelijk zich beklagen) contre pareille saisie à la juridiction de jugement devant laquelle l'affaire se trouve pendante (article 552a § 1 du code de procédure pénale). Les parties concernées ont le droit d'être entendues (article 552a § 4).
La décision sur la plainte est susceptible d'un pourvoi devant la Cour de cassation (article 552 ).
Il apparaît que c'est cette procédure qui fut suivie en l'espèce.
25.  L'accusé a le droit de soumettre ses moyens de cassation par écrit dans le délai d'un mois à compter de l'introduction de son pourvoi (article 447 § 3 du code de procédure pénale), mais celui-ci n'est pas automatiquement déclaré irrecevable si l'intéressé s'abstient de cette démarche.
26.  Si les marchandises ou objets concernés ne peuvent être entreposés, la juridiction de jugement peut autoriser le procureur à les faire vendre, détruire, abandonner (prijsgegeven) ou utiliser pour un quelconque but autre que celui de servir l'enquête pénale (article 117 du code de procédure pénale). La décision de la juridiction de jugement est sans recours (article 445).
S'il apparaît approprié de restituer les marchandises saisies à leur propriétaire mais que la chose est impossible au motif que les marchandises ont été légalement vendues, détruites ou abandonnées, l'intéressé se voit allouer une indemnité d'un montant équivalent au prix auquel les marchandises auraient raisonnablement pu être vendues (article 119 § 2).
D. Procédure
27.  Toutes les questions susceptibles de se poser dans le cadre d'une procédure pénale et qui ne doivent pas obligatoirement être tranchées en audience publique sont traitées à huis clos (articles 21 § 1 du code de procédure pénale) ; parmi elles figurent les mesures provisoires visées par la loi sur les infractions économiques et les saisies.
28.  Dans l'hypothèse d'un pourvoi en cassation dirigé contre une décision rendue en audience publique (uitspraak), l'accusé a le droit de soumettre à l'audience des moyens non présentés à un stade antérieur (article 433 du code de procédure pénale). Il n'existe pas de disposition équivalente pour les pourvois en cassation dirigés contre les ordonnances (beschikkingen).
E.  La loi sur l'organisation judiciaire
29.  Les obligations et le statut du ministère public (openbaar ministerie) se trouvent définis dans la loi sur l'organisation judiciaire (Wet op de rechterlijke organisatie).
30.  Le ministère public est constitué du procureur général et des avocats généraux près la Cour de cassation, des procureurs généraux et des avocats généraux près les cours d'appel, et des procureurs près les tribunaux d'arrondissement et de canton (article 3 § 1 de la loi sur l'organisation judiciaire). Les avocats généraux près la Cour de cassation agissent en qualité de suppléants du procureur général près cette juridiction et sont soumis à son autorité (articles 3 §§ 2, 5 a) et 6 § 1).
31.  Le ministère public doit être entendu par les cours et tribunaux lorsque la loi l'exige (article 4). Les conclusions soumises à la Cour de cassation par le procureur général ou un avocat général prennent la forme d'une étude savante comportant des références à la jurisprudence et à la doctrine pertinentes, ainsi qu'une recommandation, qui ne lie pas la Cour, d'accueillir ou de rejeter le pourvoi.
Procédure devant la Commission
32.  M. K.D.B. a saisi la Commission le 23 mars 1993. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, il se plaignait de n'avoir pas été informé de la date à laquelle la Cour de cassation devait examiner son pourvoi et de n'avoir pas été mis en mesure de répondre aux conclusions de l'avocat général.
33.  La Commission (deuxième chambre) a déclaré la requête (no 21981/93) recevable le 17 janvier 1996. Dans son rapport du 21 mai 1997 (article 31), elle formule l'avis unanime qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 sur le second point mais non sur le premier. Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt4.
en droit
I. sur la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention
34.  Le requérant se dit victime d'une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente en l'espèce est ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement (...) par un tribunal (...) impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Il se plaint, premièrement, de n'avoir pas été informé de la date à laquelle la Cour de cassation devait examiner sa cause et, deuxièmement, de n'avoir pas eu l'occasion de répondre aux conclusions écrites de l'avocat général.
Il n'est pas contesté que l'affaire concerne un « droit civil » au sens de cette disposition.
A. Sur l'omission d'aviser le requérant de la date à laquelle sa cause devait être examinée
35.  Le requérant soutient qu'il aurait dû être informé de la date à laquelle la Cour de cassation devait examiner sa cause. Cela lui eût permis de soumettre en temps utile un mémoire exposant ses moyens de cassation ou de solliciter une audience.
36.  Le Gouvernement fait observer qu'en principe la Cour de cassation statue sans tenir d'audience (beschikking) sur les pourvois dirigés contre les ordonnances, au sens de l'article 138 du code de procédure pénale, les faits n'étant pas examinés à ce stade. Toutefois, la haute juridiction peut s'écarter de cette règle si le demandeur au pourvoi l'y invite, notamment s'il n'a pas antérieurement soumis ses moyens de cassation par écrit. Elle fixe alors une date pour les débats et cite le demandeur au pourvoi et/ou son avocat à comparaître.
En l'espèce, le requérant n'a à aucun moment fait savoir à la Cour suprême qu'il souhaitait exposer ses moyens de cassation lors d'une audience. Aussi aucune date ne fut-elle fixée pour la tenue de débats. Pour le Gouvernement, qui s'appuie notamment sur l'arrêt Sutter c. Suisse du 22 février 1984 (série A no 74), cela n'emporte toutefois pas violation du droit du requérant à un procès équitable, dès lors qu'en première instance le tribunal d'arrondissement d'Utrecht a tenu une audience où le requérant et son avocat étaient présents.
37.  La Commission relève que le requérant aurait pu inviter la Cour de cassation à organiser des débats, qu'une audience a eu lieu devant le tribunal d'arrondissement d'Utrecht et que le contrôle de la Cour de cassation ne s'étend pas aux faits mais se limite aux questions de droit et à l'observation des exigences procédurales. Elle conclut donc que le requérant n'a pas été privé de la possibilité de présenter sa cause d'une manière concrète et effective devant la Cour de cassation.
38.  La Cour réaffirme que l'article 6 de la Convention n'astreint pas les États contractants à créer des cours d'appel ou de cassation. Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l'article 6 doivent être respectées, notamment en ce que cette clause assure aux plaideurs un droit effectif d'accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil ».
La manière dont l'article 6 § 1 s'y applique dépend des particularités de la procédure en cause. Pour en juger, il faut prendre en compte l'ensemble du procès mené dans l'ordre juridique interne et le rôle qu'y a joué la juridiction de cassation (voir, entre autres, l'arrêt Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII, p. 2956, § 37).
39.  De surcroît, comme la Cour l'a relevé à plusieurs reprises, l'absence de débats publics en deuxième ou troisième degrés peut se justifier par les caractéristiques de la procédure dont il s'agit, pourvu qu'il y ait eu audience publique en première instance. Ainsi, les procédures d'autorisation d'appel, ou consacrées exclusivement à des points de droit, peuvent remplir les exigences de l'article 6 même si la cour d'appel ou de cassation n'a pas donné au recourant la faculté de s'exprimer en personne devant elle (voir, entre autres, l'arrêt Ekbatani c. Suède du 26 mai 1988, série A no 134, p. 14, § 31).
40.  La Cour note qu'en l'espèce le pourvoi en cassation fut formé après que les prétentions du requérant eurent été examinées par le tribunal d'arrondissement d'Utrecht, qui avait plénitude de juridiction pour se   prononcer sur elles et qui tint une audience à laquelle tant le requérant que son avocat comparurent. A Strasbourg, le requérant n'a contesté sous aucun rapport l'équité de la procédure devant cette dernière juridiction.
La Cour observe également qu'en principe la Cour de cassation n'organise pas de débats avant de statuer sur les pourvois dirigés contre les ordonnances. Dès lors que le requérant était assisté d'un avocat, on pouvait attendre de lui qu'il invitât la Cour de cassation à tenir une audience s'il souhaitait comparaître en personne devant cette juridiction. Or il n'en fit rien.
Enfin, il n'a pas été démontré qu'il n'eût pas été possible à l'intéressé de soumettre un mémoire exposant ses moyens de cassation avant que la haute juridiction ne commençât à examiner sa cause.
41.  En conclusion, compte tenu du rôle qui est celui de la Cour de cassation et eu égard à la procédure considérée dans son ensemble, la Cour estime que l'omission d'informer le requérant de la date à laquelle la haute juridiction devait examiner sa cause n'a pas violé l'article 6 § 1.
B.  Sur l'omission de donner au requérant l'occasion de répondre aux conclusions de l'avocat général
42.  Les parties et la Commission s'accordent à considérer que l'article 6 § 1 a été violé dès lors que le requérant n'a pas eu l'occasion de répondre aux conclusions de l'avocat général à la Cour de cassation. Le Gouvernement fait observer que des mesures ont été prises au niveau national afin d'éviter pareilles violations à l'avenir.
43.  La Cour relève qu'aux fins de la présente espèce les caractéristiques essentielles de la procédure applicable devant la Cour de cassation néerlandaise et de celle applicable devant la Cour de cassation belge sont similaires. Premièrement, les conclusions du ministère public ont pour but d'assister la Cour de cassation et de contribuer au maintien de l'unité de la jurisprudence. Deuxièmement, le parquet de la Cour de cassation a l'obligation d'agir en observant la plus stricte objectivité (voir, notamment et mutatis mutandis, les arrêts Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 233, §§ 29 et 30, et Van Orshoven c. Belgique du 25 juin 1997, Recueil 1997-III, pp. 1050–1051, §§ 37 et 38).
Comme dans les affaires belges précitées, la Cour estime toutefois devoir attacher une grande importance au rôle assumé par le membre du ministère public dans la procédure devant la Cour de cassation, et plus particulièrement au contenu et aux effets de ses conclusions. Celles-ci renferment un avis qui emprunte son autorité à celle du ministère public lui-même. Objectif et motivé en droit, ledit avis n'en est pas moins destiné à conseiller et, partant, influencer la Cour de cassation (voir les arrêts Vermeulen, p. 233, § 31, et Van Orshoven, p. 1051, § 39, précités).
44.  Compte tenu de ce qu'était l'enjeu pour l'intéressé dans la procédure et de la nature des conclusions de l'avocat général, l'impossibilité pour le requérant de répondre à celles-ci avant que la Cour de cassation ne rendît sa décision a méconnu son droit à une procédure contradictoire. Celui-ci implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d'influencer sa décision (voir les arrêts Vermeulen, p. 234, § 33, et Van Orshoven, p. 1051, § 41, précités).
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
II. application de l'article 50 de la convention
45.  L'article 50 de la Convention est ainsi libellé :
« Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
46.  Le requérant demande 40 500 florins néerlandais (NLG) pour dommage matériel : 27 000 NLG pour la perte de neuf vaches et 13 500 NLG pour l'amende qui lui fut finalement infligée.
47.  Le Gouvernement soutient que la perte des vaches et l'amende imposée dans la procédure interne sont des questions qui doivent être traitées dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre le requérant et qui ne présentent aucun rapport avec la violation alléguée de la Convention. De surcroît, les conclusions écrites de l'avocat général ne contenaient pas d'arguments juridiques concernant le fond de l'affaire qui eussent pu changer l'issue de la procédure.
48.  La Cour relève que le dommage matériel allégué par le requérant n'était pas en cause dans la procédure qu'elle a jugée entachée d'une violation. La demande doit donc être rejetée.
B.  Frais et dépens
49.  Le requérant sollicite également le remboursement de ses frais et dépens, dont il chiffre le total à 18 700 NLG, soit 8 950 NLG pour la procédure interne et 9 750 NLG pour celle suivie à Strasbourg.
50.  Pour les mêmes raisons que celles avancées par lui pour contester le bien-fondé de la demande pour dommage (paragraphe 47 ci-dessus), le Gouvernement invite la Cour à ne pas rembourser les frais afférents à la procédure interne.
51.  La Cour note que, si ce n'est pour l'introduction du pourvoi, il n'y a pas eu de représentation du requérant devant la Cour de cassation. Aussi décide-t-elle d'accorder à l'intéressé 9 750 NLG, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, pour le remboursement des seuls frais encourus par lui pour se faire représenter à Strasbourg.
C. Intérêts moratoires
52.  D'après les informations dont la Cour dispose, le taux légal applicable aux Pays-Bas à la date d'adoption du présent arrêt est de 6 % l'an.
Par ces motifs, la cour, à l'unanimité,
1. Dit que l'article 6 § 1 de la Convention n'a pas été violé à raison de l'omission d'aviser le requérant de la date à laquelle sa cause devait être examinée par la Cour de cassation ;
2. Dit que l'article 6 § 1 de la Convention a été violé du fait que le requérant n'a pas eu l'occasion de répondre aux conclusions de l'avocat général à la Cour de cassation ;
3. Dit
a) que le gouvernement défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, pour frais et dépens, 9 750 (neuf mille sept cent cinquante) florins néerlandais, plus la taxe sur la valeur ajoutée éventuelle ;
b) que cette somme sera à majorer d'un intérêt simple de 6 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au règlement ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 mars 1998.
Signé : Thór Vilhjálmsson
Président
Signé : Herbert Petzold
Greffier
1.  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
Notes du greffier
2.  L’affaire porte le n° 80/1997/864/1075. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3.  Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s’applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.
4.  Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998) mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT K.D.B. c. PAYS-BAS DU 27 MARS 1998
ARRÊT K.D.B. c. PAYS-BAS DU 27 MARS 1998


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 21981/93
Date de la décision : 27/03/1998
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'Art. 6-1 (procès public) ; Violation de l'Art. 6-1 (procédure contradictoire) ; Dommage matériel - demande rejetée ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) PROCEDURE CONTRADICTOIRE


Parties
Demandeurs : K.D.B.
Défendeurs : PAYS-BAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-03-27;21981.93 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award