La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/04/1998 | CEDH | N°21893/93

CEDH | AFFAIRE AKDIVAR ET AUTRES c. TURQUIE (ARTICLE 50)


AFFAIRE AKDIVAR ET AUTRES c. TURQUIE
CASE OF AKDIVAR AND OTHERS v. TURKEY
(Article 50)
(99/1995/605/693)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
1er avril/1 April 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
The present judgment is subject to editorial

revision before its reproduction in final form in Reports of Judgments and ...

AFFAIRE AKDIVAR ET AUTRES c. TURQUIE
CASE OF AKDIVAR AND OTHERS v. TURKEY
(Article 50)
(99/1995/605/693)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
1er avril/1 April 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
The present judgment is subject to editorial revision before its reproduction in final form in Reports of Judgments and Decisions 1998. These reports are obtainable from the publisher Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Köln), who will also arrange for their distribution in association with the agents for certain countries as listed overleaf.
Liste des agents de vente/List of Agents
Belgique/Belgium: Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
  B-1000 Bruxelles)
Luxembourg: Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
  (place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)
Pays-Bas/The Netherlands: B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat
  A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC
  La Haye/’s-Gravenhage) 
SOMMAIRE1
Arrêt rendu par une grande chambre
Turquie – demandes de satisfaction équitable à la suite de l’arrêt au principal, où la Cour avait conclu à la violation de l’article 8 de la Convention, de l’article 1 du Protocole n° 1 et de l’article 25 § 1 de la Convention
I. SUR L’EXISTENCE D’UN ACCORD
La Cour constate qu’il n’y a pas eu d’« accord » au sens de l’article 54 § 4 du règlement A. Les requérants et le Gouvernement sont d’un avis opposé quant à l’existence d’un « accord » – le libellé et la teneur du protocole sont vagues et non concluants.
Conclusion : absence d’accord (dix-sept voix contre une).
II. DOMMAGE MATériel
Sommes allouées en ce qui concerne les maisons, les terres cultivées et arables, les biens meubles, le bétail et le fourrage et les frais de location de logements de remplacement. Compte tenu du taux élevé de l’inflation en Turquie, ces sommes sont converties en livres sterling.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser certaines sommes aux requérants (dix-sept voix contre une).
III. DOMMAGE MORAL
Il convient d’accorder une réparation en raison de la gravité des violations constatées. Rejet de la demande de dommages-intérêts punitifs.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser une certaine somme aux requérants (dix-sept voix contre une).
IV. FRAIS ET Dépens
Demande afférente à la procédure relative à l’article 50 accueillie en totalité. Le respect de la condamnation aux dépens prononcée dans l’arrêt au principal relève de la compétence du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser une certaine somme aux requérants (dix-sept voix contre une).
V. DEMANDE DES requérants tendant à leur réintégration dans leurs droits
Cette question relève de la compétence du Comité des Ministres en vertu de l’article 54 de la Convention.
Conclusion : rejet (dix-sept voix contre une).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
13.7.1995, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni ; 30.10.1995, Papamichalopoulos et autres c. Grèce ; 16.9.1996, Akdivar et autres c. Turquie
En l’affaire Akdivar et autres c. Turquie2,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 51 de son règlement A3, en une grande chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. R. Bernhardt, président,    Thór Vilhjálmsson,    F. Gölcüklü,    A. Spielmann,    N. Valticos,   Mme E. Palm,   MM. I. Foighel,    A.N. Loizou,    M.A. Lopes Rocha,    L. Wildhaber,    G. Mifsud Bonnici,    J. Makarczyk,    D. Gotchev,    B. Repik,    K. Jungwiert,    P. Kūris,    U. Lōhmus,    E. Levits,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 31 janvier et 27 mars 1998,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE ET FAITS
1.  L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement turc (« le Gouvernement ») le 4 décembre 1995 et par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 11 décembre 1995, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention de       sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouve une requête (n° 21893/93) dirigée contre la République de Turquie et dont huit ressortissants de cet Etat, MM. Abdurrahman Akdivar, Ahmet Akdivar, Ali Akdivar, Zülfükar Çiçek, Ahmet Çiçek (né en 1968), Abdurrahman Aktaş, Mehmet Karabulut et Hüseyin Akdivar, avaient saisi la Commission le 3 mai 1993 en vertu de l’article 25.
La Cour a jugé par la suite que M. Hüseyin Akdivar n’avait pas la qualité de requérant et dit en outre que le véritable requérant, dans le cadre de la procédure devant elle, était M. Ahmet Çiçek né en 1968 et non son homonyme né en 1967. Il y a donc sept requérants en cette affaire.
2.  Par un arrêt rendu le 16 septembre 1996 (« l’arrêt au principal », Recueil des arrêts et décisions 1996-IV), la Cour a rejeté les exceptions préliminaires d’abus de procédure et de non-épuisement des voies de recours internes et dit que l’incendie des maisons des requérants, provoqué le 10 novembre 1992 par les forces de sécurité et qui a contraint les intéressés à abandonner leur village et à s’installer ailleurs, a emporté violation de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n° 1. Elle a aussi jugé que la Turquie n’avait pas respecté l’obligation, énoncée à l’article 25 § 1 de la Convention, de ne pas entraver l’exercice efficace du droit de recours individuel (pp. 1205–1220, §§ 48–113 de l’arrêt, et points 3 et 8 du dispositif).
La Cour a enfin déclaré que l’Etat défendeur devait verser aux requérants, dans les trois mois, pour frais et dépens, 20 810 livres sterling (GBP) moins une certaine somme versée au titre de l’assistance judiciaire (p. 1220, § 111, et point 9 du dispositif).
3.  La question de l’application de l’article 50 de la Convention en ce qui concerne l’indemnisation du préjudice matériel et moral n’étant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir.
4.  Les requérants et le Gouvernement ont soumis leurs mémoires relatifs à l’article 50 les 16 et 17 décembre 1996 respectivement. Dans le sien, le Gouvernement indique que quatre des requérants ont signé un protocole établissant la base sur laquelle les dernières prétentions des intéressés devant la Cour pourraient se régler. Les conseils des requérants ont contesté la validité de cet accord.
Les requérants et le Gouvernement ont soumis des mémoires en réponse les 28 février et 5 mars 1997 respectivement.
5.  Le 28 juin 1997, la Cour a prié le Gouvernement de fournir des observations détaillées sur les demandes des requérants ainsi que, notamment, une estimation du montant des pertes encourues, accompagnée si possible de documents pour l’étayer.
6.  Le 2 octobre 1997, le Gouvernement a soumis un rapport en langue turque émanant d’une commission de trois experts, chargée par le ministère de la Justice d’évaluer les pertes alléguées par les requérants. Les experts étaient assistants respectivement à l’Institut de médecine vétérinaire, celui d’agriculture et d’ingénierie et celui d’architecture. Le Gouvernement a soumis une traduction non officielle de ce rapport le 17 novembre 1997. Les experts y indiquent qu’ils n’ont pas pu se rendre dans le village des requérants pour des raisons de sécurité. Ils ont en revanche survolé la région à basse altitude et pris des photographies des lieux.
Les observations des requérants en réponse sont parvenues au greffe le 14 novembre 1997.
Le délégué de la Commission n’a fait part d’aucun commentaire sur les arguments avancés dans les mémoires précités.
7.  M. R. Ryssdal, empêché, a été remplacé en sa qualité de président de la grande chambre par M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (articles 21 § 6 et 54 § 2 du règlement A). Par la suite, M. R. Macdonald a aussi été empêché.
EN DROIT
8.  L’article 50 de la Convention est ainsi libellé :
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
9.  Les requérants réclament une réparation au titre de cette disposition notamment en raison des pertes qu’ils ont subies par suite de la destruction de leurs maisons par les forces de sécurité, ce qui les a contraints à abandonner leur village.
Le Gouvernement soutient qu’un accord est intervenu avec les requérants sur ce point.
i. SUR L’existence d’un accord
10.  L’article 54 § 4 du règlement A de la Cour, portant sur l’application de l’article 50 de la Convention, dispose :
« Si la Cour reçoit communication d’un accord intervenu entre la personne lésée et la Partie responsable, elle en vérifie le caractère équitable et, si elle le constate, raye l’affaire du rôle par un arrêt. L’article 49 § 3 du présent règlement s’applique en pareil cas. »
11.  Le Gouvernement affirme avoir conclu avec les requérants un accord comportant entre autres des propositions devant conduire à leur fournir des maisons et des emplois, ainsi qu’un milliard de livres turques, à titre de réparation. Cet accord répondrait aux souhaits des intéressés, qui préféreraient disposer d’un toit et de revenus assurés. Il leur a présenté à cette fin le 18 octobre 1996 un protocole d’accord, que quatre des requérants ont signé en leur nom propre et au nom de ceux qui n’ont pas pu assister à la réunion.
Selon lui, les termes de l’accord montrent que les requérants se sont rendus à la réunion de leur plein gré et qu’il n’y avait aucune raison que leurs conseils ne les y accompagnent pas s’ils souhaitaient le faire. Or les avocats des requérants, exploitant la situation d’urgence existant dans la région pour satisfaire leurs propres objectifs politiques, les auraient ensuite mal conseillés, en les incitant à nier l’existence d’un accord. Il serait probable que leurs représentants à Diyarbakır auraient obligé les requérants à dénoncer l’accord.
Le Gouvernement soutient que le protocole met en place les principaux éléments d’un règlement et est conforme au droit turc. En outre, les articles 23 et 24 du code des obligations interdiraient toute dénonciation arbitraire d’un accord valable.
12.  Les requérants affirment que quatre d’entre eux se sont rendus à la réunion du 18 octobre 1996 pour y rencontrer des représentants du Gouvernement, sans leurs avocats, convaincus qu’en cas de refus de leur part, la police les y conduirait de force. On les informa que la Cour européenne pourrait prendre encore quatre ans pour régler leur affaire, qu’elle ne leur allouerait peut-être aucune réparation et que, même si elle le faisait, la somme octroyée pourrait ne pas leur être versée. C’est pourquoi les quatre requérants présents ont signé le protocole. Trois d’entre eux ont également signé au nom de ceux qui n’avaient pu assister à la réunion.
13.  Le 21 novembre 1996, les représentants des requérants ont adressé à la Cour une lettre l’informant que cet accord, destiné à régler la question de la réparation au titre de l’article 50, avait été conclu sans que les intéressés aient pu bénéficier de la présence ou des avis de leurs avocats dûment mandatés, raison pour laquelle ils le jugeaient parfaitement inacceptable et n’y donnaient pas leur aval. Le 27 novembre 1996, M. Baydemir – l’un des conseils des requérants – écrivit à la Cour pour indiquer que les trois requérants absents de la réunion n’avaient autorisé personne à signer un accord en leur nom et que ceux présents ne se considéraient pas comme liés par le protocole compte tenu des circonstances dans lesquelles il avait été signé. Des déclarations des requérants en ce sens étaient jointes en annexe à cette lettre.
14.  La Cour note qu’aux termes de l’article 54 § 4 du règlement A, il faut qu’« un accord [soit] intervenu entre la personne lésée et la Partie responsable ». Vu les observations soumises à la Cour par les comparants, il apparaît à l’évidence que cette question fait l’objet d’une controverse entre les requérants et le Gouvernement.
Compte tenu du contexte qui vient d’être rappelé ainsi que du caractère vague et non concluant du libellé et de la teneur du protocole, on ne saurait dire qu’a été conclu un « accord » aux fins de l’article 54 § 4. En conséquence, la Cour doit examiner les prétentions des requérants en matière de satisfaction équitable.
Ii. dommage matériel
15.  Les requérants demandent à être dédommagés de la perte de leurs maisons, terres cultivées, biens meubles et bétail. Ils réclament aussi le remboursement des frais de location de logements de remplacement. Le Gouvernement a soumis un rapport d’évaluation préparé par une commission d’experts, contestant les montants sollicités à plusieurs titres par les requérants (paragraphe 6 ci-dessus).
A. Maisons
16.  Les experts désignés par le Gouvernement ont constaté que seules trois maisons étaient inscrites au cadastre de la commune de Dicle : celles d’Ahmet Akdivar (100 m2), Ali Akdivar (60 m2) et Zülfükar Çiçek (300 m2). Ils ont estimé qu’il convenait d’adopter le taux de base de 3 482 400 livres turques (TRL) par mètre carré pour le calcul des indemnités.
17.  Les requérants affirment que, dans la zone rurale où ils vivaient, il n’est pas traditionnel d’inscrire les terres au cadastre, car elles se transmettent d’une génération à l’autre et s’acquièrent par usucapion. Ils réclament une indemnisation pour les maisons d’Ahmet Akdivar (200 m2), Ali Akdivar (200 m2), Zülfükar Çiçek (600 m2), Abdurrahman Akdivar (250 m2), Abdurrahman Aktaş (300 m2), Mehmet Karabulut (200 m2) et Ahmet Çiçek (500 m2). Ils acceptent le taux de base par mètre carré proposé par les experts pour le calcul de la valeur des maisons mais contestent les surfaces indiquées par ceux-ci pour les habitations énumérées.
18.  La Cour rappelle que, comme elle l’a constaté dans l’arrêt au principal, les forces de sécurité sont responsables de l’incendie des maisons des requérants (Recueil 1996-IV, p. 1214, § 81). Sachant que les événements en question se sont produits dans une zone rurale et que les experts n’ont pas été en mesure de se rendre dans le village des intéressés (paragraphe 6 ci-dessus), elle juge que l’absence d’inscription au cadastre des maisons de quatre des requérants ne revêt pas un caractère concluant.
Pour les maisons enregistrées, elle estime qu’il convient d’allouer une indemnité calculée à partir de la surface communiquée par les experts et du taux de base par mètre carré qu’ils proposent.
19.  La Cour juge qu’il convient également d’accorder une somme pour les autres habitations. Cependant, en l’absence d’élément permettant de prouver quelle est la taille de ces biens, toute évaluation ne peut que comporter une part de spéculation. Elle allouera donc une réparation en appliquant le taux de base à cinquante pour cent de la surface réclamée par les requérants.
20.  La Cour octroie ainsi les sommes suivantes de ce chef :
a)    348 240 000 TRL (Ahmet Akdivar),
b)    208 944 000 TRL (Ali Akdivar),
c) 1 044 720 000 TRL (Zülfükar Çiçek),
d)    435 300 000 TRL (Abdurrahman Akdivar),
e)    522 360 000 TRL (Abdurrahman Aktaş),
f)    348 240 000 TRL (Mehmet Karabulut),
g)    870 600 000 TRL (Ahmet Çiçek).
B.  Terres arables et cultivées
21.  Les requérants demandent réparation tant de la perte de leurs terres arables et cultivées que du manque à gagner sur les parcelles énumérées ci-dessous :
– Ahmet Akdivar (2 acres de vergers, 3 acres de vignes, 10 acres de terres arables et 2 acres de bois de chênes),
– Ali Akdivar (8 acres de vergers, 2 acres de vignes, 20 acres de terres arables et 3 acres de bois de chênes),
– Zülfükar Çiçek (96 acres de vergers, 70 acres de vignes, 30 acres de terres arables et 5 acres de bois de chênes),
– Abdurrahman Akdivar (24 acres de vergers, 12 acres de vignes, 3 acres de terres arables et 20 acres de bois de chênes),
– Abdurrahman Aktaş (10 acres de vergers, 12 acres de vignes et 20 acres de bois de chênes),
– Mehmet Karabulut (36 acres de vergers, 14 acres de vignes, 15 acres de terres arables et 2 acres de bois de chênes),
– Ahmet Çiçek (48 acres de vergers, 48 acres de vignes et 20 acres de bois de chênes).
Ils acceptent les estimations des experts s’agissant du manque à gagner annuel par acre.
22.  Les experts du Gouvernement relèvent que seuls les trois premiers requérants ont des terres inscrites au cadastre (3 acres, 2 500 m2 et 3 acres respectivement). Ils proposent cependant les chiffres suivants à titre d’estimation du manque à gagner par acre et par an, multipliés par les surfaces indiquées par les requérants : 6 710 000 TRL pour les vignes, 7 020 000 TRL pour les vergers, 2 875 000 TRL pour les terres arables et 13 500 000 TRL pour les bois de chênes.
23.  La Cour relève que l’arrêt au principal ne renferme aucun constat d’expropriation et que les requérants sont toujours propriétaires de leurs terres.
C’est pourquoi elle n’octroie aucune indemnité pour la perte de terrains.
24.  En revanche, les maisons des requérants ayant été détruites, ceux-ci ont dû quitter leur village et n’ont pas pu continuer à exploiter leurs terres.
Ils ont donc droit à une compensation de leur manque à gagner.
25.  La Cour rappelle que les requérants acceptent les chiffres  fournis par les experts s’agissant du manque à gagner par acre et par an. Tenant compte de l’absence d’élément de preuve de source indépendante au sujet de la taille de chaque parcelle et statuant en équité, elle estime qu’il convient d’accorder une somme correspondant à cinq ans de manque à gagner, calculée à partir de ces valeurs et des surfaces citées par les requérants.
26.  La Cour octroie donc de ce chef :
a)    449 600 000 TRL (Ahmet Akdivar),
b)    837 900 000 TRL (Ali Akdivar),
c) 6 486 850 000 TRL (Zülfükar Çiçek),
d) 2 638 125 000 TRL (Abdurrahman Akdivar),
e) 2 103 600 000 TRL (Abdurrahman Aktaş),
f) 2 083 925 000 TRL (Mehmet Karabulut),
g) 4 645 200 000 TRL (Ahmet Çiçek).
C. Biens meubles
27.  Les experts du Gouvernement ont également soumis des estimations pour les biens meubles perdus, en se fondant sur les prix de certains articles ménagers relevés dans les boutiques de Diyarbakır en septembre 1997.
28.  Les prétentions des requérants sont légèrement plus élevées.
29.  La Cour juge raisonnables les sommes proposées par les experts.
Elle octroie donc les montants suivants :
a) 263 050 000 TRL (Ahmet Akdivar),
b) 233 300 000 TRL (Ali Akdivar),
c) 279 050 000 TRL (Zülfükar Çiçek),
d) 298 650 000 TRL (Abdurrahman Akdivar),
e) 313 750 000 TRL (Abdurrahman Aktaş),
f) 243 650 000 TRL (Mehmet Karabulut),
g) 300 450 000 TRL (Ahmet Çiçek).
D. Bétail et fourrage
30.  Les experts font observer que les registres de la direction de l’agriculture du district ne font état d’aucune tête de bétail enregistrée au nom des requérants. Ils fournissent néanmoins une estimation pour chacun des intéressés à partir de prix nettement inférieurs à ceux soumis par ces derniers.
31.  En l’absence d’éléments de source indépendante pour étayer les demandes des requérants, la Cour juge qu’à cet égard aussi, il convient d’accorder une indemnité calculée à partir des estimations fournies par les experts. En ce qui concerne le fourrage et le nombre de têtes de bétail, en revanche, elle retient les chiffres des requérants, que ces bêtes soient ou non inscrites au registre.
Elle alloue donc les sommes suivantes :
a) 460 000 000 TRL pour 6 bovins, 20 ovins et le fourrage pour l’hiver (Ahmet Akdivar),
b) 552 500 000 TRL pour 7 bovins, 25 ovins et le fourrage pour l’hiver (Ali Akdivar),
c) 1 035 500 000 TRL pour 17 bovins, 60 ovins et le fourrage pour l’hiver (Zülfükar Çiçek),
d) 880 000 000 TRL pour 10 bovins, 40 ovins et le fourrage pour l’hiver (Abdurrahman Akdivar),
e) 882 500 000 TRL pour 12 bovins, 35 ovins et le fourrage pour l’hiver (Abdurrahman Aktaş),
f) 605 000 000 TRL pour 8 bovins, 30 ovins et le fourrage pour l’hiver (Mehmet Karabulut),
g) 1 112 500 000 TRL pour 15 bovins, 45 ovins et le fourrage pour l’hiver (Ahmet Çiçek).
E.  Frais de loyer à Diyarbakır
32.  Les requérants réclament une indemnité pour les frais de location de logements à Diyarbakır, où ils se sont installés en novembre 1992 après la destruction de leurs maisons. Dans leur rapport, les experts n'ont pas abordé cette question.
33.  La Cour considère qu’il convient aussi d’allouer une réparation à cet égard car les frais de loyer sont la conséquence directe de la violation constatée dans l’arrêt au principal.
Elle juge raisonnables les sommes réclamées par les requérants pour la période allant de novembre 1992 à janvier 1998 (2 000 000 TRL par mois – 2 250 000 TRL pour Abdurrahman Akdivar). Zülfükar Çiçek, qui vit avec Ahmet Çiçek, n’a émis aucune prétention.
La Cour alloue donc les sommes suivantes pour une période de soixante-deux mois :
a) 124 000 000 TRL (Ahmet Akdivar),
b) 124 000 000 TRL (Ali Akdivar),
c) 139 500 000 TRL (Abdurrahman Akdivar),
d) 124 000 000 TRL (Abdurrahman Aktaş),
e) 124 000 000 TRL (Mehmet Karabulut),
f) 124 000 000 TRL (Ahmet Çiçek).
F.  Résumé
34.  Les sommes allouées au total à chaque requérant au titre du dommage matériel sont reprises ci-dessous. Vu le fort taux d’inflation que connaît la Turquie, ces sommes ont été converties en livres sterling afin qu’elles conservent une valeur constante par rapport au moment où la commission d’experts a fait ses calculs, à savoir le 17 septembre 1997. A cette date, une livre sterling (GBP) valait 271 530 TRL (cours d’achat d’après les taux de change appliqués par la Banque centrale de Turquie).
a) 1 644 890 000 TRL –   6 057,85 GBP (Ahmet Akdivar),
b) 1 956 644 000 TRL –   7 205,99 GBP (Ali Akdivar),
c) 8 846 120 000 TRL –  32 578,79 GBP (Zülfükar Çiçek),
d) 4 391 575 000 TRL –  16 173,44 GBP (Abdurrahman Akdivar),
e) 3 946 210 000 TRL –  14 533,23 GBP (Abdurrahman Aktaş),
f) 3 404 815 000 TRL –  12 539,36 GBP (Mehmet Karabulut),
g) 7 052 750 000 TRL –  25 974,10 GBP (Ahmet Çiçek).
IIi. dommage moral
35.  Les requérants considèrent qu’ils devraient recevoir chacun 20 000 GBP pour dommage moral. Ils réclament aussi 5 000 GBP chacun à titre de dommages-intérêts punitifs en conséquence de la violation des droits que leur garantit la Convention.
36.  Le Gouvernement affirme pour sa part qu’au cas où la Cour allouerait une réparation pour préjudice moral, il faudrait prendre en compte la situation économique de la Turquie, faisant valoir à cet égard que le salaire mensuel minimum d’un ouvrier adulte est de 53 GBP environ.
37.  La Cour estime qu’il convient d’octroyer une réparation du tort moral en raison de la gravité des violations de l’article 8 de la Convention, de l’article 1 du Protocole n° 1 et de l’article 25 § 1 de la Convention qu’elle a constatées dans l’arrêt au principal (Recueil 1996-IV, p. 1215, § 88, et p. 1219, § 106).
Elle alloue donc 8 000 GBP à chacun des requérants.
38.  La Cour rejette la demande de dommages-intérêts punitifs.
IV. frais et dépens
A. Procédure relative à l’article 50
39.  Les requérants réclament 8 140 GBP au titre des frais et dépens afférents à la procédure relative à l’article 50.
40.  Le Gouvernement ne formule aucun commentaire à ce sujet.
41.  La Cour relève qu’en l’espèce, la procédure relative à l’article 50 soulève des questions complexes et a donné lieu à la soumission par les représentants des requérants de trois documents exposant leurs observations de manière détaillée. Elle estime que les frais et dépens ont été réellement et nécessairement exposés, sont d’un montant raisonnable, et devraient être remboursés en totalité, ainsi que tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
B.  Observation de la condamnation aux dépens énoncée dans l’arrêt au principal
42.  Les requérants se plaignent de ce que, bien que la Cour ait ordonné au gouvernement défendeur de rembourser les frais et dépens en livres sterling dans l’arrêt au principal, celui-ci n’en a versé qu’une partie, en fractions égales, sur des comptes bancaires ouverts par les autorités pour le compte de chacun des requérants. Ces sommes, libellées en livres turques, ont été virées le 13 janvier 1997, soit quatre mois après le prononcé de l’arrêt au principal. Les requérants accusent donc un déficit de 5 681,89 GBP au 13 janvier 1997, somme qu’il faut majorer d’intérêts au taux de 8 % à compter de cette date.
Ils demandent à la Cour d’ordonner le versement de ce montant, augmenté des intérêts accumulés, dans le cadre de la présente procédure.
43.  Le Gouvernement ne s’est pas exprimé à ce sujet.
44.  La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 53 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties. De plus, l’article 54 dispose :
« L’arrêt de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
Elle considère que le défaut de paiement d’une partie des frais alloués dans l’arrêt au principal est une question qui se rapporte à l’exécution d’un arrêt de la Cour par l’Etat défendeur. En ce sens, elle relève de la compétence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
v. Demande des requérants tendant à leur réintégration dans leurs droits
45.  Les requérants soutiennent en outre qu’il découle logiquement de sa décision d’accorder une satisfaction équitable que la Cour ordonne au Gouvernement 1) de supporter les frais des réparations qui doivent être effectuées à Kelekçi pour qu'ils puissent y reprendre leur vie et 2) de lever tous les obstacles qui les empêchent de retourner dans leur village.
Selon eux, pareille décision est nécessaire pour empêcher des violations continues et à venir de la Convention, en particulier une expropriation de fait.
46.  Le Gouvernement affirme qu’il est impossible de réintégrer les requérants dans leurs droits en raison de la situation d’urgence qui règne dans cette zone. Les habitants de la région pourront toutefois retourner s’y installer lorsqu’ils estimeront pouvoir procéder ainsi sans s’exposer aux atrocités du terrorisme.
47.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (restitutio in integrum). Cependant, lorsque cette dernière est impossible, les Etats défendeurs sont libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation ; la Cour ne rend pas de directive ni d’arrêt « déclaratoire » en la matière. Il appartient au Comité des Ministres de surveiller l’exécution de l’arrêt sous cet angle, en vertu de la compétence que lui confère l’article 54 de la Convention (voir l’arrêt Papamichalopoulos et autres c. Grèce du 30 octobre 1995 (article 50), série A n° 330-B, pp. 58–59, § 34, et, s’agissant des directives, notamment l’arrêt Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A n° 316-B, p. 82, §§ 69–72).
Vi. intérêts moratoires
48.  D’après les informations dont la Cour dispose, le taux légal d’intérêt applicable au Royaume-Uni à la date d’adoption du présent arrêt est de 8 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Rejette, par dix-sept voix contre une, l’affirmation de l’Etat défendeur selon laquelle un accord a été conclu avec les requérants ;
2. Dit, par dix-sept voix contre une, que l’Etat défendeur doit verser aux requérants en personne, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
a) pour dommage matériel,
i. 6 057 (six mille cinquante-sept) livres sterling et 85 (quatre-vingt-cinq) pence à Ahmet Akdivar,
ii. 7 205 (sept mille deux cent cinq) livres sterling et 99 (quatre-vingt-dix-neuf) pence à Ali Akdivar,
iii. 32 578 (trente deux mille cinq cent soixante-dix-huit) livres sterling et 79 (soixante-dix-neuf) pence à Zülfükar Çiçek,
iv. 16 173 (seize mille cent soixante-treize) livres sterling et 44 (quarante-quatre) pence à Abdurrahman Akdivar,
v. 14 533 (quatorze mille cinq cent trente-trois) livres sterling et 23 (vingt-trois) pence à Abdurrahman Aktaş,
vi. 12 539 (douze mille cinq cent trente-neuf) livres sterling et 36 (trente-six) pence à Mehmet Karabulut,
vii. 25 974 (vingt-cinq mille neuf cent soixante-quatorze) livres sterling et 10 (dix) pence à Ahmet Çiçek ;
b)  pour dommage moral, la somme de 8 000 (huit mille) livres sterling à chacun des requérants ;
3. Dit, par dix-sept voix contre une, que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, 8 140 (huit mille cent quarante) livres sterling pour frais et dépens, ainsi que tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;
4. Dit, par dix-sept voix contre une, que ces montants sont à majorer d’un intérêt simple de 8 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
5. Rejette, par dix-sept voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 1er avril 1998 en application de l’article 55 § 2, second alinéa, du règlement A.
Signé : Rudolf Bernhardt
Président
Signé : Herbert Petzold
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 53 § 2 du règlement A, l’exposé de l’opinion dissidente de M. Gölcüklü.
Paraphé : R. B.   Paraphé : H. P.
Opinion dissidente de M. le Juge GÖLCÜKLÜ
Ayant voté, au principal, pour le non-épuisement des voies de recours internes, cela me dispense d’examiner cette affaire sur le terrain de l’article 50 de la Convention.
1.  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
Notes du greffier
2.  L’affaire porte le n° 99/1995/605/693. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3.  Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
ARRÊT AKDIVAR ET AUTRES DU 1er AVRIL 1998 (ARTICLE 50)
ARRÊT AKDIVAR ET AUTRES DU 1er AVRIL 1998 (ARTICLE 50)
ARRÊT AKDIVAR ET AUTRES (ARTICLE 50)


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 21893/93
Date de la décision : 01/04/1998
Type d'affaire : Arrêt (Satisfaction équitable)
Type de recours : Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 41) DOMMAGE MATERIEL, (Art. 41) FRAIS ET DEPENS, (Art. 41) PREJUDICE MORAL


Parties
Demandeurs : AKDIVAR ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE (ARTICLE 50)

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-04-01;21893.93 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award