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23/04/1998 | CEDH | N°26256/95

CEDH | AFFAIRE DOUSTALY c. FRANCE


AFFAIRE DOUSTALY c. FRANCE
CASE OF DOUSTALY v. FRANCE
(19/1997/803/1006)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
23 avril/April 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
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l form in Reports of Judgments and Decisions 1998. These reports are obtai...

AFFAIRE DOUSTALY c. FRANCE
CASE OF DOUSTALY v. FRANCE
(19/1997/803/1006)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
23 avril/April 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
The present judgment is subject to editorial revision before its reproduction in final form in Reports of Judgments and Decisions 1998. These reports are obtainable from the publisher Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Köln), who will also arrange for their distribution in association with the agents for certain countries as listed overleaf.
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Pays-Bas/The Netherlands: B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat
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  La Haye/’s-Gravenhage 
SOMMAIRE1
Arrêt rendu par une chambre
France – durée d'une procédure devant les juridictions administratives
I. article 6 § 1 de la convention (« délai raisonnable »)
A. Période à considérer
Point de départ : date de la saisine du tribunal administratif de Montpellier.
Terme : date du prononcé de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Résultat : compte non tenu de la période d'exécution, presque neuf ans.
B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
Complexité de l'affaire : pas grande.
Comportement du requérant et des autorités nationales : requérant n'a été à l'origine d'aucun retard – importantes périodes d'inactivité imputables aux autorités judiciaires.
Enjeu du litige pour l'intéressé : l'enjeu financier capital se rapportant à l'activité professionnelle du requérant appelait une célérité particulière.
Conclusion : violation (unanimité).
II. ARTICLE 50 DE LA CONVENTION
A. Dommage
1. Préjudice matériel : lien de causalité entre le constat de violation de l'article 6 § 1 et les préjudices allégués établi en partie – accueil partiel des demandes.
2. Préjudice moral : accueil de la demande en entier.
B. Frais et dépens : remboursement en équité.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser certaines sommes au requérant (unanimité).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
27.2.1992, Ruotolo c. Italie ; 23.4.1996, Phocas c. France ; 17.12.1996, Duclos c. France 
En l'affaire Doustaly c. France2,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A3, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. R. Bernhardt, président,
L.-E. Pettiti,
A. Spielmann,
N. Valticos,
B. Repik,
P. Jambrek,
E. Levits,
J. Casadevall,
V. Butkevych,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 31 janvier et 26 mars 1998,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 23 janvier 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 26256/95) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Michel Doustaly, avait saisi la Commission le 29 décembre 1994 en vertu de l'article 25.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.
2.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 21 février 1997, ce dernier a tiré au sort en présence du greffier le nom des sept autres membres, à savoir MM. A. Spielmann, N. Valticos, B. Repik, P. Jambrek, E. Levits, J. Casadevall et V. Butkevych (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A). Ultérieurement, M. Ryssdal, empêché, a été remplacé à la présidence de la chambre par M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour.
4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Ryssdal avait consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français (« le Gouvernement »), l’avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement les 12 et 17 septembre 1997 respectivement. Le délégué de la Commission n’y a pas répondu par écrit.
5.  Le 4 juillet 1997, la Commission avait produit divers documents que le greffier avait demandés sur les instructions du président.
6.  Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 28 janvier 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement  M. D. Douveneau, secrétaire adjoint     des Affaires étrangères, direction des affaires     juridiques du ministère des Affaires étrangères, agent ;
– pour la Commission  M. J.-C. Soyer, délégué ;
– pour le requérant  Me M. Puechavy, avocat à la cour d’appel de Paris, conseil.
La Cour a entendu M. Soyer, Me Puechavy et M. Douveneau.
EN FAIT
A. La genèse de l’affaire
7.  Domicilié à Nîmes, M. Michel Doustaly exerçait la profession d'architecte.
8.  Le 9 janvier 1984, la ville de Nîmes conclut avec lui un contrat portant sur un marché d’ingénierie et d’architecture pour la construction d’un lycée d'Etat polyvalent. Pendant l’exécution, des acomptes d’un montant total de 1 336 643,53 francs français (FRF) lui furent versés sur le total des honoraires convenus, conformément aux clauses du marché.
9.  Par une lettre du 12 avril 1984, la ville de Nîmes demanda au requérant un complément d’étude et la réalisation des plans d’un bâtiment d’internat non prévu dans le marché initial.
10.  A l’issue de la mission, la ville de Nîmes décida de réduire de moitié le montant des honoraires prévus, alléguant notamment des manquements aux obligations contractuelles du requérant. Elle refusa par ailleurs de régler les honoraires correspondant à l’élaboration des plans relatifs au bâtiment d’internat et, compte tenu de la classe et du degré de complexité de la mission telle qu’elle avait été effectivement accomplie, demanda à l’intéressé de rembourser une fraction des acomptes versés d’un montant de 494 370,06 FRF.
B.  La procédure devant le tribunal administratif de Montpellier
11.  Le 26 juillet 1985, M. Doustaly présenta une requête introductive d’instance auprès du tribunal administratif de Montpellier, qui l’enregistra le 29 juillet 1985. Elle tendait à obtenir le versement par la ville de Nîmes de 669 100,39 FRF, assortis des intérêts de droit, pour solde des honoraires convenus dans le marché.
12.  La ville de Nîmes déposa son mémoire en réponse le 30 septembre 1985.
13.  Le 21 janvier 1988, le requérant présenta un mémoire ampliatif. Les 24 février et 24 mars 1988, il adressa deux courriers au président du tribunal administratif, demandant que l’audience fût fixée. Le 29 février 1988, il déposa d’autres pièces.
14.  Le 20 octobre 1988, le requérant demanda à nouveau au président du tribunal administratif la fixation de l’audience.
15.  Par un jugement avant dire droit du 19 décembre 1988, le tribunal administratif ordonna une expertise afin d'établir si la mission avait été correctement exécutée par M. Doustaly et donna quatre mois à l’expert désigné pour déposer son rapport.
16.  Le 31 décembre 1988, M. Doustaly cessa définitivement ses activités d’architecte en raison de difficultés financières.
17.  Le 21 mai 1991, l’expert déposa son rapport fixant le solde des honoraires dus à 363 600 FRF, augmentés de 160 000 FRF au titre des honoraires pour l’étude du bâtiment d’internat.
18.  Le 4 septembre 1991, le requérant invita le tribunal à condamner la ville de Nîmes à lui verser 363 671,28 FRF au titre du contrat et 160 000 FRF en rémunération des plans d’internat, sommes à assortir d’intérêts moratoires à compter du 5 novembre 1984. Il réclama en outre 760 000 FRF de dommages et intérêts.
19.  Le 3 décembre 1991, le tribunal administratif adressa à la ville de Nîmes une mise en demeure de produire son mémoire.
20.  Le 16 janvier 1992, l’intéressé présenta un mémoire complémentaire, dans lequel il reprenait ses conclusions du 4 septembre 1991 (paragraphe 18 ci-dessus) et demandait à ce que la ville de Nîmes fût condamnée à payer 867 350 FRF en réparation du surcoût des études.
21.  Par un courrier du 27 janvier 1992, il signala au président du tribunal administratif que le délai accordé le 3 décembre 1991 à la ville de Nîmes pour le dépôt de son mémoire (paragraphe 19 ci-dessus) avait expiré sans réponse.
22.  Les 11 février et 5 juin 1992, M. Doustaly présenta des observations complémentaires.
23.  Par des lettres des 17 juillet et 14 décembre 1992 au président et au greffe du tribunal administratif, le requérant renouvela sa demande de fixation de l’audience. Celle-ci eut lieu le 14 janvier 1993.
24.  Le 21 janvier 1993, le tribunal administratif condamna la ville de Nîmes à payer au requérant la somme de 470 301,28 FRF, dont 310 301,28 FRF portant intérêts moratoires à compter du 27 novembre 1984 et 160 000 FRF portant intérêts moratoires à compter du 20 octobre 1991. Une somme de 53 370 FRF, susceptible d’être assortie d’intérêts moratoires calculés à compter du 27 novembre 1984, avait été réduite du montant des honoraires dus à l’architecte, en raison de l’insuffisance des prestations de son sous-traitant. En ce qui concerne le préjudice professionnel à la réputation de M. Doustaly, le jugement précisa que ce dernier « n'apporte pas la preuve que la diminution du chiffre d'affaires de son cabinet serait la conséquence directe d'agissements imputables à la ville de Nîmes (…) ».
C. La procédure devant la cour administrative d’appel de Bordeaux
25.  Le 17 mai 1993, le requérant, estimant insuffisante la somme allouée, attaqua le jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.
26.  L’appel n’ayant pas d’effet suspensif, M. Doustaly saisit le 16 juillet 1993 la section du rapport et des études du Conseil d'Etat. Cependant, à la suite d’un premier paiement effectué par la ville de Nîmes, le dossier fut classé le 11 octobre 1993, au motif que le jugement était en voie d’exécution. Les deux autres paiements de la ville furent effectués en décembre 1993 et février 1994.
27.  La ville de Nîmes présenta son mémoire en défense le 28 septembre 1993.
28.  Le 4 juillet 1994, la cour administrative d’appel confirma le jugement du tribunal administratif quant au principal mais condamna la ville de Nîmes à verser des intérêts sur les intérêts alloués en première instance et échus depuis le 17 mai 1993.
29.  Par des lettres des 30 janvier, 3 mai et 10 mai 1995, le requérant intervint auprès du préfet du Gard pour obtenir l’exécution par la ville de l’arrêt précité. La somme due au requérant, soit 778 127,27 FRF, fut effectivement versée le 18 mai 1995.
30.  Par un arrêt du 22 mai 1997 rendu par la cour d’appel de Nîmes dans le cadre du litige opposant le requérant à son sous-traitant, M. Doustaly se vit octroyer le montant de 53 370 FRF, assorti d’intérêts moratoires calculés à compter du 27 novembre 1984 et capitalisables à partir du 20 octobre 1993, qui avait été réduit des honoraires restant dus par la ville de Nîmes en raison de l’insuffisance des prestations de son sous-traitant (paragraphe 24 ci-dessus).
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
31.  M. Doustaly a saisi la Commission le 29 décembre 1994. Il se plaignait de la durée de la procédure suivie devant les juridictions administratives et invoquait l’article 6 § 1 de la Convention.
32.  La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 26256/95) le 29 février 1996. Dans son rapport du 27 novembre 1996 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l'article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt4.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
33.  Dans son mémoire, le requérant prie la Cour « de considérer que la procédure qu’il a engagée a excédé le délai raisonnable prévu par l’article 6 § 1 de la Convention » et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention.
34.  Le Gouvernement conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
En DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 de la convention
35.  M. Doustaly se plaint de la durée de la procédure qu'il a engagée contre la ville de Nîmes. Il allègue une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
36.  L’applicabilité de l’article 6 § 1 n’est pas contestée en l’espèce. Il suffit dès lors à la Cour de constater que ladite procédure visait à faire trancher un litige tendant à obtenir le paiement d'honoraires dus au requérant en vertu d'un contrat portant sur un marché d’ingénierie et d’architecture conclu avec la ville de Nîmes le 9 janvier 1984 (paragraphe 8 ci-dessus). Elle avait pour objet de décider d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil et se situe donc dans le champ d'application de l'article 6 § 1.
A. La période à considérer
37.  La période à considérer a débuté le 26 juillet 1985, avec la saisine par le requérant du tribunal administratif de Montpellier (paragraphe 11 ci-dessus). Elle a pris fin le 4 juillet 1994, avec l’arrêt prononcé par la cour administrative d’appel de Bordeaux confirmant le jugement du tribunal administratif. Cet arrêt condamnait la ville de Nîmes à payer au requérant la somme de 470 301,28 FRF, assortie d’intérêts moratoires, et à lui verser des intérêts sur les intérêts alloués en première instance et échus depuis le   17 mai 1993 (paragraphe 28 ci-dessus) ; il mettait ainsi un terme à la procédure interne.
38.  Compte non tenu de la période d'exécution (paragraphe 29 ci-dessus), la procédure litigieuse elle-même s’étend donc sur presque neuf ans.
B.  Le caractère raisonnable de la durée de la procédure
39.  Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. L'enjeu du litige pour l'intéressé entre aussi en ligne de compte (voir, entre autres, les arrêts Phocas c. France du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 546, § 71, et Duclos c. France du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2180, § 55).
1. Complexité de l'affaire
40.  Selon le Gouvernement, l’affaire présentait indéniablement un caractère complexe. Le tribunal administratif devait déterminer si M. Doustaly avait respecté les termes du contrat du 9 janvier 1984 et s’il avait exécuté correctement la mission qu’il devait accomplir.
41.  La Cour estime que l’affaire ne revêtait point par sa nature une grande complexité. Avec le requérant, elle relève qu’il s’agissait, en l’espèce, de déterminer le solde dû d’un marché public forfaitaire. Le travail accompli par M. Doustaly n’avait fait l’objet d’aucune observation ou réserve de la part du maître de l’ouvrage, tant au cours de l’exécution qu’à l'issue du délai de deux mois après la fin du contrat.
2. Comportement du requérant et des autorités nationales
42.  Le Gouvernement soutient que la durée de la procédure examinée était due – fût-ce en partie – au comportement du requérant, à qui deux ans et demi ont été nécessaires pour produire les observations complémentaires annoncées dans son mémoire introductif d'instance (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Il souligne que les autorités françaises usèrent des moyens de droit à leur disposition pour que le jugement du tribunal administratif de Montpellier fût exécuté dans les meilleurs délais, et rappelle que ledit tribunal adressa à la ville de Nîmes une mise en demeure de produire son mémoire le 3 décembre 1991 (paragraphe 19 ci-dessus), manifestant ainsi son intérêt pour une accélération de la procédure.
43.  M. Doustaly allègue que dans son mémoire introductif d'instance, il se réservait la faculté de produire de telles observations, ce qu’il fit le 21 janvier 1988 (paragraphe 13 ci-dessus). Il affirme que la ville de Nîmes en faisait de même dans son mémoire et que le tribunal administratif de Montpellier ne lui avait adressé aucune critique ni mise en demeure durant toute la procédure.
Ses tentatives pour accélérer la procédure auprès du président du tribunal administratif de Montpellier, les 24 février, 24 mars et 20 octobre 1988 et 17 juillet et 14 décembre 1992 (paragraphes 13, 14 et 23 ci-dessus), n’ont d’ailleurs pas abouti.
M. Doustaly estime en outre qu'il appartenait au tribunal administratif de faire respecter le délai de quatre mois fixé dans son jugement avant dire droit du 19 décembre 1988 (paragraphe 15 ci-dessus) pour la production du rapport d'expertise, dont il conteste du reste l'utilité.
44.  A l’instar de la Commission, la Cour note que la production par le requérant d'observations complémentaires correspondait à une simple faculté et non à un acte requis pour la poursuite de la procédure et susceptible d'avoir une incidence sur la durée de celle-ci. De plus, le comportement de la ville de Nîmes ne saurait être mis à la charge de M. Doustaly.
45.  La Cour constate, par ailleurs, que si la procédure devant la cour administrative d'appel de Bordeaux n’a duré qu'un peu moins d’un an et deux mois, d'importantes périodes d'inactivité imputables à l'Etat ont affecté la procédure devant le tribunal administratif de Montpellier.
A cet égard, plusieurs délais semblent anormalement longs : près de trois ans et cinq mois s’écoulèrent entre la saisine du tribunal administratif le 26 juillet 1985 et le jugement avant dire droit de ce dernier ordonnant une expertise  le 19 décembre 1988 (paragraphes 11 et 15 ci-dessus) ; ce jugement fixait un délai de quatre mois pour l’établissement d’une expertise qui fut déposée le 21 mai 1991 (paragraphe 17 ci-dessus), c’est-à-dire avec un retard de plus de deux ans et un mois ; un an et huit mois s’écoulèrent encore avant que le tribunal administratif de Montpellier ne rende son jugement le 21 janvier 1993 (paragraphe 24 ci-dessus).
La Cour relève qu'aucune explication convaincante de ces délais n'a été fournie par le Gouvernement.
3. Enjeu du litige pour l’intéressé
46.  Le requérant précise que l'enjeu financier du litige se rapportait à son activité professionnelle et note que le montant de la part d'honoraires dû par la ville de Nîmes, en vertu du marché conclu le 9 janvier 1984, représentait plus de 30 % du chiffre d'affaires de son cabinet d’architecte pour l'année en cours ; en outre, la ville de Nîmes était non seulement le maître d'ouvrage le plus important de l’agglomération, mais aussi l'autorité dotée de la compétence exclusive pour la délivrance des permis de construire.
47.  Le Gouvernement affirme que la durée de la procédure litigieuse n'a occasionné aucun préjudice pécuniaire au requérant à qui le tribunal administratif et la cour administrative d'appel ont accordé du reste des intérêts moratoires capitalisables sur l'intégralité des sommes allouées. Il souligne qu'en tout état de cause, le jugement du tribunal administratif ne visait qu'à trancher un litige juridique spécifique et non à résoudre les problèmes de M. Doustaly avec la ville de Nîmes, à savoir restaurer la réputation de son cabinet et renouer des relations de travail avec la municipalité.
48.  La Cour note qu'en l'espèce, il y avait un certain rapport de dépendance professionnelle de l’architecte à l'égard de la ville de Nîmes. Il fallait donc mettre un terme dans les meilleurs délais à un litige opposant le requérant à une autorité intervenant directement dans l'exercice de la profession de celui-ci. Par conséquent, la Cour estime qu’une diligence particulière s'imposait aux juridictions saisies, compte tenu de l'enjeu financier capital pour le requérant et du fait que ledit enjeu se rapportait à son activité professionnelle (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Ruotolo c. Italie du 27 février 1992, série A n° 230-D, p. 39, § 17).
4. Conclusion
49.  Dans les circonstances de la cause, la Cour ne saurait juger « raisonnable » un laps de temps de près de neuf ans. Il y a donc eu violation de l'article 6 § 1.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 de la convention
50.  Aux termes de l'article 50 de la Convention,
« Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1. Préjudice matériel
51.  M. Doustaly prétend avoir subi, en raison de la durée excessive de la procédure, un préjudice considérable résultant pour l'essentiel du maintien prolongé d'une situation de non-droit portant atteinte à sa réputation, exploitable par ses concurrents et pénalisante pour l'exercice de sa   profession puisqu'elle a provoqué la fermeture de son cabinet d'architecte avant que le tribunal administratif ne rendît une décision, et l’exclusion de l'intéressé de tous les projets publics, semi-publics ou parapublics de la ville de Nîmes ainsi que la perte de sa clientèle privée, les entrepreneurs et maîtres d’ouvrage ayant renoncé à solliciter ses services professionnels.
Selon lui, le préjudice matériel subi, évalué par un expert-comptable, s’élèverait à 8 956 468 FRF au 31 décembre 1997, somme à laquelle il faudrait ajouter 170 000 FRF qui correspondraient à une perte financière supplémentaire due au fait que le tribunal administratif de Montpellier et la cour d’appel de Nîmes avaient fixé différemment la date à partir de laquelle les intérêts sur la créance de la société sous-traitante seraient calculés (paragraphes 24 et 30 ci-dessus). M. Doustaly réclame donc 9 126 468 FRF à ce titre.
52.  Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas subi de préjudice matériel dans la mesure où il a obtenu gain de cause devant les juridictions administratives et a bénéficié d’intérêts moratoires et de leur capitalisation sur les sommes allouées.
53.  D’après le délégué de la Commission, une indemnité devrait être accordée à M. Doustaly car l'allongement anormal de la procédure, certes recherché par la ville de Nîmes mais imputable en totalité à la seule juridiction administrative, a entraîné la ruine complète et définitive du cabinet de celui-ci.
54.  La Cour trouve nécessaire d'effectuer une distinction entre les différents préjudices matériels allégués par le requérant.
En ce qui concerne la fermeture du cabinet d’architecte, la Cour souscrit aux termes du jugement du tribunal administratif de Montpellier : « [M. Doustaly] n'apporte pas la preuve que la diminution du chiffre d'affaires de son cabinet serait la conséquence directe d'agissements imputables à la ville de Nîmes. » D'autant que le montant de la part d'honoraires dû au requérant par la ville de Nîmes ne représentait – selon le requérant lui-même – que 30 % du chiffre d'affaires de son cabinet pour l'année où le marché fut conclu.
Quant à la perte des relations de M. Doustaly et de ses possibilités de travail futures avec la ville de Nîmes – qui a décidé de l'écarter de tous les projets –, la Cour considère que le requérant ne pouvait pas avoir la certitude, même avant la naissance du litige et l'introduction de son action contre la ville de Nîmes, que cette dernière continuerait à lui confier les projets de la municipalité, ou qu'elle ne choisirait pas un autre architecte pour la réalisation desdits projets.
La Cour estime que le lien de causalité entre le constat de violation de l’article 6 § 1 et ces deux préjudices allégués n’est pas établi. Il échet donc de rejeter les demandes du requérant à ce titre.
Au sujet de la perte de sa clientèle privée en raison de l'atteinte portée à sa réputation du fait de la suspicion que laissait peser la poursuite de la procédure, la Cour considère qu’à cet égard le requérant a subi un préjudice important, généré par le climat de méfiance créé à son encontre en raison du litige l'opposant à la ville de Nîmes. Statuant en équité, elle accorde de ce chef à l'intéressé la somme de 500 000 FRF.
2. Préjudice moral
55.  M. Doustaly réclame 100 000  FRF pour préjudice moral en raison de l’extrême longueur de la procédure, ce qui a nui à sa réputation professionnelle et a constitué une source d’inquiétude permanente.
56.  Le Gouvernement trouve disproportionné le montant sollicité et propose à la Cour, en cas de constat de violation, d’allouer au requérant une somme entre 20 000 et 30 000 FRF.
57.  La Cour note que la durée excessive de la procédure a porté atteinte à la réputation de M. Doustaly. Elle estime la somme réclamée raisonnable et décide de l’allouer en entier.
B.  Frais et dépens
58.  Le requérant réclame 50 502 FRF, dont 20 502 FRF pour les frais de l’établissement d’un rapport d’expertise évaluant son préjudice professionnel et le restant pour les honoraires de son avocat devant les organes de la Convention.
59.  Le Gouvernement se déclare prêt à les rembourser si le requérant apporte la preuve de leur réalité, ce qui n’aurait pas été fait. Il affirme toutefois que les frais engagés auprès d’un expert-comptable ne peuvent faire l’objet d’une indemnisation car ils n’ont pas de lien de causalité avec la violation alléguée.
60.  Le délégué de la Commission ne se prononce pas.
61.  Statuant en équité, la Cour octroie au requérant la somme de 40 000 FRF.
C. Intérêts moratoires
62.  D’après les renseignements dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption de l’arrêt est de 3,36 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, à L'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 500  000 (cinq cent  mille) francs français pour dommage matériel, 100 000 (cent mille) francs français pour dommage moral et 40 000 (quarante mille) francs français pour frais et dépens ;
b) que ces montants seront à majorer d’un intérêt non capitalisable de 3,36 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 23 avril 1998.
Signé : Rudolf Bernhardt
Président
Signé : Herbert Petzold
Greffier
1.  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
Notes du greffier
2.  L'affaire porte le n° 19/1997/803/1006. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3.  Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
1. Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et des décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT DOUSTALY DU 23 AVRIL 1998
ARRÊT DOUSTALY DU 23 AVRIL 1998


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 26256/95
Date de la décision : 23/04/1998
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE


Parties
Demandeurs : DOUSTALY
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-04-23;26256.95 ?

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