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08/12/1998 | CEDH | N°39519/98

CEDH | PADIN GESTOSO contre l'ESPAGNE


QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 39519/98
présentée par José Manuel PADIN GESTOSO
contre l'Espagne
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en chambre le 8 décembre 1998 en présence de
M. M. Pellonpää, président,
M. G. Ress,
M. J.A. Pastor Ridruejo,
M. J. Makarczyk,
M. I. Cabral Barreto,
Mme N. Vajić,
M. J. Hedigan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section ;
Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droi

ts de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 14 janvier 1998 par José Manuel PADIN GEST...

QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 39519/98
présentée par José Manuel PADIN GESTOSO
contre l'Espagne
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en chambre le 8 décembre 1998 en présence de
M. M. Pellonpää, président,
M. G. Ress,
M. J.A. Pastor Ridruejo,
M. J. Makarczyk,
M. I. Cabral Barreto,
Mme N. Vajić,
M. J. Hedigan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section ;
Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 14 janvier 1998 par José Manuel PADIN GESTOSO   contre l'Espagne et enregistrée le 26 janvier 1998 sous le n° de dossier 39519/98 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant espagnol né en 1954 et résidant à Cambados (province de Pontevedra, Espagne). Devant la Cour, il est représenté par Me Marcos García Montes, avocat au barreau de Madrid.
a. Circonstances particulières de l’affaire
Les faits, tels qu’ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit :
Suite à des déclarations faites par un "repenti" M. R.P.R., dans le cadre d'investigations pénales sur un trafic international de stupéfiants menées par le juge central d'instruction n° 5 de l'Audiencia Nacional, le 17 novembre 1989, le ministère public déposa une plainte pénale du chef de trafic de stupéfiants contre plusieurs personnes, parmi lesquelles figurait le requérant. 
Par une ordonnance du 27 novembre 1989, le juge central d'instruction n° 5 déclara recevable la plainte pénale déposée par le ministère pénal et ordonna certains actes d'investigation. Toutefois, et contrairement à l'article 118 du code de procédure pénale, le juge d'instruction n'informa pas le requérant de l'admission de la plainte le concernant.
Par une ordonnance du 9 juin 1990, le juge central d'instruction n° 5 ordonna l'ouverture d'une procédure ordinaire (incoación de sumario ordinario) à l'encontre de plusieurs personnes, dont le requérant.
Le 11 juin 1990, le juge d'instruction décida le secret de la procédure pendant un mois et ordonna le placement en détention provisoire sous le régime de l’isolement des personnes inculpées, dont le requérant, et leur désigna un avocat d'office pendant la durée de l’isolement. Par ordonnance du 6 août 1990, le juge leva la mesure de l’isolement.
Par une ordonnance du 19 février 1992, le juge central d'instruction n° 5 déclara la clôture de la procédure et renvoya les 47 personnes inculpées pour jugement devant la chambre pénale de l'Audiencia Nacional. Par une décision du 29 octobre 1992, la chambre pénale de l'Audiencia Nacional ordonna la remise à tous les défenseurs des personnes inculpées, dont le requérant, de la totalité du dossier d'instruction composé de plus de 80 volumes, afin qu'il procèdent à la qualification provisoire des faits.
Après divers échanges de mémoires et autres actes de procédure, l'audience de l'affaire débuta le 20 septembre 1993 et se prolongea jusqu'au 24 mai 1994. L'audience se décomposa selon les phases suivantes : du 21 septembre au 29 novembre 1993, les inculpés, à l'exception de cinq d'entre eux, firent leurs dépositions devant le tribunal. Les dépositions des témoins eurent lieu entre le 29 novembre 1993 et le 14 février 1994, l'examen des expertises eut lieu entre le 14 et 22 février 1994, l'examen des preuves écrites eut lieu entre le 28 février et le 16 mars 1994. Les réquisitions orales du ministère public, les accusations des parties civiles et les plaidoiries des accusés se prolongèrent du 23 mars au 23 mai 1994. Les accusés prirent la parole en dernier.
Par un jugement contradictoire rendu le 27 septembre 1994, l'Audiencia Nacional reconnut coupable le requérant du délit de trafic de stupéfiants (articles 344, 344 bis A alinéa 3 et 344 bis B du code pénal) à la peine de neuf ans d'emprisonnement et à celle de 50 millions de pesetas d’amende. Le requérant fut reconnu coupable d’avoir participé avec d’autres coaccusés, dont P., à l’acquisition d’un bateau adéquat pour réaliser un transport de plus de 400 kg de cocaïne vers l’Espagne.
Le requérant forma un pourvoi en cassation auprès du Tribunal suprême en alléguant la violation de l'article 118 du code de procédure pénale du fait de l'absence de notification de la plainte pénale déposée à son encontre. Le requérant faisait valoir que l'absence de notification de la procédure suivie à son encontre avait porté atteinte aux droits de la défense. Le requérant allégua également la violation du droit à la présomption d'innocence.
Par un arrêt du 7 décembre 1996, le Tribunal suprême rejeta le pourvoi en cassation. S’agissant du moyen de cassation tiré de l’absence de notification de la recevabilité de la plainte pénale par le juge central d’instruction n° 5, le Tribunal suprême se prononça ainsi :
« Au début de la procédure, lorsque les investigations pénales commencées en Galice furent transmises au juge central d’instruction n° 5, le ministère fiscal déposa plainte contre diverses personnes nommément désignées par leurs noms et prénoms, plainte qui fut déclarée recevable (admisible) par décision du 26 novembre 1989, sans que cette décision fut portée à la connaissance des personnes mises en cause (querellados), de sorte que l’article 118 du code de procédure pénale fut clairement enfreint, comme le soulignent les requérants, et admet le jugement entrepris. Il y eut après des investigations judiciaires et policières consistant en substance dans de multiples déclarations du plaignant initial et postérieurement repenti qui, à diverses reprises, accompagna des fonctionnaires de police jusqu’à plusieurs localités de la Galice afin de préciser les faits, lieux et personnes impliquées dans les importantes transactions de trafic de hachisch et cocaïne qui s’étaient produites et se poursuivaient.
Tout un chacun comprendra que pour l’investigation sur de tels faits, il importait d’agir sans que les personnes mises en cause ne fussent informées de telles investigations. Les infractions de ce type, commises par d’importantes organisations avec des connections, y compris de portée internationale, exigent que soient réalisés des actes policiers et judiciaires sans que les personnes impliquées dans les faits en aient connaissance. Si dans le cas présent, après la recevabilité de la plainte, les personnes mises en cause avaient été informées conformément à l’article 118, à l’évidence, l’investigation n’aurait pas été possible.
Bien évidemment, ainsi que cela a été dit, peut se révéler particulièrement nécessaire une investigation sur des faits à l’insu des personnes mises en cause en présence d’infractions perpétrées par des bandes organisées, comme c’est le cas en matière de trafic de stupéfiants au début du circuit de distribution, ce qui est autorisé par le code de procédure pénale, à savoir par l’article 302 (...).
Ainsi, dans le présent cas, le juge d’instruction disposait de la faculté de procéder à des investigations, sans en informer les personnes mises en cause, sur les graves délits de trafic de stupéfiants objet de la plainte du ministère public ; mais pour cela, il aurait dû ordonner le secret de la procédure pour une période d’un mois, avec les prorogations nécessaires et dûment justifiées, conformément à l’article 302 précité et à la doctrine citée du Tribunal suprême. Or il ne procéda pas ainsi et, de ce fait, il est évident qu’il y a eu une irrégularité de procédure à cet égard, comme l’admet le jugement attaqué.
Voyons maintenant la portée qu’il convient de donner à une telle irrégularité de procédure.
On se trouve devant un cas semblable à celui examiné dans le récent arrêt du Tribunal constitutionnel n° 100/1996 du 11 juin 1996, et la solution à y apporter se doit d’être la même : considérer qu’il n’y a pas eu atteinte matérielle à la défense, car les personnes mises en examen ont été entendues en cette qualité, et elles ont pu accéder au dossier en toute connaissance des investigations menées bien avant la conclusion de l’instruction, de sorte qu’ils ont eu le temps pour prendre connaissance du contenu de l’instruction et demander la réalisation de tout acte d’instruction dans cette phase, à savoir avant que le procès fût entré dans une phase de forclusion.
(...) comme le déclare le jugement entrepris dans sa partie en droit (...), P. (le « repenti »), protagoniste dans toute la phase initiale inquisitoire, fut soumis à un ample interrogatoire avec pour résultat « d’anéantir pratiquement la preuve à charge constituée au début par ses déclarations effectuées de son seul chef, uniquement en présence du juge instructeur et du ministère public, sans que personne en fût informé. (...) De ce fait, ces déclarations ne sont pas annulées car, comme on le verra, personne n’en a été lésé (...), celles-ci n’étant utilisées que dans la mesure où elles bénéficient aux autres accusés compte tenu de leur caractère contradictoire et flou.  (...)
En conclusion, l’inobservation des prescriptions de l’article 118 du code de procédure pénale fut sans importance quant à la réalité et valeur d’une preuve à charge, celle qui en définitive servit pour condamner, qui fut entourée de toutes les garanties (...) »
Le Tribunal suprême considéra également que les juges du fond s’étaient appuyés sur tout un ensemble d’éléments de preuve contradictoirement débattus pour parvenir à la déclaration de culpabilité du requérant et à sa condamnation.
Contre cet arrêt, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel en alléguant la violation de l’article 24 §§ 1 et 2 de la Constitution espagnole (droit à un procès équitable et respect de la présomption d’innocence). Par décision du 30 juin 1997, notifiée au requérant le 14 juillet 1997, la haute juridiction rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement. S’agissant du grief tiré de la violation de l’article 118 du code de procédure pénale, le Tribunal constitutionnel, déclara que, malgré la violation de cette disposition par le juge d’instruction, cette irrégularité n’avait pas eu pour résultat de priver pratiquement le requérant de ses droits de la défense dès lors, qu’à partir du moment où il fut mis en examen (imputado), le requérant eut accès à tous les actes menés, eut la possibilité d’alléguer ce qu’il estima pertinent pour la défense de sa cause et de demander l’administration des actes d’instruction qu’il estima utiles afin de contrecarrer les investigations initialement réalisées sans son intervention. Quant au grief tiré de la violation de la présomption d’innocence, le tribunal déclara que, conformément à sa jurisprudence, ce droit n’était pas enfreint lorsque la conviction judiciaire dans un procès pénal se formait sur la base de la déclaration à charge d’un coaccusé, dès lors que la juridiction du fond a exclu expressément que la déclaration en question fût le résultat de mobiles sans fondement, alors même que la crédibilité de la déclaration en question est prouvée par une autre preuve, que les premières juridictions qualifient de fondamentale, à savoir la confrontation entre P. (le « repenti ») et A.P. (un autre coaccusé). L’absence d’accès du requérant à l’enregistrement de ladite confrontation est sans incidence constitutionnelle dès lors que le requérant n’allègue ni ne spécifie quels éléments de la confrontation furent omis dans la transcription de l’enregistrement versée au dossier d’instruction, dont la connaissance aurait été décisive pour la préparation de sa défense.
b. Eléments de droit interne
Code de procédure pénale
Article  118
« Toute personne accusée d’une infraction pourra exercer les droits de la défense en participant dans la procédure, quel qu’en soit le type, à partir du moment où elle sera informée de son existence, qu’elle ait fait l’objet de détention ou de toute autre mesure préventive, ou bien qu’elle ait été mise en examen, auquel cas elle sera informée de ce droit.
La recevabilité d’une plainte pénale ainsi que tout acte de procédure résultant de la mise en examen du chef d’un délit contre une ou plusieurs personnes déterminées, seront portés immédiatement à la connaissance des accusés présumés. » 
Article 302
« Les parties à la procédure pourront prendre connaissance des actes réalisés et prendre part à tous les actes de procédure.
Toutefois, nonobstant ce qui est dit au paragraphe précédent, si le délit est public, le juge d’instruction,  sur proposition du ministère public, de toute partie à la procédure ou  d’office, pourra par une ordonnance ordonner le secret total ou partiel de la procédure à l’égard de toutes les parties à la procédure pour une période ne dépassant pas un mois (...) »
GRIEFS
Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 a) de la Convention, le requérant se plaint que sa cause n’a pas été entendue équitablement par les tribunaux espagnols, dans la mesure où la plainte déposée par le ministère public ne lui fut jamais remise, et qu’il en prit connaissance par le biais de ses avocats presque dix mois après la décision du juge d’instruction n° 5 la déclarant recevable. Alléguant la violation de l’article 6 § 3 b), le requérant se plaint qu’après sa détention en juin 1990, ses défenseurs durent attendre jusqu’à août 1990 pour pouvoir accéder à la lecture des actes de la procédure. Par ailleurs, invoquant l’article 6 § 3 d) de la Convention, il se plaint que ses défenseurs sollicitèrent à plusieurs reprises la comparution du coaccusé P. (le « repenti ») sans succès, de sorte qu’il fallut attendre l’audience de l’affaire quatre ans après le début de la procédure pour pouvoir l’interroger.
Le requérant se plaint également que les éléments de preuve à charge pris en compte pour le déclarer coupable ne furent pas obtenus légalement et, partant, ne pouvaient être pris en considération. Il allègue la violation de la présomption d’innocence garantie par l’article 6 § 2 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint tout d’abord que la plainte déposée par le ministère public ne lui fut jamais remise, et qu’il en prit connaissance par le biais de ses avocats presque dix mois après sa présentation et sa recevabilité par le juge d’instruction n° 5. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 a) de la Convention dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; »
La Cour rappelle tout d’abord que les garanties énoncées au paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti au plan général par le paragraphe 1. Dans ces conditions, la Cour examinera le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (cf., entre autres, Cour eur. D.H., arrêts Unterpertinger c. Autriche du 24 novembre 1986, série A n° 110, p. 14, § 29 ; Artner c. Autriche du 28 août 1992, série A n° 242-A, p. 10, § 19 ; Pullar c. Royaume-Uni du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p. 706, § 45 ; Foucher c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 464, § 30).
En l’espèce, la question qui se pose est de savoir si le requérant peut être considéré comme ayant été informé, dans le plus court délai et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, comme l’exige l’alinéa a) de l’article 6 § 3 de la Convention. A cet égard, la Cour relève en premier lieu que cette disposition vise une personne accusée d’une infraction. Par ailleurs, dans le contexte de la Convention, les mots « accusé » et « accusation pénale » correspondent à une notion autonome et doivent être interprétés par référence à une situation matérielle et non formelle. A cet égard, la Cour a estimé que, constituent une accusation non seulement, la notification officielle du reproche d’avoir commis une infraction, mais aussi toute mesure comportant des répercussions importantes sur la situation du suspect (Cour eur. D.H., arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 33, § 73).
Dans le présent cas, la Cour constate que, par une ordonnance du 27 novembre 1989, le juge central d'instruction n° 5 déclara recevable la plainte pénale déposée par le ministère pénal et ordonna certains actes d'investigation. Toutefois, et contrairement à l'article 118 du code de procédure pénale, le juge d'instruction n'informa pas le requérant de l'admission de la plainte le concernant. D’après les déclarations du requérant, la première information concernant la procédure pénale diligentée à son encontre fut la notification de l’ordonnance du 11 juin 1990, par laquelle le juge d'instruction ordonna le placement en détention provisoire des personnes inculpées, dont le requérant, décida le secret de la procédure pendant un mois, et leur désigna un avocat d'office pendant la durée de l'isolement, situation qui se prolongea jusqu’au 6 août 1990 où l’isolement fut levé.
En l’espèce, la Cour note que jusqu’à l’ordonnance d’inculpation et de mise en détention provisoire rendue le 11 juin 1990, la situation du requérant n’a pas été directement affectée par les investigations menées par le juge d’instruction. C’est donc à partir de cette ordonnance que le requérant doit être considéré comme accusé. Or le requérant n’allègue à aucun moment ne pas avoir reçu à temps la notification de l’ordonnance d’inculpation du 11 juin 1990. Dans ces conditions, la Cour estime que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
2. Le requérant se plaint qu’après sa détention en juin 1990, ses défenseurs durent attendre jusqu’à août 1990 pour pouvoir accéder à la lecture des actes de la procédure. Il invoque l’article 6 § 3 b) de la Convention, ainsi libellé :
« Tout accusé a droit notamment à :
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; » 
La Cour rappelle que l’article 6 § 3 b) de la Convention reconnaît à tout accusé le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Par ailleurs, les « facilités » dont doit jouir tout accusé comprennent la possibilité d’avoir connaissance, pour préparer sa défense, du résultat des investigations faites tout au long de la procédure. Par ailleurs, il est évident que les facilités qui doivent être accordées à l’accusé se limitent à celles qui concourent ou peuvent concourir à la préparation de la défense.
En l’espèce, la Cour relève tout d’abord que, parallèlement à son inculpation et à son placement en détention provisoire par le juge d’instruction le 11 juin 1990, un avocat d’office fut chargé d’assurer sa défense pendant la période d’isolement qui se prolongea jusqu’au 6 août 1990. A cet égard, le requérant ne conteste pas le fait qu’il a pu s’entretenir avec l’avocat désigné d’office pour préparer sa défense. Par ailleurs, à partir de la levée de la mesure d’isolement, soit le 6 août 1990, le requérant admet avoir eu accès aux actes de la procédure. La Cour relève notamment qu’après avoir été renvoyés le 19 février 1992 pour jugement devant la chambre pénale de l'Audiencia Nacional, cette dernière, par décision du 29 octobre 1992, ordonna la remise à tous les défenseurs des quarante-sept personnes inculpées, dont le requérant, de la totalité du dossier d'instruction composé de plus de 80 volumes afin qu'il procèdent à la qualification provisoire des faits. La Cour constate donc que l’instruction du dossier s’est prolongée durant plusieurs années, de sorte que le requérant a disposé, après la notification de l’ordonnance d’inculpation du 11 juin 1990, de suffisamment de temps pour la préparation de sa défense, ce qui est le but principal de l’article 6 § 3 b) de la Convention. En outre, aucun élément du dossier ne permet de dire qu’après la levée du secret de l’instruction le 6 août 1990, le requérant ait subi des entraves pour désigner un avocat ou pour consulter avec lui afin de préparer les modalités de sa défense. Dans ces conditions, la Cour estime que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
3. Le requérant se plaint également que ses défenseurs sollicitèrent à plusieurs reprises, et sans succès, la comparution du coaccusé P. (le « repenti ») de sorte qu’il fallut attendre l’audience de l’affaire quatre ans après le début de la procédure pour pouvoir l’interroger. Il invoque l’article 6 § 3 d) de la Convention ainsi libellé :
« Tout accusé a droit notamment à :
d) Interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; »
La Cour rappelle qu’il incombe au juge national de décider de l’opportunité de citer un témoin (cf. 10563/83, déc. 5.7.85, D.R. 44 et Cour eur. D.H., arrêt Bricmont c. Belgique du 7 juillet 1989, série A n° 158, p. 31, § 89). Par ailleurs, les éléments de preuve doivent normalement être produits devant l’accusé en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. En d’autres termes, les dispositions prévues aux paragraphes 3 d) et 1 de la Convention commandent en règle générale d’accorder à l’accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d’en interroger l’auteur (Cour eur. D.H., arrêt Asch c. Autriche du 26 avril 1991, série A n° 203, p. 10, § 27). Or, en l’espèce, la Cour note que le requérant a eu la possibilité d’interroger P. durant l’audience publique tenue par l’Audiencia Nacional et de contredire les dépositions qu’il fit durant la procédure. Dans ces conditions, la Cour estime que, dans les circonstances de la cause, le fait que le requérant n’ait pas pu interroger P. à un stade antérieur de la procédure n’a pas porté atteinte aux droits de la défense du requérant ni privé d’un procès équitable.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. 
4. Le requérant se plaint enfin que les éléments de preuve à charge pris en compte pour le déclarer coupable ne furent pas obtenus légalement et, partant, ne pouvaient être pris en considération. Il allègue la violation de la présomption d’innocence garantie par l’article 6 § 2 de la Convention, qui se lit de la manière suivante :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
Toutefois, la Cour constate que, contrairement à ce que soutient le requérant, les juridictions espagnoles l'ont déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés en se basant sur tout un ensemble d'éléments de preuve recueillis au long de l'instruction et examinés à l'audience, conformément au principe du contradictoire, et qu'elles ont estimé suffisants, et que tant l'Audiencia Nacional que le Tribunal suprême au stade de la cassation se sont prononcés au moyen de décisions amplement motivées. Par ailleurs, il ne ressort pas de l'examen des décisions rendues par les juridictions internes que celles-ci soient entachées d'arbitraire. La Cour estime que rien dans le dossier ne permet de déceler une apparence de violation par les juridictions espagnoles de la disposition invoquée de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée en application de l'article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Vincent Berger Matti Pellonpää   Greffier Président
Note
On met aussi “Président(e)” si la présidence n’est pas exercée par le président de section (vice-président de section ou juge ayant préséance).
39519/98 - -
- - 39519/98


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Non-lieu à examiner l'art. 5-3 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-2 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-3-b ; Non-lieu à examiner l'art. 6-3-c ; Non-lieu à examiner l'art. 11 ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Non-violation de l'art. 5-1 (première requérante) ; Non-violation de l'art. 5-1 (deuxième requérante) ; Violation de l'art. 5-1 (troisième, quatrième et cinquième requérants) ; Non-violation de l'art. 5-1 (première et deuxième requérantes) ; Non-violation de l'art. 5-5 ; Non-violation de l'art. 6-3-a ; Non-violation de l'art. 10 (première requérante) ; Non-violation de l'art. 10 (deuxième requérante) ; Violation de l'art. 10 (troisième, quatrième et cinquième requérants) ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 34) ENTRAVER L'EXERCICE DU DROIT DE RECOURS, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-3) REQUETE ABUSIVE, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-3) AUSSITOT TRADUITE DEVANT UN JUGE OU AUTRE MAGISTRAT, (Art. 5-3) CARACTERE RAISONNABLE DE LA DETENTION PROVISOIRE, (Art. 5-3) JUGE DANS UN DELAI RAISONNABLE, (Art. 5-3) JUGE OU AUTRE MAGISTRAT EXERCANT DES FONCTIONS JUDICIAIRES, (Art. 5-4) CONTROLE DE LA LEGALITE DE LA DETENTION, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : PADIN GESTOSO
Défendeurs : l'ESPAGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 08/12/1998
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 39519/98
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-12-08;39519.98 ?
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