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02/02/1999 | CEDH | N°34131/96

CEDH | SERNY contre la FRANCE


DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 34131/96
présentée par Louis SERNYNote
contre la FranceNote
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 2 février 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
Mme F. Tulkens,
M. W. Fuhrmann,
M. K. Jungwiert,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fo

ndamentales ;
Vu la requête introduite le 13 septembre 1996 par Louis SERNYNote contre la France et enregistrée le...

DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 34131/96
présentée par Louis SERNYNote
contre la FranceNote
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 2 février 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
Mme F. Tulkens,
M. W. Fuhrmann,
M. K. Jungwiert,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 13 septembre 1996 par Louis SERNYNote contre la France et enregistrée le 11 décembre 1996 sous le n° de dossier 34131/96 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
NameEN FAIT
Le requérant, ressortissant français, né en 1925, est exploitant forestier, et demeure à Montgaillard.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
A. Circonstances particulières de l'affaire
Par jugement du 22 mars 1993, le tribunal de police de Pamiers déclara constituée l’infraction d’excès de vitesse relevée contre le requérant et le condamna à une suspension de son permis de conduire d’une durée de 30 jours.
Cette condamnation devenue définitive, à défaut d’appel, entraîna la perte de quatre des douze points figurant sur le permis de conduire du requérant, en application de l’article L. 11-3 du Code de la route.
Par jugement du 30 octobre 1993, le tribunal de police de Foix, intervenu à la suite d'un nouveau contrôle pour excès de vitesse, le requérant se vit condamner au paiement d’une amende forfaitaire.
Cette condamnation devenue définitive, à défaut d’appel, entraîna la perte de deux points sur son permis de conduire.
Par jugement du 17 décembre 1993, le tribunal de police d’Auch déclara constituée une nouvelle infraction d’excès de vitesse relevée contre le requérant.
Cette condamnation devenue définitive, à défaut d’appel, entraîna la perte de quatre points du permis de conduire du requérant.
Par jugement du 24 février 1994, le tribunal de police de Saint-Gaudens déclara constituée une autre infraction d’excès de vitesse relevée contre le requérant.
Cette condamnation devenue définitive, à défaut d’appel, entraîna la perte de trois points sur le permis de conduire du requérant;
En application de l’article L. 11 du Code de la route, le capital des points figurant sur le permis de conduire du requérant devint nul.
Par lettre en date du 18 août 1994, le préfet du département de l'Ariège enjoignit au requérant de restiteur son permis de conduire pour défaut de points. Le requérant refusa de restituer son permis de conduire.
Le 17 octobre 1994, le requérant fut cité à comparaître devant le tribunal de grande instance de Foix sous la prévention de refus de restitution du permis de conduire, infraction prévue et réprimée par les articles L. 19 alinéa 4, 1, L. 11-5 alinéa 1, L. 1-1 et L. 1-2 du Code de la route.
Par jugement du 8 décembre 1994, le tribunal de grande instance de Foix déclara le requérant coupable des faits et de l’infraction reprochée. Il s’exprima notamment comme suit:
« Il résulte de l'article L. 11-4 du Code de la route excluant l'application de l'article 702-1 du Code de procédure pénale et l'article 133-16 du Code pénal à la perte de points affectant le permis de conduire, que cette mesure n'a pas le caractère d'une sanction pénale mais celui d'une sanction de nature administrative ; que la perte de validité du permis de conduire découlant de la perte totale de points conformément à l'article 11-5 du Code de la route revêt la même nature administrative ; que dès lors L. Serny ne peut invoquer l'irrégularité de la procédure au regard de la Convention Européenne des Droits de l'Homme dont les prescriptions ne concernent que les accusations en matière pénale et les contestations sur les droits et obligations de caractère civil ».
Par arrêt en date du 18 mai 1994, la cour d'appel de Toulouse rejeta l’appel interjeté par le requérant. La cour considéra notamment ce qui suit :
« que la mesure individuelle enjoignant à M. Serny de restituer son permis de conduire conformément à l'article L. 11-5 du Code de la route a été prise en application des décrets des 25 juin et 23 novembre 1992 pris en application de la loi du 10 juillet 1989 instituant le permis à points ; que les sanctions administratives résultant de ces dispositions, constituent des mesures non contraires par elles-mêmes, à la Convention européenne des Droits de l'Homme, dont les intéressés peuvent recourir devant les juridictions de l'ordre administratif. »
Par arrêt du 30 août 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant. Elle indiqua en particulier ce qui suit :
« qu'en effet, aucune incompatibilité n'existe entre la loi du 10 juillet 1989, instituant le permis de conduire à points, et l'article 6 de la Convention, dès lors que chaque perte partielle de points, bien que s'appliquant de plein droit et échappant à l'appréciation des juridictions répressives, est subordonnée à la reconnaissance de la culpabilité de l'auteur de l'infraction, soit par le juge pénal, après examen préalable de la cause par un tribunal indépendant et impartial, soit par la personne concernée elle-même qui, s'acquittant d'une amende forfaitaire, renonce expressément à la garantie d'un procès équitable ».
B. Droit interne pertinent
Dispositions du Code de la route.
Article L. 11
«  Le permis de conduire exigible pour la conduite des véhicules automobiles terrestres à moteur est affecté d'un nombre de points [douze points]. Le nombre de ces points est réduit de plein droit si le titulaire du permis a commis l'une des infractions visées à l'article L.11. Lorsque le nombre de points devient nul, le permis perd sa validité. »
Article L. 11-1
«  Le nombre de points affecté au permis de conduire est réduit de plein droit lorqu'est établie la réalité de l'une des infractions suivantes:
c) Contraventions en matière de police de la circulation routière susceptibles de mettre en danger la sécurité des personnes limitativement énumérées. 
La réalité de ces infractions est établie par le paiement d'une amende forfaitaire ou par une condamnation devenue définitive.
Le contrevenant est dûment informé que le paiement de l'amende entraîne reconnaissance de la réalité de l'infraction et par là même réduction de son nombre de points. »
Article L. 11-5
«  En cas de perte totale des points, l'intéressé reçoit de l'autorité administrative l'injonction de remettre son permis de conduire au préfet de son département de résidence et perd le droit de conduire un véhicule.
Il ne peut solliciter un nouveau permis de conduire avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de remise de son permis au préfet et sous réserve qu'il soit reconnu apte après l'examen médical et psychotechnique effectué à ses frais. »
GRIEFS
1. Le requérant estime que le retrait systématique et automatique de points du permis entraînant l'annulation du permis de conduire pour perte du total des points est une sanction à caractère pénal dont le prononcé n’est pas entouré par les garanties de l’article 6 de la Convention. Or il se plaint de ne pas avoir eu la possibilité de débattre publiquement et de façon contradictoire de la mesure d'annulation du permis de conduire pour défaut de points dès lors que cette sanction infligée par le préfet est considérée comme une mesure administrative dont les juridictions judiciaires ne veulent pas apprécier le bien-fondé.
2. Le requérant se plaint d’avoir été puni pénalement à deux reprises pour la même infraction, à savoir d’abord par le juge judiciaire et ensuite par le préfet. Il invoque la violation de l'article 4 du Protocole N° 7 à la Convention.
3. Le requérant invoque l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui pose le principe de la légalité des peines et des délits. Il estime que ce principe n’a pas été respecté dans la procédure relative à la restitution de son permis.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint que le retrait systématique et automatique de points du permis entraînant l'annulation du permis de conduire pour perte total des points sans possibilité de recours devant un organe judiciaire de pleine juridiction l'a privé du droit à un « tribunal » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
«  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...).  »
La Cour rappelle tout d'abord que dans son arrêt Malige contre France, la Cour européenne conclut à l'applicabilité de l'article 6 § 1 de la Convention à des procédures ayant comme conséquence le retrait de points du permis de conduire (arrêt Malige c. France du 23 septembre 1998, à paraître dans Recueil des arrêts et décisions 1998, § 34-40).
S'agissant par ailleurs de la question de savoir s'il existe dans l'ordre interne un contrôle juridictionnel suffisant concernant la mesure litigieuse au regard de l'article 6 § 1, la Cour estima qu'un contrôle suffisant au regard de la Convention se trouvait incorporé dans la décision pénale de condamnation prononcée à l'encontre de M. Malige, sans qu'il soit nécessaire de disposer d'un contrôle séparé supplémentaire de pleine juridiction portant sur le retrait de points (ibidem, § 50). En particulier, la Cour nota que M. Malige avait pu contester devant les juridictions pénales (tribunal de police et cour d'appel) la réalité de l'infraction pénale consistant dans l'excès de vitesse, et soumettre aux juges répressifs tous les moyens de fait et de droit qu'il a estimés utiles à sa cause, sachant que sa condamnation entraînerait en outre le retrait d'un certain nombre de points (ibidem, § 48).
La Cour européenne s’exprima notamment comme suit :
« (...) A l'instar de la Commission, la Cour estime donc qu'un contrôle suffisant au regard de l'article 6 § 1 de la Convention se trouve incorporé dans la décision pénale de condamnation prononcée à l'encontre de M. Malige, sans qu'il soit nécessaire de disposer d’un contrôle séparé supplémentaire de pleine juridiction portant sur le retrait de points. Par ailleurs, le requérant pourra introduire un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative afin de faire contrôler que l'autorité administrative a agi à l'issue d’une procédure régulière.
La Cour en conclut, avec la Commission, que l'intéressé a bénéficié dans l'ordre interne d’un contrôle juridictionnel suffisant concernant la mesure litigieuse au regard de l'article 6 § 1 (...). » (arrêt Malige précité, § 50 et § 51).
Dans le cas d'espèce, la Cour note que les infractions reprochées au requérant, à savoir des excès de vitesse, ont été sanctionnées à l'issue de trois procédures successives devant le tribunal de police, dont le requérant ne conteste pas le caractère contradictoire, et qui aboutirent à des jugements contre lesquels le requérant n'estima pas utile de recourir - contrairement au cas Malige.
En outre, il n'est non plus contesté que le requérant n'ignorait pas qu’en application de l’article L. 11 et suivants du Code de la route, chacun des excès de vitesse commis entraînerait la perte d’un certain nombre de points de son permis de conduire et l'annulation de ce dernier en cas de perte de la totalité des douze points y figurant.
Dans ces conditions, la Cour estime que le grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
2. Le requérant allègue la violation de l'article 4 du Protocole N° 7 qui dispose notamment :
«  Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a été (...) condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. »
La Cour rappelle qu’elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Cette disposition « n’exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes et l’exercice de recours destinés à combattre une décision déjà rendue : il oblige aussi, en principe, à soulever devant ces mêmes juridictions, au moins en substance, (...) les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg (...) » (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, § 34).
En l’espèce, la Cour relève que le requérant n’a pas articulé le présent grief devant les juridictions nationales. Elle en déduit qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 précité.
Il s’ensuit que le grief doit être rejeté, en tout état de cause, pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
3. Le requérant invoque l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui pose le principe de la légalité des peines et des délits. Il estime que ce principe n’a pas été respecté dans la procédure relative à la restitution de son permis.
La Cour relève que le requérant invoque en substance l’article 7 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
La Cour relève que le requérant a été condamné pour l’infraction de refus de restitution du permis de conduire, infraction dûment prévue et réprimée par les articles L. 19 alinéa 4, 1, L. 11-5 alinéa 1, L. 1-1 et L. 1-2 du Code de la route. Elle ne décèle donc aucune apparence de violation de l’article 7.
Il s’ensuit que le grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
S. Dollé N. Bratza
Greffière Président
Ne mettre que les initiales si non public ; prénom et, en majuscules, le nom de famille ; nom corporatif en majuscules ; pas de traduction des noms collectifs.
Première lettre du pays en majuscule. Mettre l’article selon l’usage normal de la langue.
En minuscules.
34131/96 - -
- - 34131/96


Synthèse
Formation : Commission (deuxième chambre)
Numéro d'arrêt : 34131/96
Date de la décision : 02/02/1999
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL


Parties
Demandeurs : SERNY
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-02-02;34131.96 ?

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