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23/02/1999 | CEDH | N°28160/95;28382/95

CEDH | PREDA ET DARDARI contre l'ITALIE


DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes n°s 28160/95 et 28382/95
présentées par Giuliano PREDA et Raniero DARDARI
contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en chambre le 23 février 1999 en présence de
M. C. Rozakis, président,
M.      M. Fischbach,
M. B. Conforti,
M. P. Lorenzen,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. A.B. Baka,
M. E. Levits, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde de

s Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 20 avril 1995 par Giuliano Preda c...

DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes n°s 28160/95 et 28382/95
présentées par Giuliano PREDA et Raniero DARDARI
contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en chambre le 23 février 1999 en présence de
M. C. Rozakis, président,
M.      M. Fischbach,
M. B. Conforti,
M. P. Lorenzen,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. A.B. Baka,
M. E. Levits, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 20 avril 1995 par Giuliano Preda contre Italie et enregistrée le 8 août 1995 sous le n° de dossier 28160/95 ;
Vu la requête introduite le 7 avril 1995 par Raniero Dardari contre Italie et enregistrée le 30 Août 1995 sous le n° de dossier 28382/95 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 20 juillet 1998 et les observations en réponse présentées par les requérants le 14 octobre 1998 ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants sont des ressortissants italiens nés en 1936 et 1939 et résidant à Bologne. Ils sont professeurs à la retraite.
Devant la Cour, les requérants sont représentés par Maître Maurizio Stefani, avocat à Bologne.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Statuant sur un recours que les requérants avaient introduit conjointement en 1989, le tribunal administratif régional d'Emilie-Romagne décida, en mai 1991, que, dans la détermination de la carrière et du salaire des requérants, la mairie de Bologne devait tenir compte, en application de la loi n° 958 de 1986, également du service national accompli par les requérants.
Après que ce jugement fut devenu définitif et que la mairie de Bologne ait commencé à en donner exécution, le législateur italien adopta la loi n° 412 de 1992. Aux termes de l'article 7 de cette loi - qui donnait une interprétation de la loi n° 958 de 1986 -, l'on pouvait désormais tenir compte seulement du service national accompli lors de l'entrée en vigueur de la loi ou postérieurement.
Le 10 mars 1992, la mairie de Bologne informa les requérants que dorénavant elle ferait application de cette loi dans la détermination de leur carrière et dans la fixation de leur salaire.
En mai 1992, les requérants introduisirent devant le même tribunal administratif un recours en exécution du premier jugement et, entre autres, soulevèrent une question de légitimité constitutionnelle de la disposition qui leur portait préjudice. Ils étaient de l'avis que cette disposition de la loi se heurtait au principe de non-rétroactivité de la législation en question, car elle touchait à des décisions devenues définitives. Les requérants demandaient au tribunal administratif de constater qu’il n’avait pas été donné exécution au premier jugement et de nommer un commissaire ad acta pour l’exécution dudit jugement.
Estimant que la question de constitutionnalité n'était pas manifestement mal fondée, le tribunal administratif d'Emilie-Romagne suspendit l'examen du recours et saisit la Cour constitutionnelle.
Par l'arrêt n° 385 du 7 novembre 1994, la Cour constitutionnelle rejeta la question de constitutionnalité. Elle estima que dans le domaine des droits patrimoniaux de la fonction publique, la seule limite à prendre en considération en matière d'application rétroactive des dispositions est celle du principe général du caractère raisonnable. Or, eu égard à la nature interprétative de la disposition attaquée, celle-ci avait un caractère raisonnable. En outre, ladite disposition visait à assurer un traitement uniforme à tous ceux qui avaient accompli le service national pendant la même période.
Les requérants n'ont pas repris la procédure devant le tribunal administratif qui, par conséquent, n'a pas statué sur leur recours en exécution. Les requérants indiquent qu'ils n'ont pas repris la procédure, car, après la décision de la Cour constitutionnelle, la juridiction administrative aurait dû nécessairement rejeter leur recours.
GRIEFS
Les requérants invoquent la violation des articles 6 § 1, et 17 de la Convention. Ils indiquent que ces violations tirent leur origine dans l'action du législateur qui, par la modification introduite par la loi n° 412 de 1992, a réduit à néant les effets du jugement rendu en 1991.
PROCÉDURE
Les requêtes ont été introduites devant la Commission européenne des Droits de l’Homme les 7 avril 1995, et enregistrées les 8 et 30 août 1995.
Le 10 mars 1998, la Commission a décidé de joindre les requêtes et de les porter à la connaissance du gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 20 juillet 1998, après prorogation du délai imparti et les requérants y ont répondu le 14 octobre 1998.
En vertu de l’article 5 § 2 du Protocole No. 11, entré en vigueur le 1er novembre 1998, l’affaire est à examiner par la Cour européenne des Droits de l’Homme à partir de cette date.
EN DROIT
1. Les requérants estiment d’abord que l'adoption de la loi n° 412 de 1992 a réduit à néant les effets du jugement de mai 1991 du tribunal administratif leur reconnaissant des avantages de carrière et de salaire. Le législateur aurait dû stipuler l'intangibilité des situations juridiques nées des décisions ayant acquis la valeur de la chose jugée. Les requérants allèguent la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
«  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...), qui décidera, (..) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
Le Gouvernement excipe avant tout de l’irrecevabilité ratione materiae des requêtes qui ne concerneraient pas un droit à caractère « civil », car la procédure devant les juridictions nationales portait sur la restructuration de la carrière des requérants. Le Gouvernement se réfère à la jurisprudence de la Cour (voir l’arrêt Spurio c. Italie du 2 septembre 1997, Recueil des arrêts et décisions, 1997-V).
Quant au fond, le Gouvernement estime que le grief ne serait pas fondé. Il note que le principe de l’intangibilité de la chose jugée constitue un principe général qui fait partie du système juridique italien. D’autre part, selon la jurisprudence nationale, la législation survenue ne s’applique pas aux rapports définis par un jugement devenu définitif. Toutefois, le système juridique italien n’exclut pas que la loi puisse régler des faits qui se sont déjà passés ou leur attribuer de nouveaux effets pourvu que ladite loi soit raisonnable, c’est-à-dire que son incidence sur des situations déjà définies soit mitigée par le respect d’autres « principes d’importance égale ou supérieure ».
Le Gouvernement remarque qu’en l’espèce, la loi à l’origine du différend n’a pas visé à annuler un jugement d’une juridiction administrative mais à régler rétroactivement, de façon uniforme, en harmonie avec les finances publiques, le problème des barèmes de rétribution des fonctionnaires afin que la même rétribution soit donnée dans les cas similaires. Or la loi aurait été déraisonnable si elle avait exclu de son application les cas réglés par des jugements devenus définitifs.
Étant donné que la loi n’avait pas été votée pour modifier des décisions de justice ou influencer des situations bien déterminées, la présente requête serait différente de l’affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis (v. Cour eur. D.H., arrêt Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce du 9 décembre 1994, série A n° 301-B).
De leur côté, les requérants  estiment que l’article 6 est applicable en l’espèce car le différend concernait le paiement de salaires et, en droit italien, le tribunal administratif est la seule juridiction compétente en matière de droits subjectifs à caractère patrimonial.
Quant au fond, les requérants concèdent qu’une loi puisse avoir effet rétroactif mais ils contestent que d’autres « principes d’importance égale ou supérieure » puissent prévaloir sur le principe de la séparation des pouvoirs. Or la loi n° 412 de 1991 a méconnu ce principe, vidant ainsi d’efficacité un jugement devenu définitif.
La Cour constate que les requérants ne se plaignent pas du déroulement d'une procédure judiciaire mais des effets qu'une loi a eu sur une décision de justice les concernant.
La Cour rappelle qu'un requérant peut se prétendre victime d'une loi ; toutefois, elle ne peut exercer un contrôle abstrait de la loi attaquée, mais elle se doit de prendre en considération la situation légale qui touche personnellement le requérant (Cour eur. D.H., arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, série A n° 31, p. 13, § 27). Par conséquent, la question qui se pose est de savoir si, en l'espèce, il y a eu méconnaissance du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1, vu les effets de la loi sur le jugement de mai 1991.
Quant à l’applicabilité de l’article 6 § 1, il échet de rappeler que les contestations concernant le recrutement, la carrière et les cessations d'activités des fonctionnaires sortent en règle générale du champ d'application de l'article 6, tandis que cette disposition est d’application lorsque le requérant revendique un droit essentiellement patrimonial (v., entre autres, Cour eur. D.H., arrêt Nicodemo c. Italie du 2 septembre 1997, Recueil des arrêts et décisions, 1997-V, p. 1703, § 18).
Quoiqu'il en soit, la Cour n'estime pas nécessaire de trancher cette question, car de toute manière, la requête doit être déclarée irrecevable pour les raisons suivantes.
Des questions similaires à celle posée par les requérants ont été examinées par les organes de la Convention.
Dans l’affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis, il s’agissait de l’annulation par un acte législatif d’une sentence arbitrale constatant l’existence d’une dette de l’Etat. Or la Cour a relevé que l’intervention du législateur « avait eu lieu à un moment où une instance judiciaire à laquelle l’Etat était partie se trouvait pendante » (v. Cour eur. D.H., arrêt Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce précité, p. 82, § 47). Elle a affirmé que 
« le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent à toute ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige (ibidem, § 49). Elle a conclu que l’Etat avait porté atteinte aux droits des requérants « en intervenant d’une manière décisive pour orienter en sa faveur l’issue - imminente - de l’instance à laquelle il était partie » (ibidem, § 50).
Dans l’affaire Zielinski et Pradal, actuellement pendante devant la Cour,  la Commission a constaté dans son rapport que « l'intervention du législateur en l'espèce, nonobstant l'intérêt qu'il pouvait avoir à traiter de cette question dans le texte de loi en cours de discussion afin d'éviter les lenteurs des rouages législatifs, eut lieu à un moment où une instance judiciaire, à laquelle l'Etat était partie, se trouvait pendante (...). La Commission constate en outre que les termes de l'article 85 de la loi du 18 janvier 1994 visaient expressément les procédures en cours, notamment celles relatives aux requérants » (Zielinski et Pradal c. France, rapport Comm. 9.9.97, § 57).
Dans une autre affaire, également pendante devant la Cour, la Commission a relevé que le législateur était intervenu « alors que la procédure concernant les requérants et à laquelle l’Etat était partie, était pendante devant la cour d’appel de Colmar ». Elle a considéré que « l’intervention du législateur a eu pour effet de rendre inéluctable l’issue du litige devant la cour d’appel de Colmar en défaveur des requérants puisque l’article 85 de la loi du 18 janvier 1994 visait expressément les procédures en cours (Gonzales et autres c. France, rapport Comm. 28.10.98, §§ 69 et 71).
La Cour rappelle qu’en matière civile, l'article 6 de la Convention ne garantit pas l'intangibilité de la chose jugée.
A la différence des affaires citées ci-dessus, l’intervention du législateur dans la présente affaire n’a eu lieu qu’après que la procédure entamée par les requérants soit terminée. D’autre part, le législateur n’a pas eu pour but d’interférer dans l’affaire des requérants mais de régler d’une manière uniforme les cas de toutes les personnes qui se trouvaient dans la même situation que les requérants, qu’ils eussent ou non entamé une action judiciaire pour faire constater leur droit.
La Cour considère qu’il n’apparaît nulle part que l’Etat avait eu l’intention d’intervenir dans la première procédure des requérants d’une manière contraire à l’article 6.
Dans la mesure où les requérants pourraient se plaindre de l'équité de la procédure du recours en exécution du premier jugement, commencé en 1992, la Cour constate que l'intervention législative a eu lieu avant la saisine de la juridiction.
Rien ne permet donc de déduire que les procédures en cause ont méconnu les garanties inhérentes à l’article 6 § 1.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et, par conséquent, doit être rejeté en application de l'article 35 § 3 de la Convention.
2. Les requérants invoquent également l'article 17 de la Convention, ainsi libellé :
« Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »
La Cour note que le but de cette disposition est d'empêcher que les principes imposés par la Convention puissent être exploités pour se livrer à une activité ou accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention. D'autre part, l'article 17 « vise essentiellement les droits qui permettraient de tenter d'en déduire celui de se livrer effectivement à des activités visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention » (Comm. D.H., n° 12194/86, déc. 12.5.88, D.R. 56, p. 205).
Or il n'apparaît pas des renseignements fournis par les requérants que les autorités italiennes visaient à détruire des droits et libertés reconnus aux requérants par la Convention et plus particulièrement par son article 6.
Il s'ensuit que ce grief aussi est manifestement mal fondé et, par conséquent, doit être rejeté en application de l'article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président
28160/95 et 28382/95 - -
- - 28160/95 et 28382/95


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL


Parties
Demandeurs : PREDA ET DARDARI
Défendeurs : l'ITALIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (quatrième section)
Date de la décision : 23/02/1999
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 28160/95;28382/95
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-02-23;28160.95 ?

Source

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