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02/03/1999 | CEDH | N°34791/97

CEDH | KHALFAOUI contre la FRANCE


DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 34791/97
présentée par Faouzi KHALFAOUI
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 2 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M.  L. Loucaides
M. P. Kūris,
M. W. Fuhrmann,
M. K. Jungwiert,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamental

es ;
Vu la requête introduite le 27 janvier 1997 par Faouzi KHALFAOUI contre la France et enregistrée le 6 février...

DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 34791/97
présentée par Faouzi KHALFAOUI
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 2 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M.  L. Loucaides
M. P. Kūris,
M. W. Fuhrmann,
M. K. Jungwiert,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 27 janvier 1997 par Faouzi KHALFAOUI contre la France et enregistrée le 6 février 1997 sous le n° de dossier 34791/97 ;
Vu les rapports prévus à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 30 septembre 1997 et les observations en réponse présentées par le requérant le 18 novembre 1997 ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant algérien né en 1961 et domicilié en Tunisie. Devant la Commission, il est représenté par Maître Basile Ader, avocat au barreau de Paris.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. Circonstances particulières de l'affaire
Le 20 juin 1993, le requérant fut mis en examen et placé en détention provisoire du chef d'agressions sexuelles commis par une personne ayant abusé de l'autorité que lui conféraient ses fonctions. Il lui était reproché, alors qu'il était interne dans un hôpital de Montbéliard, d'avoir, lors d'un toucher vaginal et rectal, pratiqué des attouchements sur une patiente.
Le requérant fut remis en liberté sous contrôle judiciaire le 24 janvier 1994 avec pour obligations de ne pas se rendre dans le district urbain du pays de Montbéliard, sauf convocation ; de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brunoy ; de remettre son passeport et sa carte d'identité au greffe du cabinet d'instruction ; de s'abstenir d'entrer en relation avec la victime ; de verser une caution de 60 000 francs entre les mains du greffier du tribunal.
Une ordonnance de modification partielle du contrôle judiciaire, rendue le 17 juin 1994, permit au requérant de se rendre en Tunisie de juillet à septembre 1994. Une seconde demande de modification du contrôle judiciaire, visant à permettre au requérant de commencer un cycle d'étude de quatre ans en Tunisie, fut rejetée par le magistrat instructeur par ordonnance du 17 octobre 1994.
Par ordonnance en date du 8 février 1995, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Montbéliard.
Après l'audience de jugement du 2 juin 1995, à laquelle le requérant comparut en personne, le tribunal correctionnel de Montbéliard condamna le requérant à trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et à verser 30 000 francs de dommages et intérêts à la partie civile. Le requérant n'était pas présent lors du prononcé du jugement le 23 juin 1995.
Par arrêt du 21 novembre 1995, la cour d'appel de Besançon, suite à une audience où le requérant comparut également, confirma le jugement entrepris en ce qui concernait la déclaration de culpabilité mais porta la peine à quatre ans d'emprisonnement, dont deux avec sursis et les dommages et intérêts alloués à la partie civile à une somme de 40 000 francs. La cour ne décerna pas de mandat de dépôt contre le requérant.
Par déclaration du 27 novembre 1995, le requérant forma un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.
Par courrier en date du  20 août 1996, adressé à son domicile à Tunis, le requérant fut informé par le parquet général près la cour d'appel de Besançon de son obligation de se mettre en état, au plus tard la veille de l'audience de la Cour de cassation, conformément à l'article 583 du Code de procédure pénale, l'audience de la Cour de cassation ayant été fixée en l'espèce au 24 septembre 1996.
Par requête présentée par son avocat le 16 septembre 1996, le requérant demanda à la cour d'appel de Besançon, en application de l'article 583 du Code de procédure pénale, une dispense de l'obligation de se mettre en état préalablement à l'audience où son pourvoi devait être examiné par la Cour de cassation.
A l'appui de sa demande, le requérant, qui était retourné en Tunisie après l'arrêt de la cour d'appel de novembre 1995, produisit un certificat médical daté du 2 septembre 1996, émanant d'un professeur d'un hôpital de Tunis, et diagnostiquant chez le requérant une tuberculose pulmonaire bacilliforme apparue en mai 1996, affection nécessitant un arrêt de travail et une phase de repos physique durant deux mois, période de traitement d'attaque de cette affection contagieuse.
Le requérant fit valoir que dans ces conditions il ne pouvait quitter le territoire tunisien, que son état contredisait tout emprisonnement et que le fait de subordonner la recevabilité du pourvoi en cassation à son incarcération préalable constituait une violation de l'article 6 de la Convention.
Par arrêt du 19 septembre 1996, suite à une audience où le requérant ne comparut pas mais fut représenté par son avocat, la cour d'appel de Besançon, refusant de suivre les réquisitions du ministère public, rejeta la demande de dispense aux motifs que :
« Il convient de relever que les certificats médicaux produits, s'ils révèlent l'apparition, en mai 1996, d'une tuberculose pulmonaire bacillaire, et l'indication d'un repos physique de deux mois à compter du 2 septembre 1996, ne font aucunement état d'une part de l'impossibilité pour M. KHALFAOUI à se déplacer et de suivre un traitement approprié à son état en France et d'autre part d'une contre-indication à tout emprisonnement, comme allégué ; que l'article 6-3 c) de la Convention ne confère pas à la personne poursuivie la faculté de s'abstenir à comparaître en justice, mais lui accorde seulement le droit, si elle se présente, de se défendre personnellement ou avec l'assistance d'un avocat ; dès lors les dispositions de l'article 583 du Code de procédure pénale n'apparaissent aucunement contraires aux principes sus-énoncés (...). »
Par arrêt du 24 septembre 1996, la Cour de cassation déclara le requérant déchu de son pourvoi, au motif qu'il ne s'était pas mis en état et n'avait pas obtenu dispense de se soumettre à cette obligation.
2. Eléments de droit interne
Article 567 du Code de procédure pénale
« Les arrêts de la chambre d'accusation et les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle et de police peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou par la partie à laquelle il est fait grief (...).
Le recours est porté devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. »
Article 583 du Code de procédure pénale
« Sont déclarés déchus de leur pourvoi les condamnés à une peine emportant privation de liberté pour une durée de plus de six mois, qui ne sont pas en état ou qui n'ont pas obtenu, de la juridiction qui a prononcé, dispense, avec ou sans caution, de se mettre en état.
L'acte de leur écrou ou l'arrêt leur accordant dispense est produit devant la Cour de cassation, au plus tard au moment où l'affaire y est appelée.
Pour que son recours soit recevable, il suffit au demandeur de justifier qu'il s'est constitué dans une maison d'arrêt, soit du lieu où siège la Cour de cassation, soit du lieu où a été prononcée la condamnation ; le surveillant chef de cette maison d'arrêt l'y reçoit sur l'ordre du procureur général près la Cour de cassation ou du chef du parquet de la juridiction de jugement. »
Doctrine
« (...) En vue d'empêcher les pourvois abusifs et de garantir l'exécution de la peine prononcée, le condamné à une peine privative de liberté de plus de six mois, qui forme un pourvoi, est obligé de se constituer prisonnier, avant que l'affaire ne soit appelée à l'audience de la chambre criminelle, s'il n'a pas été mis en liberté ou dispensé de se mettre en état par la juridiction qui l'a condamné (article 583 du Code de procédure pénale). Cette obligation de la mise en état, qui fait échec à la règle de l'effet suspensif du pourvoi, est prescrite à peine de déchéance du pourvoi (...) ». (G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 16ème édition, 1996, N° 775).
GRIEF
Le requérant estime qu'en subordonnant le recevabilité du pourvoi en cassation à son incarcération préalable et en refusant d'accorder la dispense de mise en état sollicitée, la cour d'appel a appliqué l'article 583 du Code de procédure pénale en violation des dispositions de l'article 6 de la Convention. L'injonction de mise en état, alors que le requérant s'est toujours présenté spontanément à la justice et a justifié d'un empêchement légitime, revient à interdire au requérant l'accès à la Cour de cassation, contrairement à ce qu'a jugé la Cour européenne dans son arrêt Poitrimol c. France.
PROCEDURE
La requête a été introduite le 27 janvier 1997 et enregistrée le 6 février 1997.
Le 21 mai 1997, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 30 septembre 1997, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 18 novembre 1997.
A compter du 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, et en vertu de l’article 5 § 2 de celui-ci, la requête est examinée par la Cour conformément aux dispositions dudit Protocole.
EN DROIT
Le requérant estime que la déchéance de son pourvoi en cassation a porté atteinte à son droit à un tribunal, élément du droit à un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). »
Le gouvernement défendeur, après avoir rappelé que ce grief se rapproche de celui examiné par la Cour dans l'affaire Poitrimol, du moins en ce qui concerne la réglementation du pourvoi en cassation, estime cependant qu'il existe plusieurs différences entre la présente requête et l'affaire Poitrimol.
En effet, selon le Gouvernement, une distinction doit être faite entre l'irrecevabilité et la déchéance du pourvoi, entre l'existence ou non d'un mandat d'arrêt puisque dans le cas où un mandat d'arrêt a été délivré et que le demandeur ne s'y est pas conformé, le pourvoi est déclaré irrecevable d’office. En revanche, quand il n'existe pas de mandat d'arrêt mais que le demandeur a été condamné à une peine d'emprisonnement supérieure à six mois, son refus de mise en état entraîne la déchéance du pourvoi.
Le gouvernement défendeur rappelle également que la déchéance ne frappe pas initialement le pourvoi et n'intervient que si le demandeur refuse de se constituer prisonnier la veille de l'audience devant la Cour de cassation, s'il n'a pu obtenir de dispense de mise en état.
En tout état de cause, le Gouvernement observe que la mise en état ne constitue pas une obligation absolue, dans la mesure où le demandeur peut solliciter une dispense expressément prévue par l'article 583 du Code de procédure pénale.
En l'espèce, le Gouvernement constate que le requérant a usé de cette faculté selon une procédure qu'il estime parfaitement respectueuse des dispositions de l'article 6 de la Convention.
Dès lors, le Gouvernement considère que l'obligation pour le requérant de se mettre en état, alors qu'il a été condamné en première instance comme en appel à une peine supérieure à six mois d'emprisonnement après avoir bénéficié de toutes les garanties de l'article 6 et, notamment, de l'assistance d'un avocat, constitue bien une « mesure proportionnelle au but visé. » Le Gouvernement rappelle qu'il ne s'agit plus devant la chambre criminelle de la Cour de cassation de rejuger le condamné, mais simplement d'étudier l'affaire sous l'angle de la stricte application du droit, et il est alors nécessaire d'assurer l'exécution de sa peine dans l'hypothèse où son pourvoi serait rejeté. 
Enfin, le Gouvernement estime que dans l'affaire Poitrimol, ce qui avait motivé la constatation par la Cour européenne d'une violation de l'article 6, était le refus de la cour d'appel d'entendre les avocats du requérant. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque le requérant était présent à l'audience de la cour d'appel qui a jugé son affaire et qu'il était assisté par deux avocats. Par conséquent, le problème du respect des droits de la défense ne se pose pas en l'espèce.
Le requérant soutient que la déchéance du pourvoi qui lui a été opposée est une atteinte à la substance même du droit d'accès à la Cour de cassation puisque cette décision l'a privé de toute possibilité de faire contrôler en cassation la légalité de sa condamnation.
Il considère que cette déchéance doit s'analyser en une sanction disproportionnée qui ne revêtait aucun but légitime en l'espèce. A cet égard, le requérant rappelle qu'il a toujours été présent, aussi bien devant le tribunal correctionnel que devant la cour d'appel, et que les excuses qu'il a présentées au soutien de sa demande de dispense de mise en état devant la Cour de cassation étaient parfaitement réelles et sérieuses compte tenu de son état de santé. En ce sens, le requérant rappelle que le ministère public a requis de donner une suite favorable à cette demande de dispense.
La Cour estime, à la lumière d'un examen préliminaire de l'argumentation des parties, que le grief soulevé par le requérant pose des problèmes de fait et de droit suffisamment complexes pour que leur solution doive relever d'un examen au fond et, partant, que le grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Par ailleurs, le grief ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.
S. DOLLE      N. BRATZA
Greffière        Président
34791/97 - -
- - 34791/97


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 34791/97
Date de la décision : 02/03/1999
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 37-1-b) LITIGE RESOLU, (Art. 39) REGLEMENT AMIABLE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL


Parties
Demandeurs : KHALFAOUI
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-03-02;34791.97 ?

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