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09/03/1999 | CEDH | N°34348/97

CEDH | VAN LANDEGEM contre la BELGIQUE


DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 34348/97
présentée par Oswald VAN LANDEGEM
contre Belgique
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 9 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J-P. Costa,
M. L. Loucaides,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés f

ondamentales ;
Vu la requête introduite le 14 octobre 1996 par Oswald VAN LANDEGEM contre Belgique et enregistrée ...

DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 34348/97
présentée par Oswald VAN LANDEGEM
contre Belgique
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 9 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J-P. Costa,
M. L. Loucaides,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 14 octobre 1996 par Oswald VAN LANDEGEM contre Belgique et enregistrée le 8 janvier 1997 sous le n° de dossier 34348/97 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Ressortissant belge né en 1950, le requérant est médecin neuropsychiatre et réside à Zuienkerke, en Belgique.
Il est représenté devant la Cour par Mes Fernand Moeykens et Henk De Loose, avocats au barreau de Bruges, et par Me Paul Bekaert, avocat au barreau de Tielt.
L’objet de l’action intentée par le requérant est le suivant.
Suite à plusieurs plaintes de patients et de médecins généralistes, le directeur de l’O.C.M.W. (Openbaar centrum voor maatschappelijk welzijn, centre public de bien-être social) de Blankenberge et le directeur général de l’hôpital de la même ville invitèrent, le 3 février 1987, le service du contrôle médical de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (I.N.A.M.I.) à mener une enquête préliminaire approfondie au sujet des pratiques de facturation du requérant. Le 27 mai 1987, ils transmirent une nouvelle plainte d’une autre patiente.
A la suite de cette demande, plus de 1500 factures établies par le requérant furent examinées. Comme elles laissaient présumer de nombreuses irrégularités, le comité du service du contrôle médical (« le comité ») décida le 26 février 1988 d’ouvrir une enquête complète. Dans le cadre de celle-ci, le requérant fut entendu les 30 mai, 21 septembre, 30 novembre, 13 décembre 1988 et 20 septembre 1989. Lors de ces auditions, la liste de toutes les irrégularités constatées lui fut présentée et il la signa.
Le 15 décembre 1989, le comité décida de saisir le parquet de l’affaire, ce qui fut fait par lettre du 7 mars 1990.
Dans le cadre de l’enquête pénale, une perquisition eut lieu le 20 septembre 1990 au domicile du requérant, en présence de celui-ci. L’intéressé fut interrogé par la police judiciaire le 11 mars 1991.
Le 22 juin 1991, le procureur du Roi demanda le renvoi du requérant devant le tribunal correctionnel de Bruges, du chef de faux, usage de faux et escroquerie. La chambre du conseil tint une audience le 8 octobre 1991, au cours de laquelle l’affaire fut déclarée non en état suite aux conclusions du requérant. Le 3 mars 1992, la chambre du conseil tint une nouvelle audience, au cours de laquelle le requérant demanda la faveur de la probation. Le 31 mars 1992, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel.
Le 1er avril 1992, l’intéressé interjeta appel de cette décision devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Gand, laquelle tint une audience le 23 avril 1992. Le requérant y plaida qu’en lui refusant la faveur de la probation, la chambre du conseil avait statué au fond et qu’en conséquence, sa décision devait pouvoir faire l’objet d’un appel. De plus, en limitant le droit du seul l’inculpé – et non celui du ministère public et de la partie civile – d’interjeter appel d’une ordonnance de la chambre du conseil, la jurisprudence violerait le principe de l’égalité des armes consacré par l’article 6 de la Convention. Le 8 mai 1992, la chambre des mises en accusation rejeta cette argumentation, déclara l’appel irrecevable et confirma l’ordonnance de renvoi du 31 mars 1992, estimant qu’en renvoyant le requérant devant une juridiction du fond, la chambre du conseil avait précisément statué comme juridiction d’instruction, ce qui faisait échapper son ordonnance à toute possibilité d’appel, hormis les cas visés à l’article 539 du code d’instruction criminelle (CIC), lesquels étaient toutefois étrangers à la présente espèce. Quant à l’article 6 de la Convention, il ne s’appliquerait pas à la phase d’instruction du procès.
Le 18 mai 1992, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt, réitérant pour l’essentiel les moyens qu’il avait soulevés devant la chambre des mises en accusation. Le 17 août 1992, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable parce que prématuré, considérant que l’ordonnance de renvoi n’était pas une décision définitive au sens de l’article 416 CIC et ne tranchait pas non plus une question de compétence.
Le 17 septembre 1992, le requérant fut assigné à comparaître le 12 octobre 1992 devant le tribunal correctionnel de Bruges. L’assignation mentionnait les préventions retenues contre le requérant – faux, usage de faux et escroquerie – sur la base d’un total de 104 factures considérés comme irrégulières, sans pour autant préciser le détail des irrégularités de chaque facture.
Le 8 octobre 1992, le requérant demanda à pouvoir comparaître devant une chambre à trois juges.
Le 23 novembre 1992, le requérant comparut devant une chambre à trois juges du tribunal correctionnel. Outre la nullité de la procédure par suite des décisions de la chambre des mises en accusation (8 mai 1992) et de la Cour de cassation (17 août 1992), l’intéressé allégua notamment une violation des droits de la défense, dénonçant le fait que la procédure avait dépassé le délai raisonnable au sens de l’article 6 de la Convention – ce qui aurait rendu plus difficile sa défense – et le fait que l’assignation n’indiquait pas le détail des irrégularités retenues à propos de chacune des 104 factures en cause. Le 19 avril 1993, le tribunal déclara établies les préventions de faux, usage de faux et escroquerie et ordonna la suspension du prononcé de la peine pour cinq ans, outre le paiement de dommages-intérêts aux parties civiles. Il ne répondit pas aux arguments du requérant repris ci-dessus.
L’intéressé fit appel de ce jugement et remit les 28 décembre 1993, 28 mars et 4 mai 1994, devant la cour d’appel de Gand, des conclusions dans lesquelles il réitéra notamment ses griefs tirés de la nullité de la procédure et de la violation des droits de la défense. Le 14 mars 1995, la cour d’appel réforma le jugement du 19 avril 1993, condamna le requérant à trois mois de prison avec sursis et révisa à la baisse le montant des dommages-intérêts à verser aux parties civiles.
S’agissant de la durée de la procédure, la cour estima qu’elle s’expliquait par l’ampleur du dossier et les quelques 1.500 factures qu’il avait fallu examiner, ainsi que par le caractère très technique et particulier des irrégularités en cause. D’après la cour d’appel, cette durée n’avait pas pour autant affecté les possibilités de défense de l’intéressé, puisque dès le 30 mai 1988, celui-ci avait été mis au courant de façon très détaillée et concrète des irrégularités qui lui étaient reprochées. Quant au manque de précisions au sujet des faits reprochés, la cour souligna que le dossier pénal contenait des listes détaillées de toutes les factures en cause avec, pour chacune d’elles, le nom du patient, la date d’établissement, le numéro ainsi qu’une description détaillée des irrégularités constatées. Enfin, la cour d’appel considéra que la prescription de l’action publique n’était pas acquise, le délai de prescription ayant commencé à courir le 20 mars 1988, date de la dernière facture litigieuse, pour se voir  interrompre le 11 mars 1991 par l’interrogatoire de l’intéressé. La cour fit application de la loi-programme du 24 décembre 1993, entrée en vigueur  le 31 janvier 1993, dont l’article 25 porta de trois à cinq ans le délai de prescription de l’action publique née d’un délit.
Le requérant se pourvut contre cet arrêt. Il allégua notamment la nullité de la procédure en raison de l’absence de possibilité d’appel contre l’ordonnance de renvoi de la chambre du conseil. Il dénonça ensuite un dépassement du délai raisonnable et une violation des droits de la défense au sens de l’article 6 de la Convention, ainsi qu’une méconnaissance de l’article 7 de la Convention en raison de l’application immédiate à la procédure litigieuse du nouveau délai de prescription prévue par la loi du 24 décembre 1993.
Le 10 septembre 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Elle déclara d’abord irrecevable le moyen dirigé contre l’ordonnance de renvoi de la chambre du conseil du 31 mars 1992, le pourvoi étant dirigé uniquement contre l’arrêt de la cour d’appel du 14 mars 1995. Au sujet de la durée de l’enquête et de la procédure qui s’en suivit, la Cour de cassation estima que les juges d’appel avaient légalement répondu aux griefs du requérant en soulignant l’ampleur et le caractère technique du dossier ainsi que le fait que, dès le 30 mai 1988, le requérant avait été mis au courant dans le détail des faits qui lui étaient reprochés. Quant à la prescription, la Cour de cassation releva que l’article 25 de la loi-programme du 24 décembre 1993, entrée en vigueur le 31 décembre 1993, s’appliquait aux procédures pénales ouvertes avant cette dernière date et non encore prescrites à cette date. D’après la Cour de cassation, la prolongation du délai de prescription n’équivalait pas à l’alourdissement d’une peine ni au renforcement de la répression d’un quelconque délit, en sorte que ni l’article 7 § 1 de la Convention, ni l’article 15 § 1 du Pacte des Nations-Unies sur les droits civils et politiques ne trouvaient à s’appliquer. Bref, c’est à bon droit que les juges d’appels avaient appliqué le nouveau délai de prescription de cinq ans et estimé en conséquence que la prescription n’était pas acquise en l’espèce.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint en premier lieu d’une violation de l’article 6 de la Convention.
a) Il dénonce tout d’abord une méconnaissance du principe de l’égalité des armes, en ce que les possibilités pour un prévenu de recourir devant la cour d’appel contre les décisions des juridictions d’instruction seraient plus limitées que celles du ministère public et de la partie civile.
b) Ensuite, il critique le fait que son assignation à comparaître devant le tribunal correctionnel ne mentionnait pas précisément sur quelles factures les préventions retenues se fondaient. Il y était question seulement d’un nombre de 104 factures où des irrégularités avaient été constatées.
c) Enfin, le requérant se plaint d’un dépassement du délai raisonnable, en ce que l’enquête préliminaire avait été ouverte en février 1987 et que son interrogatoire par la police judiciaire, dans le cadre de l’instruction pénale, n’eut lieu que le 11 mars 1991, soit plus de quatre ans après.
2. Le requérant dénonce en outre une violation de l’article 7 de la Convention. D’après lui, l’allongement de 3 à 5 ans du délai de prescription applicable aux actions publiques ouvertes avant l’entrée en vigueur de la loi du 24 décembre 1993 revient à infliger une peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
EN DROIT
1. Le requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes disposent :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...). »
a) Le requérant dénonce tout d’abord une méconnaissance du principe de l’égalité des armes, en ce que les possibilités pour un prévenu de recourir devant la cour d’appel contre les décisions des juridictions d’instruction seraient plus limitées que celles du ministère public et de la partie civile. En particulier, hormis le cas exceptionnel visé à l’article 539 CIC et concernant une exception d’incompétence, l’inculpé ne dispose pas, aux termes de l’article 135 CIC, du droit de faire opposition à une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, alors que le ministère public et la partie civile disposent en toute hypothèse de la possibilité d’interjeter appel d’une ordonnance de non-lieu.
La Cour relève que dans son arrêt du 17 août 1992, la Cour de cassation déclara irrecevable parce que prématuré le pourvoi du requérant contre l’ordonnance de renvoi du 31 mars 1992, considérant que celle-ci n’était pas une décision définitive au sens de l’article 416 CIC et ne tranchait pas non plus une question de compétence. Dans son arrêt du 10 septembre 1996, la Cour de cassation a déclaré irrecevable le moyen dirigé contre la même ordonnance de renvoi, le pourvoi du requérant étant dirigé uniquement contre l’arrêt de la cour d’appel du 14 mars 1995.
En conséquence, le requérant ne peut passer pour avoir épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (n° 12791/87, non publié). En effet, cette disposition impose non seulement d’épuiser formellement les voies de recours internes, mais aussi de soulever devant l'organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l'on entend formuler par la suite à Strasbourg (arrêt Akdivar et autres c. Turquie, 16.9.1996, Recueil 1996, p. 1210, § 66).
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
b) Le requérant se plaint en outre de ce que son assignation à comparaître devant le tribunal correctionnel, du 17 septembre 1992, n’aurait pas été claire : elle aurait seulement mentionné qu’il était poursuivi pour un total de 104 factures irrégulières, sans indiquer ce qui lui était reproché exactement pour chacune de ces factures. De ce fait, il n’aurait pas pu se défendre comme l’eût voulu l’article 6 de la Convention.
 La Cour note tout d’abord que le dossier répressif, en l’espèce, était à la disposition du requérant au greffe du tribunal correctionnel. En outre, il ressort des constatations de la cour d’appel de Gand (arrêt du 14 mars 1995) que dès le 30 mai 1988, le requérant avait été mis au courant de façon très détaillée et concrète des irrégularités qui lui étaient reprochées. De surcroît, le dossier pénal contenait des listes détaillées de toutes les factures en cause avec, pour chacune d’elles, le nom du patient, la date d’établissement, le numéro ainsi qu’une description détaillée des irrégularités constatées.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.
c) Le requérant dénonce également un dépassement du délai raisonnable visé à l’article 6 § 1 de la Convention. Il critique en particulier le fait que son interrogatoire par la police judiciaire n’a pas eu lieu avant le 11 mars 1991, alors que l’enquête préliminaire avait été ouverte en février 1987.
 En l’état actuel du dossier, la Cour estime ne pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en application de l’article 54 § 3 b) du Règlement de la Cour.
2. Le requérant allègue en outre une violation de l’article 7 de la Convention:  l’allongement de 3 à 5 ans du délai de prescription applicable aux actions publiques ouvertes avant l’entrée en vigueur de la loi du 24 décembre 1993 reviendrait à infliger une peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. D’après le requérant en effet, la durée de la prescription ne serait pas une pure question de procédure.
En l’état actuel du dossier, la Cour estime ne pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en application de l’article 54 § 3 b) du Règlement de la Cour.
Par ces motifs, la Cour,
AJOURNE l’examen des griefs tirés des articles 6 § 1 (quant au respect du délai raisonnable) et 7 de la Convention ;
à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.
S. Dollé N. Bratza
Greffière Président
34348/97 - -
- - 34348/97


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 34348/97
Date de la décision : 09/03/1999
Type d'affaire : Decision (Partielle)
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 37-1-b) LITIGE RESOLU, (Art. 39) REGLEMENT AMIABLE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL


Parties
Demandeurs : VAN LANDEGEM
Défendeurs : la BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-03-09;34348.97 ?

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