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09/03/1999 | CEDH | N°38748/97

CEDH | SOCIETE ANONYME IMMEUBLE GROUPE KOSSER contre la FRANCE


DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 38748/97
présentée par société anonyme IMMEUBLE GROUPE KOSSER
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 9 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de lâ€

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Vu la requête introduite le 30 juillet 1997 par la société anonyme IMMEUBLE ...

DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 38748/97
présentée par société anonyme IMMEUBLE GROUPE KOSSER
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 9 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 30 juillet 1997 par la société anonyme IMMEUBLE GROUPE KOSSER contre la France et enregistrée le 25 novembre 1997 sous le n° de dossier 38748/97 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante est une société anonyme (SA) française dont le siège est à Paris. Devant la Cour, elle est représentée par Maîtres Delaporte et Briard, avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation à Paris.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été présentés par la société requérante, peuvent se résumer comme suit.
A. Circonstances particulières de l'affaire
Par convention passée devant notaire le 27 janvier 1987, la requérante s’était engagée à acheter un ensemble immobilier situé à Paris. Au nombre des conditions particulières contenues dans la convention figurait la purge des droits de préemption de la ville de Paris.
Après la signature de cette convention, la requérant entreprit les démarches nécessaires à la réalisation, sur le terrain qui faisait l’objet de la vente, d’un bâtiment affecté à l’usage de commerce et d’habitation. Toutefois, le 30 avril 1987, le maire de Paris fit connaître sa décision d’exercer le droit de préemption de la ville de Paris en vue de la réalisation, sur ce même terrain, d’un équipement public.
La requérante saisit le tribunal administratif de Paris d’une requête en annulation de cette décision assortie d’une requête en sursis à exécution. Par jugement du 20 octobre 1987, le tribunal administratif rejeta les deux requêtes.
La requérante interjeta appel devant le Conseil d’Etat qui, par un arrêt du 19 février 1993, annula le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision de préemption du maire de Paris du 30 avril 1987 pour motivation insuffisante.
Toutefois, l’immeuble préempté avait été acquis par la ville de Paris le 13 juillet 1988 et les travaux de construction, qui comportaient notamment une chapelle et un gymnase, avaient été exécutés.
Le 7 avril 1993, la requérante adressa au maire de Paris une réclamation gracieuse tendant au paiement d’une indemnité d’un montant de 26 571 387 FF en réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité de la décision de préemption. La réclamation fit l’objet d’une décision de rejet implicite.
La requérante saisit alors le tribunal administratif de Paris d’une action en responsabilité de la ville de Paris et demanda le versement d’une indemnité. Par jugement du 21 avril 1994, le tribunal administratif de Paris rejeta la demande en indemnité au motif que la requérante « ne justifiait pas, en l’espèce, d’un préjudice de nature à engager la responsabilité de la ville de Paris ».
Par arrêt du 21 mars 1995, la cour administrative d’appel de Paris annula le jugement du 21 avril 1994 et rejeta la demande d’indemnité de la requérante. Elle s’exprima notamment comme suit :
 « Sur la responsabilité de la ville de Paris :
(...) l’illégalité affectant la décision de préemption en date du 30 avril 1987 peut  donner lieu à réparation au profit de la société appelante ;
Sur le préjudice :
Considérant que le préjudice invoqué par la société anonyme ‘Immeubles Groupe Kosser’ tenant à la perte de bénéfices escomptés par la réalisation d’un projet immobilier, au demeurant non assorti de justifications suffisantes, ne présente pas un caractère certain, ni même de lien direct avec la décision annulée du 30 avril 1987 du maire de Paris ; que dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande présentée par la société anonyme ‘Immeubles Groupe Kosser’ devant le tribunal administratif de Paris. »
La requérante se pourvut en cassation devant le Conseil d’Etat soutenant notamment que la cour administrative d’appel n’avait pas suffisamment motivé son arrêt en ne précisant pas les éléments sur lesquels elle avait fondé son appréciation du préjudice.
A l’audience devant le Conseil d’Etat, tenue le 15 janvier 1997, les débats furent clôturés à l’instant où le commissaire du Gouvernement prit la parole. Celui-ci conclut en faveur du rejet du pourvoi. Le conseil de la requérante, présent à l’audience, ne put répliquer oralement aux conclusions du commissaire du Gouvernement. Il déposa le 15 janvier 1997 une « note en délibéré ».
Par un arrêt rendu le 3 février 1997, en la formation de la commission d’admission des pourvois en cassation, le Conseil d’Etat décida de ne pas admettre la requête.
B. Droit et pratiques internes pertinents
Aux termes du décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 relatif à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat, les commissaires du Gouvernement sont pris parmi les maîtres des requêtes et auditeurs au Conseil d'Etat.
Le commissaire du Gouvernement a pour mission, selon les termes employés par le Conseil d'Etat (10 juillet 1957, Gervaise, Rec. Lebon, p. 466) :
« d'exposer au conseil les questions que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables, ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction ».
Le commissaire du Gouvernement prononce obligatoirement ses conclusions, qui doivent être motivées, sans pouvoir s’en remettre à la sagesse de la juridiction. Il assiste au délibéré de l’affaire, mais il ne vote pas et, en principe, ne parle pas.
Les parties au litige ne prennent pas la parole après le commissaire du Gouvernement. En revanche, elles peuvent, même si elles ne sont pas représentées par un avocat, exprimer un ultime point de vue dans une note en délibéré, qui est lue par le rapporteur avant qu’il ne lise le projet d’arrêt, et que ne s’ouvre la discussion.
« L’usage s’est instauré que le commissaire du Gouvernement, s’il doit scrupuleusement s’abstenir d’opiner au délibéré en y mêlant sa voix, peut néanmoins y assister pour le cas où ses collègues auraient des éclaircissements à lui demander sur le sens de ses conclusions » (R. Guillien « Les commissaires du Gouvernement près les juridictions administratives et spécialement près le Conseil d’Etat français », Revue de Droit Public (R.D.P.) 1955, p. 281).
Les parties au litige ne prennent pas la parole après le commissaire du Gouvernement. En revanche, elles peuvent, même si elles ne sont pas représentées par un avocat, exprimer un ultime point de vue dans une note en délibéré, qui est lue par le rapporteur avant qu’il ne lise le projet d’arrêt, et que ne s’ouvre la discussion.
Règles particulières au pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat
Article 11 de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif
« (...) Le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat fait l’objet d’une procédure préalable d’admission. L’admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux. »
Article 57-6 du décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 
« Les séances de la commission [d’admission des pourvois en cassation] sont publiques. Le requérant ou son mandataire est averti du jour de la séance. Les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation sont admis à présenter des observations orales.
L’un des commissaires du Gouvernement près l’assemblée du contentieux et les autres formations de jugement du Conseil d’Etat donne ses conclusions sur chaque affaire. »
GRIEFS
1. La requérante invoque la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qu’il garantit le droit à un procès équitable dans le respect du principe de l’égalité des armes en raison de l’absence de communication des conclusions du commissaire du Gouvernement, de l’impossibilité d’y répondre et de la présence du commissaire du Gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat.
Elle relève notamment que si la pratique admet que les parties déposent une « note en délibéré » qui réponde aux conclusions du commissaire du Gouvernement, ce dépôt ne peut se faire qu’après l’audience, soit après le délibéré au cours duquel est arrêté la décision à rendre.
2. Invoquant également l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de l’absence de motivation des décisions du fait :
- d’une part, que la cour administrative d’appel n’a pas indiqué en quoi le préjudice invoqué ne présentait pas un caractère certain et ne pouvait donc donner lieu à indemnisation, alors que ce point méritait une réponse explicite ;
- d’autre part, que, saisi du pourvoi, le Conseil d’Etat s’est borné à rappeler succinctement le contenu du moyen et à le rejeter en énonçant seulement qu’il n’était pas de nature à permettre l’admission de la requête.
3. La requérante se plaint de l’absence de recours effectif en l’espèce dans la mesure où, bien qu’ayant épuisé toutes les voies de recours à sa disposition, elle a été empêchée d’obtenir une indemnisation du préjudice subi alors que la décision de préemption, à l’origine dudit préjudice, avait été jugée illégale. Elle invoque la violation des articles 6 (droit d’accès à un tribunal) et 1er du Protocole N° 1 à la Convention.
EN DROIT
1. La requérante allègue la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qu’il garantit le droit à un procès équitable dans le respect du principe de l’égalité des armes en raison de l’absence de communication des conclusions du commissaire du Gouvernement, de l’impossibilité d’y répondre et de la présence du commissaire du Gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat.
L’article 6 § 1 de la Convention prévoit notamment :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
La Cour considère qu'en l'état actuel du dossier, elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du gouvernement défendeur en application de l'article 54 § 3 b) de son Règlement intérieur.
2. Invoquant également l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de l’absence de motivation de certaines décisions.
a. Elle se plaint que la cour administrative d’appel n’a pas expliqué en quoi le préjudice invoqué ne présentait pas un caractère certain et ne pouvait donc donner lieu à indemnisation, alors que ce point méritait une réponse spécifique et explicite.
La Cour rappelle que si l'article 6 § 1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, il ne peut pas se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (arrêt Van de Hurk c. Pays-Bas, série A n° 288, p. 20 , § 61) ; de même, la Cour n’est pas appelée à rechercher si les arguments ont été adéquatement traités. Il incombe aux juridictions de répondre aux moyens de défense essentiels, sachant que l'étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit donc s'analyser à la lumière des circonstances de l'espèce (arrêt Hiro Balani c. Espagne du 9 décembre 1994, série A n° 303-B, p. 29, § 27).
En l’espèce, la Cour relève que la requérante a bénéficié d’une procédure contradictoire devant la cour administrative d’appel, qui a dûment répondu à ses moyens de défense essentiels au vu des circonstances de l’espèce. Pour autant que la requérante entend en réalité contester l’appréciation des éléments du dossier par la cour, elle rappelle que c’est là une question qui relève essentiellement du droit interne (arrêt Vidal du 22 avril 1992, série A n° 235-B, pp. 32-33, § 33). Elle ne décèle pour sa part aucune apparence d’arbitraire ou de méconnaissance de l’équité de la procédure.
b. La requérante se plaint que, saisi du pourvoi, le Conseil d’Etat s’est borné à rappeler succinctement le contenu du moyen et à le rejeter en énonçant seulement qu’il n’était pas de nature à permettre l’admission de la requête.
La Cour rappelle que le droit d'accès aux tribunaux consacré par l'article 6 de la Convention peut être soumis à des limitations prenant la forme d'une réglementation par l'Etat. Celui-ci jouit d'une certaine marge d'appréciation, mais les limitations appliquées doivent poursuivre un but légitime, et ne doivent pas restreindre ni réduire l'accès ouvert à un individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même (arrêt Tolstoy Miloslawsky c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A n° 316-B, p. 78-79, § 59). Elle rappelle la jurisprudence selon laquelle l’article 6 n’exige pas que soit motivée en détail une décision par laquelle une juridiction de recours, se fondant sur une disposition légale spécifique, écarte un recours comme dépourvu de chance de succès (requête n° 26561/93, décision Rebai c. France du 25 février 1997, Décisions et Rapports (DR) 88, p. 72).
En l'espèce, la Cour note que la décision de la commission d’admission des pourvois en cassation était fondée sur l'absence de moyens de nature à permettre l’admission de la requête au sens de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987. Dans ces conditions, elle ne décèle aucune apparence de violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
Dès lors, le grief est, dans son ensemble, manifestement mal fondé et doit donc être rejeté en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
3. La requérante se plaint de l’absence de recours effectif en l’espèce dans la mesure où, bien qu’ayant épuisé toutes les voies de recours à sa disposition, elle a été empêchée d’obtenir une indemnisation du préjudice subi alors que la décision de préemption, à l’origine dudit préjudice, avait été jugée illégale. Elle invoque la violation des articles 6 (droit d’accès à un tribunal) et 1er du Protocole N° 1 à la Convention.
Ce dernier article dispose que :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international (...) »
La Cour rappelle que ne peut constituer un « bien » au sens de l’article précité qu’une « créance suffisamment établie et exigible » (arrêt Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce du 9 décembre 1994, série A n° 301-B, p. 84 § 59).
En l'espèce, la reconnaissance d’une créance en indemnité du fait de l’illégalité fautive de l’administration était subordonné à l’appréciation du juge administratif. Or les juridictions administratives saisies n’ont pas établi - en l’espèce - l’existence d’un droit à indemnisation du préjudice allégué par décision définitive et obligatoire. Le droit à indemnisation réclamé par la requérante - non établi par les juridictions compétentes - ne constitue donc pas un « bien » au sens de la Convention tel qu’interprétée par la jurisprudence.
Dès lors, les décisions critiquées n'ont pas pu avoir pour effet de priver la requérante d'un bien dont elle aurait été propriétaire. Il s'ensuit que le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 § 3 de la Convention.`
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
AJOURNE l’examen du grief du requérant concernant le rôle du commissaire du Gouvernement devant le Conseil d’Etat ;
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.
S. Dollé N. Bratza
Greffière Président
38748/97 - -
- - 38748/97


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 38748/97
Date de la décision : 09/03/1999
Type d'affaire : Decision (Partielle)
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 37-1-b) LITIGE RESOLU, (Art. 39) REGLEMENT AMIABLE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL


Parties
Demandeurs : SOCIETE ANONYME IMMEUBLE GROUPE KOSSER
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-03-09;38748.97 ?

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