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23/03/1999 | CEDH | N°41721/98

CEDH | RAHMOUNI contre la FRANCE


DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 41721/98
présentée par Chabane RAHMOUNI
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 23 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamen

tales ;
Vu la requête introduite le 29 avril 1998 par Chabane Rahmouni contre la France et enregistrée le 16 juin ...

DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 41721/98
présentée par Chabane RAHMOUNI
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 23 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 29 avril 1998 par Chabane Rahmouni contre la France et enregistrée le 16 juin 1998 sous le n° de dossier 41721/98 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
a. Circonstances particulières de l’affaire
Le requérant est un ressortissant algérien né en 1953 en Algérie et résidant à Neuilly-sur-Marne.
Le requérant est entré en France en juin 1992, à l’âge de 39 ans. Il dit être devenu en 1988 membre du Front Islamique du Salut (FIS) en Algérie, où il aurait été arrêté et détenu à plusieurs reprises pour divers actes, tels que manifestations et distribution de tracts. Par ailleurs, au cours d’une des détentions qu’il a subies, le requérant dit avoir fait l’objet de tortures de la part des forces de sécurité algériennes.
En juin 1992, alors qu’il se trouvait en situation de liberté provisoire, le requérant quitta l’Algérie vers la France, où sa demande d’asile politique fut refusée par décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en date des 30 septembre 1992, 3 janvier 1994 et 24 décembre 1994. La première décision fut confirmée par la Commission de recours des réfugiés le 29 juin 1993, le requérant n’introduisant pas de recours contre les deux décisions suivantes. En tant que demandeur d’asile, le requérant bénéficia d’une autorisation de séjour temporaire, valable jusqu’au 9 août 1993.
A une date non précisée, le requérant déposa une demande de titre de séjour, qui fut rejetée par décision du préfet du Val d’Oise du 12 août 1993. Contre cette décision, le requérant forma un recours en annulation devant le tribunal administratif de Versailles, qui, par jugement du 13 juin 1995, rejeta le recours. Le requérant interjeta appel auprès du Conseil d’Etat. Par un arrêt en date du 30 mars 1998, le Conseil d’Etat rejeta l’appel aux motifs suivants :
« (...) Considérant que la circonstance que l’intéressé présenterait une moralité irréprochable depuis son arrivée en France est sans influence sur la légalité de la décision attaquée ;
Considérant que la décision du préfet du Val d’Oise en date du 12 août 1993 refusant à M. Chabane Rahmouni un titre de séjour, si elle l’oblige à quitter le territoire français, ne l’oblige pas à retourner dans son pays d’origine ; que, dès lors, le moyen tiré des dangers que ferait courir au requérant son retour en Algérie ne peut en tout état de cause être accueilli ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. Chabane Rahmouni n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ;  (...). »
Par ailleurs, le 11 septembre 1998, le requérant s’est marié avec M.L. de nationalité française.
b. Eléments de droit interne
Ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers
Article 22 bis : recours contre l’arrêté de reconduite à la frontière
« I. - L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification lorsque l'arrêté est notifié par voie administrative ou dans les sept jours lorsqu'il est notifié par voie postale, demander l'annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif.
Le président ou son délégué statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine. Il peut se transporter au siège de la juridiction judiciaire la plus proche du lieu où se trouve l'étranger, si celui-ci est retenu en application de l'article 35 bis de la présente ordonnance.
L'étranger peut demander au président du tribunal ou à son délégué le concours d'un interprète et la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision attaquée a été prise.
L'audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du commissaire du Gouvernement, en présence de l'intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. L'étranger est assisté de son conseil s'il en a un. Il peut demander au président ou à son délégué qu'il lui en soit désigné un d'office.
II. - Les dispositions de l'article 35 bis de la présente ordonnance peuvent être appliquées dès l'intervention de l'arrêté de reconduite à la frontière.
 Cet arrêté ne peut être exécuté avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures suivant sa notification lorsque l'arrêté est notifié par voie administrative ou de sept jours lorsqu'il est notifié par voie postale ou, si le président du tribunal administratif ou son délégué est saisi, avant qu'il n'ait statué.
III. - Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues à l'article 35 bis et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas.
IV. - Le jugement du président du tribunal administratif ou de son délégué est susceptible d'appel dans un délai d'un mois devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat ou un conseiller d'Etat délégué par lui. Cet appel n'est pas suspensif. 
A compter d'une date fixée par décret en Conseil d'Etat, cet appel sera interjeté, dans les mêmes conditions, devant le président de la cour administrative d'appel territorialement compétente ou un membre de cette cour désigné par lui. Le même décret fixe les modalités d'application de cette disposition. »
GRIEFS
Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint tout d’abord que s’il rentre en Algérie, il sera arrêté et torturé à nouveau. Le requérant fait valoir également qu’il a travaillé légalement en France et qu’il est inséré dans la société française. Il estime que le refus des autorités françaises de lui délivrer un titre de séjour porte atteinte au respect de son droit à la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint en premier lieu que son retour en Algérie l’exposerait à des tortures et mauvais traitement prohibés par l’article 3 de la Convention, dont le libellé est le suivant :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
La Cour constate toutefois qu’il ne ressort pas du dossier que, malgré le rejet de la demande de titre de séjour par le préfet du Val d’Oise, aucun ordre de reconduite à la frontière n’ait été pris à l’encontre du requérant. Si le préfet de police décidait son renvoi, il disposerait du recours ouvert par l’article 22 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France et de l’ensemble des garanties dont il s’accompagne. En conséquence, le requérant ne peut, en l’état, se prétendre victime d’une violation de la dispositions qu’il invoque au sens de l’article 34 de la Convention (arrêt Vijayanathan et Pusparajah c. France du 27 août 1992, série A n° 241-B, p. 87, § 46). 
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.
2. Le requérant se plaint que le refus des autorités françaises de lui délivrer un titre de séjour porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention dont le texte est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
La Cour rappelle en premier lieu que, selon sa jurisprudence constante, les Etats contractants ont le droit de contrôler, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux (cf., par exemple, Cour eur. D.H., arrêts Moustaquim c. Belgique du  18  février  1991,  série  A n° 193, p. 19, § 43 ; Beldjoudi c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-A, p. 27, § 74 et Boughanemi c. France du 24 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 609, § 41, ; Mehemi c. France du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1971, § 34 ; El Boujaïdi c. France du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1992, § 39).
Toutefois, leurs décisions en la matière peuvent porter atteinte dans certains cas au droit protégé par l'article 8 § 1 de la Convention.
En l’espèce, la Cour constate que le requérant a vécu en Algérie jusqu’à l’âge de 39 ans et on peut présumer que dans ce pays vit sa plus proche famille. Arrivé en France depuis 1992, il a vécu dans ce pays sous couvert d’une autorisation temporaire de séjour délivrée en sa qualité de demandeur d’asile. Après que ses demandes d’asile furent rejetées, le requérant sollicita un titre de séjour de résident ordinaire, demande qui fut rejetée par le préfet du Val d’Oise, de sorte que par la suite, il est resté en France en situation irrégulière. La Cour estime que, jusqu’à son mariage avec une ressortissante française, le requérant ne saurait se prévaloir d’une vie familiale en France, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention.
La Cour estime toutefois qu’à supposer même que le refus des autorités françaises constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention, celle-ci n’est pas aussi forte que celle que peut provoquer l’expulsion des requérants nés ou venus en bas âge dans le pays d’accueil (arrêt C. c.Belgique du 7 août 1996, Recueil 1996-III, p. 924, § 34). Il est vrai que le requérant a contracté mariage avec une ressortissante française le 11 septembre 1998. Cependant, la Cour constate que l’intéressé a tissé cette attache familiale essentielle alors qu’il se trouvait irrégulièrement en France. Il ne pouvait dès lors ignorer la précarité qui en découlait. Selon la Cour, cette situation créée alors que le requérant se trouvait en situation irrégulière sur le territoire français ne saurait donc être déterminante (arrêt Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 91-92, §§ 53-54). Au demeurant, la Cour rappelle que le droit au respect de la vie familiale ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat l’obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur domicile commun et d’accepter l’installation de conjoints non nationaux dans le pays (arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni du 28 mai 1985, série A n° 94, p. 34, § 68).
Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le refus des autorités françaises d’accorder au requérant un titre de séjour en France ne saurait être considéré comme portant atteinte à l’article 8 de la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
S. Dollé N. Bratza
Greffière Président
41721/98 - -
- - 41721/98


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 37-1-b) LITIGE RESOLU, (Art. 39) REGLEMENT AMIABLE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL


Parties
Demandeurs : RAHMOUNI
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 23/03/1999
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 41721/98
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-03-23;41721.98 ?

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