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25/03/1999 | CEDH | N°31107/96

CEDH | AFFAIRE IATRIDIS c. GRÈCE


AFFAIRE IATRIDIS c. GRÈCE
(Requête n° 31107/96)
ARRÊT
STRASBOURG
25 mars 1999
En l’affaire Iatridis c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
Mme E. Palm, présidente,   MM. L. Ferrari Bravo,    Gaukur Jörunds

son,
L. Caflisch,    I. Cabral Barreto,    K. Jungwiert,    M. Fischbach,    J. Casadevall,
. B. ...

AFFAIRE IATRIDIS c. GRÈCE
(Requête n° 31107/96)
ARRÊT
STRASBOURG
25 mars 1999
En l’affaire Iatridis c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
Mme E. Palm, présidente,   MM. L. Ferrari Bravo,    Gaukur Jörundsson,
L. Caflisch,    I. Cabral Barreto,    K. Jungwiert,    M. Fischbach,    J. Casadevall,
. B. Zupančič,
Mme N. Vajić,   M. J. Hedigan,   Mmes W. Thomassen,    M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. T. Panţîru,    E. Levits,    K. Traja,    C. Yeraris, juge ad hoc,  ainsi que de M. M. de Salvia, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 17 décembre 1998 et 24 février 1999,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour, telle qu’établie en vertu de l’ancien article 19 de la Convention3, par le gouvernement grec (« le Gouvernement ») le 30 juillet 1998, dans le délai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 31107/96) dirigée contre la République hellénique et dont   un ressortissant de cet Etat, M. Georgios Iatridis, avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 28 mars 1996, en vertu de l’ancien article 25.
La requête du Gouvernement renvoie aux anciens articles 44 et 48. Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.
2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement A3, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et désigné ses conseils (article 30), M. H. Tagaras et Mme M.N. Kanellopoulou, avocats au barreau d’Athènes.
3.  En sa qualité de président de la chambre initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement A) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. R. Bernhardt, président de la Cour à l’époque, a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement et les conseils du requérant au sujet de l’organisation de la procédure écrite. Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence le 8 septembre 1998, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement respectivement les 10 et 13 novembre 1998.
4.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l’article 5 § 5 dudit Protocole, l’examen de l’affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. C.L. Rozakis, juge élu au titre de la Grèce (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, vice-présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. L. Ferrari Bravo, M. L. Caflisch, M. I. Cabral Barreto, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, Mme N. Vajić, M. J. Hedigan, Mme W. Thomassen, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Panţîru, M. E. Levits et M. K. Traja (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement). Ultérieurement, M. Rozakis, qui avait participé à l’examen de l’affaire par la Commission, s’est déporté de la Grande Chambre (article 28 du règlement). En conséquence, le Gouvernement a désigné M. C. Yeraris pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
Par la suite, Mme Palm a remplacé M. Wildhaber, empêché, à la présidence de la Grande Chambre, et M. Gaukur Jörundsson, juge suppléant, l’a remplacé comme membre de celle-ci (articles 10 et 24 § 5 b) du règlement). De même, MM. Costa et Fuhrmann, également empêchés, ont été remplacés par M. J. Casadevall et M. B. Zupančič, juges suppléants (article 24 § 5 b)).
La Cour a décidé qu’il n’était pas nécessaire d’inviter la Commission à déléguer l’un de ses membres pour participer à la procédure devant la Grande Chambre (article 99 du règlement).
5.  Ainsi qu’en avait décidé le président, une audience s’est déroulée en public le 17 décembre 1998, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement  M. P. Georgakopoulos, conseiller    auprès du Conseil juridique de l’Etat, agent,  Mme V. Pelekou, auditeur auprès    du Conseil juridique de l’Etat, conseil ;
– pour le requérant  MM. H. Tagaras, avocat au barreau de Thessalonique, conseil,   K. Zakaropoulos, avocat au barreau d’Athènes, conseiller.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leur réponse à la question d’un juge, M. Tagaras et M. Georgakopoulos.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Procédures diligentées par les « propriétaires » du terrain sur lequel le cinéma « Ilioupolis » a été bâti
6.  En 1929, K.N. hérita de son père adoptif les trois quarts d’un terrain connu sous le nom de « domaine Karras ». En 1938, la mère adoptive de K.N. lui vendit le quart restant, qu’elle avait hérité de son mari. Il fut mentionné dans le contrat de vente que la superficie du « domaine Karras » était de 12 000 000 m2.
7.  En 1950, ayant obtenu l’autorisation nécessaire des autorités, K.N. construisit un cinéma de plein air, le cinéma « Ilioupolis », sur une partie de ce terrain.
8.  En 1953, le ministre de l’Agriculture refusa de reconnaître K.N. comme propriétaire de la totalité du « domaine Karras », considérant que son père adoptif n’était propriétaire que d’une partie de celui-ci, à savoir une superficie entre 320 000 et 520 000 m2, qui ne comprenait pas la partie sur laquelle le cinéma « Ilioupolis » avait été bâti. Le reste de la zone était une forêt domaniale et ne figurait pas sur les titres de propriété produits par K.N. Celui-ci introduisit devant le Conseil d’Etat un recours en annulation de la décision du ministre de l’Agriculture, mais fut débouté. Le 8 février 1955, un décret royal classa la zone litigieuse comme terre à reboiser. K.N. demanda au Conseil d’Etat d’annuler le décret royal, mais la haute juridiction écarta la requête au motif que le terrain litigieux était une forêt domaniale.
9.  Les 10 février 1965 et 11 mars 1966, par décisions du Conseil des ministres publiées au Journal officiel (Eφημερίδα της Κυβερνήσεως) et retranscrites dans le registre communal d’Ilioupolis, l’Etat transféra une partie du « domaine Karras » d’une superficie de 220 000 m2, autre que la partie sur laquelle le cinéma « Ilioupolis » avait été bâti, à la coopérative pour le logement des fonctionnaires de police.
10.  Le 28 juillet 1965 fut promulgué un décret royal pour le reboisement d’un terrain à Ilioupolis. Selon le Gouvernement, ce décret concernait, entre autres, une partie non spécifiée du « domaine Karras ». Le 2 décembre 1966, ce décret fut modifié par un autre, qui fut publié au Journal officiel.
11.  Le 3 avril 1967, K.N. intenta une action contre la coopérative pour le logement des fonctionnaires de police afin de faire établir son droit de propriété sur le terrain qui avait été transféré à celle-ci. En tant qu’auteur du transfert, l’Etat intervint dans la procédure du côté de la coopérative. Cette action fut consignée dans le livre des hypothèques d’Ilioupolis. Mention des décisions ultérieures du tribunal de grande instance d’Athènes (n° 16992/1973) et de la cour d’appel (n° 4910/1977 – paragraphe 13 ci-dessous) déboutant K.N. et reconnaissant l’Etat propriétaire du terrain litigieux, fut portée dans la marge de la page pertinente.
12.  En 1976, K.N. décéda et ses héritiers furent invités à payer des droits de succession pour le terrain sur lequel le cinéma avait été bâti. Pour garantir le paiement de ces impôts, l’Etat prit une hypothèque sur ce terrain. L’hypothèque fut levée en 1982.
13.  Les héritiers de K.N. continuèrent l’action du 3 avril 1967. Le 21 juin 1977, la cour d’appel d’Athènes considéra que le terrain transféré à la coopérative de policiers appartenait à l’Etat. Dans son raisonnement la cour adopta la position du ministre de l’Agriculture, selon laquelle le père adoptif de K.N. n’était propriétaire que d’une partie du « domaine Karras », qui ne comprenait ni la partie sur laquelle le cinéma « Ilioupolis » avait été bâti ni la partie transférée à la coopérative. Pour parvenir à cette conclusion, la cour rappela, entre autres, qu’en 1905 le « domaine Karras » avait été enregistré comme forêt au cadastre des forêts nationales et que depuis lors l’Etat en avait, de bonne foi, la possession et l’usage en tant que propriétaire.
14.  A la suite d’une décision du ministre adjoint des Finances du 19 septembre 1984, une partie du « domaine Karras », y compris la partie sur laquelle le cinéma avait été bâti, fut enregistrée au cadastre du domaine public le 27 juin 1985. Le 9 juillet 1985, ce fait fut mentionné dans les livres des hypothèques d’Ilioupolis. En 1987, les héritiers de K.N. entamèrent une action devant les tribunaux pour être reconnus propriétaires de la partie qui avait été enregistrée au cadastre du domaine public. En 1988, le tribunal de grande instance d’Athènes rejeta leur demande au motif que le 21 juin 1977 la cour d’appel d’Athènes avait considéré que le père adoptif de K.N. n’était propriétaire que d’une partie du « domaine Karras » d’une superficie entre 320 000 et 520 000 m2. Les héritiers de K.N. firent appel.
15.  Le 9 février 1989, la cour d’appel d’Athènes considéra que, dans sa décision du 21 juin 1977, elle n’avait tranché que la question de la propriété des 220 000 m2 qui avait été transférée à la coopérative pour le logement des policiers. Les autres considérations figurant au raisonnement de cette décision ne liaient pas les héritiers de K.N. En conséquence, la cour annula la décision de 1988 du tribunal de grande instance et ordonna à ce tribunal d’examiner le fond de l’affaire.
16.  Le 29 mai 1996, les héritiers de K.N. demandèrent au procureur auprès de la cour de grande instance d’Athènes d’ordonner des mesures provisoires contre l’Etat et la municipalité d’Ilioupolis. A une date non spécifiée, le procureur refusa d’accéder à leur demande. Les héritiers de K.N. firent appel. Le 30 mai 1997, le procureur adjoint auprès de la cour d’appel d’Athènes rejeta leur appel.
B. Procédures diligentées par le requérant
17.  En 1978, les héritiers de K.N. louèrent le cinéma de plein air « Ilioupolis » au requérant, qui le restaura entièrement.
Le 4 juillet 1985, la préfecture de l’Attique informa le requérant qu’à partir du 27 juin 1985 le terrain sur lequel le cinéma avait été bâti était considéré comme propriété publique et qu’il le retenait abusivement. Par conséquent, l’Etat allait lui réclamer une indemnité, selon l’article 115 du décret présidentiel des 11/12 novembre 1929, sous réserve de son droit de l’expulser en vertu de la loi n° 1539/1938 sur la protection du domaine de l’Etat.
Le 16 novembre 1988, la Société des biens immobiliers de l’Etat (Kτηματική Εταιρία του Δημοσίου) céda le cinéma à la municipalité   d’Ilioupolis. Le 24 novembre 1988, la préfecture de l’Attique en informa le requérant et l’invita à évacuer le cinéma dans les cinq jours, faute de quoi la loi n° 1539/1938 serait appliquée.
18.  Le 9 février 1989, le Service des biens immobiliers (Kτηματική Υπηρεσία) de la préfecture de l’Attique ordonna l’expulsion du requérant, en vertu de la loi n° 1539/1938, telle que modifiée par la loi n° 263/1968. L’arrêté fut « communiqué » au requérant, le 16 mars 1989, par affichage sur la porte du cinéma. Le lendemain, alors que les avocats étaient en grève et que le requérant était absent, les services de la municipalité d’Ilioupolis exécutèrent l’arrêté et forcèrent la porte du cinéma. Un inventaire de quelques meubles (projecteurs, chaises, panneaux, équipement du bar) qui appartenaient au requérant fut dressé. M. G.L., qui avait des liens professionnels avec l’intéressé mais qui n’agissait pas comme son représentant, signa l’inventaire et demanda aux services de la municipalité de garder ces meubles.
19.  Le requérant attaqua l’arrêté d’expulsion devant le juge de paix d’Athènes qui, ayant examiné le recours selon la procédure de référé, se prononça en faveur de l’Etat. L’intéressé fit appel devant le tribunal de grande instance d’Athènes, composé d’un juge unique. Le 23 octobre 1989, ayant examiné l’appel selon la procédure de référé, le tribunal annula l’arrêté d’expulsion. Le tribunal considéra que le Service des biens immobiliers ne pouvait prendre un arrêté d’expulsion que si un bien immobilier appartenait à l’Etat, s’il n’y avait pas de contestation quant au droit de l’Etat de posséder ce bien et si le bien était arbitrairement occupé par un tiers.
Le tribunal estima que ces conditions n’étaient pas réunies dans le cas d’espèce, puisque le requérant avait établi avec un certain degré de certitude les faits suivants : les tribunaux étaient saisis d’un litige existant entre les héritiers de K.N. et l’Etat à propos du terrain sur lequel le cinéma avait été bâti, les héritiers de K.N. se considéraient comme les propriétaires du terrain et du cinéma depuis fort longtemps et exerçaient tous les attributs du droit de propriété, et enfin le requérant occupait le cinéma depuis 1978 en vertu d’un contrat de bail.
20.  A la suite de cette décision, le requérant entreprit plusieurs démarches auprès des autorités compétentes contre l’occupation continue du cinéma par la municipalité d’Ilioupolis. Le 2 avril 1990, le ministère des Finances considéra que, puisque l’arrêté d’expulsion avait été annulé, le terrain devait être restitué au requérant. Selon le ministère, il était souhaitable que la cession du cinéma à la municipalité d’Ilioupolis fût révoquée. Si cependant la municipalité insistait, il fallait, le cas échéant, déterminer qui devait dédommager le requérant, conformément à la loi sur les baux commerciaux.
21.  Le 11 juillet 1991, le Conseil juridique de l’Etat (Nομικό Συμβούλιο του Κράτους), répondant à une question posée par le ministère des Finances, considéra que le cinéma devait être restitué au requérant. Les prétentions de celui-ci pour le préjudice qu’il avait subi à cause de l’expulsion ne pouvaient être examinées qu’à la suite d’une demande de l’intéressé au Conseil juridique de l’Etat ou d’une action en justice. En outre, l’Etat pouvait défendre ses intérêts comme propriétaire du terrain en intentant une action contre les héritiers de K.N. ou en accélérant l’examen du litige avec ces derniers, pendant devant les tribunaux depuis 1987.
Le 15 mai 1994, le requérant demanda la restitution du cinéma auprès de la Société des biens immobiliers de l’Etat.
22.  Le 21 décembre 1994, il engagea une action en responsabilité civile extracontractuelle devant le tribunal administratif d’Athènes contre l’Etat et la municipalité d’Ilioupolis pour le dommage qu’il avait subi du fait de la non-restitution du cinéma. Il demandait 32 300 000 drachmes (GRD), plus intérêts, de réparation pour manque à gagner de 1989 à 1994 et pour perte de matériel.
23.  Le 5 avril 1995, le requérant demanda au maire d’Ilioupolis de lui restituer le cinéma. Le 5 mai 1995, il déposa une plainte contre ce dernier. A une date non spécifiée, il porta aussi plainte contre le président de la Société des biens immobiliers de l’Etat.
24.  Le 26 juillet 1995, le requérant déposa auprès du tribunal de grande instance d’Athènes une demande en consignation d’une hypothèque à l’encontre du conseil municipal d’Ilioupolis pour se garantir contre le manque à gagner, soit 30 000 000 GRD. Le tribunal débouta l’intéressé au motif que nulle obligation de restituer la propriété n’existait, aucune requête n’ayant été formée en ce sens devant le tribunal et aucune décision judiciaire définitive n’ayant tranché la question.
25.  Le 31 juillet 1995, la Société des biens immobiliers de l’Etat, à la suite d’une nouvelle demande du requérant, recommanda de révoquer la cession du cinéma à la municipalité d’Ilioupolis et de restituer le cinéma à l’intéressé, qui devait y être réinstallé comme locataire par le ministère des Finances. Cette recommandation devait être approuvée par le ministre des Finances, en vertu de la loi n° 973/1979.
Le requérant, qui n’avait pas été informé de cette recommandation, s’adressa au ministre des Finances le 4 octobre 1995. Le 13 octobre 1995, il demanda au tribunal de grande instance d’Athènes d’ordonner des mesures provisoires contre le maire d’Ilioupolis dans le cadre de son action pour responsabilité extracontractuelle. Le 16 octobre 1995, il s’adressa de nouveau au ministre des Finances.
Le 25 octobre 1995, le tribunal de grande instance considéra qu’il n’y avait pas lieu de prononcer des mesures provisoires au motif que la responsabilité du maire ne pouvait être engagée. Le 7 novembre 1995, à la suite de l’intervention du procureur, le requérant fut informé de la décision de la Société des biens immobiliers de l’Etat du 31 juillet 1995. Le 15 novembre 1995, il demanda au ministre adjoint des Finances d’approuver cette décision.
26.  Le 7 août 1996, le Conseil juridique de l’Etat considéra que le cinéma ne devait pas être rendu au requérant pour les raisons suivantes. Bien que le tribunal de grande instance d’Athènes eût annulé l’arrêté d’expulsion le 23 octobre 1989, il n’avait pas ordonné la restitution du cinéma à l’intéressé. La décision du 25 octobre 1995 du tribunal de grande instance confirmait qu’il n’existait aucune obligation de restitution du cinéma. D’ailleurs, le contrat de bail entre le requérant et les héritiers de K.N. n’était pas valable, en vertu d’une jurisprudence spéciale relative aux biens de l’Etat. Par conséquent, le ministre des Finances agirait illégalement s’il révoquait la cession du cinéma à la municipalité d’Ilioupolis. Le 3 septembre 1996, le ministre adjoint des Finances approuva cet avis du Conseil juridique de l’Etat.
27.  Le 31 octobre 1996, le tribunal administratif d’Athènes rejeta l’action du requérant du 21 décembre 1994 au motif qu’elle aurait dû être introduite devant les tribunaux civils.
Le 17 décembre 1996, le requérant introduisit son action devant le tribunal de grande instance d’Athènes, demandant 140 000 000 GRD de dommages et intérêts pour les pertes qu’il avait subies en 1995 et 1996 du fait de l’impossibilité d’exploiter son cinéma et pour préjudice moral. L’action devait être examinée le 13 novembre 1997, mais était encore pendante au jour de l’audience devant la Cour.
28.  Le 7 janvier 1997, la chambre du conseil du tribunal correctionnel d’Athènes décida de traduire le maire d’Ilioupolis en justice pour violation des devoirs inhérents à sa fonction.
29.  Le 27 janvier 1998, le requérant intenta, à l’encontre de l’Etat et de la municipalité d’Ilioupolis, une action en réparation pour un montant de 32 000 000 GRD, plus intérêts, pour manque à gagner en 1997 et dommage moral. Cette action était encore pendante au jour de l’audience devant la Cour.
30.  Le cinéma est toujours exploité par la municipalité d’Ilioupolis et n’a pas été restitué au requérant.
Ce dernier n’a pas rouvert son cinéma de plein air ailleurs.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Arrêtés d’expulsion
31.  Les biens immobiliers de l’Etat sont protégés contre les tiers par la loi n° 263/1968 modifiant et complétant les dispositions sur le domaine de l’Etat.
L’article 2 §§ 2 et 3 est ainsi libellé :
« (...) L’inspecteur des impôts compétent adopte un arrêté d’expulsion à l’encontre de quiconque prend irrégulièrement possession d’un bien de l’Etat. Une opposition peut être formée devant le juge de paix contre pareil arrêté dans le délai de trente jours à compter de la signification de celui-ci (...). La décision du juge de paix peut être attaquée dans un délai de trente jours devant le président du tribunal de grande instance, qui examine l’appel en vertu de la procédure spéciale prévue à l’article 634 du code de procédure civile. La décision du président du tribunal de grande instance est sans appel. La décision issue de la procédure susvisée n’empêche pas les deux parties de faire valoir leurs droits par la voie de la procédure ordinaire (...) »
« (...) Κατά του αυτογνωμόνως επιλαμβανομένου οιουδήποτε δημοσίου κτήματος συντάσσεται παρά του αρμοδίου Οικονομικού Εφόρου Πρωτόκολλο Διοικητικής Αποβολής. Κατ΄αυτού επιτρέπεται άσκηση ανακοπής ενώπιον του αρμοδίου Ειρηνοδικείου μέσα σε αποκλειστική προθεσμία 30 ημερών από της κοινοποιήσεως του (...) Κατά της αποφάσεως του Ειρηνοδικείου χωρεί έφεση ενώπιον του Προέδρου Πρωτοδικών, που δικάζει με την ειδική διαδικασία του άρθρου 634 Πολ. Δικ., μέσα σε προθεσμία 30 ημερών. Κατά της αποφάσεως του Προέδρου Πρωτοδικών ουδέν ένδικο μέσο χωρεί. Η κατά την ανωτέρω διαδικασία εκδιδομένη απόφαση δεν παρακωλύει την επιδίωξη των εκατέρωθεν δικαιωμάτων κατά την τακτική διαδικασία (...) 
L’opposition et l’ensemble de la procédure contre l’arrêté d’expulsion portent exclusivement sur la validité de celui-ci et non sur la reconnaissance du droit de propriété ou sur la réglementation de la possession.
32.  En cas d’annulation d’un arrêté d’expulsion et afin que la décision puisse ordonner sa réintégration, l’appelant expulsé doit déposer une demande en réintégration soit en même temps que l’opposition – auquel cas une injonction sera émise si l’opposition est accueillie – soit séparément devant la juridiction compétente (action en réglementation de la possession). Pareille demande n’est pas soumise aux délais fixés par l’article 2 de la loi n° 263/1968 pour former opposition à un arrêté d’expulsion, en l’absence de dispositions à cet égard (arrêt n° 6802/89 de la cour d’appel d’Athènes, Recueil 1990, pp. 778-779, jugement n° 25950/1995 du tribunal de première instance d’Athènes, avis n° 464/96 du Conseil juridique de l’Etat, annexes 14a et b et 13c).
B. Protection des locataires en tant que possesseurs
33.  Le locataire d’un bien a la possession du bien loué. Ce droit de possession est protégé par le droit interne. La protection de la possession en tant que fait matériel et rapport juridique est régie par les articles 997 et suivants du code civil.
34.  En particulier, l’article 997 du code civil, intitulé « Protection des possesseurs », dispose :
« En cas de troubles illicites dans la possession d’une chose ou d’un droit, ou en cas de dépossession, celui qui détient la chose ou le droit pour les avoir reçus du possesseur, soit à titre de locataire ou de dépositaire, soit par suite d’un autre rapport similaire, est également pourvu des actions possessoires à l’encontre des tiers. »
« Επί παρανόμου διαταράξεως της νομής πράγματος ή δικαιώματος, ή αποβολής εξ αυτής, έχει κατά τρίτων τας περί νομής αγωγάς και ο παρά τιυ νομέως λαβών την κατοχή του πράγματος ή δικαιώματος ως μισθωτής ή θεματοφύλαξ ή συνεπεία άλλης παρομοίας σχέσεως. »
35.  Le locataire et possesseur du bien loué peut intenter des actions possessoires prévues par les articles 987 et 989 du code civil.
L’article 987 est ainsi libellé :
« Un possesseur illégalement dépossédé est en droit d’exiger sa réintégration de la part de celui dont la possession est vicieuse à son égard. La prétention à des dommages-intérêts suivant les dispositions sur la responsabilité civile n’est pas exclue. »
« Ο νομέας που αποβλήθηκε παράνομα από τη νομή έχει δικαίωμα να αξιώσει την απόδοσή της από αυτόν που νέμεται επιλήψιμα απέναντί του. Αξίωση αποζημιώσεως σύμφωνα με τις διατάξεις για τις αδικοπραξίες δεν αποκλείεται. »
Aux termes de l’article 989 :
« Le possesseur qui a été illégalement troublé est en droit d’exiger la cessation du trouble, ainsi que [d’exiger] que celui-ci ne se renouvelle pas à l’avenir. La prétention à des dommages-intérêts suivant les dispositions sur la responsabilité civile, n’est pas exclue. »
« Ο νομέας που διαταράχθηκε παράνομα έχει δικαίωμα να αξιώσει την παύση της διατάραξης καθώς και την παράλειψή της στο μέλλον. Αξίωση αποζημίωσης κατά τις διατάξεις για τις αδικοπραξίες δεν αποκλείεται. »
L’article 987 protège le possesseur en cas de dépossession, c’est-à-dire de privation de la jouissance du bien. L’article 989 le protège aussi en cas de trouble, c’est-à-dire d’un trouble dans la jouissance du bien autre que la dépossession. Un exemple classique de trouble, constaté par les tribunaux internes, consiste à menacer le possesseur de lui interdire un acte déterminé relevant de la possession.
Ces voies de recours tendent à protéger la possession en soi, qu’elle repose ou non sur un droit. C’est pourquoi l’article 991 du code civil prévoit ceci :
« Le défendeur à une action pour trouble ou dépossession ne peut invoquer un droit lui conférant pouvoir sur la chose que dans le seul cas où ce droit a été reconnu en dernier ressort au cours d’une procédure entre lui et le demandeur. »
« Ο εναγόμενος για διατάραξη ή αποβολή δεν μπορεί να επικαλεστεί δικαίωμα που του παρέχει εξουσία πάνω στο πράγμα παρά μόνο αν το δικαίωμα έχει αναγνωριστεί τελεσίδικα σε δίκη ανάμεσα σε αυτόν και τον ενάγοντα. »
Selon l’article 997 du code civil, un possesseur détient ses droits contre des tiers, non contre le possesseur dont il les a reçus. A l’encontre de celui-ci, il dispose des droits conférés par le rapport juridique qui les lie.
36.  Un possesseur peut intenter une action possessoire soit en vue de se voir réintégrer dans la possession soit pour faire cesser le trouble, selon qu’il aura été expulsé ou aura simplement subi un trouble de jouissance.
Il peut en outre, dans le cadre de la même procédure, réclamer réparation du préjudice subi, en vertu des dispositions sur la responsabilité civile (articles 914 et suivants).
37.  Plus particulièrement, en ce qui concerne l’obligation de l’Etat à réparation, l’article 105 de la loi introductive au code civil s’applique ; il prévoit qu’en cas de conduite irrégulière de ses agents, l’Etat est tenu à réparation qu’il y ait eu ou non infraction. En outre, si la situation irrégulière découle d’un acte administratif, l’annulation préalable de celui-ci n’est pas requise. Le tribunal peut examiner la validité de l’acte administratif au cours de la procédure ; il n’est pas tenu de le faire préalablement.
C. Protection des locataires contre les bailleurs
38.  Un possesseur qui détient son droit d’un bail est aussi protégé contre le bailleur s’il lui devient impossible d’exercer l’usage du bien loué.
39.  L’article 583 du code civil est ainsi libellé :
« Si le locataire est frustré en tout ou partie de l’usage convenu de la chose louée en raison de droits de tierces personnes (vice de droit), sont applicables par analogie les dispositions des articles 576 à 579 et 582. Toutefois, le locataire peut procéder lui-même à la suppression du vice de droit aux frais du bailleur. »
« Αν η συμφωνηθείσα χρήση του μισθίου αφαιρεθεί από τον μισθωτή εν μέρει ή εν όλω εξαιτίας δικαιώματος τρίτου νομικό ελάττωμα εφαρμόζονται οι διατάξεις των άρθρων 576 έως 579 και 582. Αλλ΄ο μισθωτής δεν δύναται να προβεί ο ίδιος στην άρση του νομικού ελαττώματος με δαπάνες του εκμισθωτού. »
40.  Dans cette hypothèse, les articles 576 à 579 et 582, auxquels renvoie l’article 583, confèrent au locataire les droits suivants : droit de réduire le loyer ou de ne pas le verser, droit à réparation, droit d’intenter une action contre le bailleur afin de faire remédier au vice juridique et droit de résilier le bail.
Outre le droit d’intenter une action contre le bailleur afin de faire remédier au vice juridique, le locataire peut aussi intenter à ses frais une action possessoire à l’encontre de tiers en sa qualité de possesseur (article 997).
Le bailleur n’est exonéré de sa responsabilité que si le locataire avait connaissance du vice au moment de la signature du bail.
D. Baux commerciaux
41.  Enfin, les baux de location d’immeubles à des fins commerciales (baux commerciaux) sont eux aussi régis par les dispositions susmentionnées, en vertu de l’article 29 de la loi n° 813/1978, codifiée par le décret présidentiel n° 34/1995. Cette disposition est ainsi libellée :
« Sauf dispositions contraires de la présente loi, les baux conclus en vertu de celle-ci sont régis par les clauses contractuelles et par les dispositions du code civil. »
« Αι κατά τον παρόντα νόμον μισθώσεις, εφόσον δεν ορίζεται άλλως εις αυτόν, διέπονται υπό των συμβατικών περί αυτών όρων και των διατάξεων του Αστικού Κώδικος. »
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
42.  M. Iatridis a saisi la Commission le 28 mars 1996. Il alléguait la violation des articles 6 § 1, 8 et 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.
43.  La Commission (première chambre) a déclaré la requête (n° 31107/96) partiellement recevable le 2 juillet 1998. Dans son rapport du 16 avril 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l’avis qu’il y a eu violation des articles 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (quatorze voix contre une) et qu’il n’est pas nécessaire d’examiner aussi l’affaire sous l’angle des articles 6 § 1 et 8 de la Convention (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt4.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
44.  Le Gouvernement invite la Cour à écarter la requête de M. Georgios Iatridis contre la Grèce.
45.  Le requérant demande à la Cour de
« a) déclarer recevables et fondés en fait comme en droit les griefs afférents à la violation, par la République hellénique, de l’article 1 du Protocole n° 1 et des articles 8 et 13 de la Convention ;
b) parvenir à la même conclusion en ce qui concerne l’article 6 de la Convention si elle ne constate pas de violation de l’article 13 ;
c) dire que la République hellénique doit verser au requérant 497 337 000 drachmes, plus des intérêts au taux applicable aux transactions commerciales, à compter du prononcé de l’arrêt, au titre de la satisfaction équitable ;
d) ordonner à la République hellénique de mettre un terme aux violations constatées, en permettant au requérant de recouvrer le cinéma Ilioupolis ».
EN DROIT
I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
A. Non-épuisement des voies de recours internes
46.  Le Gouvernement soutient à titre principal, comme déjà devant la Commission, que M. Iatridis n’a pas épuisé les voies de recours internes.
En premier lieu, le requérant n’a pas sollicité, lorsqu’il a contesté devant le tribunal de grande instance d’Athènes – ou même plus tard – la validité de l’arrêté d’expulsion administrative, que la possession du terrain sur lequel le cinéma était construit lui fût rendue (articles 987, 989 et 997 du code civil). Le Gouvernement affirme qu’en vertu d’une jurisprudence constante, une simple objection contre un tel arrêté vise uniquement l’annulation de celui-ci ; le tribunal saisi examine seulement si les conditions d’adoption de l’arrêté se trouvent réunies et ne se prononce pas sur des questions relatives au droit de propriété, à l’usage ou à la possession. En outre, une décision judiciaire qui rendrait le terrain au requérant serait exécutoire contre l’Etat car l’article 8 de la loi n° 2097/1952 qui institue l’immunité de l’Etat contre l’exécution forcée ne s’applique qu’aux prétentions pécuniaires.
En deuxième lieu, certaines des actions en dommages-intérêts que l’intéressé avait engagées contre l’Etat sont encore pendantes devant le tribunal de grande instance d’Athènes. L’éventualité de voir l’indemnisation se limiter à la perte des revenus pendant les années où le cinéma est resté fermé n’est pas déterminante car le requérant, ayant conservé son équipement, aurait pu transférer son activité à un autre endroit.
En troisième lieu, si le requérant ignorait l’existence de la contestation sur le terrain litigieux, il aurait dû intenter contre les héritiers de K.N. une action en dommages-intérêts en vertu des articles 576-579, 582 et 587 du code civil.
47.  La Cour rappelle que l’article 35 de la Convention n’exige que l’épuisement des recours accessibles, adéquats et relatifs aux violations incriminées (arrêt Tsomtsos et autres c. Grèce du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1713, § 32).
Au sujet de la première branche de l’exception, la Cour note avec la Commission et le requérant que ce dernier avait introduit devant le tribunal de grande instance d’Athènes un recours spécifique – prévu par l’article 2 § 3 de la loi n° 263/1968 – visant l’annulation de l’arrêté d’expulsion administrative. Le tribunal lui donna gain de cause en estimant que les conditions pour l’adoption d’un tel arrêté ne se trouvaient pas réunies ; toutefois, le ministre des Finances refusa d’approuver la restitution du cinéma à l’intéressé. Or une action fondée sur les articles 987 et 989 du code civil, à supposer qu’elle ait eu une issue favorable au requérant, n’aurait pas abouti – selon toute vraisemblance eu égard à l’attitude du ministre des Finances – à un résultat différent de celui de l’action en annulation de l’arrêté d’expulsion. On ne saurait donc reprocher au requérant de n’avoir pas utilisé une voie de droit qui aurait visé pour l’essentiel le même but et au demeurant n’aurait pas présenté de meilleures chances de succès (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Miailhe c. France (n° 1) du 25 février 1993, série A n° 256-C, p. 87, § 27).
En ce qui concerne la deuxième branche de l’exception, la Cour estime qu’une action en réparation peut parfois être considérée comme un recours suffisant, notamment lorsque c’est le seul moyen de redresser le tort subi par l’individu. Or, en l’espèce, une indemnisation n’aurait pas constitué une solution de rechange aux mesures que l’ordre juridique interne aurait dû offrir à l’intéressé pour parer à l’impossibilité de reprendre possession du cinéma en dépit d’une décision judiciaire annulant l’arrêté d’expulsion. En outre, les procédures pendantes devant le tribunal de grande instance d’Athènes ne sont déterminantes que pour l’octroi d’une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 509, § 37).
Quant à la troisième branche de l’exception, la Cour rappelle que l’article 35 n’exige que l’épuisement des recours relatifs aux violations incriminées ; or assigner un particulier en justice ne saurait constituer un tel recours quant à un acte de l’Etat, à savoir, en l’espèce, le refus de se conformer à une décision judiciaire et de rendre le cinéma au requérant (arrêt Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande du 29 novembre 1991, série A n° 222, p. 22, § 48).
Il échet donc de rejeter l’exception dont il s’agit.
B. Non-respect du délai de six mois
48.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête en vertu de l’article 35 de la Convention, l’intéressé n’ayant pas saisi la Commission dans le délai de six mois à compter de la date à laquelle le tribunal de grande instance d’Athènes a rendu son jugement annulant l’arrêté d’expulsion. Il prétend que ledit jugement ne pouvait pas créer une situation continue car il n’avait pas enjoint à l’Etat de rendre le cinéma au requérant et ce dernier n’y avait aucun droit réel ; de plus, l’intéressé aurait pu modifier sa situation soit en demandant sa réinstallation soit en transférant son entreprise ailleurs.
49.  La Commission conclut que le refus du ministre des Finances de se conformer au jugement du tribunal de grande instance a entraîné une situation continue, ce qui rend inapplicable la règle des six mois.
50.  La Cour partage l’avis de la Commission. Elle relève en outre que le requérant n’aurait pu récupérer le cinéma que si le ministre des Finances avait auparavant révoqué la cession de celui-ci à la municipalité d’Ilioupolis. Or le requérant ne reçut copie de l’avis favorable à ce sujet de la Société des biens immobiliers de l’Etat – indispensable pour que le ministre rendît sa décision – que le 7 novembre 1995 et déposa sa requête afin que le ministre approuvât ledit avis le 15 novembre (paragraphe 25 ci-dessus). Il s’ensuit qu’en saisissant la Commission le 28 mars 1996, le requérant a satisfait à l’exigence du respect du délai de six mois.
Dès lors, il y a lieu d’écarter l’exception en cause.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N° 1
51.  M. Iatridis allègue une violation de l’article 1 du Protocole n° 1, aux termes duquel :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
52.  Le requérant souligne qu’en 1978 il a conclu un contrat de bail d’un cinéma de plein air avec K.N., qui agissait comme propriétaire, et que jusqu’en 1985 il a joui du bien loué sans que cela fasse l’objet d’une contestation de la part de l’Etat. La décision du ministre de l’Agriculture, en 1953 (paragraphe 8 ci-dessus), se limita à tracer une ligne de démarcation entre la partie du « domaine Karras » considérée comme zone forestière et la partie urbaine de ce domaine, appartenant à K.N. ; il résulterait clairement du schéma que le terrain du cinéma se trouverait à l’intérieur de cette dernière partie et donc en pleine zone urbaine, bien loin du terrain transféré à la coopérative des policiers sur lequel portait l’arrêt n° 4910/1977. Si la question de la propriété du cinéma est encore en litige entre l’Etat et le bailleur du requérant, à savoir les héritiers de K.N., l’Etat a toujours traité ces derniers comme les vrais propriétaires en percevant – dès le début et jusqu’à aujourd’hui – des droits de succession ; d’ailleurs l’autorisation de construire le cinéma qualifiait K.N. de propriétaire. L’arrêt de la cour d’appel du 21 juin 1977 avait uniquement tranché la question de propriété du terrain transféré à la coopérative des officiers de police et non celle du terrain litigieux qui est complètement distinct et très éloigné du premier. En 1978, le requérant ne pouvait donc avoir le moindre doute sur le droit de propriété des héritiers de K.N.
53.  Le Gouvernement soutient que l’arrêté d’expulsion administrative a seulement privé le requérant du droit à l’usage et à la possession du terrain litigieux mais non de la possibilité d’exercer sa profession ; en effet, l’intéressé disposait de quatre ans pour rechercher un autre terrain et y installer son entreprise, de sorte que l’exécution dudit arrêté n’a pas porté atteinte à celle-ci. En outre, le droit du locataire à l’usage du bien loué est limité quant à son contenu et sa durée – le contrat pouvant être dénoncé n’importe quand par l’une ou l’autre partie – et relatif, car il est inopposable aux tiers qui ont sur le bien loué un droit prédominant, tel un droit réel de propriété. Ainsi le requérant n’a jamais acquis, en vertu du contrat de location, un droit patrimonial suffisamment fondé et exigible à l’égard de l’Etat. Les doutes qui auraient pu subsister quant au droit de propriété de l’Etat sur la superficie revendiquée par les héritiers de K.N. ont été levés avec l’arrêt (n° 4910/1977) de la cour d’appel du 21 juin 1977 (paragraphe 13 ci-dessus), qui a reconnu que toute la superficie litigieuse appartenait à l’Etat et le requérant aurait pu s’en informer en consultant les livres des hypothèques. Le jugement du tribunal de grande instance du 23 octobre 1989 ne reconnaissait pas un quelconque droit du requérant sur le terrain litigieux car la procédure portait sur la seule validité formelle de l’arrêté d’expulsion et non sur la détermination des droits réels des parties sur le terrain. D’ailleurs, le requérant aurait pu se retourner contre le bailleur et lui demander des dommages-intérêts pour l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé d’user du terrain que ce dernier lui avait loué alors que ledit bien comportait un vice. Enfin et surtout, il était loisible au requérant, qui était propriétaire de l’équipement du cinéma, d’établir son entreprise ailleurs.
54.  La Cour rappelle que la notion de « biens » de l’article 1 du Protocole n° 1 a une portée autonome qui ne se limite certainement pas à la propriété de biens corporels : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits de propriété » et donc pour des « biens » aux fins de cette disposition (arrêt Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas du 23 février 1995, série A n° 306-B, p. 46, § 53).
A cet égard, la Cour note d’emblée que la question de la propriété du terrain sur lequel se situait le cinéma litigieux faisait depuis 1953 l’objet d’une contestation entre le bailleur du cinéma et l’Etat et qu’au jour de l’adoption du présent arrêt cette contestation n’avait pas encore été levée. Pour se prononcer en l’espèce, la Cour n’a pas à se substituer aux juridictions nationales et à déterminer si le terrain litigieux appartenait à l’Etat ou si le contrat passé entre le requérant et les héritiers de K.N. était nul selon le droit grec. Elle se limite à constater que le requérant avait exploité – en vertu d’un contrat signé en bonne et due forme – le cinéma pendant onze ans avant son expulsion sans avoir été inquiété par les autorités, grâce à quoi il avait constitué une clientèle, qui s’analyse en une valeur patrimoniale (arrêt Van Marle et autres c. Pays-Bas du 26 juin 1986, série A n° 101, p. 13, § 41) ; à ce sujet, la Cour tient compte du rôle culturel que jouent en Grèce les cinémas de plein air pour la population locale et du fait que les habitants du quartier constituent l’essentiel de leur clientèle.
55.  Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 1 du Protocole n° 1, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes (arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A n° 98-B, pp. 29-30, § 37) : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première.
La Cour note que le requérant, qui était titulaire d’un permis spécifique pour exploiter le cinéma loué par lui, a été expulsé de celui-ci par la municipalité d’Ilioupolis et n’a pas transféré son activité ailleurs. Elle relève de surcroît qu’en dépit d’une décision judiciaire annulant l’arrêté d’expulsion, M. Iatridis se trouve dans l’impossibilité de reprendre possession du cinéma litigieux en raison du refus du ministre des Finances de révoquer la cession de celui-ci à ladite municipalité (paragraphe 26 ci-dessus).
Dans ces circonstances, il y a eu ingérence dans le droit de propriété du requérant ; celui-ci n’étant que simple locataire de son fonds de commerce, l’ingérence en question ne constitue ni une expropriation ni une réglementation de l’usage des biens, mais relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1.
56.  Le requérant souligne que dix ans après la décision du tribunal de grande instance annulant l’arrêté d’expulsion, l’Etat continue d’occuper arbitrairement et illégalement le cinéma litigieux et refuse de le lui restituer.
57.  Le Gouvernement conteste cette allégation et souligne que le terrain sur lequel le cinéma était situé faisait partie d’une superficie plus grande appartenant à l’Etat.
58.  La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole n° 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux Etats le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (arrêt Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, pp. 850-851, § 50) et implique le devoir de l’Etat ou d’une autorité publique de se plier à un jugement ou un arrêt rendus à leur encontre (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Hornsby précité, p. 511, § 41). Il s’ensuit que la nécessité de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A n° 52, p. 26, § 69) ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de la légalité et n’était pas arbitraire.
59.  Le Gouvernement affirme que le requérant fut invité à deux reprises avant son expulsion (en 1985 et 1988 – paragraphe 17 ci-dessus) à quitter les lieux ; il lui était alors loisible de faire valoir ses droits en justice ou de préserver le fonctionnement de son entreprise en la transférant dans un autre endroit. De plus et surtout, le jugement du tribunal de grande instance d’Athènes du 23 octobre 1989 n’ordonnait pas l’expulsion de la municipalité et la réinstallation du requérant (paragraphe 19 ci-dessus). Or cette réinstallation n’était possible qu’à la suite d’une demande expresse et distincte de celle en annulation de l’arrêté d’expulsion de la part du requérant ; à ce sujet, le Gouvernement allègue qu’il existe une jurisprudence abondante en ce sens et produit un arrêt de la cour d’appel d’Athènes (n° 6802/1989) qui avait jugé qu’une demande en réinstallation pouvait être déposée de manière autonome et n’était pas soumise aux délais prévus pour l’exercice d’un recours en annulation de l’arrêté d’expulsion.
60.  Le requérant conteste l’opportunité et l’effectivité d’une telle demande. A supposer même qu’il eût obtenu une décision le réintégrant dans les locaux, aucune procédure ne lui aurait permis de recouvrer la possession du cinéma. Une demande formée contre la municipalité d’Ilioupolis n’aurait aucun effet utile, car une décision rendue sur une telle demande ne serait contraignante que pour la municipalité et rien n’empêcherait l’Etat de céder le cinéma à une autre entité de droit public. Même si la demande était formée contre l’Etat, le requérant ne disposerait, en cas de nouveau refus du ministre, d’aucun recours.
61.  La Cour note que les comparants ont des vues divergentes sur ce point, mais il ne lui incombe pas de vider la controverse, d’autant plus que la décision n° 26/1997 de la chambre du conseil du tribunal correctionnel d’Athènes – renvoyant le maire d’Ilioupolis en jugement pour violation des devoirs inhérents à sa fonction (paragraphe 28 ci-dessus) – semble considérer qu’une disposition spéciale enjoignant la réinstallation du requérant n’était pas nécessaire ; de plus, elle précise que si « le rapport de l’enquête administrative du 2 avril 1990, l’avis n° 508/1991 de l’assemblée plénière du Conseil juridique de l’Etat et la décision du conseil d’administration de la Société des biens immobiliers de l’Etat, du 31 juillet 1995, n’[avaient] pas un caractère contraignant et n’[étaient] pas exécutoires, cela ne signifie pas que la municipalité d’Ilioupolis (...) avait le droit de ne pas se conformer à la loi et d’attendre la procédure d’exécution comme un simple particulier qui refuse intentionnellement d’assumer ses obligations légales ou contractuelles. »
Dans la présente affaire, il existe aussi d’autres considérations sur lesquelles la Cour peut fonder sa décision. L’expulsion du requérant le 17 mars 1989 avait assurément une base légale en droit interne : l’arrêté d’expulsion administrative adopté le 9 février 1989 par un organe dépendant de l’Etat, le Service des biens immobiliers de la préfecture de l’Attique, le cinéma ayant été dans l’intervalle cédé à la municipalité d’Ilioupolis par la Société des biens immobiliers de l’Etat. Toutefois, le 23 octobre 1989, le tribunal de grande instance d’Athènes, statuant selon la procédure en référé et par une décision ayant force de chose jugée, a annulé l’arrêté d’expulsion au motif que les conditions requises pour son adoption n’étaient pas réunies. Ainsi, et à partir de ce moment, l’expulsion du requérant a perdu toute base légale et la municipalité d’Ilioupolis est devenue un occupant sans titre. Celle-ci se trouvait alors dans l’obligation de rendre le cinéma au requérant, ce qui fut recommandé du reste par tous les organes chargés de donner au ministre des Finances leur avis en la matière, à savoir le ministère des Finances, le Conseil juridique de l’Etat et la Société des biens immobiliers de l’Etat (paragraphes 20, 21 et 25 ci-dessus). Plus précisément, cette dernière proposait au ministre la révocation de la cession du cinéma à la municipalité, la restitution de l’usage du cinéma à M. Iatridis ainsi que la réinstallation de celui-ci dans le bien qu’il avait loué. Toutefois, le ministre a refusé d’approuver ladite proposition, condition indispensable à la réintégration du requérant dans ses locaux.
62.  La Cour estime avec la Commission que l’ingérence litigieuse est manifestement illégale sur le plan du droit interne et, par conséquent, incompatible avec le droit au respect des biens du requérant. Une telle conclusion la dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.
Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
63.  M. Iatridis invoque aussi l’article 13 de la Convention, ainsi rédigé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Le requérant prétend que le seul recours prévu par la législation grecque contre un arrêté d’expulsion, à savoir le recours en annulation devant les juridictions civiles, ne saurait passer pour « effectif » au sens de l’article 13 : même si l’intéressé obtient gain de cause, la restitution du bien litigieux est à la discrétion des autorités étatiques compétentes et dépend de leur bonne volonté.
64.  Le Gouvernement réitère pour l’essentiel ses arguments sur le non-épuisement des voies de recours internes. Quant à la Commission, elle renvoie à ses conclusions sur ce point et estime qu’il y a eu violation de cette disposition.
65.  La Cour relève que le grief tiré de l’article 13 est fondé sur les mêmes faits que ceux dont elle a eu à connaître lorsqu’elle a examiné l’exception de non-épuisement ainsi que les griefs relatifs à l’article 1 du Protocole n° 1. Il existe cependant une différence de nature des intérêts protégés par les articles 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1 : le premier accorde une garantie procédurale, à savoir le « droit à un recours effectif », tandis que l’exigence procédurale inhérente au second va de pair avec l’objectif plus large consistant à assurer le droit au respect des biens. Eu égard à la différence entre l’objectif visé par les garanties respectives de ces deux articles, la Cour estime qu’il y a lieu dans la présente affaire d’examiner une même série des faits sous l’angle de l’un et l’autre articles (voir, mutatis mutandis, l’arrêt McMichael c. Royaume-Uni du 24 février 1995, série A n° 307-B, p. 57, § 91).
66.  L’ordre juridique grec prévoit un recours – le recours en annulation de l’arrêté d’expulsion – qui ne s’offrait pas seulement en théorie au requérant ; celui-ci en usa et avec succès puisque le tribunal de grande instance d’Athènes lui donna gain de cause (paragraphe 19 ci-dessus). Toutefois, la Cour rappelle que le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’Etat défendeur (arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2286, § 95 in fine) ; compte tenu du refus du ministre des Finances de se conformer au jugement du tribunal de grande instance en l’espèce, ledit recours ne saurait passer pour « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention.
Partant, il y a eu violation de cet article.
IV. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 § 1 ET  8 DE LA CONVENTION
67.  Le requérant allègue aussi des violations des articles 6 § 1 et 8 de la Convention, ainsi libellés :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 8
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
En ce qui concerne l’article 6 § 1, le requérant soutient que si la Cour concluait que le recours en annulation était effectif au sens de l’article 13, il en résulterait que l’Etat défendeur aurait violé ses obligations découlant de l’article 6 du fait qu’il ne s’était pas conformé à la décision du tribunal de grande instance d’Athènes, du 23 octobre 1989. A l’appui de ses allégations, M. Iatridis invoque l’arrêt de la Cour dans l’affaire Hornsby (arrêt précité).
Quant à l’article 8, le requérant souligne les circonstances dans lesquelles a eu lieu son expulsion : les autorités auraient réussi à le surprendre car elles avaient forcé la porte du cinéma en son absence et avaient même emporté l’équipement du cinéma et des objets personnels. Cela constituerait une violation du droit de l’intéressé au respect du domicile, distincte de celle de l’article 1 du Protocole n° 1.
68.  Dans sa requête introductive d’instance, le Gouvernement n’avait saisi la Cour que des articles 1 du Protocole n° 1 et 13 de la Convention. Toutefois, dans son mémoire, il évoque brièvement les griefs tirés des articles 6 et 8 de la Convention.
69.  La Cour rappelle qu’elle dispose de la plénitude de juridiction pour statuer dans le cadre du litige qui lui est déféré et qui est délimité par la décision de la Commission sur la recevabilité ; à l’intérieur du cadre ainsi tracé, elle peut traiter toute question de fait ou de droit qui surgit pendant l’instance engagée devant elle (arrêt Erdagöz c. Turquie du 22 octobre 1997, Recueil 1997-VI, pp. 2310-2311, §§ 31-36). Or, tout en considérant qu’en l’espèce l’objet du litige ne se limite pas aux seuls articles mentionnés dans la requête introductive, elle note que les griefs du requérant sous l’angle des articles 8 et 6 § 1 de la Convention sont essentiellement les mêmes que ceux fondés sur les articles 1 du Protocole n° 1 et 13 de la Convention respectivement. A l’instar de la Commission et eu égard aux conclusions figurant aux paragraphes 62 et 66 ci-dessus, elle n’estime pas nécessaire de les examiner séparément : en l’occurrence, les exigences des articles 8 et 6 § 1 de la Convention sont absorbées par celles des articles 1 du Protocole n° 1 et 13 de la Convention respectivement.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
70.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
71.  Selon le requérant, la « satisfaction » prévue par l’article 41, pour être « équitable », ne devrait pas se limiter à la compensation de la perte des revenus et de la perte de l’entreprise elle-même, mais devrait également effacer le préjudice moral subi par une personne âgée de soixante-six ans au moment de l’expulsion et de soixante-quinze ans aujourd’hui.
Au titre du dommage matériel, le requérant sollicite 364 788 000 drachmes (GRD) pour perte des revenus provenant de la vente des billets d’entrée, des publicités et des consommations au bar, pour la valeur du matériel emporté lors de l’expulsion et pour perte de clientèle.
Pour dommage moral, il réclame 50 000 000 GRD.
Enfin, pour les honoraires d’avocat, il sollicite une somme qui correspondrait à 20 % du montant que la Cour lui allouerait pour dommage matériel et moral en cas de constat de violation. Il précise que cette demande se fonde sur un accord (annexé à son mémoire) conclu entre lui et ses conseils et déposé tant auprès des autorités fiscales qu’auprès du barreau. Ainsi et compte tenu de ses prétentions pour préjudice, il réclame   pour frais et dépens 82 957 000 GRD ; à quoi il faudrait ajouter les frais occasionnés par la comparution de ses deux conseils à l’audience du 17 décembre 1998 et qui s’élèvent à 1 226 500 GRD.
72.  Le Gouvernement soutient que la Cour, avant de statuer sur la question de la satisfaction équitable, devrait prendre en considération la circonstance que le requérant a choisi de ne pas faire fonctionner son entreprise ailleurs après son expulsion du terrain litigieux. En outre, il souligne que les prétentions de l’intéressé pour manque à gagner pour les années 1989 à 1993 sont aujourd’hui prescrites en vertu du droit grec. La Cour ne devrait en outre pas allouer au requérant une indemnité pour la valeur de son entreprise car il n’a pas perdu la propriété de l’équipement de celle-ci. D’ailleurs, il existe une différence entre les sommes réclamées sous l’angle de l’article 41 et celles sollicitées par ses actions en indemnisation présentées devant les juridictions nationales, ce qui rend la méthode de calcul des premières non crédible. Enfin, le Gouvernement invite la Cour à tenir compte de ce que certains montants pourraient, le cas échéant, être alloués au requérant par les juridictions nationales devant lesquelles certaines actions de celui-ci sont pendantes, ce qui rendrait prématurée une décision de la Cour sur cet article.
Quant aux honoraires d’avocat, le Gouvernement déclare ne pas s’estimer lié par l’accord entre le requérant et ses conseils et se dit prêt à rembourser seulement les frais qui sont objectivement raisonnables. Or le montant indiqué par le requérant lui semble exorbitant, au moins par rapport à la réalité grecque.
73.  Dans les circonstances de la cause, la Cour estime que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état, de sorte qu’il échet de la réserver eu égard à l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et l’intéressé (article 75 §§ 1 et 4 du règlement).
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Rejette, par seize voix contre une, l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes ;
2. Rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1 ;
4. Dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas de statuer sur les griefs tirés des articles 6 § 1 et 8 de la Convention ;
6. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;
 en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue à la présidente de la Grande Chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 25 mars 1999.
Elisabeth Palm
Présidente
  Michele de Salvia
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de M. Yeraris.
E.P.
M. de S.  
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE  DE M. LE JUGE YERARIS
Je considère que la Cour devrait déclarer la requête irrecevable au motif que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. En effet, selon la jurisprudence des tribunaux civils grecs (voir le paragraphe 32 de l’arrêt), le possesseur d’un terrain, qui s’en voit dépossédé à la suite d’un arrêté d’expulsion adopté en application de l’article 2 §§ 2 et 3 de la loi n° 263/1968, doit introduire une demande en réintégration afin de récupérer son terrain. Cette demande peut être introduite soit en même temps que le recours en annulation (opposition) formé contre l’arrêté d’expulsion, soit séparément. Si une telle demande est accueillie, l’arrêt constitue un titre exécutoire à l’encontre de l’Etat, d’un organisme étatique ou d’un tiers.
Dans le cas d’espèce, on constate que le requérant a omis d’introduire une telle demande qui constituerait un recours adéquat et effectif pour récupérer l’immeuble du cinéma. Cette voie de droit était d’autant plus nécessaire que le cinéma était exploité par un tiers, à savoir la municipalité d’Ilioupolis ; cette dernière constitue, selon la Constitution hellénique, une personne morale indépendante de l’Etat et, par conséquent, un justiciable contre lequel l’arrêt faisant droit à la demande en réintégration devrait être exécuté.
Vu les considérations précédentes, j’estime que l’article 13 de la Convention, qui impose aux Etats d’octroyer un recours effectif devant une instance nationale, n’a pas été violé en l’occurrence.
Notes du greffe
1-2.  Entré en vigueur le 1er novembre 1998.
3.  Depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, qui a amendé cette disposition, la Cour fonctionne de manière permanente.
3.  Note du greffe : le règlement A s’est appliqué à toutes les affaires déférées à la Cour avant le 1er octobre 1994 (entrée en vigueur du Protocole n° 9) puis, entre cette date et le 31 octobre 1998, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole.
4.  Note du greffe : pour des raisons d’ordre pratique, il n’y figurera que dans l’édition imprimée (le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT IATRIDIS c. GRÈCE
ARRÊT IATRIDIS c. GRÈCE


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (non-épuisement) ; Exception préliminaire rejetée (délai de six mois) ; Violation de P1-1 ; Violation de l'art. 13 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 8 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 35-1) DELAI DE SIX MOIS, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 35-1) SITUATION CONTINUE, (P1-1-1) BIENS


Parties
Demandeurs : IATRIDIS
Défendeurs : GRÈCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (grande chambre)
Date de la décision : 25/03/1999
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 31107/96
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-03-25;31107.96 ?

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