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20/05/1999 | CEDH | N°25390/94

CEDH | AFFAIRE REKVÉNYI c. HONGRIE


AFFAIRE REKVÉNYI c. HONGRIE
(Requête n° 25390/94)
ARRÊT
STRASBOURG
20 mai 1999
En l’affaire Rekvényi c. Hongrie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
M.  L. Wildhaber, président,   Mme E. Palm,   Sir  Nicolas Bra

tza,   MM. A. Pastor Ridruejo,     G. Bonello,     J. Makarczyk,     P. Kūris,     R. Türmen,   Mmes F...

AFFAIRE REKVÉNYI c. HONGRIE
(Requête n° 25390/94)
ARRÊT
STRASBOURG
20 mai 1999
En l’affaire Rekvényi c. Hongrie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
M.  L. Wildhaber, président,   Mme E. Palm,   Sir  Nicolas Bratza,   MM. A. Pastor Ridruejo,     G. Bonello,     J. Makarczyk,     P. Kūris,     R. Türmen,   Mmes F. Tulkens,     V. Strážnická,   MM. M. Fischbach,     V. Butkevych,     J. Casadevall,   Mme H.S. Greve,   MM. A.B. Baka,     R. Maruste,   Mme S. Botoucharova,
ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 janvier, 1er février et 21 avril 1999,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour, telle qu’établie en vertu de l’ancien article 193 de la Convention, par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 15 septembre 1998, par un ressortissant hongrois, M. László Rekvényi (« le requérant »), le 21 septembre 1998 et par le gouvernement hongrois (« le Gouvernement ») le 5 octobre 1998, dans le délai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la   Convention. A son origine se trouve une requête (no 25390/94) dirigée contre la République de Hongrie et dont M. Rekvényi avait saisi la Commission le 20 avril 1994 en vertu de l’ancien article 25.
La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu’à la déclaration de la Hongrie reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46) ; la requête du requérant renvoie à l’ancien article 48 tel qu’amendé par le Protocole n° 93, que la Hongrie avait ratifié. La requête du Gouvernement renvoie à l’ancien article 48. La demande et les requêtes ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 10 et 11 de la Convention pris séparément ou combinés avec l’article 14.
2.  Le requérant a désigné son conseil (article 31 de l’ancien règlement B2).
3.  En sa qualité de président de la chambre qui avait été initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement B) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. R. Bernhardt, président de la Cour à l’époque, a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, le conseil du requérant et la déléguée de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure écrite. Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 30 novembre 1998. Le Gouvernement y a répondu le 9 décembre 1998.
4.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998 et conformément à l’article 5 § 5 dudit Protocole, l’examen de l’affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. A.B. Baka, juge élu au titre de la Hongrie (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que Sir Nicolas Bratza, président de section, et M. M. Fischbach, vice-président de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. A. Pastor Ridruejo, M. G. Bonello, M. J. Makarczyk, M. P. Kūris, M. R. Türmen, Mme F. Tulkens, Mme V. Strážnická, M. V. Butkevych, M. J. Casadevall, Mme H.S. Greve, M. R. Maruste et Mme S. Botoucharova (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement).
5.  A l’invitation de la Cour (article 99), la Commission a délégué l’un de ses membres, Mme M. Hion, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.
6.  Ainsi qu’en avait décidé le président, une audience s’est déroulée en public le 28 janvier 1999, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement  MM. L. Höltzl, secrétaire d’Etat adjoint, agent,   T. Bán,  coagent,   Z. Tallódi,  Mme M. Weller, conseillers ;
– pour le requérant  Me V. Masenko-Mavi, avocat au barreau de Budapest, conseil ;
– pour la Commission  Mmes M. Hion, déléguée,   M.-T. Schoepfer, secrétaire de la Commission.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.  A l’époque des faits, le requérant était policier et secrétaire général du syndicat indépendant de la police.
8.  Le 24 décembre 1993 parut au Journal officiel hongrois la loi n° 107 de 1993 portant amendement à la Constitution (az Alkotmány módosításáról szóló 1993. évi CVII. törvény). Ce texte modifiait notamment l’article 40/B § 4 de la Constitution en ce sens qu’à partir du 1er janvier 1994 les membres des forces armées, des services de police et de sécurité se voyaient interdire de s’affilier à un parti politique et de se livrer à des activités politiques (texte de l’article au paragraphe 13 ci-dessous).
9.  Par lettre circulaire du 28 janvier 1994, le directeur de la police nationale demanda qu’en raison des élections législatives prochaines les policiers s’abstiennent de toute activité politique. Il évoquait l’article 40/B § 4 de la Constitution tel qu’amendé par la loi n° 107 de 1993. Il indiqua en outre que les policiers désireux de poursuivre des activités politiques devraient quitter la police.
10.  Dans une deuxième circulaire du 16 février 1994, le directeur de la police nationale déclara qu’aucune dispense ne serait accordée à l’interdiction énoncée à l’article 40/B § 4 de la Constitution.
11.  Le 9 mars 1994, le syndicat indépendant de la police déposa un recours constitutionnel auprès de la Cour constitutionnelle en soutenant que l’article 40/B § 4 de la Constitution tel qu’amendé par la loi n° 107 de 1993 enfreignait les droits constitutionnels des policiers de carrière, était contraire aux principes de droit international généralement reconnus et avait été adopté par le Parlement au mépris de la Constitution.
12.  Le 11 avril 1994, la Cour constitutionnelle rejeta le recours et déclara n’avoir pas compétence pour annuler une disposition de la Constitution elle-même.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
13.  Les articles pertinents de la Constitution de la République de Hongrie (loi n° 20 de 1949, plusieurs fois amendée) disposent :
Article 40/B § 4 (tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 1994)
« Les membres du personnel de carrière des forces armées, de la police et des services civils de la sécurité nationale ne peuvent être membres d’un parti ni exercer d’activité politique. »
« A fegyveres erők, a rendőrség és a polgári nemzetbiztonsági szolgálatok hivatásos állományú tagjai nem lehetnek tagjai pártnak és politikai tevékenységet nem folytathatnak. »
Article 61 § 1 (tel qu’en vigueur depuis le 23 octobre 1989)
« En République de Hongrie toute personne a droit à la liberté d’expression. Elle est libre également de recevoir et de communiquer des informations d’intérêt public. »
« A Magyar Köztársaságban mindenkinek joga van a szabad véleménynyilvánításra, továbbá arra, hogy a közérdekű adatokat megismerje, illetőleg terjessze. »
Article 78 § 1
« (...) Le gouvernement est chargé de faire appliquer les dispositions de la Constitution de la République de Hongrie. »
« A Magyar Köztársaság alkotmánya (…) végrehajtásáról a Kormány gondoskodik. »
Article 78 § 2
« Le gouvernement est tenu de déposer devant l’Assemblée nationale les projets de loi nécessaires à l’application de la Constitution. »
« A Kormány köteles az alkotmány végrehajtásához szükséges törvényjavaslatokat az Országgyűlés elé terjeszteni. »
14.  La loi n° 17 de 1989 sur les référendums, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait :
Article 1 § 4
« Aucune signature ne peut être recueillie (...) de personnes servant dans les forces militaires ou civiles armées, pendant qu’elles sont en garnison ou en service (...) »
« Nem gyűjthető aláírás (…) fegyveres erőknél és fegyveres testületeknél szolgálati viszonyban levő személyektől, a szolgálati helyen vagy szolgálati feladat teljesítése közben (…) »
Article 2 § 1
« Les citoyens ayant le droit de voter ou de se présenter aux élections (...) peuvent participer aux référendums (...) »
« A népszavazásban (…) való részvételre választójoggal rendelkező állampolgárok (…) jogosultak. »
15.  La loi n° 34 de 1989 (plusieurs fois amendée) sur les élections législatives, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait :
Article 2 § 1
« En République de Hongrie, tout citoyen hongrois (...) qui a atteint l’âge de la majorité (ci-après « électeur ») a le droit de voter aux élections législatives. »
« A Magyar Köztársaságban az országgyűlési képviselők választásán választójoga van (…) minden nagykorú magyar állampolgárnak (a továbbiakban: választópolgár). »
Article 2 § 3
« Quiconque dispose du droit de vote et justifie d’une résidence permanente en Hongrie peut se présenter aux élections. »
« Mindenki választható, aki választójoggal rendelkezik és állandó lakóhelye Magyarországon van. »
Article 5 § 1
« Les électeurs de chaque circonscription ont le droit de désigner des candidats [au titre de cette circonscription] (...) »
« Az egyéni választókerületben a választópolgárok (…) jelölhetnek. (…) »
Article 10 § 1
« Les électeurs ont le droit de recueillir des bons de désignation, de présenter des programmes électoraux, de soutenir des candidats et d’organiser des réunions électorales (...) »
« Bármely választópolgár gyűjthet jelöltet ajánló szelvényeket, ismertethet választási programot, népszerűsíthet jelöltet, szervezhet választási gyűlést (…) »
Article 10 § 3
« Les bons de désignation ne peuvent être recueillis (...) auprès de personnes servant dans les forces militaires ou civiles armées, pendant qu’elles sont en garnison ou en service (...) »
« Nem gyűjthető jelöltet ajánló szelvény (…) a fegyveres erőknél, a rendőrségnél (…) szolgálati viszonyban lévő személytől, a szolgálati helyen vagy szolgálati feladat teljesítése közben (…) »
16.  La loi n° 55 de 1990 sur le statut juridique des parlementaires, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait :
Article 1 § 1
« Les employeurs de candidats aux élections législatives (...) accorderont aux candidats qui le demanderont un congé sans solde, dès le dépôt de leur candidature et ce, jusqu’à la fin des élections ou, s’ils sont élus, jusqu’à leur entrée en fonction. »
« Az országgyűlési képviselő (…) jelöltet jelöltségének nyilvántartásba vételétől a választásának befejezéséig, illetve megválasztása esetén a mandátuma igazolásáig a munkáltató – kérésére – köteles fizetés nélküli szabadságban részesíteni. »
Article 1 § 4 (tel qu’en vigueur jusqu’au 30 septembre 1994)
« Le paragraphe 1 (…) [de l’article 1] s’applique, le cas échéant, aux candidats (...) servant dans la police (...) »
« A (…) rendőrségnél (…) szolgálati viszonyban (…) álló képviselőjelöltre az [1.§] (1) (…) bekezdés rendelkezéseit kell megfelelően alkalmazni. »
Article 8 § 1 (tel qu’en vigueur jusqu’au 3 avril 1997)
« Tout parlementaire (...) met fin à toute situation d’incompatibilité avec son mandat dans les trente jours suivant son entrée en fonction (...) »
« A képviselő a mandátuma érvényességének megállapításától (…) számított harminc napon belül köteles a vele szemben fennálló összeférhetetlenségi okot megszüntetni. (…) »
17.  La loi n° 64 de 1990 sur l’élection des membres des collectivités locales et des maires, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait :
Article 23 § 1
« Les électeurs ont le droit de présenter des programmes électoraux, de faire campagne au nom des candidats ou d’organiser des réunions électorales (…) à compter du trente-cinquième jour précédant la date des élections. »
« Bármely választópolgár – a szavazást megelőző 35. naptól – ismertethet választási programot, népszerűsíthet jelöltet, szervezhet választási gyűlést (…) »
Article 25 § 1
« Un électeur qui exerce son droit de vote dans une circonscription peut désigner des candidats [au titre de cette circonscription] (...) »
« Jelöltet ajánlhat az a választópolgár, aki a választókerületben választójogát gyakorolhatja. (…) »
18.  La loi n° 34 de 1994 sur les forces de police (« la loi de 1994 sur la police »), entrée en vigueur le 1er octobre 1994, prévoit :
Article 2 § 3
« Dans l’exercice de ses fonctions, la police ne doit être soumise à l’influence d’aucun parti. »
« A Rendőrség a feladatának ellátása során pártbefolyástól mentesen jár el. »
Article 7 § 9
« Si un policier désire se présenter à une élection au niveau national ou local ou à l’élection du maire, il doit prévenir de son intention le directeur de la police [concerné]. Son service est alors suspendu, du soixantième jour précédant le jour de l’élection jusqu’à celui de la publication des résultats. »
« Ha a rendőr országgyűlési vagy helyi önkormányzati képviselői, illetőleg polgármesteri választáson jelöltként indul, köteles e szándékát a rendőri szerv vezetőjének előzetesen bejelenteni. A választás napját megelőző 60. naptól kezdődően a választás eredményének közzétételéig a szolgálati jogviszonya szünetel. »
Article 7 § 10
« Les policiers ont le droit de s’affilier à des organisations, professionnelles ou autres, qui visent à défendre ou représenter leurs intérêts et sont liées à leurs fonctions de police ; ils peuvent y détenir un poste ; ils ne doivent en subir aucun inconvénient pour leur carrière. L’intéressé doit informer son supérieur de son intention de demeurer ou de devenir membre d’un organisme non lié à ses fonctions de policier. Le directeur de la police [concerné] a le pouvoir de lui interdire de demeurer ou de devenir membre d’une organisation si cela est incompatible avec sa profession ou son rang dans le service, ou si cela porte atteinte ou nuit aux intérêts du service. L’interdiction prend la forme d’une décision susceptible de recours auprès de l’autorité de tutelle. La décision de cette dernière peut être contestée devant un tribunal. »
« A rendőr a hivatásával összefüggő szakmai, érdekvédelmi, érdekképviseleti szervezetnek tagja lehet, abban tisztséget vállalhat, e tagsági viszonya és tevékenysége miatt szolgálati jogviszonya körében hátrányt nem szenvedhet. A rendőr köteles a hivatásával össze nem függő társadalmi szervezettel fennálló, illetőleg az újonnan létesülő tagsági viszonyt előzetesen a rendőri szerv vezetőjéhez bejelenteni. A rendőri szerv vezetője a tagsági viszony fenntartását vagy létesítését megtilthatja, ha az a rendőri hivatással vagy szolgálati beosztással nem egyeztethető össze, illetőleg a szolgálat érdekeit sérti vagy veszélyezteti. E döntést határozatba kell foglalni. A határozat ellen a felettes szerv vezetőjénél panasszal lehet élni. A felettes szervnek a panasz kivizsgálása eredményeként hozott határozata a bíróság előtt megtámadható. »
19.  Le décret n° 1/1990 du 10 janvier 1990 du ministre de l’Intérieur (« le règlement de 1990 »), qui régissait les activités de la police, fut en vigueur jusqu’au 30 mars 1995 et prévoyait :
Article 430
« (…) Aucune activité liée à un parti politique ne peut être exercée dans les locaux de la police ; aucune question liée à la politique des partis ne sera abordée au cours des réunions du personnel. »
« (…) A rendőrségen pártpolitikai tevékenység nem folytatható, munkahelyi értekezleteken pártpolitikai kérdések nem tárgyalhatók. »
Article 432
« A l’exception des partis politiques, les policiers (...) ont le droit de constituer et de faire fonctionner des organismes sociaux [társadalmi szervezet] (syndicats, mouvements de masse, organisations de défense de leurs intérêts, associations, etc.) à condition que les objectifs n’en soient pas contraires aux dispositions légales et réglementaires régissant le service de police. »
« Rendőrök önmagukból - párt kivételével – (…) a szolgálati viszonyra vonatkozó jogszabályokkal, rendelkezésekkel nem ellentétes célú társadalmi szervezetet létrehozhatnak és működtethetnek (szakszervezet, tömegmozgalom, érdekképviseleti szervezet, egyesület stb.). »
Article 433
« Les policiers ont le droit de s’affilier à tout organisme social [társadalmi szervezet], y compris à un parti politique, qui a été légalement constitué et enregistré auprès d’un tribunal. Ils ne doivent bénéficier d’aucun avantage ni subir aucun inconvénient dans leur carrière du fait de leur adhésion à un tel organisme ou de leur affiliation à un parti. »
« A rendőr bármely törvényesen megalakult, illetve bíróság által nyilvántartásba vett társadalmi szervezetnek – beleértve a politikai pártot is – tagja lehet. Szervezeti hovatartozása, pártállása miatt szolgálati viszonya keretében semmiféle előnyben vagy hátrányban nem részesíthető. »
Article 434
« Les insignes et symboles de partis ne doivent pas être exhibés dans les locaux de la police. Dans l’exercice de leurs fonctions, les policiers doivent s’abstenir de porter des insignes indiquant leurs préférences politiques. »
« A rendőrség hivatali helyiségeiben, körleteiben pártok jelvényei, jelképei nem helyezhetők el. A rendőr szolgálatban politikai hovatartozására utaló jelvényt nem viselhet. »
Article 435
« Les policiers ne doivent pas s’engager, sur la demande de partis politiques, comme experts ou conseillers dans des domaines liés aux fonctions de police, sans l’autorisation expresse du ministre de l’Intérieur. »
« A rendőr pártok részére a rendőri szolgálattal összefüggő kérdésekben szakértői, szaktanácsadó feladatokat csak a belügyminiszter engedélyével végezhet. »
Article 437
« Dans les locaux de la police, l’exercice du droit à la liberté de réunion est soumis à l’approbation d’un supérieur hiérarchique commun aux organisateurs [de réunions]. »
« A rendőrség objektumaiban a gyülekezési jog csak a szervezők közös elöljáróinak engedélyével gyakorolható. »
Article 438
« Pendant leurs loisirs, les policiers ont le droit de participer à des rassemblements (…) organisés selon la loi (réunions, défilés, manifestations pacifiques). A ces occasions, ils doivent s’abstenir de porter leur uniforme à moins que la rencontre ait pour objectif la représentation ou la défense d’intérêts en rapport avec le service [de police]. Ils doivent s’abstenir de porter leur arme de service ou toute autre arme à feu qu’ils pourraient régulièrement détenir. Si le rassemblement reçoit l’ordre de se disperser, ils doivent le quitter immédiatement. »
« A rendőr szabad idejében részt vehet a (…) jogszerűen tartott rendezvényen (békés összejövetelen, felvonuláson, tüntetésen). Ilyen esetben egyenruhát csak akkor viselhet, ha a rendezvény célja a szolgálati viszonnyal összefüggő érdekek képviselete, védelme. Szolgálati vagy más jogszerűen tartott lőfegyverét nem tarthatja magánál. Ha a rendezvény feloszlatására kerül sor, köteles a helyszínt azonnal önként elhagyni. »
Article 470
« Les policiers ont (…) le droit de faire des déclarations à la demande de la presse, de la radio ou de la télévision sur des questions liées à la sécurité routière, la sûreté publique ou certaines infractions, à condition que [ce faisant] ils ne divulguent pas les informations confidentielles du service, ils respectent le principe de la présomption d’innocence, les droits de la personne [személyiséghez fűződő jogok] et ne compromettent pas l’instruction d’une affaire (...) »
« A rendőr, a sajtó, a rádió és a televízió megkeresése alapján a közlekedés-, a közbiztonság kérdéseiről, egyes bűncselekményekről, a szolgálati titok megőrzésével, az ügyek vizsgálatának és felderítésének veszélyeztetése nélkül, valamint az ártatlanság vélelmének figyelembe vételével és a személyiséghez fűződő jogok tiszteletben tartásával (…) nyilatkozhat. (…) »
Article 472
« (...) [Les policiers] ont le droit de donner des conférences – ou de participer à des émissions de radio ou de télévision – sur la politique, les sciences, la littérature ou le sport sans autorisation préalable, à condition toutefois qu’il ne soit pas fait référence au service de police. »
« (…) [A rendőr] politikai, tudományos, szépirodalmi és sport témájú előadásokat, szereplést (a rádióban és a televízióban is) engedély nélkül vállalhat rendőri állására való utalás nélkül. »
Article 473
« Les policiers ont le droit de faire des déclarations et de publier des articles dans les revues du ministère de l’Intérieur sans autorisation, à condition d’observer les règles sur la confidentialité dans le service et celles sur le secret d’Etat. »
« A Belügyminisztérium lapjaiban a szolgálati- és az államtitokra vonatkozó szabályok betartásával a rendőr engedély nélkül nyilatkozhat és publikálhat. »
Article 474
« Les policiers n’ont pas le droit de publier sans autorisation préalable des manuels ou des documents sur les activités de la police (...) »
« A rendőri vonatkozású kérdéseket tárgyaló szak- és tényirodalmi művet a rendőr csak előzetes engedéllyel jelentetheti meg. (…) »
Article 477
« Les policiers ont le droit de publier sans autorisation des ouvrages de fiction (...) et des ouvrages sur la science, la politique ou le sport (...) sans rapport avec les activités de police, à condition toutefois qu’aucune référence ne soit faite au service de police. »
« A rendőr – a rendőri állásra való utalás nélkül – szabadon közölheti, illetve kiadhatja a nem rendőri vonatkozású szépirodalmi (…), tudományos, politikai kérdéseket tárgyaló, sporttal foglalkozó műveit (…) »
20.  Le décret n° 3/1995 du 1er mars 1995 du ministre de l’Intérieur (« le règlement de 1995 »), adopté pour mettre en œuvre les dispositions de la loi de 1994 sur la police, régit le cadre dans lequel s’inscrivent les activités de la police et est entré en vigueur le 31 mars 1995. Ses articles pertinents sont ainsi libellés :
Article 106 § 5
« Les policiers, en leur qualité de représentants ou de spécialistes de la police, ne doivent pas faire de déclaration à la presse, ni participer à des émissions de radio ou de télévision ou des films, sauf autorisation expresse du directeur de la police nationale ou de l’un de ses adjoints. Aucune autorisation n’est requise pour donner des conférences scientifiques ou culturelles ou pour d’autres apparitions publiques de même nature (y compris s’exprimer à la radio ou à la télévision), à condition qu’aucune référence ne soit faite au service de police. »
« A rendőr a rendőrség képviselőjeként, szakértőjeként a sajtóban, a rádió és televízió műsoraiban, filmekben csak az országos rendőrfőkapitány, illetve helyettesei előzetes hozzájárulásával szerepelhet. A rendőri állásra utalás nélkül tartott tudományos, kulturális előadások megtartásához, ilyen irányú egyéb közszerepléshez (beleértve a rádióban és televízióban történő szereplést is) engedély nem kell. »
Article 106 § 6
« Les policiers ont le droit de faire des déclarations et de publier des articles dans les revues de la police sans autorisation, à condition d’observer les règles sur la confidentialité dans le service et celles sur le secret d’Etat. »
« A rendőrség lapjaiban a szolgálati és az államtitokra vonatkozó szabályok betartásával a rendőr engedély nélkül nyilatkozhat és publikálhat. »
Article 106 § 9
« Les policiers ne doivent pas paraître en public ès qualités, sauf autorisation expresse du directeur de la police. En pareil cas, ils doivent s’abstenir de faire des déclarations politiques et manifester leur neutralité vis-à-vis de toute forme d’organisme social [társadalmi szervezetek]. »
« Nyilvános szerepléshez (ha az rendőrként történik) engedélyt kell kérni a rendőrfőkapitánytól. A rendőr ilyen közéleti szereplése során tartózkodjék a politikai nyilatkozatoktól, magatartása a társadalmi szervezeteket illetően semleges legyen. »
Article 106 § 10
« Pendant leurs loisirs, les policiers ont le droit de participer à des rassemblements (...) organisés selon la loi. A ces occasions, ils doivent s’abstenir de porter leur uniforme et leur arme de service ou toute autre arme à feu qu’ils pourraient régulièrement détenir. Si le rassemblement reçoit l’ordre de se disperser, ils doivent le quitter immédiatement. »
« A rendőr szabad idejében részt vehet a (…) jogszerűen tartott rendezvényen. Ilyen esetben egyenruhát nem viselhet. Szolgálati vagy más jogszerűen tartott lőfegyverét nem tarthatja magánál. Ha a rendezvény feloszlatására kerül sor, köteles a helyszínt azonnal önként elhagyni. »
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
21.  M. László Rekvényi a saisi la Commission le 20 avril 1994. Il alléguait que les interdictions énoncées à l’article 40/B § 4 de la Constitution hongroise enfreignaient ses droits au titre des articles 10 et 11 de la Convention pris séparément ou combinés avec l’article 14.
22.  La Commission a retenu la requête (n° 25390/94) le 11 avril 1997. Dans son rapport du 9 juillet 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 10 (vingt et une voix contre neuf), qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 (vingt et une voix contre neuf), qu’il ne s’impose pas d’examiner le grief tiré par le requérant de l’article 14 combiné avec l’article 10 (vingt-cinq voix contre cinq) et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 11 (vingt-deux voix contre huit). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions partiellement dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt5.
CONCLUSIONS PRÉSeNTÉES à LA COUR
23.  Dans son mémoire, le requérant demande à la Cour de constater une méconnaissance par l’Etat défendeur des obligations que lui imposent les articles 10 et 11 de la Convention pris isolément ou combinés avec l’article 14, et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41.
Le Gouvernement, pour sa part, invite la Cour à rejeter les griefs tirés des articles 10 et 11 de la Convention, considérés séparément ou en combinaison avec l’article 14.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
24.  Le requérant soutient que l’interdiction de se livrer à « des activités politiques » énoncée à l’article 40/B § 4 de la Constitution hongroise s’analyse en une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, contraire à l’article 10 de la Convention ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
25.  La Commission parvient à la même conclusion : l’interdiction incriminée étant vague et très large ne peut pas être réputée « prévue par la loi » au sens de l’article 10 § 2.
Le Gouvernement ne conteste pas que le requérant puisse invoquer les garanties figurant à l’article 10 ; et il ne nie pas que l’interdiction constitue une ingérence dans l’exercice par M. Rekvényi des droits que consacre cette disposition. Il fait toutefois valoir que ladite ingérence se justifie au regard de l’article 10 § 2.
A. Sur l’applicabilité de l’article 10 et l’existence d’une ingérence
26.  La Cour tient pour acquis que la poursuite d’activités de nature politique relève de l’article 10, dans la mesure où la liberté du débat politique constitue un aspect particulier de la liberté d’expression. En effet, le libre jeu du débat politique se trouve au cœur même de la notion de société démocratique (arrêt Lingens c. Autriche du 8 juillet 1986, série A n° 103, p. 26, § 42). En outre, les garanties contenues à l’article 10 de la Convention s’appliquent au personnel militaire et aux fonctionnaires (arrêt Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, pp. 41-42, § 100 ; et arrêt Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A n° 323, pp. 22-23, § 43). La Cour ne voit aucune raison de s’écarter pour les policiers de cette conclusion, que d’ailleurs les comparants ne désavouent pas.
Il n’est pas contesté non plus que l’interdiction, en restreignant la participation du requérant à des activités politiques, constitue une ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressé à la liberté d’expression. Pour sa part, la Cour estime aussi qu’il y a eu ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression.
B. Sur la justification de l’ingérence
27.  Pareille ingérence emporte violation de l’article 10, à moins qu’on établisse qu’elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs buts légitimes au regard du paragraphe 2 et était « nécessaire, dans une société démocratique », pour atteindre ce ou ces buts.
1. « Prévue par la loi »
a) Thèses des comparants
i. Le requérant
28.  Le requérant fait valoir que l’interdiction litigieuse est beaucoup trop générale et se prête à une interprétation arbitraire. Une interdiction constitutionnelle générale des activités politiques est contraire à toute législation de rang inférieur autorisant certaines activités de nature politique. La notion d’« activités politiques » n’étant définie par aucune loi hongroise, il est impossible de prévoir si une activité donnée tombe ou non sous le coup de l’interdiction. Cette situation juridique prévaut sans discontinuer depuis le 1er janvier 1994 et n’a été corrigée par aucune législation ultérieure, y compris la loi de 1994 sur la police.
ii. Le Gouvernement
29.  Devant la Commission, le Gouvernement a soutenu que la loi de 1994 sur la police et le règlement de 1995 instituent un cadre légal suffisamment détaillé pour préciser, d’une manière conforme à l’article 10 § 2, les restrictions imposées aux policiers quant à l’exercice d’activités politiques.
30.  Devant la Cour, le Gouvernement invoque l’article 78 de la Constitution hongroise (paragraphe 13 ci-dessus) concernant la contradiction alléguée entre la restriction constitutionnelle et la législation permissive de rang inférieur, en expliquant que les deux ne sont pas antinomiques mais complémentaires. Il soutient que, dans le système juridique hongrois, la pratique veut que certaines dispositions de la Constitution ne puissent être bien interprétées que si elles sont lues conjointement avec la législation de rang inférieur qui en complète et en précise le contenu. Les techniques législatives contemporaines laissent souvent aux textes législatifs de rang inférieur le soin de définir les notions générales utilisées dans les lois de rang supérieur – méthode législative qui n’est pas étrangère au moins aux systèmes juridiques continentaux et que les organes de la Convention n’ont jamais désapprouvée dans son principe. Au demeurant, la Cour constitutionnelle a compétence pour statuer sur toute contradiction qui risquerait de surgir entre la Constitution et une autre législation.
31.  En outre, la législation en vigueur tant avant qu’après l’adoption de la loi de 1994 sur la police et du règlement de 1995 répond à l’exigence de prévisibilité, ces deux derniers textes ayant tout simplement recodifié des dispositions déjà en vigueur. Dès lors, depuis son entrée en vigueur, la restriction litigieuse a toujours été « prévue par la loi ». Avant le 1er octobre 1994, les conditions régissant diverses activités de nature politique, qui ont toujours permis aux policiers d’exercer certains droits relatifs à la liberté d’expression, étaient énoncées, notamment, dans la loi n° 34 de 1989 sur les élections législatives, la loi n° 55 de 1990 sur le statut juridique des parlementaires, la loi n° 64 de 1990 sur l’élection des membres des collectivités locales et des maires et la loi n° 17 de 1989 sur les référendums (droit de recueillir des « bons de désignation », de présenter des programmes électoraux, de soutenir des candidats, d’organiser des réunions électorales, de désigner des candidats, de voter et de se présenter aux élections législatives, à une élection au niveau local ou à l’élection du maire et de participer aux référendums) ; et aussi dans le règlement de 1990 (droit d’adhérer à des syndicats, des associations et autres organisations représentant et protégeant les intérêts de la police, de participer à des réunions pacifiques, de faire des déclarations à la presse, de participer à des émissions de radio ou de télévision ou de publier des ouvrages sur la politique, etc.) (paragraphes 14 à 17 et 19 ci-dessus).
iii. La Commission
32.  Dans son rapport, la Commission, après avoir examiné le droit interne pertinent tel que présenté par le Gouvernement, observe que la loi de 1994 sur la police et son règlement d’application de 1995 ne sont entrés en vigueur qu’en octobre 1994 et mars 1995 respectivement. Elle parvient donc à la conclusion que, dans la période examinée, la restriction contestée ne se fondait que sur l’article 40/B § 4 de la Constitution. De surcroît, elle considère que la notion d’« activités politiques » est vague et très large et que le Gouvernement n’a pas signalé l’existence d’une quelconque jurisprudence interprétant cette expression. La restriction constitutionnelle en elle-même n’était donc pas assez précise pour permettre au requérant de régler sa conduite dans l’affaire. La Commission conclut que, l’exigence de prévisibilité n’ayant pas été satisfaite, l’ingérence n’était pas « prévue par la loi ».
33.  Dans les conclusions présentées à la Cour, la déléguée de la Commission explique que les divers textes mentionnés dans le mémoire du Gouvernement, le règlement de 1990 en particulier, ont été adoptés avant la modification litigieuse de la Constitution. Les seules dispositions juridiques qui pourraient passer pour avoir défini plus avant la restriction constitutionnelle imposée aux policiers pour leurs activités politiques figurent dans la loi de 1994 sur la police et le règlement de 1995. Par conséquent, l’exigence de prévisibilité n’a été satisfaite qu’après l’entrée en vigueur de la loi de 1994 sur la police et de son règlement d’application de 1995.
b) Appréciation de la Cour
34.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’une des exigences provenant de l’expression « prévue par la loi » est la prévisibilité. On ne peut donc considérer comme « une loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé. Elles n’ont pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue : l’expérience révèle une telle certitude hors d’atteinte. En outre la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (arrêts Sunday Times c. Royaume Uni (n° 1) du 26 avril 1979, série A n° 30, p. 31, § 49, et Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260-A, p. 19, § 40). La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1628, § 32). Le niveau de précision de la législation interne – qui ne peut en aucun cas prévoir toutes les hypothèses – dépend dans une large mesure du contenu de l’instrument en question, du domaine qu’il est censé couvrir et du nombre et du statut de ceux à qui il est adressé (arrêt Vogt précité, p. 24, § 48). Vu la nature générale des dispositions constitutionnelles, le niveau de précision requis de ces dispositions peut être inférieur à celui exigé d’une autre législation.
35.  La Cour relève l’argument du Gouvernement selon lequel l’article 40/B § 4 de la Constitution, qui renferme l’expression générique « activités politiques », doit être interprété et lu conjointement avec les dispositions complémentaires figurant dans les diverses lois citées et le règlement de 1990 (paragraphes 14 à 17, 19 et 31 ci-dessus). Comme la jurisprudence de la Cour l’a rappelé à de nombreuses reprises, il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et appliquer le droit interne (voir, par exemple, l’arrêt Chorherr c. Autriche du 25 août 1993, série A n° 266-B, pp. 35-36, § 25). Le requérant n’ayant pas soumis de précédents prouvant le contraire, la Cour est convaincue que les dispositions détaillées invoquées par le Gouvernement ne peuvent être jugées en conflit avec le libellé général de la Constitution. En outre, l’adoption de la modification constitutionnelle en question n’a pas entraîné l’annulation du règlement de 1990, qui était donc en vigueur au moment de la publication des circulaires contestées. En conséquence, il semble qu’il ait existé à l’époque des faits un cadre de dispositions tantôt permettant – parfois sous réserve d’autorisation – et tantôt restreignant la participation des policiers à certains types d’activités politiques.
36.  Quant au libellé de ces dispositions, la Cour estime inévitable qu’une conduite de nature à impliquer participation à des activités politiques ne puisse être définie avec une absolue précision. Il semble dès lors acceptable que le règlement de 1990 (paragraphe 19 ci-dessus) – ainsi que la loi de 1994 sur la police et le règlement de 1995 (paragraphes 18 et 20 ci-dessus) – dicte les conditions à certains comportements et activités susceptibles de revêtir des aspects politiques, comme par exemple participer à des réunions pacifiques, faire des déclarations à la presse, s’exprimer dans des émissions de radio ou de télévision, écrire des articles ou adhérer à des syndicats, associations ou autres organisations représentant ou protégeant les intérêts des policiers.
37.  La Cour reconnaît que, dans les circonstances de l’espèce, ces dispositions étaient assez claires pour permettre au requérant de régler sa conduite en conséquence. En supposant même que des policiers ne fussent pas toujours en mesure de déterminer avec certitude si une action donnée tombait sous le coup de l’article 40/B § 4 de la Constitution dans le cadre du règlement de 1990, il leur était néanmoins possible de demander au préalable conseil à leur supérieur ou de faire préciser la loi au moyen d’une décision de justice.
38.  Cela étant, la Cour estime que l’ingérence était « prévue par la loi » aux fins du paragraphe 2 de l’article 10.
2. But légitime
39.  Le Gouvernement considère que la disposition constitutionnelle en cause visait à dépolitiser la police, et ce, dans une période où la Hongrie passait d’un régime totalitaire à une démocratie pluraliste. Compte tenu de la position que la police occupait par le passé dans le parti politique au pouvoir, la restriction visait à protéger la sécurité nationale et la sûreté publique, ainsi qu’à défendre l’ordre.
40.  Ni le requérant ni la Commission ne se prononcent sur la question.
41.  En l’espèce, l’obligation imposée à certaines catégories de fonctionnaires, notamment aux policiers, de s’abstenir d’activités politiques vise à dépolitiser les services concernés et de ce fait à contribuer à la consolidation et au maintien de la démocratie pluraliste dans le pays. La Cour note que le cas de la Hongrie n’est pas isolé puisque nombre d’Etats contractants restreignent certaines des activités politiques de leur police. Les policiers sont investis de pouvoirs coercitifs visant à régler la conduite des citoyens et sont, dans certains pays, autorisés à porter les armes pour remplir leur mission. Finalement, les policiers sont au service de l’Etat. Les citoyens peuvent légitimement escompter qu’à l’occasion de leurs démarches personnelles auprès de la police, ils seront conseillés par des fonctionnaires politiquement neutres et tout à fait détachés du combat politique, pour paraphraser le langage de l’arrêt rendu récemment dans l’affaire Ahmed et autres c. Royaume-Uni (arrêt du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, pp. 2376-2377, § 53, arrêt qui concernait la compatibilité avec l’article 10 de restrictions à la participation de hauts fonctionnaires locaux à certaines formes d’activités politiques). D’après la Cour, le désir de veiller à ce que le rôle crucial de la police dans la société ne soit pas compromis par l’érosion de la neutralité politique de ses fonctionnaires se concilie avec les principes démocratiques.
Cet objectif revêt une importance historique particulière en Hongrie en raison de l’expérience que ce pays a d’un régime totalitaire qui dépendait dans une large mesure de l’engagement direct de sa police aux côtés du parti au pouvoir (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Vogt précité, p. 25, § 51).
En conséquence, la Cour conclut que la restriction en question poursuivait des buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l’article 10, à savoir la protection de la sécurité nationale, de la sûreté publique et la défense de l’ordre.
3. « Nécessaire dans une société démocratique »
a) Principes généraux
42.  Dans l’arrêt Vogt précité (pp. 25-26, § 52), la Cour résume comme suit les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 10 :
i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante.
ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.
iii. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents.
43.  Dans le même arrêt, la Cour déclare que « ces principes s’appliquent également aux membres de la fonction publique : s’il apparaît légitime pour l’Etat de soumettre ces derniers, en raison de leur statut, à une obligation de réserve, il s’agit néanmoins d’individus qui, à ce titre, bénéficient de la protection de l’article 10 de la Convention. Il revient donc à la Cour, en tenant compte des circonstances de chaque affaire, de rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l’individu à la liberté d’expression et l’intérêt légitime d’un Etat démocratique à veiller à ce que sa fonction publique œuvre aux fins énoncées à l’article 10 § 2. En exerçant ce contrôle, la Cour doit tenir compte du fait que, quand la liberté d’expression des fonctionnaires se trouve en jeu, les « devoirs et responsabilités » visés à l’article 10 § 2 revêtent une importance particulière qui justifie de laisser aux autorités nationales une certaine marge d’appréciation pour juger si l’ingérence dénoncée est proportionnée » à l’objectif légitime en question (p. 26, § 53). Ces considérations s’appliquent également aux militaires (arrêt Engel et autres précité, pp. 23 et 41-42, §§ 54 et 100) et aux policiers (paragraphe 26 ci-dessus).
b) Application des principes susmentionnés au cas d’espèce
44.  Le Gouvernement estime que, pendant les décennies qui ont précédé le retour de la Hongrie à la démocratie en 1989-1990, la police reconnaissait servir le parti au pouvoir et a été active dans l’application des politiques du parti. Les policiers de carrière étaient censés s’engager politiquement dans le parti au pouvoir. Compte tenu de la transformation pacifique et progressive du pays vers un pluralisme qui n’a donné lieu dans l’administration à aucune purge générale, il a fallu dépolitiser, notamment, la police et restreindre les activités politiques de ses membres pour permettre à la société de ne plus considérer ce corps comme un défenseur du régime totalitaire mais comme un gardien des institutions démocratiques.
45.  Ni le requérant ni la Commission ne se prononcent sur la question.
46.  Compte tenu du rôle de la police dans la société, la Cour a reconnu qu’avoir des forces de police politiquement neutres constitue un but légitime pour toute société démocratique (paragraphe 41 ci-dessus). Vu l’histoire particulière de certains Etats contractants, leurs autorités nationales peuvent, pour assurer la consolidation et le maintien de la démocratie, estimer nécessaire de disposer à cette fin de garanties constitutionnelles qui restreignent la liberté pour les policiers d’exercer des activités politiques et, en particulier, de se livrer au débat politique.
Il reste à déterminer si les restrictions particulières imposées en l’espèce peuvent être réputées « nécessaires dans une société démocratique ».
47.  La Cour observe qu’entre 1949 et 1989 la Hongrie était gouvernée par un parti politique unique. L’affiliation à ce parti traduisait, dans de nombreuses sphères sociales, l’engagement individuel pour le régime. Cette attente était encore plus marquée chez les militaires et policiers pour lesquels l’adhésion au parti de la grande majorité d’entre eux était une garantie de l’application directe de la volonté politique du parti au pouvoir. C’est précisément ce défaut que les dispositions sur la neutralité politique de la police visent à prévenir. Ce n’est qu’en 1989 que la société hongroise a réussi à instituer une démocratie pluraliste qui a abouti en 1990 aux   premières élections législatives multipartites en plus de quarante ans. La modification contestée de la Constitution a été adoptée quelques mois avant les deuxièmes élections législatives démocratiques, en 1994.
48.  Compte tenu de la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales en la matière, la Cour estime que, dans ce contexte historique précis, les mesures pertinentes prises en Hongrie pour protéger les forces de police de l’influence directe des partis peuvent passer pour répondre à un « besoin social impérieux » dans une société démocratique.
49.  Quant à l’étendue de la restriction imposée à la liberté d’expression du requérant, bien que le libellé de l’article 40/B § 4 puisse à première vue donner à penser qu’il s’agit d’une interdiction absolue de se livrer à des activités politiques, l’examen des dispositions pertinentes montre que les policiers ont en fait toujours le droit d’exercer des activités leur permettant d’exprimer leurs opinions et préférences politiques. De toute évidence, même si les policiers sont parfois soumis à des restrictions dans l’intérêt du service, ils ont le droit de présenter des programmes électoraux, de faire campagne au nom des candidats, de les désigner, d’organiser des réunions électorales, de voter et de se présenter aux élections législatives, à une élection locale ou à l’élection du maire et de participer aux référendums, d’adhérer à des syndicats, des associations et autres organisations, de participer à des réunions pacifiques, de faire des déclarations à la presse, de collaborer à des émissions de radio ou de télévision ou de publier des ouvrages sur la politique (paragraphes 14 à 20 ci-dessus). Dans ces conditions, l’étendue et l’effet des restrictions incriminées à l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression ne semblent pas excessifs.
50.  Cela étant, la Cour conclut que les moyens employés pour atteindre les buts légitimes visés n’étaient pas disproportionnés. En conséquence, l’ingérence contestée dans l’exercice par le requérant de la liberté d’expression ne constitue pas une violation de l’article 10.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
51.  Le requérant fait valoir que l’interdiction de s’affilier à un parti, énoncée à l’article 40/B § 4 de la Constitution, méconnaît son droit à la liberté d’association, garanti par l’article 11 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et   libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
52.  La Commission et le Gouvernement admettent que les faits reprochés par le requérant appellent l’application de la garantie prévue à l’article 11 et que l’interdiction constituait une ingérence dans l’exercice du droit conféré par cet article à M. Rekvényi. Ils estiment toutefois que l’ingérence se justifiait au regard de la dernière phrase de l’article 11 § 2.
A. Thèses des comparants s’agissant de savoir si l’ingérence se justifie
1. Le requérant
53.  Le requérant fait valoir que si l’article 433 du règlement de 1990, resté en vigueur jusqu’en mars 1995, permettait aux policiers de s’affilier à un parti, l’article 40/B § 4 de la Constitution le leur a expressément interdit à compter du 1er janvier 1994. Cette situation, qui a duré quinze mois, était contradictoire et inconstitutionnelle.
De plus, les buts de l’interdiction dénoncée ne figuraient pas dans la loi hongroise. En fait, l’interdiction pouvait s’analyser uniquement comme servant des intérêts politiques et non comme visant un « but légitime » aux fins de l’article 11 § 2.
54.  En outre, bien que la dernière phrase de l’article 11 § 2 ne mentionne pas expressément l’exigence d’une « nécessité », la restriction litigieuse devait néanmoins être « nécessaire dans une société démocratique » pour se justifier au regard de ce paragraphe, condition qui n’est pas remplie en l’espèce. Le fait que la Hongrie soit devenue récemment une démocratie pluraliste et un Etat membre du Conseil de l’Europe ne devrait induire aucune indulgence lors de l’examen des critères justifiant cette ingérence. Cette dernière ne peut pas non plus passer pour « proportionnée » aux buts poursuivis puisque la restriction équivaut en réalité à une interdiction totale de l’exercice par les policiers de leur droit à la liberté d’association.
2. Le Gouvernement
55.  Le Gouvernement estime qu’en tout état de cause, la dernière phrase de l’article 11 § 2 suffit à justifier la restriction contestée de la liberté d’association, à supposer même que ce ne soit pas le cas pour la première phrase de ce paragraphe. Selon lui, les justifications indiquées dans la dernière et la première phrases sont totalement indépendantes ; sinon, la disposition serait superflue.
56.  Pour ce qui est de la condition énoncée dans la dernière phrase de l’article 11 § 2, à savoir qu’une restriction soit « légitime », le Gouvernement souligne tout d’abord que le litige porte sur une disposition de la Constitution hongroise. En réponse à l’argument du requérant selon lequel, de janvier 1994 à mars 1995, l’article 433 du règlement de 1990 aurait été en contradiction avec la disposition constitutionnelle en cause, il explique que c’est à la Cour constitutionnelle de résoudre de telles ambiguïtés du droit.
Selon lui, le souhait de dépolitiser la police ne peut être considéré comme « illégitime » au sens d’arbitraire. A cet égard, il réitère principalement les arguments qu’il a développés concernant l’article 10 (paragraphes 39 et 44 ci-dessus) et soutient en particulier que l’interdiction d’adhérer à un parti imposée aux policiers vise à éliminer toute influence directe d’un parti politique sur la police en coupant les liens institutionnels qui ont existé par le passé entre les forces armées et la police, d’une part, et les milieux politiques, de l’autre. De plus, la restriction en question ne peut être considérée comme disproportionnée aux buts légitimes visés puisque le droit à la liberté d’association des policiers a été restreint exclusivement pour les partis politiques au sens de la loi n° 33 de 1989 sur les partis politiques.
3. La Commission
57.  La Commission estime que l’interdiction en question doit être examinée au regard de la dernière phrase de l’article 11 § 2. Pour être « légitime » aux fins de cette phrase, une restriction doit être conforme au droit interne et dépourvue d’arbitraire. Prescrite par la Constitution, la restriction doit être considérée comme remplissant la première condition. Quant au caractère arbitraire, la Commission rappelle que les Etats doivent disposer d’une marge d’appréciation d’une grande ampleur lorsqu’ils protègent leur sécurité nationale (arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 25, § 59 in fine). Dans le contexte de l’histoire récente de la Hongrie et des répercussions de l’engagement politique d’une police qui a été exploitée pendant des décennies par un régime totalitaire, la Commission considère que les efforts visant à dépolitiser la police ne sauraient passer pour arbitraires. L’interdiction est donc également « légitime » au sens large que revêt ce terme dans la deuxième phrase de l’article 11 § 2.
B. Appréciation de la Cour
58.  Malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, l’article 11 doit en l’occurrence s’envisager à la lumière de l’article 10. Comme la Cour l’a expliqué dans des arrêts précédents, « la protection des opinions personnelles, visée à l’article 10, constitue l’un des objectifs de la liberté de réunion et d’association consacrée à l’article 11 » (arrêt Vogt précité, p. 30, § 64).
59.  La dernière phrase de l’article 11 § 2 – qui s’applique sans conteste en l’espèce – habilite les Etats à imposer des « restrictions légitimes » à l’exercice du droit à la liberté d’association des policiers.
A l’instar de la Commission, la Cour estime que le terme « légitime » figurant dans cette phrase fait référence exactement à la même notion de légitimité que celle à laquelle la Convention renvoie ailleurs, dans des termes identiques ou similaires, notamment l’expression « prévues par la loi » qui figure dans le second paragraphe des articles 9 à 11. Comme il a été rappelé au sujet de l’article 10, la notion de légitimité utilisée dans la Convention, outre la conformité avec le droit interne, implique également des exigences qualitatives en droit interne telles que la prévisibilité et, de manière générale, l’absence d’arbitraire (paragraphe 34 ci-dessus).
60.  Dans la mesure où le requérant critique la base en droit interne de la restriction contestée (paragraphe 53 ci-dessus), la Cour rappelle qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer le droit interne, en particulier quand il faut élucider les points douteux (arrêt S.W. c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A n° 335-B, p. 42, § 36, et aussi les arrêts Chorherr et Cantoni précités). En l’espèce, toutefois, l’interdiction faite aux policiers d’être membres d’un parti politique, telle que l’énonce l’article 40/B § 4 de la Constitution, est dépourvue d’ambiguïté (paragraphe 13 ci-dessus), et l’on ne saurait, semble-t-il, faire valoir qu’une législation secondaire introduite quelque quatre ans plus tôt (article 433 du décret n° 1/1990 du 10 janvier 1990, paragraphe 19 ci-dessus) puisse venir en modifier la portée. Dès lors, la Cour conclut que la situation juridique était suffisamment claire pour permettre au requérant de régler sa conduite et que, par conséquent, la condition de prévisibilité était remplie. En outre, la Cour ne voit aucune raison de juger que la restriction imposée à l’exercice par le requérant de sa liberté d’association ait été arbitraire. La restriction contestée était donc « légitime » au sens de l’article 11 § 2.
61.  Enfin, il n’y a pas lieu en l’espèce de trancher la question de savoir dans quelle mesure l’ingérence litigieuse, en vertu de la deuxième phrase de l’article 11 § 2, n’est pas soumise à des exigences autres que celle de légitimité énoncée dans la première phrase. Pour les motifs déjà invoqués au sujet de l’article 10 (paragraphes 41 et 46-48 ci-dessus), la Cour estime qu’en tout état de cause l’ingérence dans la liberté d’association du requérant répondait à ces exigences (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Vogt précité, p. 31, § 68).
62.  En somme, l’ingérence peut être considérée comme justifiée au regard de l’article 11 § 2. Par conséquent, il n’y a pas non plus violation de l’article 11.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION, COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 10 OU 11
63.  Le requérant allègue en outre que l’interdiction dénoncée de se livrer à des activités politiques et de s’affilier à un parti est discriminatoire. Il invoque l’article 14 de la Convention, qui dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
64.  Dans son mémoire, M. Rekvényi n’examine pas la question au regard de l’article 14 combiné avec l’article 10.
Pour ce qui est de l’article 14 combiné avec l’article 11, il fait valoir que l’interdiction d’adhérer à un parti n’a pas de justification objective et raisonnable, tant pour les policiers que pour d’autres groupes de fonctionnaires. La question de l’affiliation à un parti n’a en fait qu’un rapport très limité avec les obligations et responsabilités particulières des militaires et des policiers. Toute différence de traitement quant à la possibilité d’adhérer à un parti ne devrait pas se fonder sur une interdiction revêtant un caractère beaucoup trop général.
65.  Le Gouvernement affirme que les restrictions en cause ont été imposées non seulement aux policiers mais aussi aux militaires, aux juges, aux magistrats de la Cour constitutionnelle et aux procureurs. Il soutient que toute distinction faite entre les policiers et d’autres groupes de citoyens quant à l’exercice de la liberté d’expression – et, mutatis mutandis, de la liberté d’association – pourrait se justifier par les différences entre les conditions de la vie militaire et celles de la vie civile et, plus précisément, par les devoirs et responsabilités propres aux membres des forces armées et de la police. Il mentionne à cet égard l’arrêt Engel et autres (arrêt précité, p. 42, § 103).
66.  La Commission n’a pas jugé nécessaire d’examiner le grief du requérant tiré de l’article 14 combiné avec l’article 10.
Quant à l’article 14 combiné avec l’article 11, elle relève avoir déjà pris en considération la situation spécifique du requérant lorsqu’elle a examiné la justification de l’interdiction en cause au regard de l’article 11 § 2. Elle estime que ces considérations valent également dans le contexte de l’article 14 et conclut qu’il n’y a pas apparence de discrimination contraire à cette disposition combinée avec l’article 11.
67.  Les conclusions de la Cour selon lesquelles les restrictions contestées n’emportent pas violation des articles 10 et 11 (paragraphes 50 et 62 ci-dessus) n’excluent pas un constat de violation de l’article 14 de la Convention. Si la garantie énoncée par cet article n’a pas, il est vrai, d’existence indépendante en ce sens qu’elle vise uniquement, aux termes de cette disposition, les « droits et libertés reconnus dans la (…) Convention », une mesure conforme en elle-même aux exigences de l’article consacrant le droit ou la liberté en question peut cependant enfreindre cet article combiné avec l’article 14, pour le motif qu’elle revêt un caractère discriminatoire (affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (fond), arrêt du 23 juillet 1968, série A n° 6, pp. 33-34, § 9).
68.  Les considérations à l’appui des conclusions de la Cour selon lesquelles les ingérences dans les libertés d’expression et d’association du requérant se justifiaient au regard des articles 10 § 2 et 11 § 2, ont déjà pris en compte la situation spéciale du requérant en tant que policier (paragraphes 41, 46 à 49 et 61 ci-dessus). Elles valent également dans le contexte de l’article 14 et, même si l’on admet que la situation des policiers est comparable à celle de citoyens ordinaires, justifient la différence de traitement reprochée. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 14 combiné avec les articles 10 ou 11.
Par ces motifs, la Cour
1. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention ;
2. Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 10 ou 11.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 20 mai 1999.
Luzius Wildhaber     Président
Paul Mahoney  Greffier adjoint
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de M. Fischbach.
L.W.     P.J.M. 
Opinion partiellement dissidente de M. LE JUGE FISCHBACH
Tout en me ralliant aux arguments de la majorité quant à la non-violation de l’article 10, je regrette de ne pas pouvoir suivre la majorité quant à l’absence de violation de l’article 11 de la Convention.
A la lecture des travaux préparatoires de l’article 11 de la Convention (voir paragraphe IX aux pages 18 et 19), j’estime qu’au-delà du critère de légitimité consacré par la deuxième phrase de l’article 11 § 2, les restrictions imposées à la liberté d’association doivent résister également au critère de la nécessité dans une société démocratique.
Or je ne vois aucun argument convaincant qui dans une société pluraliste et démocratique pourrait justifier l’interdiction d’adhérer à un parti politique.
J’estime au contraire que les mauvaises expériences du régime communiste devraient inciter les responsables politiques à changer de pédagogie afin de consolider le processus démocratique et de préparer l’avenir dans un esprit d’ouverture et de tolérance.
La police n’étant plus au service du parti communiste mais au service de la démocratie, il est impérieux d’accompagner le changement par une approche favorisant la prise de conscience du pluralisme démocratique à travers les différents courants politiques qui alimentent le débat d’idées.
Interdire aux policiers d’adhérer à un parti politique revient à les priver d’un droit sinon du devoir démocratique de tout citoyen qui est celui d’avoir des opinions et des convictions politiques, de s’intéresser de près aux affaires de la vie publique, de participer à la formation de la volonté du peuple et de l’Etat.
Certes le droit d’afficher ses convictions personnelles de par son appartenance à un parti ne saurait se confondre ni avec la liberté d’exprimer en toutes circonstances et en tout lieu ses opinions et convictions politiques ni surtout avec la liberté de commenter en public l’action des responsables politiques. Voilà des libertés qui en tout état de cause devront se concilier avec l’obligation de réserve que les devoirs de neutralité et de loyauté à l’égard du pouvoir exécutif imposent à tout fonctionnaire et a fortiori à tout membre de la police.
C’est la raison pour laquelle je partage les conclusions de la majorité quant à la non-violation de l’article 10.
Cependant l’interdiction absolue d’adhérer à un parti politique – et donc le refus du législateur de voir un policier participer à la vie intérieure d’un parti – me semble disproportionnée et d’autant plus injustifiée que le même législateur reconnaît à tout membre de la police le droit de se présenter à   une élection au niveau national, local ou à l’élection du maire, sous réserve de prévenir de son intention le directeur de la police et d’être suspendu de son service du soixantième jour précédant le jour de l’élection jusqu’à la publication des résultats.
Or je doute fort de l’effectivité d’un tel droit à l’électorat passif alors que l’exercice de ce droit est intimement lié à la liberté de se familiariser avec les idées, le fonctionnement et les rouages d’un parti et donc au temps nécessaire et suffisant pour prendre goût à la politique et pour se décider à entamer une carrière politique.
Notes du greffe
1-2.  Entré en vigueur le 1er novembre 1998.
3.  Depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, qui a amendé cette disposition, la Cour fonctionne de manière permanente.
Notes du greffe
3.  Entré en vigueur le 1er octobre 1994, le Protocole n° 9 a été abrogé par le Protocole n° 11.
2.  Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s’est appliqué jusqu’au 31 octobre 1998 à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.
5.  Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique, il n’y figurera que dans l’édition imprimée (le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT REKVÉNYI c. HONGRIE
ARRÊT REKVÉNYI c. HONGRIE – OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE M. LE JUGE FISCHBACH
ARRÊT REKVÉNYI c. HONGRIE


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 25390/94
Date de la décision : 20/05/1999
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'Art. 10 ; Non-violation de l'Art. 11 ; Non-violation de l'Art. 14+10 ; Non-violation de l'Art. 14+11

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 10-2) DEVOIRS ET RESPONSABILITES, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 10-2) PREVISIBILITE, (Art. 10-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 10-2) SECURITE NATIONALE, (Art. 10-2) SURETE PUBLIQUE, (Art. 11) LIBERTE DE REUNION ET D'ASSOCIATION, (Art. 11-2) INGERENCE, (Art. 11-2) MEMBRES DE LA POLICE, (Art. 11-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 11-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 14) DISCRIMINATION, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : REKVÉNYI
Défendeurs : HONGRIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-05-20;25390.94 ?
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