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08/07/1999 | CEDH | N°23927/94;24277/94

CEDH | AFFAIRE SÜREK ET ÖZDEMIR c. TURQUIE


AFFAIRE SÜREK et ÖZDEMIR c. TURQUIE
(Requêtes nos 23927/94 et 24277/94)
ARRÊT
STRASBOURG
8 juillet 1999
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour.
En l’affaire Sürek et Özdemir c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée

par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre c...

AFFAIRE SÜREK et ÖZDEMIR c. TURQUIE
(Requêtes nos 23927/94 et 24277/94)
ARRÊT
STRASBOURG
8 juillet 1999
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour.
En l’affaire Sürek et Özdemir c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
M. L. Wildhaber, président,   Mme E. Palm,   MM. A. Pastor Ridruejo,    G. Bonello,    J. Makarczyk,    P. Kūris,    J.-P. Costa,   Mmes F. Tulkens,    V. Strážnická,   MM. M. Fischbach,    V. Butkevych,    J. Casadevall,   Mme H.S. Greve,   MM. A. B. Baka,    R. Maruste,    K. Traja,    F. Gölcüklü, juge ad hoc,
ainsi que de M. P.J. Mahoney et Mme M. De Boer-Buquicchio, greffiers adjoints,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 3 mars et 16 juin 1999,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour, telle qu’établie en vertu de l’ancien article 19 de la Convention3, par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 27 avril 1998, dans le délai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouvent deux requêtes (nos 23927/94 et 24277/94) dirigées contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Kamil  Tekin Sürek et M. Yücel Özdemir, avaient saisi la Commission les 25 février et 4 mai 1994 respectivement en vertu de l’ancien article 25.
La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 de la Convention ainsi qu’à la déclaration turque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 6 § 1 et 10 et 18 de la Convention.
2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) de l’ancien règlement A2 de la Cour, les requérants ont exprimé le souhait de participer à l’instance et désigné leur conseil (article 30 du règlement A). Par la suite, M. R. Bernhardt, président de la Cour à l’époque, a autorisé celui-ci à employer la langue turque dans la procédure écrite (article 27 § 3 du règlement A). Ultérieurement, M. L. Wildhaber, président de la nouvelle Cour, a autorisé le conseil des requérants à employer la langue turque dans la procédure orale (article 36 § 5 du règlement).
3.  En sa qualité de président de la chambre qui avait été initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement A) pour connaître en particulier des questions de procédure pouvant se poser avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. Bernhardt a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement turc (« le Gouvernement »), le conseil des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure écrite. Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et des requérants les 16 septembre et 13 octobre 1998 respectivement. Le 29 septembre 1998, le Gouvernement a soumis au greffe des informations supplémentaires à l'appui de son mémoire et, le 14 octobre 1998, les requérants ont fourni des précisions au sujet de leur demande de satisfaction équitable. Le 26 février 1999, le premier requérant, M. Sürek, a communiqué de nouvelles précisions à ce sujet. Le 1er mars 1999, le Gouvernement a transmis ses observations sur les prétentions des deux requérants.
4.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément aux clauses de l’article 5 § 5 dudit Protocole, l’examen de l’affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Le 22 octobre 1998, M. Wildhaber avait décidé que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convenait de constituer une unique Grande Chambre pour connaître de la présente cause et de douze autres affaires contre la Turquie, à savoir : Karataş c. Turquie (requête n° 23168/94), Arslan c. Turquie (requête n° 23462/94), Polat c. Turquie (n° 23500/94), Ceylan c. Turquie (n° 23556/94), Okçuoğlu c. Turquie (n° 24146/94), Gerger c. Turquie (n° 24919/94), Erdoğdu et İnce c. Turquie (nos 25067/94 et 25068/94), Sürek c. Turquie n° 1 (n° 26682/95), Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie (nos 23536/94 et 24408/94), Sürek c. Turquie n° 2 (n° 24122/94), Sürek c. Turquie n° 3 (n° 24735/94) et Sürek c. Turquie n° 4 (n° 24762/94).
5.  La Grande Chambre constituée à cette fin comprenait de plein droit M. R. Türmen, juge élu au titre de la Turquie (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, vice-présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5  a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. A. Pastor Ridruejo, M. G. Bonello, M. J. Makarczyk, M. P. Kūris, Mme F. Tulkens, Mme V. Strážnická, M. V. Butkevych, M. J. Casadevall, Mme H.S. Greve, M. A. B. Baka, M. R. Maruste et Mme S. Botoucharova (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement).
Le 19 novembre 1998, M. Wildhaber a dispensé de siéger M. Türmen, qui s’était déporté, eu égard à une décision de la Grande Chambre prise dans l’affaire Oğur c. Turquie conformément à l’article 28 § 4 du règlement. Le 16 décembre 1998, le Gouvernement a notifié au greffe la désignation de M.  F. Gölcüklü en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 du règlement).
Par la suite, M. K. Traja a remplacé Mme Botoucharova, empêchée (article 24 § 5 b) du règlement).
6.  A l’invitation de la Cour (article 99 du règlement), la Commission a désigné l’un de ses membres, M. D. Šváby, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre en qualité de délégué. Elle a ensuite informé le greffe qu'elle ne serait pas représentée à l'audience. Le 16 février 1999, le délégué a soumis son mémoire au greffe.
7.  Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats, également consacrés à l'affaire Sürek c. Turquie n°2, se sont déroulés en public le 3 mars 1999 au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement  M. D. Tezcan, agent,  Mme D. Akçay, coagent,  M. B. Çalışkan,  Mme G. Akyüz,  Mme A. Günyaktı,  M. F. Polat,  Mme A. Emüler,
 Mme I. Batmaz Keremoğlu,  M. B. Yıldız,  M. Y. Özbek, conseillers ;
– pour les requérants  M. S. Mutlu, avocat au barreau d'Istanbul, conseil. 
La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Mutlu et Tezcan.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Les requérants
8.  A l'époque des faits, M. Kamil Tekin Sürek, premier requérant, était l'actionnaire majoritaire de la société turque Deniz Basın Yayın Sanayi ve Ticaret Organizasyon, qui possède la revue hebdomadaire Haberde Yorumda Gerçek (Nouvelles et commentaires : la vérité), publiée à Istanbul. M. Yücel Özdemir, second requérant, était le rédacteur en chef de la revue.
B. Les publications incriminées
9.  Dans les numéros du 31 mai et du 7 juin 1992 de la revue fut publié un entretien en deux volets avec un dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan (« PKK »), organisation illégale. Le premier numéro publiait en outre une déclaration commune de quatre organisations socialistes.
10.  Les passages pertinents de ces publications se traduisent ainsi :
1. Entretien avec M. C.B., chef en second du PKK (1ère partie)
« Question : Qu'entendez-vous par [les élections présentent des] dangers ?
Réponse : Les Etats-Unis disent : « Les Kurdes sont opprimés. Saddam les massacre. Nous protégeons les Kurdes contre Saddam. Nous veillons à leur survie. » Mais il est évident que c'est une arnaque. S'ils protégeaient vraiment les Kurdes contre les massacres, comme ils le disent, il faudrait aussi qu'ils les protègent contre l'Etat turc, parce que les massacres perpétrés par l'Etat turc sur les Kurdes vivant dans le Nord sont tout aussi horribles que ceux de Saddam. En fait, certaines pratiques sont bien pires que celles de Saddam. Donc, les Etats-Unis devraient prendre les mêmes mesures envers la Turquie. Tout le monde voit clairement qu'il y a deux poids et deux mesures. Les Américains mènent des actions contre Saddam, mais ils soutiennent les massacres perpétrés par la Turquie contre le peuple kurde au Nord et au Sud. On a beaucoup de signes de cela, et notre peuple s'en rend compte. Ils veulent utiliser les Kurdes pour parvenir à leurs propres fins. Leur but aux élections est tout à la fois de contenir les évolutions positives dans le Sud grâce aux organisations qu'ils soutiennent et de bloquer la lutte pour l'indépendance et la liberté qui prend corps dans tout le Kurdistan. Ils veulent que tous les mouvements kurdes tombent sous le contrôle des deux organisations qu'ils [les Américains] contrôlent déjà. Voilà pourquoi ils représentent tous un danger pour le peuple kurde.
Q : Des lois seront promulguées une fois qu'un parlement aura été établi dans le Sud du Kurdistan. Des traités seront signés avec les voisins, à savoir la Turquie et l'Irak, d'une part, et avec les Etats-Unis, d'autre part. La Turquie ne peut exiger qu'une seule chose de ces pays : l'exclusion du PKK. Si des partis kurdes participent dans des conditions pareilles, quelle sera l'attitude du PKK ?
R : Il est bien connu que la Turquie et/ou l'impérialisme veulent priver notre peuple de son identité nationale et le détourner de son combat. Mais nous voulons devenir une nation et avoir une patrie. Voilà pourquoi nous nous battons. Ils veulent nous arracher à notre terre et nous en chasser. Ils veulent nous faire disparaître ou nous assimiler de force. Mais nous nous battons pour vivre libres sur notre territoire. Si les Etats-Unis ou la Turquie ou toute autre puissance qui prétend agir au nom de l'identité kurde cherche à nous expulser de quelque partie de notre pays que ce soit, nous combattrons pour rester où nous sommes. C'est pour cela que nous nous battons en ce moment. L'Etat turc veut nous chasser de notre territoire. Il expulse les gens de leurs villages. Il veut que le Kurdistan devienne un désert inhabité. Mais nous résistons. Personne ne peut nous demander ou nous ordonner de partir. Nous ne sommes pas sur le territoire d'un autre peuple : nous sommes sur le nôtre. Personne ne peut nous dire de quitter nos terres. Nous ne faisons pas de différence entre le Nord et le Sud : nous sommes au Kurdistan, chez nous. S'ils veulent que nous quittions nos terres, qu'ils sachent que nous n'accepterons jamais de le faire. Les Kurdes ont tout perdu et se battent pour reconquérir ce qu'ils ont perdu. Tel est le but de notre action. Nous n'avons plus rien à perdre. Nous ne reculons devant personne et personne ne nous fait peur. La seule chose que nous pouvons perdre, ce sont les chaînes qui nous tiennent en esclavage. Voilà pourquoi nous ne connaissons pas la peur. (…)
Q : On dit que la diffusion d'émissions en langue kurde à la télévision nationale turque serait interprétée comme une concession au PKK. Est-ce vrai ? On entend aussi dire que le PKK va créer une chaîne de télévision. Qu'en est-il ?
R: Non, le PKK ne va pas diffuser d'émissions à la télévision. Nous n'avons pas les installations nécessaires. La télédiffusion par satellite ou par d'autres moyens ne relève pas de l'action du PKK. C'est Turgut Özal qui a soulevé la question d'une télévision kurde en Turquie lorsqu'il est allé aux Etats-Unis. C'est de cela qu'on parle. Une très petite partie des gens dit qu'Özal a raison, mais la plupart sont contre. Ceux qui ont lancé l'idée d'une télévision kurde le font délibérément, probablement dans le but d'influencer les masses et de faire basculer leur opinion afin d'isoler le PKK. Voilà l'objectif. Mais même s'il devait y avoir une chaîne kurde, cela ne leur servirait à rien. C'est pourquoi ils sont contre. Ceux qui sont pour la création d'une chaîne kurde veulent isoler le PKK, puisqu'on n’entend jamais d'argument comme : « Voilà un peuple qui a sa propre langue ; nous devons diffuser des émissions dans cette langue. Il faut respecter ce peuple. Il est mauvais d'interdire une langue, cela fait aussi du mal au peuple turc. » On en est loin. Le débat a mis au jour les véritables intentions : « Comment pouvons-nous supprimer l'influence du PKK ? Comment isoler le PKK ? Comment berner le peuple kurde ? » C'est une méthode tactique. C'est une ruse. Mais quoi qu'ils fassent, ce sera toujours à l'avantage du PKK. L'Etat turc a désormais perdu le Kurdistan. C'est un fait. Toute initiative de l'Etat au Kurdistan après cela tournera à l'avantage du PKK et se retournera contre l'Etat turc. (…) La presse turque n'a pas de principes. Nous estimons qu'il n'y a plus aucune raison de communiquer avec cette presse dépourvue d'éthique. Nous ne nous satisferons pas de l'absence de contact avec la presse mais nous efforcerons de l'empêcher de mettre le pied au Kurdistan.
Q : L'attentat d'Uludere a été mené en suivant une autre tactique. Auparavant, les attentats avaient toujours lieu de nuit. Mais cet attentat-là s'est produit de jour et les affrontements ont duré toute la journée. On a dit que c'est plus dangereux pour les guérilleros. Pourquoi ?
R : Ce qu'on dit est vrai. Notre combat a atteint un certain niveau. Il faut trouver des tactiques appropriées à ce niveau car c'est une erreur de faire la guerre avec des tactiques mal adaptées. On peut progresser dans la guerre si on utilise des tactiques correspondant au niveau que le combat a maintenant atteint. Voilà pourquoi nous avons organisé ce genre d'action. Nous voulions attaquer le matin et tenir nos positions en poursuivant les combats dans la journée, ce qui nous a au bout du compte conduits au succès. C'était une expérience. De notre point de vue, il y a des enseignements à en tirer. Nous étudions la question. Nous en tirerons profit dans les actions que nous mènerons à l'avenir. »
2. Entretien avec M. C.B., chef en second du PKK (2ème partie)
« Q : Que pensez-vous des meurtres commis par des inconnus au Kurdistan et des actions attribuées aux contre-révolutionnaires du Hezbollah ?
R : Il est vrai qu'il existe une organisation du nom de Hezbollah, mais elle n'a aucune force. Ce n'est pas elle qui exécute les massacres, contrairement à ce que l'on dit. En raison de la faiblesse de cette organisation, la République de Turquie a capturé ses membres dans beaucoup d'endroits. De nombreux massacres sont perpétrés au nom de cette organisation, mais c'est en fait l'Etat turc lui-même qui assassine. Notre message aux membres du Hezbollah est le suivant : « Si vous êtes de vrais musulmans, [vous devez savoir que] la foi islamique condamne la répression et l'injustice et prône la justice. » On sait bien que l'Etat turc est répressif et se livre à des massacres et à des actes inhumains. Il [le Hezbollah] doit respecter les personnes qui luttent contre ces actes. S'il veut faire la guerre, il doit unir ses forces aux leurs. Voilà ce que nous lui demandons. Nous lui conseillons, à titre amical, de rejeter les contre-révolutionnaires qui s'infiltrent dans ses rangs. Sinon, il aura des ennuis. Jusqu'à présent, nous n'avons pas réagi plus sérieusement ; nous nous sommes contentés de lui donner un avertissement. Nous disons que ce phénomène a servi l'Etat turc et nous avons reçu une réponse favorable de certains milieux. Ils ont dit que les membres du Hezbollah ou les Musulmans n'ont pas en fait participé à ce type d'actes et que ces actes n'ont pas été commis par des membres du Hezbollah. Cela nous est favorable. Mais il [l'Etat] continue à perpétrer des massacres à certains endroits au nom du Hezbollah. (…)
Q : De quelle manière allez-vous mener le combat maintenant ?
R : Les conditions climatiques jouent un rôle important dans une guerre, même si elles n'ont pas un effet décisif. L'hiver 1991-1992 a été très rude, ce qui a gêné nos déplacements et notre potentiel de combat et provoqué plusieurs difficultés, tant de notre côté que pour l'Etat turc. Mais il avait la technologie pour lui, qu'il a exploitée au maximum. Sans résultat, cependant. Il voulait nous porter un coup fatal l'hiver dernier. Il pensait nous avoir vaincus et chassés au printemps. Mais il n'y est pas parvenu. La rigueur de l'hiver a réduit nos capacités de déplacement et nous n'avons pu prendre des mesures que tard dans la saison par rapport aux années précédentes. Toutefois, le temps devient plus clément. Il y a encore de la neige par endroits, mais ce ne sera bientôt plus un obstacle. 1992 est une année différente des autres, mais nous ne disons jamais : « Etendons la lutte armée, améliorons-la ». Si nous continuons à faire la guerre, c'est parce que nous y sommes obligés, parce qu'il n'y a pas moyen de parvenir à une vie différente et d'évoluer. Toutes les issues sont bouchées. Nous faisons la guerre parce que y sommes contraints. L'extension de la guerre sera fonction de l'attitude de l'Etat turc. L'Etat intensifie la guerre. Nous devons donc atteindre le même niveau. Il y aura une escalade. Avant le PKK, la guerre au Kurdistan était unilatérale. Au cours des dernières années, elle est devenue bilatérale. Auparavant, l'Etat turc parvenait à toutes ses fins par la guerre qu'il menait et, en conséquence, le peuple kurde était en train d'être rayé de la carte. Mais le peuple kurde a commencé à dire « Assez ! ». Il a commencé à résister pour ne pas disparaître totalement. C'est l'Etat qui a commencé la guerre ; la fin de la guerre dépend aussi de l'Etat turc. Ce n'est pas nous qui avons commencé la guerre. Nous avons mené une guerre de défense contre la guerre d'extermination qui était menée contre nous. Cette guerre se poursuivra tant que l'Etat turc refusera de reconnaître la volonté du peuple kurde : il n'y aura pas une seule reculade. La guerre continuera tant qu'il y aura un être vivant chez nous.
L'autorité de l'Etat colonialiste a complètement disparu par endroits (…) En tant que gouvernement de guerre, nous voulons que la volonté du peuple, qui se fait de plus en plus connaître, puisse s'exprimer officiellement. Nous nous rapprocherons de cet objectif étape par étape. Nous y parviendrons en détruisant ou en affaiblissant la souveraineté de l'Etat de différentes manières et sous différentes formes, en mettant en place un régime populaire dans certains endroits et en encourageant un régime dualiste dans d'autres. Voilà ce que nous appelons le pouvoir du peuple, le gouvernement de guerre (…)
Le PKK rencontre toutes sortes de problèmes et les résout. Personne ne pose de questions à l'Etat turc. Personne ne lui parle. Tout le monde s'adresse au comité de l'ERNK ou au responsable local de l'ERNK. L'ERNK est jugé compétent. Pour le moment, nous sommes en train d'élire les représentants du peuple. »
3. Appel à « unir les forces » – déclaration commune aux TDKP, TKEP, TKKKÖ et TKP-ML Hareketi
« Les comités centraux du parti communiste révolutionnaire de Turquie (TDKP), du parti communiste des travailleurs de Turquie (TKEP), de l'organisation turque pour la libération du Nord-Kurdistan (TKKKÖ) et du parti communiste/mouvement marxiste-léniniste de Turquie (TKP/ML Hareketi) appellent tous les révolutionnaires et démocrates à unir leurs forces.
« Unissons-nous contre le terrorisme d'Etat, contre la répression et l'oppression touchant le peuple kurde, contre les massacres, les meurtres dans la rue, les licenciements et le chômage. Unissons nos forces pour qu'adviennent la liberté, la démocratie et le socialisme ! » Tel est le début de l'appel indiquant que le seul moyen d'action des classes dominantes est le recours à la force et à la violence et décrivant les initiatives de « démocratisation » du gouvernement DYP et SHP comme une simple manœuvre visant à camoufler leurs attaques.
L'appel contient ensuite les points de vue suivants :
« Travailleurs et jeunes gens de la nation kurde et turque !
Nous avons les moyens de repousser les attaques dirigées contre nous par l'impérialisme et les classes dirigeantes collaboratrices et d'obtenir les droits et libertés économiques et politiques qui nous reviennent. Pour cela, nous devons rassembler nos forces autour de nos exigences communes et nous unir dans le combat. Consciente de son rôle révolutionnaire historique, la classe ouvrière doit agir, diriger cette action, dénoncer l'incurie des chefs syndicaux de tous bords et abattre les barrières qu'ils ont érigées pour contrôler notre mouvement ; nous devons agir et nous battre.
- L'armée turque doit quitter le Kurdistan. Il faut mettre fin au système juridique à deux vitesses ; tous les prisonniers kurdes doivent être libérés.
- Le parlement turc doit cesser d'avoir autorité sur le Kurdistan. Le peuple kurde doit être libre de choisir sa destinée, y compris la création d'un Etat indépendant.
- Le terrorisme d'Etat et les exécutions dans la rue, dont sont responsables les agents du MIT [service de renseignements de l'Etat], les contre-guérilleros et les bataillons spéciaux doivent prendre fin immédiatement ; les auteurs des massacres et des meurtres doivent rendre des comptes.
- Il faut arrêter de verser le service de la dette aux impérialistes ; les ressources dégagées doivent être utilisées au service du prolétariat.
- Les licenciements doivent cesser et les travailleurs renvoyés doivent retrouver leur travail. Tous les obstacles dressés sur le chemin des organisations syndicales doivent être supprimés et il faut garantir sans restriction la liberté syndicale.
- Il faut prendre des mesures pour empêcher que les entreprises économiques de l'Etat, qui sont les ressources du pays et du peuple, ne soient vendues aux impérialistes pour une bouchée de pain. Il faut arrêter immédiatement de sous-traiter le travail, car il s'agit d'un moyen de contourner la protection des syndicats.
- Il faut lever les interdictions de faire grève et interdire le lockout. Il faut reconnaître le droit de faire des grèves générales, des grèves politiques, des grèves pour obtenir des droits et des grèves de soutien. Toutes les restrictions pesant sur la liberté de réunion, de manifestation, d'opinion et de la presse doivent être levées.
- Il faut supprimer la loi n° 657 sur les fonctionnaires et tous les travailleurs doivent avoir le droit de s'affilier à un syndicat, ainsi que celui de faire grève et de conclure des conventions collectives.
- Tous les travailleurs doivent être couverts par une assurance ; ils doivent tous bénéficier d'un assurance contre le chômage et de soins de santé gratuits.
- Il faut mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe qui règne dans l'entreprise et la société et aux pressions dont sont l'objet les femmes qui travaillent.
- Le YÖK [Conseil supérieur de l'Education] doit être aboli et les étudiants doivent avoir leur mot à dire et participer à la prise de décision au sein de l'administration de l'université. Tous les obstacles entravant les organisations de jeunesse doivent être supprimés et l'éducation et la formation doivent être gratuites à tous les niveaux.
- Les conseils d'éducation doivent jouir d'une autonomie totale ; les manuels doivent répondre aux exigences contemporaines et être réécrits avec un contenu démocratique.
- Il faut annuler toutes les dettes des paysans envers l'Etat ; la population rurale doit pouvoir fixer les prix minimum de ses produits. »
C. Les mesures prises par les autorités
1. La saisie de la revue
11.  Le 1er juin 1992, la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul (Istanbul Devlet Güvenlik Mahkemesi) ordonna la saisie de tous les exemplaires du numéro du 31 mai 1992 de la revue au motif qu'il contenait une déclaration émanant d'organisations terroristes et diffusait de la propagande séparatiste.
2. Les chefs d'accusation
12.  Par un acte du 16 juin 1992, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul inculpa les requérants de propagande contre l'indivisibilité de l'Etat en raison de la publication d'un entretien avec un dirigeant du PKK et d'une déclaration de quatre organisations terroristes, au titre des articles 6 et 8 de la loi de 1991 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi de 1991 » – paragraphe 23 ci-dessous).
13.  Par un autre acte du 30 juin 1992, les requérants furent accusés en outre de propagande contre l'indivisibilité de l'Etat, en vertu de l'article 8 de la loi de 1991, du fait de la publication du second volet de l'entretien dans le numéro du 7 juin 1992.
14.  Les procédures pénales furent jointes le 4 février 1993 au motif que les articles incriminés contenaient en fait un même entretien publié en deux volets.
3. La procédure devant la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul
15.  Les requérants réfutèrent les accusations lors de la procédure devant la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul. Ils arguèrent que l'entretien avait été publié pour informer le public et ce, dans les limites du métier de journaliste et de la liberté de la presse. S'agissant de la liberté d'expression, le premier requérant cita la Convention et la jurisprudence de la Commission et de la Cour. Il déclara que le pluralisme est fondamental en démocratie et que l'on doit aussi pouvoir exprimer des opinions qui choquent ou offensent. Il fit valoir que les dispositions des articles 6 et 8 de la loi de 1991 imposaient
des limites à la liberté d'expression contraires à la Constitution turque et aux principes dégagés dans la jurisprudence de la Commission et de la Cour.
4. La condamnation des requérants
16.  Dans un arrêt du 27 mai 1993, la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul jugea les requérants coupables en vertu des articles 6 et 8 de la loi de 1991. Le premier requérant fut condamné à une amende de 100 millions de livres turques (TRL) (article 6) et à une autre de 200 millions TRL (article 8). Le second fut condamné à une amende de 50 millions TRL (article 6) ainsi qu'à une peine d'emprisonnement de six mois et à une amende de 100 millions TRL (article 8).
17.  Dans ses attendus, la cour estima que l'entretien avec le dirigeant du PKK avait été publié sous forme d'un point de vue sur l'actualité et que la personne interrogée avait fait référence à une certaine partie du territoire turc en la dénommant « Kurdistan », affirmé que certains citoyens turcs d'origine kurde formaient une société à part et que la République de Turquie chassait les Kurdes de leurs villages et les massacrait. Elle considéra en outre que cette personne faisait l'apologie des activités terroristes des Kurdes et affirmait que ceux-ci devraient créer leur propre Etat. C'est pourquoi la cour conclut que, globalement, l'entretien diffusait de la propagande contre l'indivisibilité de l'Etat. Par ailleurs, elle considéra qu'une autre page de la revue contenait une déclaration d'organisations terroristes, dont la publication constituait un chef distinct d'infraction à l'article 6 de la loi de 1991.
5. Le pourvoi des requérants
18.  Les requérants se pourvurent en cassation. Outre les arguments déjà avancés pour leur défense devant la cour de sûreté de l'Etat, leur avocat souligna que, dans une société démocratique, les opinions doivent être exprimées et débattues librement. Notant que la publication d'autres entretiens avec les dirigeants du PKK dans d'autres journaux ou magazines n'avait donné lieu à aucune poursuite, l'avocat des requérants affirma que ces derniers n'avaient pas été condamnés pour la publication de l'entretien en question, mais pour celle d'une revue marxiste.
19.  Le 4 novembre 1993, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, confirmant la justesse de l'appréciation des preuves émanant la cour de sûreté de l'Etat et du raisonnement suivi par celle-ci pour rejeter la ligne de défense des requérants.
6. La suite de la procédure
20.  A la suite des amendements apportés à la loi de 1991 par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 (paragraphe 24 ci-dessous), la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul réexamina d’office l'affaire et prononça les mêmes peines que précédemment.
II. le droit interne pertinent
A. Le droit pénal
1. Le code pénal (loi n° 765)
21.  Les dispositions pertinentes du code pénal sont ainsi libellées :
Article 2 § 2
« Si les dispositions de la loi en vigueur au moment où le crime ou le délit est commis diffèrent de celles d'une loi ultérieure, les dispositions les plus favorables à l’auteur du crime ou du délit sont appliquées. »
Article 19
« La peine d’amende lourde consiste en un versement au Trésor public d’une somme de vingt mille à cent millions de livres turques, selon la décision du juge (…) »
Article 36 § 1
« En cas de condamnation, le tribunal saisit et confisque l’objet ayant servi à commettre ou à préparer le crime ou le délit (…) »
Article 142  (abrogé par la loi n° 3713 du 12 avril 19913 relative à la lutte contre le terrorisme)
« Propagande nuisible
1. Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, de quelque manière que ce soit, fait de la propagande en vue d’établir l’hégémonie d’une classe sociale sur les autres, d’anéantir une classe sociale, de renverser l’ordre fondamental social ou économique institué dans le pays ou l’ordre politique ou juridique de l’Etat.
2. Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, de quelque manière que ce soit, fait de la propagande visant à ce que l’Etat soit gouverné par une personne ou un groupement social, au mépris des principes qui sous-tendent la République et la démocratie.
3. Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, s’appuyant sur des considérations raciales, fait, de quelque manière que ce soit, de la propagande visant à abolir partiellement ou totalement les droits publics garantis par la Constitution, ou à affaiblir ou détruire les sentiments patriotiques.
Article 311 § 2
« Incitation publique au crime
Si l’incitation au crime est pratiquée par des moyens de communication de masse quels qu’ils soient – bandes sonores, disques, journaux, publications ou autres instruments de presse –, par la diffusion ou la distribution de manuscrits imprimés ou par la pose de panneaux ou affiches dans des lieux publics, les peines d’emprisonnement à infliger au coupable sont doublées (…) »
Article 3124
« Incitation non publique au crime
Quiconque, expressément, loue ou fait l’apologie d’un acte que la loi réprime comme un crime, ou incite la population à la désobéissance à la loi, est puni de six mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende (...) de six à trente mille livres turques.
Est passible d’un à trois ans d’emprisonnement ainsi que d’une amende de neuf mille à trente-six mille livres quiconque, sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une classe sociale, à une race, à une religion, à une secte ou à une région, incite le peuple à la haine et à l’hostilité. Si pareille incitation compromet la sécurité publique, la peine est majorée d’une portion pouvant aller d’un tiers à la moitié de la peine de base.
Les peines qui s’attachent aux infractions définies au paragraphe précédent sont doublées lorsque celles-ci ont été commises par les moyens énumérés au paragraphe 2 de l’article 311 § 2. »
2. La loi n° 5680 du 15 juillet 1950 sur la presse
22.  Les clauses pertinentes de la loi de 1950 sont libellées comme suit :
Article 3
« Sont des « périodiques », aux fins de la présente loi, les journaux, les dépêches des agences de presse et tous autres imprimés publiés à intervalles réguliers.
Constitue une « publication », l’exposition, l’affichage, la diffusion, l’émission, la vente ou la mise en vente d’imprimés dans des locaux accessibles au public où chacun peut les voir.
Le délit de presse n'est constitué que s'il y a publication, sauf lorsque le discours est en soi constitutif d’une infraction. »
Article 4 § 1 additionnel
« Si la diffusion des imprimés objets du délit se trouve empêchée (…) du fait d’une mesure conservatoire ordonnée par un tribunal ou, en cas d’urgence, du fait d’une ordonnance du procureur général de la République (…), la peine prévue par la loi pour l’infraction en cause est réduite à un tiers. »
3. La loi n° 3713 du 12 avril 1991 relative à la lutte contre le terrorisme5
23.  Les dispositions pertinentes de la loi de 1991 sont libellées en ces termes :
Article 6
« Est puni d’une amende de cinq à dix millions de livres turques quiconque déclare, oralement ou dans une publication, que des organisations terroristes commettront une infraction contre une personne, en divulguant ou non son (…) identité mais de manière qu’on puisse l’identifier, ou dévoile l’identité de fonctionnaires ayant participé à des missions de lutte contre le terrorisme ou, pareillement, désigne une personne comme cible.
Est puni d’une amende de cinq à dix millions de livres turques quiconque imprime ou publie des déclarations et tracts d’organisations terroristes.
Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois, ou des ventes précédemment réalisées par le dernier numéro du périodique si celui-ci est mensuel ou paraît moins fréquemment, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s’il s’agit d’imprimés n’ayant pas la  qualité de périodique ou si le périodique vient d’être lancé6. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cinquante millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l’éditeur.»
Article 8  (avant modification par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995)
« La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie et à l’unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques. »
Lorsque le crime de propagande visé au paragraphe ci-dessus est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des  ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s’il s’agit d’imprimés n’ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d’être lancé2. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. »
Article 8  (tel que modifié par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995)
« La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie ou à l’unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d'un à trois ans d’emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amende.
Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement.
Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie d’imprimés ou par des moyens de communication de masse autres que les périodiques mentionnés au second paragraphe, les auteurs responsables et les propriétaires des moyens de communication de masse sont condamnés à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de cent à trois cents millions de livres turques (…).
Article 13  (avant modification par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995)
« Les peines réprimant les infractions visées à la présente loi ne sont convertibles ni en une amende ni en une autre mesure, et ne peuvent être assorties d’un sursis à  exécution. »
Article 13  (tel qu’amendé par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995)
« Les peines réprimant les infractions visées à la présente loi ne sont convertibles ni en une amende ni en une autre mesure, et ne peuvent être assorties d’un sursis à exécution.
Toutefois, les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux condamnations prononcées en vertu de l’article 87. »
Article 17
« Parmi les personnes condamnées pour des infractions relevant de la présente loi, celles (…) punies d’une peine privative de liberté bénéficient d’office d’une libération conditionnelle, à condition d’avoir purgé les trois quarts de leur peine et fait preuve de bonne conduite.
Les premier et second paragraphes de l’article 198 (…) de la loi n° 647 sur l’exécution des peines ne s’appliquent pas aux condamnés susvisés ».
4. La loi n° 4126 du 27 octobre 1995 portant modification des articles 8 et 13 de la loi n° 3713
24.  Les amendements ci-dessous ont été apportés à la loi de 1991 à la suite de l'adoption de la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 :
Disposition provisoire relative à l’article 2 
« Dans le mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le tribunal ayant prononcé le jugement réexamine le dossier de la personne condamnée en vertu de l’article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et, conformément à la modification apportée (…) à l’article 8 de la loi n° 3713, reconsidère la durée de la peine infligée à cette personne et décide s’il y a lieu de la faire bénéficier des articles 49 et 610 de la loi n° 647 du 13 juillet 1965. »
5. La loi n° 4304 du 14 août 1997 sur les sursis au jugement et à l’exécution des peines quant aux infractions commises avant le 12 juillet 1997 en qualité de rédacteur en chef 
25.  Les dispositions suivantes sont applicables aux peines réprimant les infractions à la loi sur la presse :
Article 1
« Il est sursis à l’exécution des peines infligées en leur qualité de rédacteur en chef, conformément à la loi n° 5680 sur la presse ou à d’autres lois, aux auteurs d'infractions commises avant le 12 juillet 1997.
La disposition du premier paragraphe s'applique aussi aux peines en cours d'exécution.
Il est sursis à la mise en branle de l’action publique ou au jugement si le rédacteur en chef n’est pas encore poursuivi, si une enquête préliminaire a été ouverte mais que l'action publique n'a pas encore été lancée, si la procédure en est au stade de l’instruction finale mais que le jugement n’a pas encore été prononcé ou si le jugement a été prononcé mais n’est pas encore devenu définitif. »
Article 2
« Si un rédacteur en chef ayant bénéficié des dispositions du premier paragraphe de l'article 1 est condamné en sa qualité de rédacteur en chef pour une infraction intentionnelle commise dans les trois ans à compter de la date du sursis, il doit accomplir l'intégralité des peines dont l’exécution avait été suspendue.
La partie de la peine à laquelle il a été sursis déjà purgée par un rédacteur en chef à la date d'entrée en vigueur de la présente loi est imputée sur la peine infligée en application de l'article 1 ci-dessus, sans préjudice des dispositions relatives à la libération conditionnelle.
Dans les cas où il y a été sursis, l'action publique est lancée ou le jugement rendu dès lors qu'intervient une condamnation en qualité de rédacteur en chef pour une infraction intentionnelle commise dans les trois ans à compter de la date du sursis.
Toute condamnation en qualité de rédacteur en chef prononcée pour une infraction commise avant le 12 juillet 1997 est réputée nulle et non avenue si ledit délai de trois ans expire sans que soit intervenue une nouvelle condamnation pour une infraction intentionnelle. Dans les mêmes conditions, si l'action publique n'a pas été lancée, elle ne peut plus l'être ; si elle l'a été, il y est mis fin. » 
6. La loi n° 647 du 13 juillet 1965 sur l’exécution des peines
26.  La loi de 1965 sur l'exécution des peines dispose notamment :
Article 5
« La peine d’amende consiste en un versement au Trésor public d’une somme fixée dans les limites prévues par la loi.
Si, après notification de l’injonction de payer, le condamné ne s’acquitte pas de l’amende dans les délais, il est incarcéré, à raison d’un jour par dizaine de milliers de livres turques, sur décision du procureur de la République.
La peine d’emprisonnement ainsi infligée en substitution de la peine d’amende ne peut dépasser trois ans (…) »
Article 19 § 1
« (…) les personnes condamnées à une peine privative de liberté bénéficient d’office d’une libération conditionnelle, sous réserve d’avoir purgé la moitié de leur peine et fait preuve de bonne conduite (…) »
7. Le code de procédure pénale (loi n° 1412)
27.  Le code de procédure pénale contient les dispositions suivantes :
Article 307
« Le pourvoi en cassation ne peut porter que sur la non-conformité du jugement à la loi.
La non-application ou l’application fautive d’une règle de droit constitue un cas de non-conformité à la loi11. »
Article 308
«  La violation de la loi est considérée comme manifeste dans les cas ci-dessous :
1- si la juridiction n’est pas constituée conformément à la loi ;
2-  si prend part à la décision un juge auquel la loi l’interdit ;
B. Jurisprudence pénale soumise par le Gouvernement
28.  Le Gouvernement a produit des copies de plusieurs ordonnances de non-lieu, rendues par le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d'Istanbul à l’encontre de personnes soupçonnées d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité – notamment sur la base d’une distinction fondée sur la religion – (article 312 du code pénal) ou de propagande séparatiste contre l’unité indivisible de l’Etat (article 8 de la loi n° 3713 – paragraphe 23 ci-dessus). S’agissant des affaires où ces infractions ont été commises par la voie de publications, dans la majorité des cas en cause, le parquet s’est fondé notamment sur la prescription de l’action publique, l’absence de certains éléments constitutifs de l’infraction considérée ou de preuves suffisantes ; comme autres motifs, l’on trouve aussi la non-distribution des imprimés litigieux, l’absence d’intention délictuelle ainsi que l’absence d’établissement des faits ou d’identification des responsables.
29.  En outre, le Gouvernement a communiqué, à titre d’exemples, plusieurs arrêts rendus par des cours de sûreté de l’Etat quant aux infractions susmentionées et concluant à la non-culpabilité des prévenus. Il s’agit des arrêts suivants : 19 novembre (n° 1996/428) et 27 décembre 1996 (n° 1996/519), 6 mars (n° 1997/33), 3 juin (n° 1997/102), 17 octobre (n° 1997/527), 24 octobre (n° 1997/541) et 23 décembre 1997 (n° 1997/606), 21 janvier (n° 1998/8), 3 février (n° 1998/14), 19 mars (n° 1998/56), 21 avril (n° 1998/87) et 17 juin 1998 (n° 1998/133).
30.  Pour ce qui est plus particulièrement des procès entamés contre des auteurs d’ouvrages ayant trait au problème kurde, dans les cas en cause, les cours de sûreté de l’Etat ont notamment motivé leurs arrêts par l’absence de l’élément de « propagande », constitutif de l’infraction, ou par le caractère objectif des propos tenus en l’occurrence.
C. Les cours de sûreté de l’Etat12
1. La Constitution
31.  Les dispositions constitutionnelles régissant l'organisation judiciaire des cours de sûreté de l'Etat sont ainsi libellées :
Article 138 §§ 1 et 2
« Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants ; ils statuent selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit.
Nul organe, nulle autorité (…) nulle personne ne peut donner des ordres ou des instructions aux tribunaux et aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel, ni leur adresser des circulaires, ni leur faire des recommandations ou suggestions. »
Article 139 § 1
« Les juges (…) sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu'ils n'y consentent (…) »
Article 143 §§ 1-5
« Il est institué des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l'unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat.
Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président, de deux membres titulaires, de deux membres suppléants, d’un procureur et d’un nombre suffisant de substituts.
Le président, un membre titulaire, un membre suppléant et le procureur sont choisis, selon des procédures définies par des lois spéciales, parmi les juges et les procureurs de la République de premier rang, un titulaire et un suppléant parmi les juges militaires de premier rang, et les substituts parmi les procureurs de la République et les juges militaires.
Les présidents et les membres titulaires et suppléants (…) des cours de sûreté de l’Etat sont nommés pour une durée de quatre ans renouvelable.
La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat.
Article 145 § 4
« Le contentieux militaire
(…) le statut personnel des juges militaires (…) est fixé par la loi dans le respect de l’indépendance des tribunaux, des garanties dont les juges jouissent et des impératifs du service militaire. La loi détermine en outre les rapports des juges militaires avec le commandement dont ils relèvent dans l’exercice de leurs tâches autres que judiciaires (...) »
2. La loi n° 2845 instituant des cours de sûreté de l’Etat et portant réglementation de la procédure devant elles13
32.  Fondées sur l'article 143 de la Constitutions, les clauses pertinentes de la loi n° 2845 sur les cours de sûreté de l'Etat disposent :
Article 1
« Dans les chefs-lieux des provinces de (…) sont instituées des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l'unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat.»
Article 3
« Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président et de deux membres titulaires, ainsi que de deux membres suppléants. »
Article 5
« Le président de la cour de sûreté de l’Etat ainsi que l’un des [deux] titulaires et l’un des [deux] suppléants (…) sont choisis parmi les juges (...) civils, les autres membres titulaires et suppléants parmi les juges militaires de premier rang (...) »
Article 6 §§ 2 et 6
« La nomination des membres titulaires et suppléants choisis parmi les juges militaires se fait selon la procédure prévue par la loi sur les magistrats militaires.
Sous réserve des exceptions prévues dans la présente loi ou dans d’autres, le président et les membres titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat (…) ne peuvent être affectés sans leur consentement à un autre poste ou lieu avant quatre ans (…).
Si à l’issue d’une instruction menée, selon les lois les concernant, à l’encontre d'un président, d'un membre titulaire ou d'un membre suppléant d'une cour de sûreté de l’Etat, des comités ou autorités compétents décident qu'il y a lieu de changer le lieu d’exercice des fonctions de l'intéressé, ce lieu ou les fonctions elles-mêmes (…) peuvent être modifiés conformément à la procédure prévue dans lesdites lois. »
Article 9 § 1 a)
« Les cours de sûreté de l’Etat sont compétentes pour connaître des infractions
a) visées à l’article 312 § 2 (…) du code pénal turc,
d) en rapport avec les événements ayant nécessité la proclamation de l’état d’urgence,  dans  les régions où l’état d’urgence a été décrété en vertu de l’article 120 de la Constitution, 
e) commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’unité indivisible de l’Etat – du territoire comme  de la nation – et contre l’ordre libre et démocratique, ou touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat.
Article 27 § 1
« La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. »
Article 34 §§ 1 et 2
« Le régime statutaire et le contrôle des (…) juges militaires appelés à siéger aux cours de sûreté de l’Etat (…), l’ouverture d'instructions disciplinaires et le prononcé de sanctions disciplinaires à leur encontre, ainsi que les enquêtes et poursuites relatives aux infractions concernant leurs fonctions (…) relèvent des dispositions pertinentes des lois régissant leur profession (…).
Les observations de la Cour de cassation, les rapports de notation établis par les commissaires de justice (…) et les dossiers des enquêtes menées au sujet des juges militaires (…) sont transmis au ministère de la Justice. »
Article 38
« En cas de proclamation d’un état de siège couvrant tout ou partie de son ressort et à condition qu’elle ne soit pas la seule dans celui-ci, une cour de sûreté de l’Etat pourra, dans les conditions ci-dessous, être transformée en cour martiale de l’état de siège (…) »
3. La loi n° 357 sur les magistrats militaires
33.  Les dispositions pertinentes de la loi sur les magistrats militaires prévoient :
Article 7 additionnel
« Les aptitudes des officiers juges militaires nommés aux postes (…) de juges titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat requises pour l’obtention de promotions et d’avancements en échelon, grade ou ancienneté sont déterminées sur la base de certificats de notation établis selon la procédure ci-dessous, sous réserve des dispositions de la présente loi et de la loi n° 926 sur le personnel des forces armées turques :
a)  Le premier supérieur hiérarchique compétent pour effectuer la notation et établir les certificats de notation pour les officiers militaires juges titulaires et suppléants (…) est le secrétaire d’Etat à la Défense ; vient ensuite le ministre de la Défense.
Article 8 additionnel
« Les membres (…) des cours de sûreté de l’Etat appartenant à la magistrature militaire (…) sont désignés par un comité composé du directeur du personnel et du conseiller juridique de l’état-major, du directeur du personnel et du conseiller juridique du commandement des forces dont relève l’intéressé, ainsi que du directeur des Affaires judiciaires militaires au ministère de la Défense (...) »
Article 16 §§ 1 et 3
« La nomination des juges militaires (…), effectuée par décret commun du ministre de la Défense et du Premier ministre, est soumise au président de la République pour approbation, conformément aux dispositions relatives à la nomination et à la mutation des membres des forces armées (…).
Pour les nominations aux postes de juges militaires (…), il sera procédé en tenant compte de l’avis de la Cour de cassation, des rapports des commissaires et des certificats de notation établis par les supérieurs hiérarchiques (…) »
Article 18 § 1
« Le barème des salaires, les augmentations de salaire et les divers droits personnels des juges militaires (…) relèvent de la réglementation concernant les officiers. »
Article 29
« Le ministre de la Défense peut infliger aux officiers juges militaires, après les avoir entendus, les sanctions disciplinaires suivantes :
A.  L’avertissement, qui consiste à notifier par écrit à l’intéressé qu’il doit être plus attentif dans l’exercice de ses fonctions.
B.  Le blâme, qui consiste à notifier par écrit le fait que tel acte ou telle attitude sont considérés comme fautifs.
Lesdites sanctions sont définitives et mentionnées dans le certificat de notation de l’intéressé puis inscrites dans son dossier personnel (…) »
Article 38
« Lorsqu’ils siègent en audience, les juges militaires (…) portent la tenue spéciale de leurs homologues de la magistrature civile  (…) »
4. L'article 112 du code pénal militaire (du 22 mai 1930)
34.  L'article 112 du code pénal militaire dispose :
« Est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement quiconque influence les tribunaux militaires en abusant de son autorité de fonctionnaire. »
5. La loi n° 1602 du 4 juillet 1972 sur la Haute Cour administrative militaire
35.  Aux termes de l’article 22 de la loi n° 1602, la première chambre de la Haute Cour administrative militaire est compétente pour connaître des demandes en annulation et en dédommagement fondées sur des contestations relatives au statut personnel des officiers, notamment celles concernant leur avancement professionnel.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
36.  M. Kamil Tekin Sürek, premier requérant, et M. Yücel Özdemir, second requérant, ont saisi la Commission les 25 février et 4 mai 1994 respectivement. Invoquant les articles 10 et 6 § 1 de la Convention, le premier requérant soutenait que sa condamnation pour avoir publié certains textes dans sa revue s'analysait en une ingérence injustifiée dans son droit à la liberté d'expression, et qu'il n'avait pas été entendu équitablement par un tribunal indépendant et impartial. Il dénonçait également la durée de la procédure pénale dirigée contre lui. Le second requérant s'appuyait sur les mêmes articles de la Convention pour faire valoir des griefs similaires. Il alléguait en outre que les restrictions ayant touché sa liberté d'expression étaient incompatibles avec les buts légitimes exposés à l'article 10 § 2, au mépris de l'article 18 de la Convention.
37.  La Commission a retenu les requêtes (nos 23927/94 et 24277/94) le 2 septembre 1996, à l'exception des griefs relatifs à la durée de la procédure pénale tirés de l'article 6 § 1. Le même jour, la Commission a décidé de joindre les requêtes. Dans son rapport du 13 janvier 1998 (ancien article 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention (dix-sept voix contre quinze), qu'aucune question distincte ne se pose au titre du grief que le second requérant tire de l'article 18 de la Convention (unanimité) et qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention (trente et une voix contre une). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt14.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
38.  Les requérants prient la Cour de conclure que l'Etat défendeur a failli aux obligations que lui imposent les articles 6 § 1 et 10 de la Convention et de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 41.
39.  De son côté, le Gouvernement invite la Cour à rejeter les griefs des requérants.
EN DROIT
I. sur lA VIOLATION alléguée de l'article 10 de la convention
40.  Les requérants allèguent que les autorités ont porté atteinte de manière injustifiable à leur droit à la liberté d'expression tel que le consacre l'article 10 de la Convention, aux termes duquel :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
41.  Le Gouvernement affirme que l'ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'expression était justifiée au regard du second paragraphe de l'article 10. Pour sa part, la Commission souscrit au point de vue des requérants.
A. Existence d'une ingérence
42.  Pour la Cour, il apparaît clairement que la condamnation des requérants en vertu des articles 6 et 8 de la loi de 1991 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi de 1991 ») s'analyse en une ingérence dans leur droit à la liberté d'expression, ce qu'aucun des comparants n'a contesté.
B. Justification de l'ingérence
43.  Pareille ingérence est contraire à l'article 10 sauf si elle est « prévue par la loi », vise un ou plusieurs des buts légitimes cités au paragraphe 2 de l'article 10 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts. La Cour va examiner ces conditions une à une.
1. « Prévue par la loi »
44.  Les requérants ne se sont pas exprimés au sujet du respect de cette exigence.
45.  Le Gouvernement fait valoir que les mesures prises à l'encontre des requérants se fondaient sur les articles 6 et 8 de la loi de 1991.
46.  La Commission souscrit au point de vue du Gouvernement et conclut que l'ingérence était prévue par la loi.
47.  La Cour, à l’instar de la Commission, admet que, la condamnation des requérants étant fondée sur les articles 6 et 8 de la loi de 1991, l'ingérence qui en est résultée dans leur droit à la liberté d'expression pouvait passer pour « prévue par la loi », d'autant que les intéressés n'ont pas contesté ce point.
2. But légitime
48.  Les requérants ne se sont pas prononcés à cet égard, sinon pour attaquer en général la légalité de l'ingérence dans leur droit à la liberté d'expression.
49.  Le Gouvernement répète que les mesures prises à l'encontre des requérants s'appuyaient sur les articles 6 et 8 de la loi de 1991, dispositions qui visent à défendre des intérêts tels que l'intégrité territoriale, l'unité de la nation, la sécurité nationale, la défense de l'ordre et la prévention du crime. Les requérants ont été condamnés à ces fins légitimes pour avoir diffusé de la propagande séparatiste louant les actions du PKK, organisation terroriste, ce qui menaçait ces intérêts.
50.  La Commission conclut que la condamnation des requérants s'inscrit dans le cadre de la lutte menée par les autorités contre le terrorisme illégal pour protéger la sécurité nationale et la sûreté publique, objectifs légitimes cités à l'article 10 § 2.
51.  Eu égard au caractère sensible de la situation régnant dans le Sud-Est de la Turquie en matière de sécurité (arrêt Zana c. Turquie du 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2539, § 10) et à la nécessité pour les autorités d'exercer leur vigilance face à des actes susceptibles d'accroître la violence, la Cour estime pouvoir conclure que les mesures prises à l'encontre du requérant poursuivaient certains des buts mentionnés par le Gouvernement, à savoir la protection de la sécurité nationale et de l'intégrité territoriale, la défense de l'ordre et la prévention du crime. C’est certainement le cas  lorsque, comme dans la situation du Sud-Est de la Turquie à l’époque des faits, le mouvement séparatiste s’appuie sur des méthodes qui font appel à la violence.
3. « Nécessaire dans une société démocratique »
a) Les arguments des comparants
i) Les requérants
52.  Les requérants soulignent que ni eux ni leur revue n'avaient de lien avec le PKK et font valoir que les entretiens incriminés ne louaient pas cette organisation ni ne faisaient de commentaire positif à son égard. Ces entretiens ont été écrits et publiés en toute impartialité, conformément aux principes du journalisme objectif. Leur publication visait à communiquer au public des informations sur le PKK, un sujet d'actualité ; ils ne faisaient pas l'apologie du terrorisme et ne menaçaient pas non plus l'ordre public.
53.  Le premier requérant, M. Sürek, argue qu'en tant que propriétaire de la revue il n'était en rien responsable de son contenu, raison pour laquelle il n'aurait pas dû être condamné à une lourde peine d'amende. Le second requérant, M. Özdemir, rédacteur en chef de la revue, se plaint de la peine d'emprisonnement de six mois qui lui a été infligée et d'avoir dû acquitter une amende substantielle au motif qu'il avait décidé de faire paraître les entretiens en question dans la revue. Les deux requérants soutiennent que les mesures dont ils ont été l'objet s'analysent en une ingérence disproportionnée dans le droit que leur garantit l'article 10.
ii) Le Gouvernement
54.  Le Gouvernement réplique que les requérants ont été jugés coupables de diffusion de propagande séparatiste étant donné que l'entretien incriminé et la déclaration commune auraient incité à la violence contre l'Etat et prôné franchement la cause d'une organisation terroriste. A l'appui de son argumentation, il met en avant plusieurs extraits de l'entretien avec le chef du PKK qui, selon lui, exhortent ouvertement à la violence et suscitent l'hostilité et la haine au sein des différentes composantes de la société turque. Quant à la déclaration commune, le Gouvernement relève qu'elle contient des termes destinés à soutenir l'entretien avec le chef du PKK publié dans le même numéro. Connaissant l'hostilité déclarée du PKK envers la presse, il est à son avis significatif que son chef ait accordé un entretien à la revue des requérants.
55.  Compte tenu de l'historique du PKK en matière de terrorisme, le Gouvernement estime que les requérants ont été à juste titre condamnés en vertu des articles 6 et 8 de la loi de 1991 et que les mesures qui les ont  frappés relevaient bien de la marge d'appréciation des autorités en ce domaine. En conséquence, les ingérences se justifiaient au regard de l'article 10 § 2 de la Convention.
iii) La Commission
56.  La Commission conclut que l'ingérence dans le droit que l'article 10 garantit aux requérants ne pouvait se justifier en invoquant le second paragraphe de cet article. En effet, elle considère que les réponses formulées par le chef du PKK au cours de l'entretien, tout comme le ton de la déclaration commune, ne peuvent passer pour des incitations à la poursuite de la violence et que les passages de l'entretien relevés par la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul ne sauraient fonder la condamnation des requérants (paragraphe 17 ci-dessus). A son avis, les mesures prises à l'encontre des requérants ont eu pour effet de décourager le débat public sur des questions politiques importantes. C'est en particulier pour ces raisons que la Commission a constaté une violation de l'article 10 de la Convention.
b) L'appréciation de la Cour
57.  La Cour rappelle les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 10, tels qu’elle les a exposés notamment dans les arrêts Zana c. Turquie précité, pp. 2547-2548, § 51 et Fressoz et Roire c. France du 21 janvier 1999 (Recueil 1999, p. …, § 45) :
i. La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l'article 10, elle est assortie d'exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante.
ii. L'adjectif « nécessaire », au sens de l'article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour juger de l'existence d'un tel besoin, mais elle se double d'un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, même quand elles émanent d'une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d'expression que protège l'article 10.
iii. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit considérer l’ingérence à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des déclarations litigieuses et le contexte dans lequel elles s'inscrivent. En particulier, il incombe à la Cour de déterminer si la mesure incriminée était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l'article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents.
58.  Les requérants ayant été condamnés pour avoir publié des déclarations émanant d'organisations terroristes et diffusé de la propagande séparatiste par le canal de la revue dont ils étaient respectivement propriétaire et rédacteur en chef (paragraphe 8 ci-dessus), il faut aussi examiner l'ingérence en cause en ayant égard au rôle essentiel que joue la presse dans le bon fonctionnement d'une démocratie politique (voir, parmi d’autres, les arrêts Lingens c. Autriche du 8 juillet 1986, série A n° 103, p. 26, § 41, et Fressoz et Roire précité, p. .., § 45). Si la presse ne doit pas franchir les bornes fixées en vue, notamment, de la protection des intérêts vitaux de l’Etat, telles la sécurité nationale ou l’intégrité territoriale, contre la menace de violence, ou en vue de la défense de l’ordre ou de la prévention du crime, il lui incombe néanmoins de communiquer des informations et des idées sur des questions politiques, y compris sur celles qui divisent l’opinion. A sa fonction qui consiste à en diffuser s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. La liberté de la presse fournit à l’opinion publique l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants (arrêt Lingens précité, p. 26, §§ 41-42).
59.  La Cour constate que la revue a fait paraître deux entretiens avec un responsable du PKK ainsi qu'une déclaration commune émise au nom de quatre organisations politiques qui, comme le PKK, étaient illégales dans l'Etat défendeur. Dans ces entretiens, le dirigeant du PKK critiquait l'attitude des Etats-Unis, qui auraient appliqué deux poids et deux mesures s'agissant de la population kurde du Sud-Est de la Turquie, et condamnait la politique suivie par les autorités de l'Etat défendeur dans la région, qui aurait consisté à chasser les Kurdes de leurs terres et à briser leur résistance. Dans le second entretien, il arguait que la guerre menée par le PKK pour défendre le peuple kurde continuerait « tant qu'il y aura un être vivant chez nous » (paragraphe 10 ci-dessus). Quant à la déclaration commune, les organisations au nom desquelles elle a été rédigée en appellent à la solidarité de la classe ouvrière face à ce qui est ressenti comme une série d'injustices. Elles plaident notamment pour une reconnaissance du droit du peuple kurde à l'autodétermination et pour un retrait de l'armée turque du Kurdistan (paragraphe 10 ci-dessus).
La cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul a jugé que les charges retenues contre les deux requérants en vertu des articles 6 et 8 de la loi de 1991 étaient établies (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Elle a notamment considéré que, dans les entretiens, le chef du PKK avait accusé les autorités d'avoir massacré et expulsé les Kurdes vivant au « Kurdistan », fait l'apologie du terrorisme kurde et pris position en faveur de la création d'un Etat séparé pour le peuple kurde. En outre, la cour a estimé que la publication de la déclaration commune était à l'origine d'une infraction distincte au titre de l'article 6 de la loi de 1991.
60.  Pour apprécier la nécessité de l'ingérence à la lumière des principes exposés ci-dessus (paragraphes 57 et 58), la Cour rappelle que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général (voir l’arrêt Wingrove c. Royaume-Uni du 25 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1957, § 58). De plus, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard du gouvernement que d’un simple particulier ou même d’un homme politique. Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi de l’opinion publique. En outre, la position dominante qu’il occupe lui commande de témoigner de retenue dans l’usage de la voie pénale, surtout s’il y a d’autres moyens de répondre aux attaques et critiques injustifiées de ses adversaires. Il reste certes loisible aux autorités compétentes de l’Etat d’adopter, en leur qualité de garantes de l’ordre public, des mesures même pénales, destinées à réagir de manière adéquate et non excessive à de pareils propos (arrêt Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1567, § 54). Enfin, là où les propos litigieux incitent à l’usage de la violence à l’égard d’un individu, d’un représentant de l’Etat ou d’une partie de la population, les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation plus large dans leur examen de la nécessité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression.
61.  La Cour portera une attention particulière aux termes employés dans les entretiens et la déclaration commune et au contexte de leur publication. A cet égard, elle tient compte des circonstances entourant les cas soumis à son examen, en particulier des difficultés liées à la lutte contre le terrorisme (arrêt Incal précité, p. 1568, § 58).
Elle relève en premier lieu que le fait que les entretiens incriminés aient été accordés par un dirigeant d'une organisation interdite ne saurait en soi justifier une ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'expression, pas plus que le fait qu'ils aient exprimé une critique virulente de la politique officielle et présenté un point de vue partial sur l'origine des troubles agitant le Sud-Est de la Turquie et des responsabilités à cet égard. S'il est clair, de par les termes employés, que les entretiens véhiculaient un message d'intransigeance et un refus de tout compromis avec les autorités tant que les objectifs du PKK n'auraient pas été atteints, les textes dans leur ensemble ne sauraient passer pour une incitation à la violence ou à la haine. La Cour a examiné avec attention les passages des entretiens qui, d'après le Gouvernement, peuvent être interprétés en ce sens. Elle estime toutefois que  des expressions telles que « S'ils veulent que nous quittions nos terres, qu'ils sachent que nous n'accepterons jamais de le faire » ou « La guerre continuera tant qu'il y aura un être vivant chez nous » ou « L'Etat turc veut nous chasser de notre territoire. Il expulse les gens de leurs villages » ou « Ils veulent nous faire disparaître » reflètent la volonté de la partie adverse de poursuivre ses objectifs et l'attitude implacable de ses chefs à cet égard. Vus sous cet angle, les entretiens étaient une source d'information permettant au public tout à la fois de comprendre la psychologie des personnes constituant les forces vives de l'opposition à la politique officielle appliquée dans le Sud-Est de la Turquie et d'apprécier les enjeux du conflit. La Cour a naturellement conscience des préoccupations qu'éprouvent les autorités au sujet de mots ou d'actes susceptibles d'aggraver la situation régnant en matière de sécurité dans cette zone où, depuis 1985 environ, de graves troubles font rage entre les forces de sécurité et les membres du PKK et ont entraîné de nombreuses pertes humaines et la proclamation de l'état d'urgence dans la plus grande partie de la région (arrêt Zana précité, p. 2539, § 10). Toutefois, il apparaît à la Cour qu'en l'espèce, les autorités nationales n'ont pas suffisamment pris en compte le droit du public de se voir informer d'une autre manière de considérer la situation dans le Sud-Est de la Turquie, aussi désagréable que cela puisse être pour elles. Comme indiqué précédemment, les opinions exprimées dans les entretiens ne sauraient passer pour inciter à la violence, ni être interprétés comme susceptibles de le faire. Selon la Cour, les motifs avancés par la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul pour condamner les requérants, bien que pertinents, ne peuvent être considérés comme suffisant à justifier les ingérences dans leur droit à la liberté d'expression (paragraphe 17 ci-dessus). Cette conclusion vaut aussi pour la condamnation distincte prononcée contre les requérants en vertu de l'article 6 de la loi de 1991 en raison de la publication de la déclaration commune, car il apparaît à la Cour qu'aucun élément de ce texte ne peut se lire comme une incitation à la violence.
62.  La Cour constate également que M. Sürek fut condamné à une amende substantielle et M. Özdemir à une amende ainsi qu'à une peine d'emprisonnement de six mois (paragraphe 16 ci-dessus). De surcroît, les autorités saisirent les exemplaires de la revue où paraissaient les articles incriminés (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour relève à cet égard que la nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence.
63.  La Cour souligne que les « devoirs et responsabilités » qui accompagnent l'exercice du droit à la liberté d'expression de la part des professionnels des médias revêtent une importance spéciale en cas de conflit et de tension. Il convient d'examiner avec une vigilance particulière la publication des opinions de représentants d'organisations qui recourent à la violence contre l'Etat, faute de quoi les médias risquent de devenir un support de diffusion de discours de haine et d'incitation à la violence. En même temps, lorsque des opinions ne relèvent pas de cette catégorie, les Etats contractants ne peuvent se prévaloir de la protection de l'intégrité territoriale, de la sécurité nationale ou de la défense de l'ordre ou de la prévention du crime pour restreindre le droit du public à être informé en utilisant le droit pénal pour peser sur les médias.
64.  Partant, la Cour conclut que la condamnation des requérants se révèle disproportionnée aux buts poursuivis et donc non « nécessaire dans une société démocratique ». Dès lors, il y a eu en l'espèce violation de l'article 10 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE De l’article 18 de la Convention
65.  La Cour relève que la Commission a rejeté le grief tiré par le second requérant, M. Özdemir, de l'article 18 de la Convention, au motif qu'il ne soulevait aucune question distincte par rapport à la doléance soumise au titre de l'article 10. L'article 18 dispose :
« Les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues. »
66.  La Cour note que le second requérant n'a pas maintenu son grief devant elle, que ce soit dans son mémoire ou à l'audience. Dans ces conditions, elle n'entend pas s'en saisir d'office.
III. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE De l’article 6 § 1 de la Convention
67.  Les requérants affirment avoir été privés d'un procès équitable en raison de la présence d'un juge militaire parmi les magistrats de la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul qui les a jugés et condamnés et ce, au mépris de l'article 6 § 1 de la Convention, qui dispose en ses passages pertinents :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
68.  Le Gouvernement conteste la recevabilité de cette doléance et affirme à titre subsidiaire qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1. La Commission souscrit à l'allégation des requérants.
A. Exception préliminaire du Gouvernement – non-épuisement des voies de recours internes
69.  Le Gouvernement soutient que les requérants n'ont fait valoir à aucun stade de la procédure interne que leur procès avait manqué d'équité par suite de la participation d'un juge militaire à la procédure. C'est pourquoi, faute d'épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention, il conviendrait de déclarer le grief des requérants irrecevable. Le Gouvernement appuie son argumentation sur l'arrêt Sadik c. Grèce du 15 novembre 1996 (Recueil 1996-V, p. 1638).
70.  La Cour note que le Gouvernement n'a pas soulevé son exception devant la Commission au stade de l'examen de la recevabilité de la requête. Il s'est borné à cet égard à faire observer que les requérants n'avaient pas contesté l'indépendance et l'impartialité de la Cour de cassation. En revanche, les requérants se plaignent précisément de ce que la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul n'ait pas présenté ces deux caractéristiques. Dès lors, le Gouvernement est forclos à soulever cette exception à ce stade de la procédure (voir, notamment, les arrêts Zana c. Turquie du 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2546, § 44, et Nikolova c. Bulgarie du 25 mars 1999, Recueil 1999, p. …, § 44).
B. Bien-fondé
71.  De l'avis des requérants, les juges militaires nommés pour siéger aux cours de sûreté de l'Etat, telle celle d'Istanbul, dépendent de l'exécutif, car ils sont désignés par décret commun du ministre de la Défense et du Premier ministre, sous réserve de l'accord du Président de la République. De plus, leur notation et promotion professionnelles relèvent de la responsabilité de leurs officiers supérieurs. Les liens qui les rattachent à l'exécutif et à l'armée mettraient les juges militaires dans l'impossibilité de s'acquitter de leurs fonctions judiciaires avec indépendance et impartialité. Ils soulignent en outre que l'indépendance et l'impartialité des juges militaires et, partant, des tribunaux où ils siègent, sont mises en péril du fait qu'ils ne peuvent adopter de position contre la volonté de leurs officiers supérieurs puisque leur avancement dépend de ces derniers.
72.  Les requérants déclarent que, pour toutes ces raisons, la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul a manqué d'indépendance et d'impartialité et qu'ainsi, ils n'ont pas bénéficié d'un procès équitable, en violation de l'article 6 § 1.
73.  Le Gouvernement considère pour sa part que les dispositions régissant la nomination des juges militaires siégeant dans les cours de sûreté de l'Etat et les garanties dont jouissent ceux-ci dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires sont telles que ces cours satisfont pleinement à  l'exigence d'indépendance et d'impartialité énoncée à l'article 6 § 1. Le Gouvernement conteste l'argument des requérants selon lequel les juges militaires sont tenus de rendre compte à leurs officiers supérieurs. En premier lieu, l'article 112 du code militaire érigerait en infraction le fait pour un fonctionnaire de tenter d'exercer une influence sur un juge militaire dans l'accomplissement de ses fonctions judiciaires (paragraphe 34 ci-dessus). En second lieu, les rapports de notation mentionnés par les requérants ne porteraient que sur la manière dont un juge militaire s'acquitte de ses tâches extrajudiciaires. Les juges militaires pourraient consulter leurs rapports de notation et en contester la teneur devant la Haute Cour administrative militaire (paragraphe 35 ci-dessus). Dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, les juges militaires seraient notés d'une manière en tous points identique à celle appliquée à l’égard des juges civils.
74.  Le Gouvernement affirme en outre que la présence d'un juge militaire à la cour de sûreté de l'Etat n'a pas porté atteinte à l'équité du procès des requérants. Il soutient que ni les supérieurs hiérarchiques de ce juge ni les autorités publiques qui l'ont nommé à la cour n'avaient d'intérêt à la procédure ou à l'issue de l'affaire. De surcroît, l'affaire avait été réexaminée par la Cour de cassation, dont l'indépendance et l'impartialité ne sont pas mises en cause par les requérants.
75.  Le Gouvernement rappelle également à la Cour la nécessité d'accorder une attention particulière à la situation qui régnait quant à la sécurité lorsqu'a été prise la décision d'instituer des cours de sûreté de l'Etat conformément à l'article 143 de la Constitution. Compte tenu de l'expérience acquise par les forces armées en matière de lutte contre le terrorisme, les autorités avaient jugé nécessaire de renforcer ces cours en leur adjoignant un juge militaire, afin qu'il leur transmette les connaissances nécessaires concernant la manière de faire face aux menaces pesant sur la sécurité et l'intégrité de l'Etat.
76.  La Commission conclut que la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul ne saurait passer pour un tribunal indépendant et impartial aux fins de l'article 6 § 1 de la Convention et renvoie à cet égard à l'avis qu'elle a exprimé dans son rapport (article 31) du 25 février 1997 relatif à l'affaire Incal c. Turquie, et aux motifs qui l'étayent.
77.  La Cour rappelle que, dans ses arrêts Incal c. Turquie précité (p. 1547) et Çıraklar c. Turquie du 28 octobre 1998 (Recueil 1998-..., p. ...), elle a examiné des arguments similaires à ceux avancés par le Gouvernement en l'espèce. Dans ces arrêts, la Cour a noté que le statut des juges militaires siégeant au sein des cours de sûreté de l'Etat fournissait bien certains gages d'indépendance et d'impartialité (arrêt Incal précité, p. 1571, § 65). Cependant, elle a également relevé que certaines caractéristiques du statut de ces juges rendaient leur indépendance et leur impartialité sujettes à caution (ibidem, § 68), comme le fait qu'il s'agisse de militaires continuant d'appartenir à l'armée, laquelle dépend à son tour du pouvoir exécutif, le fait qu'ils restent soumis à la discipline militaire et le fait que leurs désignation et nomination requièrent pour une large part l'intervention de l'administration et de l'armée (paragraphes 32-35 ci-dessus).
78.  Comme dans son arrêt Incal, la Cour considère qu'elle n'a pas pour tâche d'examiner in abstracto la nécessité d'instituer des cours de sûreté de l'Etat à la lumière des justifications avancées par le Gouvernement, mais de rechercher si le fonctionnement de la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul a porté atteinte au droit des requérants à un procès équitable, et notamment si ces derniers avaient objectivement un motif légitime de redouter un manque d'indépendance et d'impartialité de la part de la cour qui le jugeait (arrêts Incal précité, p. 1572, § 70, et Çıraklar précité, p. ..., § 38).
A cet égard, la Cour n'aperçoit aucune raison de s'écarter de la conclusion à laquelle elle est parvenue en ce qui concerne MM. Incal et Çıraklar qui, comme les requérants, étaient tous deux des civils. Il est compréhensible que les intéressés, qui répondaient devant une cour de sûreté de l'Etat de l'accusation de diffusion de propagande visant à nuire à l'intégrité territoriale de l'Etat et à l'unité nationale, aient redouté de comparaître devant des juges au nombre desquels figurait un officier de carrière, appartenant à la magistrature militaire (paragraphe 33 ci-dessus). De ce fait, ils pouvaient légitimement craindre que la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul ne se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de sa cause. En d'autres termes, les appréhensions des requérants quant au défaut d'indépendance et d'impartialité de cette juridiction peuvent passer pour objectivement justifiées. La Cour de cassation n'a pu dissiper ces craintes, faute pour elle de disposer de la plénitude de juridiction (arrêt Incal précité, p. 1573, § 72 in fine).
79.  Partant, la Cour conclut à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
IV. application de l’article 41 DE LA Convention
80.  Les requérants demandent réparation du dommage matériel et moral ainsi que le remboursement des frais et dépens exposés pour la procédure interne et devant les institutions de la Convention. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
81.  M. Sürek réclame 200 000 francs français (FRF) à titre de compensation de l'amende qu'il a dû acquitter. M. Özdemir sollicite pour sa part 100 000 FRF en réparation de l'amende qui lui a été infligée.
Les requérants déclarent que les sommes qu'ils réclament en francs français représentent la valeur actualisée des amendes prononcées en 1992 ; elles tiennent compte du taux élevé de l'inflation que connaît l'Etat défendeur depuis lors.
82.  Le Gouvernement soutient que les sommes demandées sont exorbitantes en comparaison du montant des amendes. Il ajoute que M. Sürek a été autorisé à régler la sienne par mensualités et que M. Özdemir a quitté le territoire avant le prononcé de la peine, raison pour laquelle aucune sanction ne lui a été appliquée. De plus, en vertu de la loi n° 4304, la peine infligée à M. Özdemir est désormais considérée comme suspendue (paragraphe 25 ci-dessus).
83.  La Cour considère qu'il y a lieu de dédommager le premier requérant, M. Sürek, qui seul a payé son amende. Statuant en équité, elle lui accorde la somme de 8 000 FRF.
B. Dommage moral
84.  Chacun des requérants réclame 80 000 FRF à titre de réparation du dommage moral subi, sans en préciser la nature.
85.  Le Gouvernement soutient qu'il y a lieu de rejeter les demandes. A titre subsidiaire, il fait valoir que, si la Cour concluait à la violation de l'un des articles invoqués par les requérants, ce constat constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.
86.  La Cour estime que les requérants peuvent passer pour avoir éprouvé un certain désarroi dans les circonstances de l'espèce. Statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, elle alloue de ce chef à chacun des intéressés la somme de 30 000 FRF à titre de réparation du dommage moral.
C. Frais et dépens
87.  Les requérants sollicitent le remboursement de leurs frais et dépens, qu'ils évaluent à 50 000 FRF chacun, soit un total de 100 000 FRF. A l'appui de sa demande, M. Sürek a soumis à la Cour le contrat qu'il avait conclu avec son avocat concernant le paiement des honoraires pour la présente affaire et pour trois autres dont il a saisi les institutions de la Convention.
88.  Le Gouvernement trouve que ces sommes sont excessives par comparaison avec les honoraires que perçoivent les avocats turcs plaidant devant les juridictions internes et qu'elles n'ont pas été suffisamment justifiées. Selon lui, l'affaire était simple et n'a pas exigé beaucoup d'efforts de la part de l'avocat des requérants, qui a pu utiliser sa propre langue tout au long de la procédure. Il met en garde contre l'octroi d'une réparation qui ne serait qu'une source d'enrichissement injuste compte tenu de la situation socio-économique que connaît l'Etat défendeur.
89.  La Cour note que l'avocat des requérants a été associé à la préparation d'autres affaires devant la Cour portant sur des griefs tirés des articles 6 et 10 de la Convention fondés sur des faits comparables. Statuant en équité et dans le respect des critères énoncés dans sa jurisprudence (voir, entre autres, l'arrêt Nikolova c. Bulgarie précité, p. ..., § 79), la Cour alloue à chacun des requérants la somme de 15 000 FRF.
D. Intérêts moratoires
90.  La Cour juge approprié de retenir le taux légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt, soit 3,47 % l'an.
Par ces motifs, la Cour
1. Dit, par onze voix contre six, qu'il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
2. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré par le second requérant de l'article 18 de la Convention ;
3. Rejette, à l'unanimité, l'exception préliminaire soulevée par le Gouvernement au titre de l'article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit, par seize voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit, par seize voix contre une,
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i.   8 000 (huit mille) francs français au premier requérant, M. Sürek, pour dommage matériel ;
ii.  30 000 (trente mille) francs français à chacun des requérants pour dommage moral ;
iii.  15 000 (quinze mille) francs français à chacun des requérants pour frais et dépens ;
b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 3,47 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
6. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 8 juillet 1999.
Signé : Luzius Wildhaber     Président
Signé : Paul Mahoney   Greffier adjoint
Au présent arrêt se trouvent joints le texte d'une déclaration de M. Wildhaber et, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement de la Cour, l’exposé des opinions suivantes :
– opinion concordante commune à Mmes Palm, Tulkens, MM. Fischbach et Casadevall et Mme Greve ;
– opinion concordante de M. Bonello ;
– opinion partiellement dissidente commune à M. Wildhaber, M. Kūris, Mme Strážnická, M. Baka et M. Traja ;
– opinion dissidente de M. Gölcüklü.
Paraphé : L. W.    Paraphé : P.J. M.
Déclaration DE M. le juge wildhaber
(Traduction)
Bien qu'ayant voté pour la non-violation de l'article 6 § 1 de la Convention dans l'affaire Incal c. Turquie (arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1547), je considère en l'espèce que je dois me rallier à l'avis de la majorité de la Cour.
opinion concordante COMMUne à mmes palm, tULKENS, MM. fischbach et casadevall  et Mme greve, juges
(Traduction)
Nous souscrivons à la conclusion de la Cour selon laquelle il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 10, bien que nous soyons parvenus à ce constat en suivant une approche accordant plus de place au contexte, comme cela a été exposé dans l’opinion partiellement dissidente de Mme Palm relative à l’affaire Sürek c. Turquie (n° 1).
Selon nous, dans cette série d’affaires contre la Turquie, la majorité analyse la question qui se pose sous l’angle de l’article 10 en accordant trop de poids aux termes employés dans la publication et pas assez au contexte dans lequel ils ont été utilisés et à leur impact probable. Il est indéniable que les mots en question peuvent paraître peu mesurés, voire violents. Mais dans une démocratie, comme la Cour l’a souligné, même des paroles « de défi » peuvent relever de la protection de l’article 10.
Pour mieux être en accord avec la protection élevée dont bénéficie le discours politique dans la jurisprudence de la Cour, il faut se concentrer moins sur le ton enflammé des termes employés et plus sur les différents aspects du contexte dans lequel ils ont été prononcés. Ce langage visait-il à enflammer ou à inciter à la violence ? Y avait-il un réel risque qu’il ait cet effet en pratique ? Pour répondre à ces questions, il faut procéder à une appréciation soigneuse des nombreux éléments qui composent le tableau d’ensemble dans chaque affaire. Il y a lieu de poser aussi d’autres questions. L’auteur du texte offensant détenait-il un poste influent dans la société de nature à amplifier l’impact de ses propos ? Le texte en cause occupait-il une place de choix, que ce soit dans un grand journal ou dans un autre média, en sorte d’accentuer l’effet des expressions incriminées ? Ces termes ont-ils été prononcés loin de la zone de conflits ou à proximité immédiate de celle-ci ?
Ce n’est qu’en procédant à un examen attentif du contexte dans lequel les mots offensants sont parus que l’on peut établir une distinction pertinente entre des termes choquants et offensants – qui relèvent de la protection de l’article 10 – et ceux qui ne méritent pas d’être tolérés dans une société démocratique.
OPINION concordante DE M. le juge bonello
(Traduction)
J'ai voté avec la majorité pour la violation de l'article 10 mais je n'approuve pas le critère principal retenu par la Cour pour déterminer si l'ingérence des autorités nationales dans le droit des requérants à la liberté d'expression se justifiait dans une société démocratique.
Dans toutes ces affaires dirigées contre la Turquie portant sur la liberté d'expression où intervient la notion d'incitation à la violence, comme dans les précédentes, le critère couramment employé par la Cour semble être le suivant : si les écrits publiés par les requérants soutiennent le recours à la violence ou l'encouragent, leur condamnation par les juridictions nationales se justifiait dans une société démocratique. Cet étalon de mesure est à mon sens par trop insuffisant, ce pourquoi je le rejette.
J'estime que, dans une société démocratique, les autorités nationales sont fondées à sanctionner les personnes incitant à la violence seulement lorsque cette incitation est de nature à créer « un danger clair et présent ». Lorsque l'invitation à recourir à la force est intellectualisée, abstraite et éloignée, dans l'espace et le temps, du lieu où la violence règne ou est sur le point de régner, le droit fondamental à la liberté d'expression doit en règle générale l'emporter.
J'emprunte à l'un des plus éminents spécialistes de droit constitutionnel de tous les temps son jugement sur les propos qui tendent à déstabiliser l'ordre public : « Nous devons perpétuellement exercer notre vigilance face à des tentatives de limitation de l'expression d'opinions que nous abhorrons ou considérons comme macabres, à moins que ces opinions ne menacent d'interférer avec les buts légitimes et impérieux poursuivis par la loi de manière tellement imminente qu'il faille intervenir immédiatement pour sauver le pays. »15
Un Etat ne peut se prévaloir de la défense de la liberté d'expression pour empêcher ou interdire les discours prônant le recours à la force, sauf lorsque pareil discours vise ou risque de viser à inciter à une infraction imminente à la loi ou à en produire une16. Tout est question d'imminence et de degré17.
Pour que soit établi un constat de danger clair et présent justifiant une restriction à la liberté d'expression, il faut prouver soit que l'on s'attend à une explosion imminente de grande violence ou que quelqu'un avait incité à cela, soit que la conduite passée du requérant donne lieu de croire que le fait qu'il prône la violence débouchera immédiatement sur des actes graves18.
Il ne m'apparaît pas comme une évidence que l'un quelconque des termes reprochés aux requérants, pour évocateurs de mort qu'ils puissent sembler à certains, aient pu constituer une menace annonciatrice d'effets dévastateurs et immédiats sur l'ordre public. Il ne m'apparaît pas non plus comme une évidence que la répression instantanée de ces expressions était indispensable pour sauver la Turquie. Elles n'ont créé aucun danger, encore moins un danger clair et imminent. Faute de cela, si elle cautionnait la condamnation des requérants par les juridictions pénales, la Cour soutiendrait la subversion de la liberté d'expression.
En résumé, « un danger découlant d'un discours ne peut être réputé clair et présent que si la réalisation du mal redouté est si imminente qu'il risque de se produire avant qu'une discussion complète ait pu avoir lieu. Si l'on a le temps de dénoncer, par le débat, les mensonges et les erreurs, d'éviter le mal par l'éducation, alors le remède consiste à accorder plus de place à la parole, et non à imposer le silence par la force »19.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE commune à  M. WILDHABER, M. Kūris, Mme Strážnická, M. Baka et M. TRAJA, juges
(Traduction)
Dans les affaires relatives à la liberté d'expression, la Cour est appelée à décider si l'ingérence alléguée repose sur une base suffisante en droit interne, vise un but légitime et se justifie dans une société démocratique. Cela découle tant du libellé explicite du second paragraphe de l'article 10 que de l'abondante jurisprudence afférente à cet article. La liberté d'expression consacrée par la Convention n'est pas absolue. Même si la protection prévue à l'article 10 s'étend aux informations et idées qui "heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population" (arrêts Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, § 49, Castells c. Espagne du 23 avril 1992, série A n° 236, § 42, Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A n° 298, § 37, Fressoz et Roire c. France du 21 janvier 1999, § 45), elle reste soumise aux réserves exprimées au paragraphe 2 de cet article. Les personnes invoquant l'article 10 ne doivent donc pas dépasser certaines limites.
Pour apprécier si des mesures restrictives sont nécessaires dans une société démocratique, il y a lieu de tenir dûment compte de la marge d'appréciation dont bénéficient les Etats. La légitimité des mesures prises par des gouvernements démocratiquement élus impose une certaine retenue judiciaire. La marge d'appréciation varie. Elle est par exemple étroite lorsque l'ingérence porte sur un discours politique car on touche là au cœur de la démocratie : restreindre ce mode d'expression affaiblit celle-ci. En revanche, lorsque le discours, par sa nature même, risque de mettre la démocratie en péril, la marge d'appréciation sera proportionnellement plus large.
Lorsque rivalisent des droits protégés par la Convention, la Cour doit se livrer à un exercice de mise en balance destiné à établir lequel l'emporte sur l'autre. Quand la liberté d'expression s'oppose au droit à la vie ou au respect de l'intégrité physique, la balance penche en faveur de ce dernier (voir par exemple l'arrêt Zana c. Turquie du 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, §§ 51, 55 et 61).
Il est normalement assez facile de montrer qu'il est nécessaire dans une société démocratique de restreindre les propos incitant à la violence. La violence étant un mode d'expression politique représentant l'antithèse de la démocratie, quels que soient les buts qu'elle poursuit, y inciter tend à affaiblir la démocratie. En l'affaire Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie (arrêt du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I, p. 27, § 57), la Cour décrit la démocratie comme étant le seul modèle politique envisagé dans la Convention et relève que "l'une des principales caractéristiques de la démocratie réside dans la possibilité qu'elle offre de résoudre par le dialogue et sans recours à la violence les problèmes que rencontre un pays". La violence est par nature incompatible avec la Convention. Au contraire de la défense d'opinions sur le libre marché des idées, l'incitation à la violence représente la négation du dialogue, le rejet de pensées et théories différentes au profit d'un choc de pouvoir. Elle ne saurait donc relever du champ d'application de l'article 10.
En l'espèce, nous notons que les quatre organisations de gauche en question sont illégales en Turquie. Cependant, nous considérons que le ton de leur déclaration commune est assez modéré et que les opinions exprimées ne justifiaient pas une ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'expression.
Quant à l'entretien avec le chef en second du PKK, nous soulignons d'emblée que le dirigeant d'une organisation illégale doit pouvoir exprimer son point de vue sur une situation politique donnée. En outre, il peut être légitime d'interroger le dirigeant d'une telle organisation. Cela ne signifie cependant pas qu'il est légitime de publier l'intégralité de son point de vue eu égard notamment au caractère sensible de la situation qui règne dans le Sud-Est de la Turquie en matière de politique et de sécurité.
L'entretien publié contient des expressions telles que "la guerre continuera tant qu'il y aura un être vivant chez nous", "il n'y aura pas une seule reculade", "il y aura une escalade" ; "notre combat a atteint un certain niveau. Il faut trouver des tactiques appropriées à ce niveau". Il fait également référence à la tactique qu'utilisera le PKK pour combattre l'Etat. Il est extrêmement difficile de ne pas prendre ces phrases pour une incitation à la poursuite de la violence. Les termes utilisés par l'auteur sont directs et clairs et leur signification – il n'y aura pas de compromis même en cas d'escalade de la guerre – était susceptible d'être comprise par le grand public. A cet égard, nous estimons que certaines des expressions employées sont très proches de celles que l'on trouve dans les articles en cause dans l'affaire Sürek c. Turquie (n° 1), où la Cour a conclu à la non-violation de l'article 10.
Conformément à cette analyse des faits de la cause, nous estimons que la majorité de la Cour aurait dû se rallier à l'avis exprimé au paragraphe 60 de l'arrêt, où il est expliqué que "là où les propos litigieux incitent à l’usage de la violence (…) les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation plus large dans leur examen de la nécessité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression". Or la décision de la Cour désavoue la position clairement exprimée au paragraphe 60. Nous ne pouvons suivre la majorité à cet égard. Nous considérons ainsi que  l'ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'expression était, dans les circonstances de l'espèce, proportionnée aux buts légitimes invoqués par le Gouvernement et admis par la Cour.
En l'espèce, nous ne sommes donc pas en mesure de nous rallier à l'avis de la majorité de la Cour selon lequel il y a eu violation de l'article 10 de la Convention. 
oPINION DISSIDENTE DE M. le juge gölcüklü
A mon grand regret, je ne puis conclure avec la majorité de la Cour à la violation de l’article 10 de la Convention. A mon sens, aucune raison valable ne justifie de réfuter en l’espèce la nécessité de l’ingérence en question dans une société démocratique et, en particulier, sa proportionnalité au but que constitue la protection de la sécurité nationale.
Je ne partage pas non plus l’avis de la majorité selon lequel il y a eu violation de l’article 6 § 1 au motif que les cours de sûreté de l’Etat ne sont pas des « tribunaux indépendants et impartiaux » au sens de cet article vu la présence d’un juge militaire en leur sein.
En effet, les considérations générales exposées dans l’arrêt Zana c. Turquie du 25 novembre 1997 et reprises dans l’arrêt Gerger c. Turquie du 8 juillet 1999 sont aussi valables et pertinentes dans cette affaire. Pour éviter toute redite, je me réfère aux paragraphes 1 à 9 de mon opinion dissidente jointe à ce dernier arrêt.
L’affaire Sürek et Özdemir c. Turquie, sinon dans sa forme, du moins dans son contenu, ne diffère point des affaires Zana ni Gerger. D’ailleurs, la Commission européenne des Droits de l’Homme a conclu à la violation de l’article 10 avec une très courte majorité (17 voix contre 15). Je partage entièrement l’opinion dissidente commune de la minorité (MM. S. Trechsel, E. Busuttil, G. Jörundsson, A.S. Gözübüyük, A. Weitzel, Mme J. Liddy, MM. I. Cabral Barreto, N. Bratza, D. Šváby, G. Ress, A. Perenič, C. Bîrsan, K. Herndl, E. Bieliūnas et E.A. Alkema) qui n’a pas conclu à la violation de ladite disposition. Qu’il me soit donc permis de la reproduire in extenso en guise d’opinion dissidente individuelle :
« Nous regrettons de ne pouvoir partager le point de vue de la majorité de la Commission selon lequel il y a eu en l'espèce violation de l'article 10 de la Convention.
Tout en convenant que la déclaration des quatre organisations socialistes n'était pas de nature à justifier une ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'expression, nous sommes d'un avis différent quant à l'entretien avec C.B. publié en deux volets dans les numéros du 31 mai et du 7 juin 1992 de la revue hebdomadaire des requérants.
Nous accordons une importance particulière au fait que C.B. était à l'époque de l'entretien le chef en second du PKK, organisation terroriste armée qui était et reste engagée dans la violence. Comme la majorité de la Commission, nous ne pensons pas que la simple publication d'un entretien avec un des dirigeants du PKK suffise à justifier une ingérence dans le droit à la liberté d'expression. C'est ainsi par exemple qu'un entretien avec un chef terroriste donnant une analyse factuelle de la genèse du conflit ou présentant des suggestions afin de parvenir à une solution pacifique ne pourrait pas servir à justifier une quelconque mesure à l'encontre de l'éditeur.   Cependant, nous pensons que les personnes publiant ce type d'entretien doivent veiller avec un soin particulier à ce qu'il ne contienne rien qui risque d'être interprété comme une incitation à la violence.
La majorité a conclu que les réponses de C.B., tout en prédisant clairement une poursuite de l'action armée tant du côté de l'Etat turc que du PKK, ne peut guère s'interpréter comme une incitation à la violence. Nous ne pouvons souscrire à cela. Selon nous, plusieurs passages de l'entretien ne peuvent se comprendre autrement que comme un encouragement à poursuivre la violence terroriste. Nous attirons notamment l'attention sur les réponses suivantes : « Notre combat a atteint un certain niveau. Il faut trouver des tactiques appropriées à ce niveau car c'est une erreur de faire la guerre avec des tactiques mal adaptées. On peut progresser dans la guerre si on utilise des tactiques correspondant au niveau que le combat a maintenant atteint. Voilà pourquoi nous avons organisé ce genre d'action. Nous voulions attaquer le matin et tenir nos positions en poursuivant les combats dans la journée, ce qui nous a au bout du compte conduits au succès. C'était une expérience. De notre point de vue, il y a des enseignements à en tirer. Nous étudions la question. Nous en tirerons profit dans les actions que nous mènerons à l'avenir. (...) Cette guerre se poursuivra tant que l'Etat turc refusera de reconnaître la volonté du peuple kurde : il n'y aura pas un seul pas en arrière. La guerre continuera tant qu'il y aura un être vivant chez nous. »
La Commission a précédemment attiré l'attention sur la difficulté qu'il y a à ménager un juste équilibre entre les exigences de la protection de la liberté d'échanger des informations et celles de la protection de l'Etat et du public contre des conspirations armées qui cherchent à renverser l'ordre démocratique, dans une situation où les avocats de la violence s'efforcent d'accéder aux médias à des fins de publicité (voir par exemple la requête n° 15404/89, décision du 16.4.91, D.R. 70, p. 262).
Nous considérons qu'en l'espèce, les autorités nationales n'ont pas outrepassé leur marge d'appréciation lorsqu'elles ont interdit les publications, car ces mesures peuvent passer pour nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale et à la sûreté publique. »
Quant au constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention par la Cour, je me réfère à mon opinion dissidente rédigée en commun, dans l’affaire Incal c. Turquie du 9 juin 1998, avec les éminents juges Thór Vilhjálmsson, Matscher, Foighel, Sir John Freeland, Lopes Rocha, Wildhaber et Gotchev, et à mon opinion dissidente individuelle en l’affaire Çıraklar c. Turquie du 28 octobre 1998. Je suis toujours convaincu que la présence d’un juge militaire au sein d’une cour composée de trois juges dont deux sont des juges civils n’affecte en rien l’indépendance et l’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat, tribunal de l’ordre judiciaire non-militaire dont les arrêts sont contrôlés par la Cour de cassation.
Je tiens à souligner : 1) que la conclusion de la majorité découle d'un élargissement abusif de la théorie des apparences ; 2) qu’il ne suffit pas de dire, comme l’a fait la majorité au paragraphe 78 de l’arrêt, qu'il est « compréhensible que les intéressés (…) aient redouté de comparaître devant des juges au nombre desquels figurait un officier de carrière, appartenant à  la magistrature militaire » et ainsi s’appuyer purement et simplement sur la jurisprudence Incal (Çıraklar n’étant que la répétition de ce qui était dit dans l’arrêt Incal) ; et 3) que l’avis de la majorité est abstrait et qu’il aurait donc dû être mieux étayé en fait et en droit pour être justifié.
Notes du greffe
1-2.  Entré en vigueur le 1er novembre 1998.   3.  Depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, qui a amendé cette disposition, la Cour fonctionne de manière permanente.
2.  Note du greffe : le règlement A s’est appliqué jusqu’au 31 octobre 1998 à toutes les affaires déférées à la Cour avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole.
3 Voir le paragraphe 23 ci-dessous.
4 La condamnation d’une personne en application de l’article 312 § 2 entraîne d’autres conséquences, notamment quant à l’exercice de certaines activités régies par des lois spéciales. Ainsi, par exemple, les personnes condamnées de la sorte ne peuvent fonder des associations (loi n° 2908, article 4 § 2 b)) ou des syndicats, ni être membres des bureaux de ces derniers (loi n° 2929, article 5). Il leur est également interdit de créer des partis politiques ou d’y adhérer (loi n° 2820, article 11 § 5) ou d’être élus au parlement (loi n° 2839, article 11, alinéa f 3)). De plus, si la peine infligée excède six mois d’emprisonnement, l’intéressé est déchu de son droit d’entrer dans la fonction publique, sauf s'il s’agit d’un délit non intentionnel (loi n° 657, article 48 § 5).
5 Cette loi, promulguée en vue de la répression des actes de terrorisme, se réfère à une série d’infractions visées au code pénal qu’elle qualifie d’actes « de terrorisme » ou d’actes « perpétrés à des fins terroristes » (articles 3-4) et auxquelles elle s’applique.
6-2 Le membre de phrase en italique a été supprimé par un arrêt de la Cour constitutionnelle en date du 31 mars 1992 et a cessé de produire effet le 27 juillet 1993.
7 Voir ci-dessous la clause pertinente de la loi n° 4126.
8 Voir le paragraphe 26 ci-dessous.
9 Cette disposition porte sur les peines de substitution et mesures susceptibles d’être prononcées en cas d’infractions passibles d’une peine d’emprisonnement.
10 Cette disposition porte sur le sursis à l’exécution des peines.
11 Sur la question de savoir s’il y a non-conformité à la loi, la Cour de cassation n’est pas liée par les moyens soulevés devant elle. Par ailleurs, le terme « règle de droit » renvoie à toute source écrite de droit ainsi qu’à la coutume et aux principes déduits de l’esprit de la loi.  
12 Les cours de sûreté de l’Etat ont été instaurées par la loi n° 1773 du 11 juillet 1973, conformément à l’article 136 de la Constitution du 1961. Cette loi fut annulée par la Cour constitutionnelle le 15 juin 1976. Par la suite, ces juridictions furent réintroduites dans l’organisation judiciaire turque par la Constitution de 1982. L’exposé des motifs afférent à ce rétablissement contient le passage suivant :
« Il peut y avoir des actes touchant à l’existence et la pérennité d’un Etat tels que, lorsqu’ils sont commis, une compétence spéciale s’impose pour trancher promptement et dans les meilleures conditions. Pour ces cas-là, il s’avère nécessaire de prévoir des cours de sûreté de l’Etat. Selon un principe inhérent à notre Constitution, il est interdit de créer un tribunal spécial pour connaître d’un acte donné, postérieurement à sa perpétration. Aussi les cours de sûreté de l’Etat ont-elles été prévues par notre Constitution pour connaître des poursuites relatives aux infractions susmentionnées. Comme les dispositions particulières régissant leurs attributions se trouvent fixées au préalable et que les juridictions en question sont créées avant tout acte (…), elles ne sauraient être qualifiées de tribunaux instaurés pour connaître de tel ou tel acte postérieurement à sa commission. »
13 Ces dispositions sont fondées sur l’article 143 de la Constitution, à l’application duquel elles se rapportent.
14.  Note du greffe : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
15.  Juge Oliver Wendell Holmes dans Abrahams v. United States, 250 U.S. 616 (1919), p. 630.
16.  Affaire Brandenburg v. Ohio, 395 U.S. 444 (1969), p. 447.
17.  Affaire Schenck v. United States, 294 U.S. 47 (1919), p. 52.
18.  Affaire Whitney v. California, 274 U.S. 357 (1927), p. 376.
19.  Juge Louis D. Brandeis dans Whitney v. California, 274 U.S. 357 (1927), p. 377.
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR DU 8 JUILLET 1999
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR   OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE A M. WILDHABER, M. KŪRIS, MME STRÁŽNICKÁ M. BAKA ET M. TRAJA
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR – OPINION CONCORDANTE
DE M. LE JUGE BONELLO
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR – OPINION PARTIELLEMENT
DISSIDENTE COMMUNE
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR – OPINION DISSIDENTE
DE M. LE JUGE GÖLCÜKLÜ
ARRÊT SÜREK ET ÖZDEMIR


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 10 ; Non-lieu à examiner l'art. 18 (second requérant) ; Exceptions préliminaires rejetées (non-épuisement des voies de recours internes, forclusion) ; Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire (premier requérant) ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) INTEGRITE NATIONALE, (Art. 10-2) PREVENTION DES INFRACTIONS PENALES, (Art. 10-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 10-2) SECURITE NATIONALE, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL, (Art. 6-1) TRIBUNAL INDEPENDANT, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : SÜREK ET ÖZDEMIR
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (grande chambre)
Date de la décision : 08/07/1999
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 23927/94;24277/94
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-07-08;23927.94 ?
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