La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/09/1999 | CEDH | N°36608/97

CEDH | AFFAIRE BOSIO ET MORETTI c. ITALIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BOSIO ET MORETTI c. ITALIE
(Requête n° 36608/97)
ARRÊT
STRASBOURG
6 septembre 1999
En l’affaire Bosio et Moretti c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
M. M. Fischbach, président,   M. L. Ferrari Bravo,   M. G. Bonello,   Mme V. Strážnická,   M. P. Lorenzen,   M. A. Baka,   M. E. Levits,  ainsi que de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 aoû

t 1999,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette même date :
PROCéDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour p...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BOSIO ET MORETTI c. ITALIE
(Requête n° 36608/97)
ARRÊT
STRASBOURG
6 septembre 1999
En l’affaire Bosio et Moretti c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
M. M. Fischbach, président,   M. L. Ferrari Bravo,   M. G. Bonello,   Mme V. Strážnická,   M. P. Lorenzen,   M. A. Baka,   M. E. Levits,  ainsi que de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 août 1999,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette même date :
PROCéDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour par Mmes Maddalena Bosio et Glauca Moretti (« les requérantes »), ressortissantes italiennes, le 2 novembre 1998. A son origine se trouve une requête (no 36608/97) dirigée contre la République italienne et dont les requérantes avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 28 juin 1995 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Les requérantes ne sont pas représentées par un conseil. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza.
2.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément aux clauses de l’article 5 § 4 dudit Protocole, lu en combinaison avec les articles 24 § 6 et 100 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), un collège de la Grande Chambre a décidé, le 14 janvier 1999, que l’affaire serait examinée par une chambre constituée au sein de l’une des sections de la Cour.
3.  Le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a ensuite attribué l’affaire à la deuxième section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit M. B. Conforti, juge élu au titre de l'Italie (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement), et M. C. Rozakis, président de la section (article 26 § 1 a) du règlement). Les autres membres désignés par ce dernier pour compléter la chambre étaient M. M. Fischbach, M. G. Bonello, Mme V. Strážnická, M. P. Lorenzen et M. E. Levits (article 26 § 1 b) du règlement).
4.  Ultérieurement, M. Rozakis et M. Conforti, qui avaient participé à l’examen de l’affaire par la Commission, se sont déportés (article 28 du règlement). Par conséquent, M. Fischbach a remplacé M. Rozakis en tant que président de la chambre (article 12 du règlement) et M. A. Baka a été désigné pour le remplacer au sein de celle-ci. Par la suite, le Gouvernement a désigné M. L. Ferrari Bravo, juge élu au titre de Saint-Marin, pour siéger à la place de M. Conforti (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
5.  Le 30 mars 1999, après avoir consulté l'agent du Gouvernement et les requérantes, la Cour a décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience.
6.  Le 31 mars 1999, le Gouvernement a informé la Cour qu'il n'entendait pas présenter un nouveau mémoire et se référait à ses observations devant la Commission du 14 novembre 1997. Le 9 juin 1999, le greffe a reçu le mémoire des requérantes.
EN FAIT
7.  Le 10 avril 1986, la société T. assigna les requérantes devant le tribunal de Bologne afin d'obtenir le paiement de travaux effectués dans leur appartement. Les requérantes, à leur tour, formulèrent une demande reconventionnelle en réparation des dommages subis suite à des malfaçons.
8.  La mise en état de l'affaire commença le 22 mai 1986, date à laquelle les requérantes demandèrent l'intervention de M. P., le directeur des travaux. L'audience fixée au 9 octobre 1986 fut ajournée à deux reprises à la demande des parties jusqu'au 8 janvier 1987. A cette date, le juge de la mise en état ordonna la comparution de M. P. à l'audience du 2 avril 1987. Le jour venu, l'audience fut remise à la demandes des requérantes, afin d'examiner des documents déposés par la demanderesse le jour même. Le 9 juin 1987, l'audience fut renvoyée à la demande de cette dernière. Des six audiences qui se tinrent entre le 25 février 1988 et le 28 février 1989, quatre furent relatives à une expertise et deux furent ajournées à la demande des parties. Celles-ci présentèrent leurs conclusions le 27 juin 1989 et l'audience de plaidoiries se tint le 17 décembre 1991.
9.  Par une décision du même jour, déposée au greffe le 13 février 1992, le tribunal rouvrit l'instruction afin d'entendre les parties, nomma un expert pour un complément d'expertise, ordonna la jonction de la présente affaire à une autre et fixa une audience au 10 mars 1992.
10.  En ce qui concerne cette autre procédure, le 1er octobre 1987 les requérantes avaient fait opposition à l'injonction de payer obtenue par la société T. à leur encontre, devant le tribunal de Bologne. Cette procédure se déroula parallèlement à la première. Après le 26 novembre 1987, toutes les audiences eurent lieu le même jour que les audiences de la première procédure.
11.  Après la jonction du 17 décembre 1991 des deux affaires, entre le 28 avril 1992 et le 6 janvier 1995 eurent lieu sept audiences, dont deux furent relatives audit complément d'expertise, deux furent ajournées d'office, deux furent remises à la demande des parties et une pour permettre aux requérantes de remplacer l'avocat qui avait renoncé à son mandat.
12.  Le 6 décembre 1995, les parties présentèrent une deuxième fois leurs conclusions et l'audience de plaidoiries se tint le 26 mars 1996. Par un jugement du 2 avril 1996, déposé au greffe le 17 juin 1996, le tribunal fit en partie droit à la demande de la société T., rejeta la demande reconventionnelle et annula l'injonction de payer à l'encontre des requérantes.
13.  Le 18 décembre 1996, les requérantes interjetèrent appel devant la cour d'appel de Bologne. Le 22 janvier 1997, l'audience fut renvoyée par le conseiller de la mise en état au 12 mars 1997. Les parties présentèrent leurs conclusions le 23 avril 1997 et l'audience de plaidoiries fut fixée au 5 juin 1998.
14.  Par une déclaration du 15 avril 1998, les parties sont parvenues à un règlement amiable aux termes duquel la défenderesse a accepté le versement d'une certaine somme en échange de la renonciation des requérantes à la poursuite de la procédure.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
15.  Mmes Bosio et Moretti ont saisi la Commission le 28 juin 1995. Elles alléguaient la méconnaissance de leur droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1) et la violation de leur domicile respectif (article 8).
16.  Le 10 mars 1998, la Commission a retenu la requête (n° 36608/97) quant au premier grief et l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport1 du 27 mai 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
EN DROIT
I. sur la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la convention
17.  Les requérantes affirment que la durée de la procédure les concernant a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
18.  La période à prendre en considération a commencé le 10 avril 1986, avec l'assignation des requérantes devant le tribunal de Bologne, pour s’achever le 15 avril 1998, date du règlement amiable. Elle a donc duré un peu plus de douze ans.
19.  La Cour rappelle avoir constaté dans quatre arrêts du 28 juillet 1999 (voir par exemple l'arrêt Bottazzi c. Italie à paraître dans le Recueil 1999, § 22) l'existence en Italie d'une pratique contraire à la Convention résultant d'une accumulation de manquements à l'exigence du « délai raisonnable ».
20.  Ayant examiné les faits de la cause à la lumière des arguments des parties et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » et qu'il y a là encore une manifestation de la pratique précitée.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. sur l'application de l’article 41 DE LA Convention
21.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
22.  Les requérantes réclament le remboursement des dommages subis en le chiffrant comme suit :
a)      80 000 000 lires italiennes (ITL) pour les préjudices matériel et moral ;
b)      50 000 000 ITL correspondant au coût des réparations nécessaires à l'élimination des malfaçons relevées dans leur immeuble ;
c)      62 243 334 ITL résultant de la différence entre les sommes dues au début de la procédure et celles payées à la fin à la société demanderesse et au directeur des travaux.
23.  Le Gouvernement nie l'existence de tout lien de causalité entre le dommage matériel allégué et la violation de la Convention. Quant au préjudice moral, il estime suffisant, le cas échéant, le constat de violation.
24.  La Cour partage la thèse du Gouvernement sur le premier point. Elle considère en revanche que les requérantes ont souffert un certain dommage moral pour lequel il y a lieu de leur allouer 25 000 000 ITL chacune.
B. Frais et dépens
25.  Les requérantes sollicitent aussi le remboursement des frais et dépens exposés devant les juges nationaux - 28 378 800 ITL - et la Commission puis la Cour - 763 000 ITL.
26.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la première partie de la demande car les requérantes auraint de toute manière dû payer ces sommes independamment de la durée de la procédure. Pour le reste, il s'en remet à la sagesse de la Cour.
27.  Eu égard à sa jurisprudence en la matière, la Cour considère raisonnable la somme de 8 000 000 ITL tous frais confondus et l'accorde aux deux intéressées.
C. Intérêts moratoires
28.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date d’adoption du présent arrêt était de 2,5 % l’an.   
Par ces motifs, la Cour
1. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2.      Dit, à l’unanimité, que l’Etat défendeur doit verser à chaque requérante, dans les trois mois, 25 000 000 (vingt-cinq millions) lires italiennes pour dommage moral ;
3.      Dit, par six voix contre une, que l’Etat défendeur doit verser aux deux requérantes, dans les trois mois, 8 000 000 (huit millions) lires pour frais et dépens ;
4.      Dit, à l'unanimité, que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 2,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
5.      Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 septembre 1999, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik Fribergh    Marc Fischbach
Greffier          Président
1.  Note du greffe : le rapport est disponible au greffe.
ARRÊT BOSIO ET MORETTI DU 6 SEPTEMBRE 1999 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 36608/97
Date de la décision : 06/09/1999
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : BOSIO ET MORETTI
Défendeurs : ITALIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-09-06;36608.97 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award