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28/09/1999 | CEDH | N°22479/93

CEDH | AFFAIRE ÖZTÜRK c. TURQUIE


AFFAIRE ÖZTÜRK c. TURQUIE
(Requête n° 22479/93)
ARRÊT
STRASBOURG
28 septembre 1999
En l’affaire Öztürk c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. L. Wildhaber, président,    A. Pastor Ridruejo,    G. Bonel

lo,    L. Caflisch,    P. Kūris,    J.-P. Costa,
Mmes F. Tulkens,
V. Strážnická,  MM.  M. Fischbach,...

AFFAIRE ÖZTÜRK c. TURQUIE
(Requête n° 22479/93)
ARRÊT
STRASBOURG
28 septembre 1999
En l’affaire Öztürk c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. L. Wildhaber, président,    A. Pastor Ridruejo,    G. Bonello,    L. Caflisch,    P. Kūris,    J.-P. Costa,
Mmes F. Tulkens,
V. Strážnická,  MM.  M. Fischbach,   V. Butkevych,   J. Casadevall,  Mme H.S. Greve,  MM. A.B. Baka,   R. Maruste,
K. Traja,   Mme  S. Botoucharova,
M. F. Gölcüklü, juge ad hoc,
ainsi que de Mme M. de Boer-Buquicchio, greffière adjointe,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 avril et 20 septembre 1999,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour, telle qu’établie en vertu de l’article 19 de la Convention3, par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 24 septembre 1998, dans le délai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 22479/93) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ünsal Öztürk, avait saisi la Commission le 24 mai 1993 en vertu de l’ancien article 25.
La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu’à la déclaration turque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 10 de la Convention.
2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement A3, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et a désigné Me H. Öndül, du barreau d’Ankara, comme son conseil (article 30).
3.  En sa qualité de président de la chambre initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement A)  pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. R. Bernhardt, président de la Cour à l’époque, a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement turc (« le Gouvernement »), le conseil du requérant et M. H. Danelius, délégué de la Commission, au sujet de l’organisation de la procédure écrite. Une ordonnance a été rendue en conséquence le 15 octobre 1998, fixant la date limite pour le dépôt des mémoires.
4.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l’article 5 § 5 dudit Protocole, l’examen de l’affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Le 11 décembre1998, le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a décidé que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convenait d’attribuer la présente affaire à la Grande Chambre qui avait été constituée pour connaître de treize autres affaires contre la Turquie, à savoir : Karataş c. Turquie (requête n° 23168/94), Arslan c. Turquie (n° 23462/94), Polat c. Turquie (n° 23500/94), Ceylan c. Turquie (n° 23556/94), Okçuoğlu c. Turquie (n° 24246/94), Gerger c. Turquie (n° 24919/94), Erdoğdu et İnce c. Turquie (n°s 25067/94 et 25068/94), Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie (n°s 23536 et 24408/94), Sürek et Özdemir c. Turquie (n°s 23927 et 24277/94), Sürek c. Turquie (n° 1) (n° 26682/95), Sürek c. Turquie (n° 2) (n° 24122/94), Sürek c. Turquie (n° 3) (n° 24735/94) et Sürek c. Turquie (n° 4) (n° 24762/94).
5.  La Grande Chambre constituée à cette fin comprenait de plein droit M. R. Türmen, juge élu au titre de la Turquie (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, vice-présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. A. Pastor Ridruejo, M. G. Bonello, M. J. Makarczyk, M. P. Kūris, Mme F. Tulkens, Mme V. Strážnická, M. V. Butkevych, M. J. Casadevall, Mme H.S. Greve, M. A.B. Baka, M. R. Maruste et Mme S. Botoucharova (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement).
6.  Le 15 décembre 1998, le greffier a reçu le mémoire du requérant, que le président avait autorisé à employer la langue turque dans la procédure écrite (article 34 § 3 du règlement).
7.  Le 21 décembre 1998, M. Wildhaber a dispensé de siéger M. Türmen, qui s’était déporté, eu égard à une décision de la Grande Chambre prise dans l’affaire Oğur c. Turquie conformément à l’article 28 § 4 du règlement. Le 11 janvier 1999, le Gouvernement a notifié au greffe la désignation de M. F. Gölcüklü en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 du règlement).
Ultérieurement, Mme Palm, empêchée, a été remplacée par M. K. Traja, suppléant (article 24 § 5 b) du règlement).
8.  Le 8 février 1999, dans le délai qu’avait prorogé le président, le greffe a reçu le mémoire du Gouvernement, rédigé en turc, et le 22 février est parvenue une version corrigée des documents annexes audit mémoire. Le requérant et le Gouvernement ont déposé leurs répliques respectives les 15 et 16 mars. A cette dernière date, le Gouvernement a également fourni des renseignements en réponse aux questions formulées par le juge rapporteur relativement aux faits de la cause et au droit interne. Le 30 mars, il a communiqué au greffe des documents destinés à être annexés à son mémoire en réplique. Le 20 avril, le greffe a reçu la version anglaise du mémoire du Gouvernement.
9.  Le 22 avril 1999, la Grande Chambre a décidé, eu égard au dossier et au fait que le requérant et le Gouvernement avaient déclaré pouvoir se passer d’audience, de renoncer à celle-ci (article 59 § 2 du règlement).
10.  Le 20 septembre 1999, M. Makarczyk, empêché, a été remplacé par M. L. Caflisch, suppléant (article 24 § 5 b) du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
11.  Né en 1957, M. Öztürk, le requérant, est l’un des propriétaires de la maison d’édition Yurt Kitap-Yayın et réside à Ankara.
En octobre 1988, il publia un livre de M. N. Behram, intitulé Devant le témoignage de la vie – Journal d’une mort sous la torture (Hayatın Tanıklığında – İşkencede Ölümün Güncesi). L’ouvrage relatait la vie d’İbrahim Kaypakkaya, l’un des fondateurs en 1973 du Parti communiste de Turquie – marxiste-léniniste (Türkiye Komünist Partisi – Marksist-Leninist – « TKP-ML »), organisation illégale d’orientation maoïste.
Cet ouvrage de 111 pages, illustré par des photographies, contient 24 chapitres, dont chacun est annoncé par un poème. Il s’agit des écrits de quatre poètes turcs, à savoir l’auteur lui-même, A. Arif, M. Derviş et A. Kadir, de l’écrivain chilien, P. Neruda, et, enfin, d’İbrahim Kaypakkaya.
La première édition ayant été épuisée dès sa mise en vente, l’ouvrage fut réédité en novembre 1988.
12. Le 21 décembre 1988, le procureur de la République (« le procureur ») près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara (« la cour de sûreté de l’Etat ») engagea des poursuites pénales contre M. Behram, l’auteur du livre, et contre le requérant, son éditeur. Il sépara cependant le dossier de M. Behram, constatant qu’au moment des faits celui-ci se trouvait à l’étranger.
A.  La procédure diligentée à l’encontre de M. Öztürk  
13.  Le 23 décembre 1988, à la demande du procureur, le juge unique de la cour de sûreté de l’Etat ordonna à titre conservatoire la saisie des exemplaires de la deuxième édition en cause en l’espèce. D’après le dossier, 3 195 exemplaires furent ainsi saisis, dont  3 133 à la maison d’édition du requérant.
Le 5 janvier 1989, l’opposition formée par le requérant contre ladite ordonnance fut écartée.
14.  Le 14 février 1989, le procureur inculpa le requérant de propagande  communiste contraire à l’ancien article 142 §§ 4 et 6 du code pénal (paragraphe 29 ci-dessous) et d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une classe sociale, infraction prévue à l’article 312 §§ 2 et 3 dudit code (paragraphe 30 ci-dessous).
Rappelant les antécédents de İ. Kaypakkaya, le procureur  souligna qu’à la tête de l’organisation terroriste TKP-ML, celui-ci s’était livré à des actions armées en vue de renverser l’ordre constitutionnel de l’Etat afin d’instaurer un régime communiste.
A l’appui de ses conclusions, le procureur attira d’abord l’attention sur la description du père de İ. Kaypakkaya, figurant à la deuxième page de l’ouvrage : « c’était un ouvrier qui ne pouvait accepter que la vie s’écoule ainsi, que la sueur, l’énergie et le travail soient ainsi pillés, et qui, contrarié devant cet état de fait, voulait que ce monde funeste change ». D’après le procureur, en assimilant le statu quo à un régime spoliateur, cette phrase louait sans conteste le communisme.
Le procureur poursuivit en invoquant les poèmes suivants :
« (…) Ce sont les guets-apens qui me guident  vers mon peuple, force vitale de la guérilla,  la résistance est une passion effroyable et noble  mais ce n’est pas tout,  à l’image de l’amante, elle est, de surcroît,  hésitante,  docile,  délicate,  habile,  nous qui sommes maîtres du patriotisme  l’espoir  est dissimulé en nous, l’étendard immortel est rouge  et flotte au vent (…) »
((p. 15) A. Arif ; paru en janvier 1974 dans l’hebdomadaire Yeni A)
Selon le procureur, il fallait interpréter ce poème à la lumière des  agissements de İ. Kaypakkaya. Considéré sous cet angle, il était insinué que les actions terroristes permettraient de se rapprocher  du peuple et d’y recruter des terroristes actifs, et qu’il faudrait lutter et patienter pour établir un régime communiste. Cela s’analysait, selon le procureur, en une propagande illégale en faveur de ladite idéologie.
« Aux compagnons morts     Vous qui avez donné votre vie pour notre peuple   Vous qui avez tout donné pour ce combat  Vous qui avez donné la couleur rouge   à l’étendard du combat   qui flotte avec fierté dans nos poitrines  Ô vous qui êtes tombés pour notre peuple immortel  Ô vous les fils sublimes de notre peuple  Reposez-vous avec fierté et patience  Vos compagnons poursuivent votre combat (…) »
((p. 27) İ. Kaypakkaya) 
Le procureur releva que ce texte honorait le souvenir des terroristes décédés qui avaient voulu ébranler le régime constitutionnel de l’Etat par les armes et que, particulièrement dans sa dernière phrase, il faisait appel à la haine et à l’hostilité.
« (…) La seule lumière   Qui nous a réveillés,  C’était la lumière du monde !   Je suis entré dans leurs maisons,  Ils étaient attablés  De retour du travail,  Ils riaient ou pleuraient   Et se ressemblaient tous  Ils tournaient leur regard vers la lumière  et cherchaient leur chemin (…) »
((p. 30) P. Neruda)
Pour le procureur, les vers précités constituaient de la propagande communiste puisqu’ils désignaient le communisme comme la seule lumière des prolétaires. 
« (…) Ils ont exécuté la sentence de mort   Ils ont ensanglanté   La brume bleue des montagnes et  La brise du matin à peine réveillée  Ils sont alors venus [et ont posé leurs] armes   Tâtant soigneusement nos poitrines  Ils ont examiné,   fouillé partout (…) »
((p. 35) A. Arif, « Ton absence m’a fait user des chaînes », 1968)
Le procureur soutint que ces phrases insultaient les forces de sécurité qui devaient affronter les terroristes, et incitaient ainsi le peuple à la haine et à l’hostilité contre celles-ci.
Enfin, il releva que l’expression « Que leur vertu soit notre guide et leur mémoire, une lumière sur notre chemin », qui apparaissait à la toute dernière page du livre, se référait à İ. Kaypakkaya ainsi qu’aux autres terroristes.
Par conséquent, le procureur conclut que l’éloge enthousiaste de la personnalité et des agissements du rebelle İ. Kaypakkaya dans le livre en question justifiait tant la condamnation de M. Öztürk en sa qualité d’éditeur responsable aux termes de l’article 16 § 4 de la loi n° 5680 sur la presse (paragraphe 32 ci-dessous) que la confiscation des exemplaires de l’ouvrage incriminé en vertu de l’article 36 § 1 du code pénal (paragraphe 28 ci-dessous).
15.  Devant la cour de sûreté de l’Etat, le requérant réfuta les accusations, faisant valoir qu’il avait publié l’ouvrage en cause parce qu’il estimait que celui-ci ne contenait rien qui justifiât des mesures de répression. En outre, ses conseils plaidèrent notamment que les phrases litigieuses du livre, reproduites dans l’acte d’accusation, ne sauraient aucunement passer pour de la propagande séparatiste, et que, à supposer même que l’on pût y voir une critique à l’endroit du régime actuel de l’Etat, celle-ci serait du droit de tout citoyen.
16.  Le 30 mars 1989, la cour de sûreté de l’Etat déclara le requérant coupable des infractions reprochées.
Dans son arrêt, après s’être convaincu « qu’il n’y [avait] pas lieu de confier l’examen du livre aux experts, étant donné que son contenu [était] compréhensible par quiconque à la première lecture (…) », la cour de sûreté de l’Etat admit que les passages invoqués dans l’acte d’accusation faisaient bien l’éloge du but et des actions armées du TKP-ML ainsi que de son dirigeant et que, partant, le procureur était pleinement fondé à y voir une incitation ouverte du peuple à la haine et à l’hostilité. Cependant, rappelant qu’elle avait considéré la teneur du livre dans son ensemble – conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation –, la cour de sûreté de l’Etat estima devoir écarter les moyens de défense tirés précisément du manque de pertinence d’une appréciation fondée sur tel ou tel extrait isolé de l’ouvrage litigieux.
Estimant qu’il n’était pas nécessaire de reproduire dans le dispositif de l’arrêt les passages recelant des éléments délictueux, la cour de sûreté de l’Etat énonça :
« Tout bien considéré, le livre vise à glorifier et vénérer tant le communisme que le terroriste nommé İbrahim Kaypakkaya (…) qui en était partisan, et à faire l’apologie de ses agissements (…) par ailleurs, [ledit livre] incite expressément le peuple à la haine et à l’hostilité sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une région, à une classe sociale et à une race. »
La cour de sûreté de l’Etat condamna M. Öztürk à des peines d’amende de 328 500 et de 285 000 livres turques (TRL) au titre des articles 142 § 4 et 312 § 2 du code pénal respectivement (paragraphes 29 et 30 ci-dessous), et ordonna la confiscation de l’ouvrage litigieux (paragraphe 28 ci-dessous).
17.  Par un arrêt du 26 septembre 1989, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant irrecevable quant à la condamnation prononcée en vertu de l’article 312 du code pénal, au motif qu’elle n’était pas susceptible de recours eu égard au montant de l’amende infligée à ce titre. Elle infirma cependant le verdict prononcé en  vertu de l’article 142 § 4, considérant qu’il était contraire à la loi d’établir la culpabilité de l’accusé par simple renvoi à l’acte d’accusation, sans démontrer et motiver comment et dans quelles parties le livre litigieux faisait l’apologie du communisme. Elle renvoya sur ce point l’affaire devant la cour de sûreté de l’Etat.
18.  Le 9 janvier 1990, le requérant s’acquitta de l’amende de 285 000 TRL.
19.  Dans l’arrêt qu’elle rendit le 28 décembre 1990, la cour de sûreté de l’Etat, se basant sur un rapport d’expertise sur la teneur du livre en cause, confirma la peine qu’elle avait prononcée au titre de l’article 142 du code pénal ; elle maintint en outre sa décision quant à la confiscation de l’ouvrage.
Toutefois, le 1er mars 1991, ce jugement fut également infirmé par la Cour de cassation, au motif que le rapport l’ayant fondé n’était pas rédigé par des experts ayant prêté serment. L’affaire fut alors renvoyée une seconde fois devant la juridiction de première instance. 
20. Devant celle-ci, le procureur requit l’acquittement de M. Öztürk du chef de propagande de communisme. Il fit valoir que l’article 142 du code pénal, sur lequel se fondait la condamnation en question, avait été abrogé par  la loi n° 3713 sur la lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur le 12 avril 1991.
Par un arrêt du 11 juin 1991, la cour de sûreté de l’Etat accueillit la demande du procureur. Cependant, rappelant que l’arrêt rendu le 30 mars 1989 était passé en force de chose jugée quant à la condamnation prononcée au titre de l’article 312 du code pénal (paragraphe 17 ci-dessus), elle constata que l’effet de la mesure de confiscation demeurait intact.
Il ressort du dossier que 2 845 des exemplaires confisqués du livre furent détruits le 21 avril 1992.
B.   La procédure dirigée contre l’auteur du livre    
21.  Le 1er mars 1989, soit à une date antérieure à la première condamnation de M. Öztürk (paragraphe 16 ci-dessus), le procureur inculpa l’auteur du livre incriminé, M. N. Behram, résidant alors en Allemagne. L’acte déposé à cette fin était calqué sur celui qui se trouvait à l’origine du procès du requérant (paragraphe 14 ci-dessus). 
22.  Par un arrêt du 22 mai 1991, rendu par contumace, la cour de sûreté de l’Etat, dont l’un des trois juges avait également connu de l’affaire de M. Öztürk, releva d’abord qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur l’application de l’article 142, abrogé entre temps (paragraphe 29 ci-dessous), puis acquitta M. Behram sur le fondement d’un rapport d’expertise, dans lequel trois professeurs de droit pénal concluaient que rien dans l’ouvrage en cause ne saurait passer pour constitutif du délit prévu à l’article 312 du code pénal.
Dans son arrêt, la cour de sûreté de l’Etat, mettant l’accent sur le caractère documentaire de l’ouvrage, se bornait à entériner les conclusions du rapport d’expertise susmentionné.
23.  Cet arrêt devint définitif faute de pourvoi en cassation.
C.   La procédure ultérieure engagée par le requérant   
24.  Le 19 septembre 1991, le requérant, avisé de l’acquittement de M. Behram, saisit le ministre de la Justice pour que celui-ci formât, devant la Cour de cassation, un pourvoi dans l’intérêt de la loi (Yazılı emir ile bozma – paragraphe 33 ci-dessous) contre sa condamnation au titre de l’article 312 du code pénal et contre la mesure de confiscation (paragraphe 16 ci-dessus). A l’appui de sa demande, le requérant fit valoir la contradiction entre l’arrêt rendu à son encontre et celui prononcé à l’égard de l’auteur, alors qu’ils étaient tous les deux jugés à raison du même écrit.
25.  Par conséquent, le 16 janvier 1992, sur ordre du ministre de la Justice, le procureur général près la Cour de cassation (« le procureur général ») se pourvut contre l’arrêt rendu le 28 décembre 1990 dans l’affaire   du requérant (paragraphe 19 ci-dessus), faisant valoir l’absence de décision explicite sur le sort de la mesure de confiscation.
A la suite du refus opposé le 27 janvier 1992 par la Cour de cassation, le requérant saisit une seconde fois ledit ministre, soutenant que le procureur général avait formulé le pourvoi de façon erronée.
Le ministre de la Justice accéda à cette dernière demande et ordonna au procureur général de dénoncer le manque de pertinence de l’arrêt du 30 mars 1989 (paragraphe 16 ci-dessus), dans la mesure où l’auteur même de l’écrit en cause avait été ultérieurement disculpé des faits identiques à ceux ayant entraîné la condamnation de M. Öztürk du chef d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité (paragraphe 22 ci-dessus).
26.  Dans son arrêt du 8 janvier 1993, la Cour de cassation écarta le moyen de cassation formulé par le procureur général, considérant 
« que (…) le prévenu avait été inculpé du chef des infractions prévues aux articles 142 §§ 4, 6 et 312 §§ 2, 3 du code pénal ; que les éléments constitutifs desdits délits s’avéraient différents ; que l’acquittement d’un autre prévenu pour une même infraction ne saurait passer pour une preuve justifiée et inébranlable de ce que l’intéressé devrait également être acquitté ; que [de surcroît] les deux  prévenus avaient été jugés séparément et que (…) le jugement acquittant Mustafa Nihat [Behram] est devenu définitif sans qu’un pourvoi en cassation ait été formé ; que, pour finir, rien ne montre que l’appréciation du contenu du livre Devant le témoignage de la vie – Journal d’une mort sous la torture effectuée dans le jugement de première instance manque de pertinence et doive être invalidée (…) »
27.  A l’heure actuelle, le livre de M. Behram est en vente libre. Il est publié par une autre maison d’édition, Altınçağ Yayıncılık, sous un autre titre, La biographie d’un communiste (Bir komünistin biyografisi).
II.  LE Droit et la pratique internes pertinents
A.  Le droit pénal
1.  Le code pénal
28.  L’article 36 § 1 du code pénal se lit ainsi :
« En cas de condamnation, le tribunal saisit et confisque l’objet ayant servi à commettre ou à préparer le crime ou le délit (…) »
29.  Les paragraphes pertinents de l’ancien article 142 du code pénal, abrogé par la loi n° 3713 sur la lutte contre le terrorisme, disposaient :
« Propagande nuisible
1.  Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, de quelque manière que ce soit, fait de la propagande en vue d’établir l’hégémonie d’une classe sociale sur les autres, d’anéantir une classe sociale, de renverser l’ordre fondamental social ou économique institué dans le pays ou l’ordre politique ou juridique de l’Etat.
2.  Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, de quelque manière que ce soit, fait de la propagande visant à ce que l’Etat soit gouverné par une personne ou un groupement social, au mépris des principes qui sous-tendent la République et la démocratie.
3.  Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, s’appuyant sur des considérations raciales, fait, de quelque manière que ce soit, de la propagande visant à abolir partiellement ou totalement les droits publics garantis par la Constitution, ou à affaiblir ou détruire les sentiments patriotiques.
4.  Est passible d’une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans quiconque fait l’apologie des actes visés aux paragraphes ci-dessus.
6.  Si les actes visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie de publication la peine à infliger est augmentée de la moitié. »
30.  Les articles 311 § 2 et 312 du code pénal sont ainsi libellés :
Article 311 § 2
« Incitation publique au crime
Si l’incitation au crime est pratiquée par des moyens de communication de masse quels qu’ils soient – bandes sonores, disques, journaux, publications ou autres instruments de presse –, par la diffusion ou la distribution de manuscrits imprimés ou par la pose de panneaux ou affiches dans des lieux publics, les peines d’emprisonnement à infliger au coupable sont doublées (...) »
Article 312
« Incitation non publique au crime
Est passible de six mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende lourde  de six mille à trente mille livres turques quiconque, expressément, loue ou fait l’apologie d’un acte qualifié de crime par la loi, ou incite la population à désobéir à la loi.
Est passible d’un à trois ans d’emprisonnement ainsi que d’une amende de neuf mille à trente-six mille livres quiconque, sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une classe sociale, à une race, à une religion, à une secte ou à une région, incite le peuple à la haine et à l’hostilité. Si pareille incitation compromet la sécurité publique, la peine est majorée d’une portion pouvant aller d’un tiers à la moitié de la peine de base.
Les peines qui s’attachent aux infractions définies au paragraphe précédent sont doublées lorsque celles-ci ont été commises par les moyens énumérés au paragraphe 2 de l’article 311. »
31.  S’agissant plus particulièrement de l’application de l’article 312 du code pénal susmentionné aux éditeurs d’imprimés litigieux, le Gouvernement a présenté, à titre indicatif, des exemples d’arrêts de la Cour de cassation et a fourni des renseignements supplémentaires qui peuvent être résumés comme suit.
Concernant les actes commis par la voie d’imprimés, la responsabilité « principale » du délit prévu et réprimé par l’article 312 revient à l’auteur même de l’écrit en cause. La responsabilité de l’éditeur est de nature « secondaire » et relève de l’article 16 § 4 de la loi n° 5680 (paragraphe 32 ci-dessous). Le fait reproché à l’éditeur inculpé est celui « d’avoir publié l’écrit constitutif du délit » visé à l’article 312. Cependant il existe des dispositions, telles que l’article 8 de la loi n° 3713 sur la lutte contre le terrorisme, prévoyant la responsabilité pénale des éditeurs en tant que lex specialis.
La distinction opérée entre la responsabilité des auteurs et celle des éditeurs fait notamment que, contrairement aux premiers, les peines d’emprisonnement prononcées à l’égard des deuxièmes sont converties en une amende, ce à l’exception des cas où trouve application la loi n° 3713 précitée.
2.  La loi n° 5680 du 15 juillet 1950 sur la presse
32.  Les articles 3 et 16 § 4 de la loi n° 5680 se lisent ainsi :
Article 3
« Sont des périodiques », aux fins de la présente loi, les journaux, les dépêches des agences de presse et tous autres imprimés publiés à intervalles réguliers.
Constitue une « publication », l’exposition, l’affichage, la distribution, l’émission, la vente ou la mise en vente d’imprimés dans des locaux accessibles au public où chacun peut les voir.
Le délit de presse n’est constitué que s’il y a publication, sauf lorsque le discours est en soi constitutif d’une infraction. »      
Article 16 § 4
4.  S’agissant des infractions commises par voie de publications autres que les périodiques, la responsabilité pénale appartiendra à l’auteur, au traducteur ou au  dessinateur de la publication constitutive du délit, ainsi qu’à l’éditeur. Toutefois, les peines privatives de liberté infligées aux éditeurs seront converties en une amende, ce sans égard au quantum [de la peine d’emprisonnement]. (…) »
3.  Le code de procédure pénale
33.  L’article 343 § 1 du code de procédure pénale, relatif au pourvoi dans l’intérêt de la loi (Yazılı emir ile bozma),  prévoit ce qui suit :
«  Lorsqu’il est avisé qu’il a été rendu, par un juge ou par un tribunal, un arrêt ou un jugement devenu définitif sans passer par l’examen de la Cour de cassation, le ministre de la Justice peut donner un ordre formel au parquet de la République pour que celui-ci demande à la Cour de cassation d’annuler l’arrêt ou le jugement dont il s’agit. (…) »
34.  En ce qui concerne la pratique de droit turc pour ce qui est de l’exercice du pourvoi dans l’intérêt de la loi, le Gouvernement a soumis les informations suivantes.
Seuls les arrêts ou jugements rendus en dernier ressort, non susceptibles de cassation (paragraphe 17 ci-dessus) ou contre lesquels aucune des parties ne s’était pourvue, peuvent faire l’objet de ce recours, dont seul le procureur général près la Cour de cassation est habilité à exercer, et ce sur ordre formel du ministre de la Justice, lequel peut agir tant d’office qu’à la demande du condamné. L’attribution conférée à la Cour de cassation au titre de ce recours est « extraordinaire » ; elle ne peut ni être exercée en dehors des conditions prévues par la loi ni porter préjudice au condamné. Si le pourvoi est accueilli, la cassation qui est prononcée en conséquence tendra à déclarer nulle et non avenue la condamnation antérieurement prononcée, ou à diminuer le quantum de la peine infligée ; dans ce dernier cas, la Cour de cassation fixera également la peine à purger. 
B.   Jurisprudence pénale soumise par le  Gouvernement
35.  Le Gouvernement a communiqué, à titre indicatif, plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation quant à l’appréciation par les juges du fond des écrits et/ou propos poursuivis notamment au titre des infractions prévues aux articles 142 (ancien) et 312 du code pénal (paragraphes 29 et 30 ci-dessus) ainsi que de celle visée par l’article 8 de la loi n° 3713 sur la lutte contre le terrorisme. Il s’agit des arrêts n°s 1991/18, 1994/240, 1995/98, rendus par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, et des arrêts n°s 1974/2, 1978/4806, 1985/1682, 1989/2439, 1993/664, 1993/1066, 1993/1388, 1994/6080, 1996/4387, 1996/8450, par des chambres criminelles de cette juridiction.
Tel qu’il ressort de cette jurisprudence, un premier principe est que le jugement rendu en première instance doit être fondé sur l’appréciation de   l’ensemble de l’écrit et/ou des propos en cause. Quant à l’appréciation des éléments matériels constitutifs du délit réprimé par l’article 312 du code pénal, il est précisé, notamment dans l’arrêt n° 1974/2 susmentionné, que l’acte d’« incitation » consiste en un fait « susceptible de mettre en danger la sécurité publique et l’ordre public » sans qu’il y ait besoin de rechercher si pareille incitation s’est effectivement concrétisée ou non. En outre, dans l’arrêt n° 1994/6080, pour infirmer une condamnation au titre de l’article 312, la Cour de cassation semble s’en être tenue au caractère « lointain » du danger qu’impliquait l’« incitation » considérée. Par ailleurs, en matière d’augmentation des peines du fait des circonstances aggravantes, il est énoncé que pareilles circonstances doivent être considérées par rapport à l’existence d’un danger imminent et grave menaçant la sécurité générale du pays ou celle du public. Enfin, dans l’une des affaires, il est souligné l’extrême importance – pour la sauvegarde des droits de la défense – de la règle d’après laquelle l’accusé doit toujours avoir la parole le dernier, avant que les juges statuent.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSiON
36.  M. Öztürk a saisi la Commission le 24 mai 1993. Invoquant l’article 9 de la Convention, il soutenait que sa condamnation en sa qualité d’éditeur, alors que l’auteur même du livre litigieux était acquitté, s’analysait en une méconnaissance de son droit à la liberté de pensée. Il se plaignait également de ce que la confiscation des exemplaires du livre par lui publié emportait violation de son droit au respect de ses biens, garanti par l’article 1 du Protocole n° 1.
37.  Le 7 avril 1997, la Commission a déclaré la requête (n° 22479/93) recevable, considérant toutefois qu’il y avait lieu d’examiner le grief tiré d’une méconnaissance du droit à la liberté de pensée sous l’angle de l’article 10 de la Convention. Dans son rapport du 30 juin 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle a conclu, à l’unanimité, à la violation de l’article 10.  Elle a estimé en outre qu’il n’était pas nécessaire d’examiner le grief  tiré de l’article 1 du Protocole n° 1 (trente voix contre une). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt4.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
38.  Dans ses mémoires, le requérant, tout en souscrivant à l’avis de la Commission selon lequel il y a eu violation de l’article 10 de la Convention, prie la Cour de constater que l’article 312 § 2 du code pénal – eu égard à l’élément matériel et légal caractérisant l’infraction qui y est réprimée – contrevient en tant que tel à cette disposition de la Convention. Il maintient en outre sa doléance quant à la violation de l’article 1 du Protocole n° 1, faisant valoir la perte pécuniaire qu’il aurait subie en raison des faits de la cause, notamment de la confiscation effectuée en l’espèce. Enfin, il demande à la Cour de lui allouer une somme au titre du préjudice matériel en application de l’article 41 de la Convention.
39.  De son côté, le Gouvernement  sollicite de la Cour de constater que le pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi n’est pas une voie de recours devant être épuisée aux fins de l’article 35 (ancien article 26) de la Convention ni susceptible de faire courir un nouveau délai de six mois au sens de cette disposition.
Quant au fond, il prie la Cour de rejeter la requête, en tenant compte du fait
« (…) qu’il y avait, au moment où le jugement avait été rendu, un besoin social impérieux  justifiant la confiscation du livre et la condamnation de M. Öztürk, (…) qu’au cours de la dernière décennie, les lois [répressives] et leur application ont totalement changé, (…) que l’amende infligée [au requérant] était l’une des plus mineures [et] que les éditions ultérieures du livre, faites par un autre éditeur, sont en vente libre en Turquie ».
en DROIT
I.  sur l’objet du litige
40.  Dans sa requête à la Commission, M. Öztürk soutenait que sa condamnation était contraire à l’article 9 de la Convention (paragraphe 36 ci-dessus). Dans ses mémoires à la Cour, il n’a toutefois pas étayé ce grief, se contentant d’une simple référence à l’article susmentionné. Dès lors, il ne saurait passer pour l’avoir maintenu devant la Cour, et celle-ci ne voit pas de raisons de l’examiner d’office (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Yaşa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, p. 2428, § 60).
L’examen de la Cour se limitera donc aux doléances relatives aux articles 10 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.
II.  sur la violation alléguée de l’article 10 de la convention
41.  M. Öztürk soutient que sa condamnation en application de l’article 312 du code pénal a violé l’article 10 de la Convention, aux termes duquel :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A.  Sur l’exception préliminaire du Gouvernement
42.  Devant la Cour, le Gouvernement soutient qu’en l’espèce la décision interne définitive, au sens de l’article 35 (ancien article 26) de la Convention, est celle que la cour de sûreté de l’Etat rendit le 30 mars 1989 (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Il estime en conséquence que, saisie le 24 mai 1993, la Commission aurait dû déclarer la requête irrecevable pour cause de tardiveté (paragraphe 36 ci-dessus).
Ce serait à tort qu’elle aurait calculé le délai de six mois à partir du 8 janvier 1993, date de l’arrêt de la Cour de cassation sur le second pourvoi dans l’intérêt de la loi  formé par le procureur (paragraphe 26 ci-dessus) ; il lui aurait en effet suffi de relever le caractère extraordinaire, au sens de la Convention, de cette voie de recours pour considérer que son exercice ne pouvait faire courir un nouveau délai de six mois.
En conclusion, le Gouvernement prie la Cour de constater « qu’il y a eu en l’espèce une application erronée » de l’article 26 (ancien) de la Convention.
43.  Le requérant ne se prononce pas sur ce point.
44.  La Cour estime que les arguments précités s’analysent en une exception tirée du non-respect du délai de six mois et note que dans ses observations préliminaires sur la recevabilité le Gouvernement avait déjà excipé de la tardiveté de la requête. Quant au dies a quo du délai de six mois il s’était toutefois référé, devant la Commission, à la date du rejet du premier pourvoi dans l’intérêt de la loi (paragraphe 25 ci-dessus), et non à celle du rejet du second (paragraphe 42 ci-dessus).
Quoi qu’il en soit, la Cour considère que ladite exception préliminaire est dénuée de fondement, et ce pour les motifs qui suivent.
45.  La Cour relève que le pourvoi dans l’intérêt de la loi (Yazılı emir ile bozma) que consacre le droit turc est une voie de recours extraordinaire, ouverte contre les jugements rendus en dernier ressort et non susceptibles de cassation. D’après l’article 343 du code de procédure pénale (paragraphes 33 et 34 ci-dessus), seul le procureur général près la Cour de cassation est compétent pour l’exercer, mais il ne peut le faire que sur ordre formel du ministre de la Justice. Le recours en question n’est donc pas directement accessible aux justiciables. En conséquence, eu égard aux règles de droit international généralement reconnues, il ne doit pas nécessairement avoir été exercé pour que puissent être jugées remplies les exigences de l’article 35 de la Convention.
Il s’ensuit que le pourvoi dans l’intérêt de la loi ne doit pas, en principe, être pris en considération au regard de la règle des six mois. Il en va toutefois autrement si, comme en l’espèce, ce recours est effectivement exercé.
Il s’apparente alors en effet à un pourvoi en cassation ordinaire, permettant à la Cour de cassation d’infirmer, le cas échéant, un jugement contesté et de renvoyer l’affaire au tribunal inférieur, et donc de remédier à la situation critiquée par le justiciable.
Or, pour l’appréciation du respect des conditions énoncées à l’article 35 de la Convention, les organes institués par celle-ci ont toujours fait entrer en ligne de compte les pourvois en cassation. La Cour observe de surcroît qu’en l’espèce le moyen articulé par le procureur général à l’appui de son second pourvoi dans l’intérêt de la loi a bien été examiné par la Cour de cassation (paragraphe 26 ci-dessus), laquelle a d’ailleurs statué comme instance de cassation. Le fait que le pourvoi ait été déclaré non fondé au motif que la cause n’avait pas révélé de violation manifeste de la loi n’enlève rien à cette constatation.
46.  En conclusion, la Cour estime, à l’instar de la Commission, qu’en s’adressant au ministre de la Justice pour que celui-ci se pourvût dans l’intérêt de la loi, le requérant a mis en mouvement une procédure qui, en l’occurrence, s’est avérée effective, et que le délai de six mois a bien commencé à courir le 8 janvier 1993, date de l’arrêt de la Cour de cassation sur le second pourvoi.
M. Öztürk ayant ainsi formé sa requête en temps utile, l’exception du Gouvernement doit être rejetée.
B.   Sur le bien-fondé du grief
1.  Existence d’une ingérence
47.  Le Gouvernement soutient que la condamnation de M. Öztürk en sa qualité d’éditeur ne saurait s’analyser en une atteinte à la liberté d’expression de l’intéressé. Ce serait M. N. Behram qui serait l’auteur et le titulaire réel du droit à la liberté d’expression, et l’on ne saurait alléguer aucune restriction au droit de diffuser ou d’exprimer des opinions dans le chef de ce dernier, puisqu’il a  bénéficié d’un acquittement (paragraphe 22 ci-dessus) et que son ouvrage se trouve en vente libre en Turquie depuis 1991 (paragraphe 27 ci-dessus).
48.  Le requérant ne se prononce pas sur cette question.
49.  La Cour souligne d’abord que l’article 10 garantit la liberté d’expression à « toute personne » ; il ne distingue pas d’après la nature du but recherché ni d’après le rôle que les personnes, physiques ou morales,  ont joué dans l’exercice de cette liberté (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Casado Coca c. Espagne du 24 février 1994, série A n° 285-A, pp. 16-17, § 35). Il concerne non seulement le contenu des informations mais aussi les moyens de leur diffusion, car toute restriction apportée à ceux-ci touche le droit de recevoir et communiquer des informations (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Autronic AG c. Suisse du 22 mai 1990, série A n° 178, p. 23, § 47). Il est vrai qu’un éditeur ne s’associe pas forcément aux opinions exprimées dans l’ouvrage qu’il publie. Cependant, en fournissant un support aux auteurs, il participe à l’exercice de la liberté d’expression comme il partage indirectement les « devoirs et responsabilités » que les auteurs assument lors de la diffusion de leurs opinions auprès du public (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Sürek c. Turquie (n° 1) [GC], n° 26682/95, § 63, CEDH 1999-IV ; paragraphe 31 ci-dessus).
Bref, la Cour estime que la condamnation subie par M. Öztürk pour avoir contribué à éditer et diffuser le livre de M. N. Behram s’analyse sans conteste en une « ingérence » dans l’exercice par l’intéressé de la liberté d’expression à lui garantie par le paragraphe 1 de l’article 10 (voir, mutatis mutandis, les arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, p. 40, §§ 94, 95, et Müller et autres c. Suisse du 24 mai 1988, série A n° 133, p. 19, §§ 27-28).
2.  Justification de l’ingérence
50.  Pareille ingérence enfreint l’article 10, sauf si elle remplit les exigences du paragraphe 2 de cette disposition. Il y a donc lieu de déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard dudit paragraphe et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre. La Cour va examiner ces conditions une à une.
a)  « Prévue par la loi »
51.  Le requérant soutient que s’il est légitime de sanctionner le fait d’« inciter le peuple au crime », l’article 312 § 2 du code pénal ne saurait cependant passer pour conforme aux exigences de l’article 10 de la Convention, faute de définir avec une clarté suffisante les éléments constitutifs du délit qu’il réprime.
52.  Le Gouvernement combat cette thèse et affirme notamment que les juridictions nationales appliquent le texte litigieux en conformité avec les principes établis et développés dans la jurisprudence de la Cour de cassation, d’après laquelle les tribunaux sont tenus de rechercher si tel ou tel propos ou écrit est susceptible ou non d’engendrer un danger imminent pour l’ordre public, et ce en tenant compte des circonstances particulières de chaque cas d’espèce (paragraphe 35 ci-dessus). Lu à la lumière de la jurisprudence en la matière, le libellé de la disposition critiquée s’avérerait assez précis pour que l’on puisse prévoir si un acte donné tombe ou non sous le coup de l’infraction visée.
53.  La Commission, pour sa part, considère que l’article 312 § 2 du code pénal fournit une base suffisante à la condamnation du requérant.
54.  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’une des exigences découlant de l’expression « prévue par la loi » est la prévisibilité de la mesure concernée. On ne peut donc considérer comme une « loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite : en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent résulter d’un acte déterminé. Elles n’ont pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue : l’expérience révèle une telle exigence hors d’atteinte. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (arrêt Rekvényi c. Hongrie [GC], n° 25390/94, § 34, CEDH 1999-III).
55.  La Cour reconnaît que, dans le domaine en cause, il peut se révéler difficile d’élaborer des lois d’une précision absolue, et qu’une certaine souplesse peut être requise pour permettre aux juridictions nationales de déterminer si une publication doit passer pour de la propagande séparatiste susceptible d’inciter les tiers à la haine et à l’hostilité. Si clairement que soit rédigée une disposition juridique, il y a inévitablement une part d’interprétation des tribunaux, dont la fonction juridictionnelle sert précisément à élucider les points obscurs et  à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes (voir, mutatis mutandis, les arrêts Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, § 39, CEDH 1999-IV, et Rekvényi précité, ibidem).
En l’espèce, la Cour observe que, contrairement à ce que le requérant laisse entendre, l’article 312 § 2 ne confère pas aux cours de sûreté de l’Etat une marge d’appréciation excessive pour l’interprétation des éléments constitutifs de l’infraction qu’il définit. Le texte en cause (paragraphe 30 ci-dessus) réprime l’incitation à la haine et à l’hostilité lorsque la démarche procède d’une distinction fondée sur certains critères, limitativement énumérés, et il prévoit une aggravation des peines en cas de mise en péril de la sécurité publique. Le troisième paragraphe de l’article 312 renvoie par ailleurs à l’article 311 § 2, lequel contient des indications quant aux types de publications et aux modalités de diffusion par la voie desquels l’infraction peut être commise. De plus, la jurisprudence en la matière invoquée par le Gouvernement énonce certains principes régissant la qualification et la punition de l’acte d’incitation au crime (paragraphes 35 et 52 ci-dessus).
56.  La Cour relève que pour un même ouvrage deux formations de la cour de sûreté de l’Etat ont retenu des interprétations et des qualifications divergentes et ont abouti à deux jugements contradictoires (paragraphes 16 et 22 ci-dessus). A ses yeux cela ne suffit toutefois pas à faire conclure in abstracto qu’il manquait à l’article 312 § 2 du code pénal la clarté et la précision voulues, et que l’interprétation à laquelle s’est livrée la cour de sûreté de l’Etat pour condamner M. Öztürk allait au-delà de ce que l’on pouvait raisonnablement prévoir. Pour la Cour, il s’agit cependant là d’un aspect particulier à prendre en considération dans l’appréciation de la nécessité dans une société démocratique de l’ingérence considérée, vu les arguments que le Gouvernement fait valoir à cet égard (paragraphes 61 et 67 ci-dessous).
57.  Bref, la Cour reconnaît, à l’instar de la Commission, que l’atteinte au droit à la liberté d’expression du requérant étant résultée de la condamnation de celui-ci au titre de l’article 312 § 2 du code pénal peut être considérée comme prévue par la loi (voir, mutatis mutandis, les arrêts Ceylan c. Turquie [GC], n° 23556/94, § 25, CEDH 1999-IV ; Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, pp. 1564-1565, § 41, et Zana c. Turquie du 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2546, § 47).
b)  But légitime
58.  La Cour relève que cette question n’a pas été débattue devant elle par les parties au litige. La Commission estime quant à elle que la condamnation du requérant visait à préserver la « sécurité nationale ».
59.  Eu égard au caractère sensible de la lutte contre le terrorisme ainsi qu’à la nécessité pour les autorités d’exercer leur vigilance face à des actes susceptibles d’accroître la violence, et vu les motifs énoncés dans l’arrêt rendu par la cour de sûreté de l’Etat le 30 mars 1989 (paragraphe 16 ci-dessus), la Cour estime pouvoir admettre que la condamnation du requérant poursuivait deux buts compatibles avec  l’article 10 § 2 : la défense de l’ordre et la prévention du crime.
c)  « Nécessaire dans une société démocratique »
i.  Thèses présentées devant la Cour
60.  M. Öztürk soutient avoir publié puis réédité l’ouvrage litigieux en étant convaincu qu’il ne recelait rien de délictueux. Il estime que les sanctions qu’il s’est vu infliger du fait des opinions émises dans le livre ne trouvent aucune justification, ni au regard de la Convention ni au regard du droit interne. A cet égard, il observe que, deux ans après que lui-même eut été condamné sur le fondement de l’article 312 du code pénal, M. N. Behram, l’auteur du livre, fut acquitté des mêmes chefs d’accusation ; depuis, l’ouvrage serait en vente libre en Turquie et nul n’aurait jusqu’ici commis un crime en s’en inspirant. 
D’après le requérant, cette situation paradoxale illustre la manière dont les autorités turques abusent de l’article 312 § 2 pour sanctionner les hommes politiques, les activistes des droits fondamentaux et les intellectuels.
61.  Le Gouvernement rétorque en premier lieu que le requérant est mal venu de faire valoir l’acquittement de l’auteur du livre litigieux pour se prétendre victime d’une violation de l’article 10 de la Convention. D’après lui, en effet, si la cour de sûreté de l’Etat, après avoir condamné le requérant le 30 mars 1989, a acquitté l’auteur du livre le 22 mai 1991, cela n’est que le résultat de l’influence sur l’application de l’article 312 § 2 du code pénal des « changements intervenus dans le monde quant à la menace du communisme » ainsi que des « développements jurisprudentiels » enregistrés dans l’intervalle. Or un revirement jurisprudentiel ou une évolution dans l’application de telle ou de telle loi n’aurait aucun effet rétroactif susceptible de profiter au requérant.
Le Gouvernement soutient que lorsqu’une violation de la Convention initialement commise a été réparée par la suite, ce qui aurait été le cas en l’espèce, on ne devrait plus statuer sur la question. Il estime en outre qu’il serait inéquitable de conclure à la responsabilité de la Turquie sans tenir compte des changements susmentionnés. A l’appui de cette  thèse, il fait remarquer que même si la Cour concluait à la violation de la Convention dans cette affaire, l’arrêt rendu en conséquence n’influerait en rien sur la situation actuelle de M. Öztürk, puisqu’en pratique l’application de l’article 312 § 2 du code pénal aurait déjà été assouplie.
La condamnation de M. Öztürk et la mesure de confiscation des exemplaires restants de l’édition litigieuse auraient été justifiées eu égard aux circonstances qui prévalaient en 1989. De même, l’acquittement de M. N. Behram constituerait lui aussi une décision juste et adaptée à la situation qui régnait en 1991. Pour condamner le requérant, la cour de sûreté de l’Etat aurait considéré l’ensemble du livre, sans en isoler tel ou tel passage ; elle aurait ainsi  relevé que l’ouvrage était consacré à la biographie du « terroriste » İ. Kaypakkaya, leader de l’« organisation terroriste » TKP-ML, dont le but était de renverser le régime constitutionnel en Turquie ; par l’éloge des activités de İ. Kaypakkaya, les limites de la critique acceptable auraient été dépassées et une caution morale offerte à la violence, à laquelle le TKP-ML s’était autrefois livré en vue d’instaurer un régime communiste.
62.  Le Gouvernement affirme en outre que tant à l’époque de l’établissement de l’acte d’accusation qu’à celle du prononcé du jugement litigieux le TKP-ML constituait une menace réelle et que, compte tenu de la situation qui régnait lorsqu’il avait été publié, le livre litigieux engendrait un « risque actuel » et un « danger imminent » pour l’Etat et la société turcs (paragraphe 61 ci-dessus). Si depuis les années 90 l’idéologie communiste du TKP-ML ne constitue plus une menace pour le pays, il n’en irait pas de même du « séparatisme » dont l’organisation s’inspirerait.
Pour les raisons ci-dessus, le Gouvernement estime légitime que la propagande du terrorisme et du séparatisme et l’incitation du peuple au crime aient été érigées en infraction. Pareille incrimination rentrerait dans le cadre des restrictions à la liberté d’expression qu’autorise le paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, et l’appréciation des faits constitutifs de tels actes, susceptibles de compromettre l’ordre social et la sécurité dans un pays, relèverait de la marge d’appréciation particulièrement importante laissée aux Etats en la matière. Aussi la Cour devrait-elle se borner à effectuer un contrôle de légalité et s’abstenir de juger des réalités factuelles de la Turquie et, plus encore, de substituer son appréciation à celle des tribunaux internes sur la question de savoir si telle ou telle publication est susceptible ou non de constituer une menace. A cet égard, le Gouvernement reproche à la Commission, entre autres griefs, d’avoir omis de tenir dûment compte des critères résultant de l’arrêt précité Zana.
Pour le reste, il soutient que la peine d’amende de 285 000 livres turques infligée au requérant devrait être qualifiée de très modérée et de proportionnée au sens de l’article 10 § 2.
En conclusion, la condamnation et la peine infligées au requérant pourraient raisonnablement passer pour avoir répondu à un besoin social impérieux et, partant, pour avoir été nécessaires dans une société démocratique.  
63.  De l’avis de la Commission, le livre litigieux s’apparente sous de nombreux rapports à un pamphlet politique, où İ. Kaypakkaya est représenté comme un héros et un exemple pour autrui. Tout en admettant qu’il n’est pas impossible que le livre se voulût une source d’inspiration pour ceux qui poursuivraient la lutte contre les forces de l’ordre turques dans le Sud-Est du pays, la Commission relève que le Gouvernement n’a invoqué aucun passage indiquant que le livre préconisait la poursuite de la violence ou qu’il justifiait les actes terroristes.
Après avoir rappelé l’importance particulière du débat politique, élément indispensable dans une société démocratique, la Commission conclut qu’en l’espèce, même si l’on tient compte de la marge d’appréciation des autorités nationales, la sanction infligée au requérant n’était pas justifiée au regard de l’article 10 de la Convention.
ii.  Appréciation de la Cour
64.  La Cour rappelle les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 10, tels qu’elle les a confirmés en dernier lieu dans treize autres affaires dirigées contre la Turquie (paragraphe 4 ci-dessus ; voir, entres autres, l’arrêt Karataş c. Turquie [GC], n° 23168/94, § 48, CEDH 1999-IV) :
i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante.
ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » ou une « sanction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.
iii. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur de l’ouvrage litigieux et le contexte dans lequel il fut publié. En particulier, il incombe à la Cour de déterminer si la mesure incriminée était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents.  
65.  La Cour observe que l’ouvrage litigieux a la forme d’un récit biographique consacré à İ. Kaypakkaya, personnage à l’origine d’un mouvement d’extrême gauche qui, à la suite de son arrestation, avait trouvé la mort dans des circonstances controversées. De par son style épique, le livre laisse transparaître une apologie de İ. Kaypakkaya, de ses pensées comme de ses actions. Relatant essentiellement des faits relatifs à la démarche politique de ce personnage, l’ouvrage décrit les conditions de sa détention dans la prison de Diyarbakır et tente notamment de convaincre le lecteur que ce sont les agents de l’Etat qui sont responsables de sa mort.
Pour la Cour, il est clair qu’il ne s’agit pas d’une narration neutre des faits ayant entouré la vie de İ. Kaypakkaya mais d’un récit à vocation politique. Par le biais de son livre, l’auteur entendait, à tout le moins implicitement, stigmatiser tant l’action des autorités turques dans la lutte contre les mouvements d’extrême gauche que la conduite des responsables supposés de la mort de İ. Kaypakkaya. Quoiqu’indirectement, l’ouvrage apportait ainsi un soutien moral à l’idéologie dont ce personnage était partisan.
De son côté, la cour de sûreté de l’Etat a considéré qu’en vénérant le communisme et le « terroriste » qu’était İ. Kaypakkaya le livre « incit[ait] expressément le peuple à la haine et à l’hostilité » (paragraphe 16 ci-dessus). Dès lors que la cour de sûreté de l’Etat n’a pas estimé nécessaire de mentionner, dans son arrêt du 30 mars 1989, les passages censés donner au livre un tel caractère, la Cour doit supposer que ladite juridiction a fait siennes les conclusions du procureur de la République, telles qu’elles étaient exposées dans l’acte d’accusation du 14 février 1989. Elle relève toutefois que lesdites conclusions consistent pour l’essentiel en un commentaire des poèmes – pour la plupart empruntés à des publications littéraires – annonçant les chapitres du livre litigieux et dont le procureur semble s’être servi comme de gloses afin de mettre au jour le sens caché de chaque chapitre. Quant au passage concernant le père de İ. Kaypakkaya et au vœu exprimé à la dernière page du livre, la Cour n’y voit rien qui puisse conférer une virulence particulière à la critique politique exprimée par l’ouvrage (paragraphe 14 ci-dessus).
66.  Quoi qu’il en soit, la Cour rappelle que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général. De plus, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard du gouvernement qu’à l’égard d’un simple particulier, ou même d’un homme politique. Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi de l’opinion publique. En outre, la position dominante qu’il occupe lui commande de témoigner de retenue dans l’usage de la voie pénale, surtout s’il y a d’autres moyens de répondre aux attaques et critiques injustifiées de ses adversaires. Il reste certes loisible aux autorités compétentes de l’Etat d’adopter, en leur qualité de garantes de l’ordre public, des mesures, même pénales, destinées à réagir de manière adéquate et non excessive à de pareils propos. Enfin, là où les propos litigieux incitent à l’usage de la violence à l’égard d’un individu, d’un représentant de l’Etat ou d’une partie de la population, les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation plus large dans leur examen de la nécessité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Ceylan, précité, § 34).
67.  A cet égard, il importe de rappeler la conclusion énoncée par la cour de sûreté de l’Etat dans sa formation qui jugea l’auteur du livre, M. N. Behram. Dans son arrêt du 22 mai 1991, ladite juridiction déclara en effet, sur la foi de l’avis d’un comité d’experts constitué de trois professeurs de droit pénal, que rien dans l’ouvrage en cause ne recelait une incitation au crime susceptible de justifier la condamnation de M. N. Behram au titre de l’article 312 du code pénal (paragraphe 22 ci-dessus).
Pour la Cour, à la différence du Gouvernement, cette contradiction frappante entre les interprétations d’un même livre données, à deux ans d’intervalle environ, par deux formations d’une même juridiction est un élément à prendre en considération, compte tenu de ce qu’était l’enjeu pour le requérant de la procédure le concernant (paragraphes 24-26 et 60 ci-dessus ).
68.  La Cour estime que les propos tenus dans l’édition litigieuse du livre, dont le contenu ne diffère d’ailleurs aucunement de celui des autres éditions, ne sauraient passer pour une incitation à l’usage de la violence, à l’hostilité ou à la haine entre citoyens (paragraphes 64 et 66 ci-dessus).
Certes, elle admet qu’on ne saurait exclure que pareil écrit cache des objectifs et intentions différents de ceux qu’il affiche publiquement (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Incal, précité, p. 1567, § 51). Toutefois, en l’absence de preuve d’une action concrète propre à la démentir, la Cour ne voit pas de raison de douter de la sincérité du but poursuivi par M. Öztürk dans la deuxième édition du livre, d’autant moins que la première avait été épuisée sans faire l’objet de poursuites judiciaires (paragraphe 11 ci-dessus).
69.  A cet égard, la Cour rappelle qu’elle est prête à tenir compte des circonstances entourant les cas soumis à son examen, en particulier des difficultés liées à la lutte contre le terrorisme (voir l’arrêt Incal, précité, pp. 1568-1569, § 58).
La Cour reconnaît qu’il appartenait aux tribunaux internes de déterminer si le requérant avait publié le livre litigieux dans un but répréhensible. Par ailleurs, le fait que le droit interne n’exige pas de prouver que l’acte reproché au requérant a eu un effet concret (paragraphe 35 ci-dessus) n’affaiblit pas en soi la nécessité de justifier l’ingérence au regard de l’article 10 § 2.
En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que de l’édition de novembre 1988 il pouvait résulter à long terme des conséquences néfastes pour la défense de l’ordre et la prévention du crime en Turquie.  De fait, le livre en cause se trouve en vente libre depuis 1991 et il n’a apparemment pas eu pour effet d’aggraver la menace « séparatiste » qui, d’après  le Gouvernement, existait tant avant qu’après la condamnation de M. Öztürk (paragraphe 61 ci-dessus). Le Gouvernement n’a pas expliqué non plus en quoi la deuxième édition du livre eût pu gêner les autorités judiciaires plus que la première, publiée en octobre 1988 (paragraphe 11 ci-dessus).
La Cour ne voit donc rien qui lui permette de conclure à une quelconque responsabilité de M. Öztürk dans les problèmes que pose le terrorisme en Turquie et elle estime que l’usage de la voie pénale à l’encontre de l’intéressé ne saurait passer pour justifié dans les circonstances de l’espèce, qui, contrairement à ce que le Gouvernement soutient, ne sont pas comparables à celles rencontrées dans l’affaire Zana (arrêt précité, p. 2549, §§ 58-60 ; paragraphe 62 ci-dessus).
70.  Quant à l’argument que le Gouvernement tire du caractère modéré de la peine d’amende imposée au requérant (paragraphes 16 et 62 ci-dessus), la Cour reconnaît que la nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence par rapport au but qu’elle poursuit (voir, entre autres, l’arrêt Ceylan, précité, § 37).
Toutefois, eu égard à ses conclusions ci-dessus (paragraphes 68-69) et au fait que l’aspect préventif de l’ingérence considérée – à savoir la  saisie des exemplaires litigieux du livre – soulève à lui seul des problèmes sur le terrain de l’article 10 (voir, notamment, l’arrêt Incal précité, p. 1568, § 56), la Cour estime, dans les circonstances de l’espèce, ne pas pouvoir accorder un poids décisif audit argument.
71.  La Cour considère donc que n’a pas été démontrée en l’espèce l’existence, à l’époque de l’édition litigieuse, d’un « besoin social impérieux » qui permît de considérer l’ingérence examinée comme « proportionnée au but légitime poursuivi ».
72.  Sur ce point, la Cour ne peut pas non plus suivre le Gouvernement lorsqu’il arguë de « développements jurisprudentiels » intervenus après la condamnation du requérant pour affirmer que lorsqu’une violation de la Convention initialement commise a par la suite été réparée, on ne doit plus statuer sur la question (paragraphe 61 ci-dessus).
73.  Ayant pour seule tâche d’apprécier les circonstances propres à l’espèce, la Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, entre autres, l’arrêt Amuur c. France du   25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36). Or, en l’espèce, le requérant n’a même pas bénéficié de semblable décision ou mesure.
A cet égard, la Cour se bornera à relever la position adoptée par les autorités judiciaires au sujet de l’acquittement de M. N. Behram, donc bien après la condamnation de M. Öztürk.
Ainsi, dans son arrêt du 8 janvier 1993 relatif au second pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par le procureur général, la Cour de cassation s’exprima de la manière suivante (paragraphes 25 et 26 ci-dessus) :
« que (…) le jugement acquittant Mustafa Nihat [Behram] est devenu définitif sans qu’un pourvoi en cassation ait été formé ; que, pour finir, rien ne montre que l’appréciation du contenu du livre Devant le témoignage de la vie – Journal d’une mort sous la torture effectuée dans le jugement de première instance manque de pertinence et doive être invalidée ».
Parmi les annexes au mémoire en réplique du Gouvernement (paragraphe 8 ci-dessus) se trouve par ailleurs un communiqué datant du 14 décembre 1995 et adressé au ministère de la Justice par le parquet près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara. Ce dernier émettait l’avis suivant :
« en fait, avec l’arrêt (…) du 8 janvier 1993, par lequel la Cour de cassation a écarté le pourvoi de (…) Ünsal Öztürk, la contradiction existant entre les deux jugements de [la cour de sûreté de l’Etat] a été levée, et il a ainsi été confirmé que le jugement conforme à la loi était bien celui rendu le 30 mars 1989 contre Ünsal Öztürk (…) »
A supposer même que des « développements jurisprudentiels » aient inspiré l’acquittement de M. N. Behram, force est alors de constater qu’ils ne se sont pas avérés suffisamment pertinents pour permettre à la Cour de cassation de remédier à la situation que le requérant dénonce maintenant devant la Cour (paragraphes 24-26 ci-dessus ; voir également le paragraphe 17).
74.  Dès lors, la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention.
III.  sur la violation alléguée de l’article 1 du protocole N° 1
75. Le requérant soutient en outre que la mesure de confiscation prononcée en l’espèce par la cour de sûreté de l’Etat a enfreint l’article 1 du Protocole n° 1, qui se lit comme suit :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
76.  Il échet de relever que la mesure dont se plaint le requérant représente un effet accessoire de sa condamnation (paragraphe 28 ci-dessus), constitutive de la violation de l’article 10 constatée par la Cour. En conséquence, il n’y a pas lieu d’examiner séparément ce grief (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Parti socialiste et autres c. Turquie du 25 mai 1998, Recueil 1998-III, p. 1259, § 57).
IV.  sur l’application de l’article 41 de la convention
77.  Le requérant demande réparation du dommage matériel qu’il dit avoir subi, ainsi que le remboursement des frais et dépens exposés par lui aux fins de la procédure interne et devant la Commission et la Cour. Il s’appuie sur l’article 41 de la Convention, ainsi libellé :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage matériel
78.  Le requérant réclame une somme de 15 719 dollars américains (USD), à majorer d’intérêts, pour la perte résultant de la confiscation  de 3 195 exemplaires de l’édition litigieuse, dont le prix unitaire était de 1 500 000 livres turques (TRL), soit 4,92 USD, y compris les frais de publication et le bénéfice.
Il réclame aussi réparation pour son manque à gagner, qu’il chiffre approximativement à 442 800 USD en tenant compte  des ventes de rééditions ultérieures qu’il n’a pu réaliser. A cet égard, il estime que le livre aurait pu faire au moins deux éditions par année, chacune de 5 000 exemplaires, ce qui représenterait un potentiel de 90 000 exemplaires, chacun pouvant être vendu à 4, 92 USD.
De surcroît, le requérant sollicite le remboursement de la somme de 285 000 TRL (121 USD) versée par lui à titre d’amende. 
79.  Le Gouvernement s’élève contre ces prétentions. Il soutient notamment que l’on ne saurait revendiquer un droit à réparation du fait d’une mesure de confiscation d’une publication délictueuse ordonnée et exécutée conformément à la loi.
Quant aux demandes se rapportant au manque à gagner, elles seraient hypothétiques et dénuées de tout fondement. En tout état de cause, si M. Öztürk n’est plus l’éditeur du livre, lequel se trouve en vente depuis 1991, c’est, selon le Gouvernement, parce qu’il a été incapable de faire une offre plus intéressante que celles de maisons  concurrentes.
80.  La Cour relève que l’amende infligée au requérant et la confiscation des exemplaires de l’édition litigieuse sont des conséquences directes de la violation constatée sur le terrain de l’article 10 de la Convention. Il y a donc  lieu d’ordonner d’abord le remboursement intégral à l’intéressé de l’amende acquittée par lui. Quant aux exemplaires confisqués, il ressort du dossier de l’affaire que la première édition du livre était épuisée ; par ailleurs, des 3 195 exemplaires de la deuxième édition saisis en l’espèce 3 133 l’ont été dans les locaux de la maison d’édition Yurt Kitap-Yayın et 2 845 exemplaires ont été détruits. La Cour note également que, selon un avis émis le 12 mai 1997 par l’Union des éditeurs de Turquie (Türkiye Yayıncılar Birliği), le prix de vente d’un imprimé comparable à celui publié par le requérant s’élevait, à ladite date, à 500 000 TRL (3,58 USD) environ.
En ce qui concerne les prétentions du requérant relatives à la perte de ventes futures du livre, la Cour ne peut y faire droit, eu égard à leur caractère spéculatif et à l’impossibilité de parvenir, sur la base du dossier, à une quantification précise du manque à gagner ainsi subi.
En conclusion, la Cour, statuant en équité sur la base de l’ensemble des informations en sa possession, alloue au requérant 10 000 USD pour dommage matériel.
B.   Frais et dépens
81.  Le représentant du requérant demande à la Cour de prendre en compte le contrat passé le 10 mai 1993 entre lui-même et le requérant. Aux termes de cet accord, M. Öztürk devait à son avocat 100 000 000 TRL (10 227 USD à l’époque) mais, vu l’impossibilité pour lui de verser la somme, en raison de difficultés financières dues au fait qu’il avait été incarcéré à plusieurs reprises pour d’autres ouvrages publiés entre les années 1994 et 1997, il était prévu que l’avocat percevrait 10 % du montant éventuellement accordé par la Cour au titre de la satisfaction équitable.
82.  Le Gouvernement trouve cette somme excessive par comparaison avec les honoraires que pratiquaient normalement les avocats en 1993. Il soutient par ailleurs que si le conseil du requérant a accepté de travailler gratuitement jusqu’en 1999, alors qu’il avait la possibilité de recouvrer sa créance par les voies de l’exécution forcée, il s’agit là d’une circonstance ne pouvant engager la responsabilité du Gouvernement.
83.  La Cour observe qu’au titre des frais et dépens le requérant réclame seulement le remboursement des honoraires de son représentant, M. Öndül. Suivant les critères qui se dégagent de sa jurisprudence, il lui faut donc rechercher si la somme ainsi réclamée a été réellement engagée afin de prévenir ou redresser le fait jugé constitutif d’une violation de la Convention, si elle correspondait à une nécessité et si elle est d’un montant raisonnable (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Başkaya et Okçuoğlu, précité, § 98). La Cour relève que M. Öndül a assuré la défense du requérant tout au long de la procédure interne et a représenté l’intéressé tant devant la Commission que dans la procédure écrite devant la Cour. Statuant là aussi en équité, la Cour estime raisonnable d’allouer 20 000 francs français au requérant pour ses frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
84.  La Cour juge approprié de prévoir le versement d’intérêts moratoires au taux annuel de 5 % pour la somme octroyée en dollars américains et de 3,47 % pour la somme accordée en francs français.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, à L’UNANIMITé,
1. Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole n° 1 ;
4. Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i.   10 000 (dix mille) dollars américains pour dommage matériel ;
ii.  20 000 (vingt mille) francs français pour frais et dépens ;
b)  que ces montants seront à majorer, à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, d’un intérêt simple aux taux suivants :
i.   5 % l’an pour la somme allouée en dollars américains ;
ii.  3,47 % l’an pour la somme allouée en francs français ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 28 septembre 1999.
Luzius Wildhaber
                     Président
Maud de Boer-Buquicchio
          Greffière adjointe
Notes du greffe
1-2.  Entré en vigueur le 1er novembre 1998.
3.  Depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, qui a amendé cette disposition, la Cour fonctionne de manière permanente.
1.  Note du greffe : le règlement A s’est appliqué à toutes les affaires déférées à la Cour avant le 1er octobre 1994 (entrée en vigueur du Protocole n° 9) puis, entre cette date et le 31 octobre 1998, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole.
4.  Note du greffe : pour des raisons d’ordre pratique, il n’y figurera que dans l’édition imprimée (le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT ÖZTÜRK c. TURQUIE


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 10 ; Non-lieu à examiner P1-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 10-2) PREVENTION DES INFRACTIONS PENALES, (Art. 10-2) PREVISIBILITE, (Art. 10-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) DELAI DE SIX MOIS, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE


Parties
Demandeurs : ÖZTÜRK
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (grande chambre)
Date de la décision : 28/09/1999
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 22479/93
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-09-28;22479.93 ?
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