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25/11/1999 | CEDH | N°46306/99

CEDH | OCIC contre la CROATIE


[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant [M. Matija Očić] est un ressortissant croate né en 1932 et résidant à Zagreb. Il est avocat.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause tels qu’ils ont été exposés par le requérant peuvent se résumer comme suit.
Le 4 décembre 1996, le requérant saisit la Cour constitutionnelle croate (Ustavni sud Republike Hrvatske) d’un recours aux termes duquel, considérée sans son ensemble, la loi relative à la réparation et à la restitution des biens pris sous le régime communiste yougoslave vio

lait les garanties constitutionnelles protégeant le droit de propriété, la justice socia...

[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant [M. Matija Očić] est un ressortissant croate né en 1932 et résidant à Zagreb. Il est avocat.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause tels qu’ils ont été exposés par le requérant peuvent se résumer comme suit.
Le 4 décembre 1996, le requérant saisit la Cour constitutionnelle croate (Ustavni sud Republike Hrvatske) d’un recours aux termes duquel, considérée sans son ensemble, la loi relative à la réparation et à la restitution des biens pris sous le régime communiste yougoslave violait les garanties constitutionnelles protégeant le droit de propriété, la justice sociale, l’état de droit et le droit d’hériter. L’intéressé alléguait de surcroît que les dispositions de la loi l’empêchaient de sauvegarder tant ses propres intérêts juridiques que ceux des clients qu’il représentait en qualité d’avocat.
Après quatorze mois, le requérant sollicita l’accélération de la procédure mais ne reçut aucune réponse.
La Cour constitutionnelle se prononça le 21 avril 1999 par une décision qui fut publiée dans le Journal officiel (Narodne novine). Elle annula ou modifia plusieurs dispositions de la loi litigieuse qu’elle jugeait non conformes à la Constitution croate. Premièrement, elle amenda le texte de manière à étendre aux personnes de nationalité étrangère (c’est-à-dire non croate) la capacité à jouir des droits reconnus dans la loi. Deuxièmement, elle abolit la disposition conférant aux anciens propriétaires le droit d’acheter un appartement dans les cas où existait précédemment un bail spécialement protégé (stanarsko pravo).
B.  Le droit interne pertinent tel qu’il s’appliquait avant les amendements apportés par la Cour constitutionnelle (voir ci-dessus)
Les dispositions pertinentes de la loi relative à la réparation et à la restitution des biens pris sous le régime communiste yougoslave peuvent se résumer comme suit :
L’article 9 s’appliquait aux anciens propriétaires et à leurs héritiers légaux pour autant qu’il s’agît de parents au premier degré, à l’exception de ceux de nationalité étrangère.
L’article 22 prévoyait pour la plupart des appartements donnés en location au moyen d’un bail spécialement protégé qu’ils ne pourraient être restitués à leurs propriétaires d’origine, lesquels pouvaient demander à être indemnisés.
D’après l’article 45, les biens des sociétés ne pouvaient être restitués. Les propriétaires pouvaient demander à être indemnisés.
En vertu de l’article 48, les biens meubles de valeur culturelle, artistique ou historique considérés comme faisant partie de l’héritage culturel et se trouvant en possession de collections, de musées, de galeries ou d’institutions analogues ne pouvaient être restitués à leurs anciens propriétaires, seule une indemnisation pouvant être accordée à ceux-ci.
L’article 53 disposait que les biens immobiliers faisant partie du patrimoine d’une société ne pouvaient être restitués, une indemnisation pouvant toutefois être accordée.
L’article 54 excluait la restitution des biens se trouvant en possession de personnes morales œuvrant dans les domaines de la santé, de la sécurité sociale, de l’éducation, de la culture, de la science, etc. Il précisait toutefois que le gouvernement croate pouvait, dans des circonstances exceptionnelles, décider de restituer semblables biens.
L’article 55 excluait la restitution d’une série de biens appartenant à des personnes morales chargées d’une mission de service public ou destinés à l’usage public, ainsi que les biens extra commercium. La restitution était également exclue dans les cas où elle risquait de causer des dommages à l’environnement ou d’entraver le fonctionnement de complexes industriels.
L’article 58 fixait à 3 700 000 kunas croates (HRK) par personne le montant maximum des restitutions.
GRIEFS
1.  Le requérant allègue, sur le terrain de l’article 1 du Protocole n° 1, que la loi relative à la réparation et à la restitution des biens pris sous le régime communiste yougoslave viole le droit de propriété. Il en conteste notamment les articles 9, 22, 45, 48, 53, 54, 55 et 58 de la loi en question.
2.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant considère par ailleurs que sa cause n’a pas été examinée dans un délai raisonnable par la Cour constitutionnelle.
EN DROIT
1.  Le requérant allègue que, prise dans son ensemble, la loi litigieuse viole le droit de propriété que lui reconnaît l’article 1 du Protocole n° 1.
La Cour observe que la requête soulève une question relative en particulier à l’incompatibilité alléguée entre, d’une part, la Convention et son Protocole n° 1, et, d’autre part, la loi querellée, qui régit les questions relatives à la restitution des biens pris pendant une période de quelque quarante-cinq ans.
La Cour rappelle que, tandis que l’article 33 de la Convention habilite tout Etat contractant à saisir la Cour de « tout manquement » qu’il croira pouvoir imputer à un autre Etat contractant, une personne physique doit, pour pouvoir introduire une requête en vertu de l’article 34, pouvoir se prétendre effectivement lésée par la mesure dont elle se plaint. L’article 34 n’institue pas, au profit des particuliers, une sorte d’actio popularis pour l’interprétation de la Convention ; il ne les autorise pas à se plaindre in abstracto d’une loi par cela seul qu’elle leur semble enfreindre la Convention (arrêt Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre 1978, série A n° 28, pp. 17-18, § 33). La Cour observe en outre que les conditions régissant les requêtes individuelles au titre de l’article 34 de la Convention ne sont pas nécessairement les mêmes que les critères nationaux en matière de locus standi. Les règles nationales à cet égard peuvent servir des buts différents de ceux envisagés par l’article 34 et, si ces buts peuvent parfois être analogues, ils ne le sont pas toujours (ibidem, p. 19, § 36). Quoi qu’il en soit, la Cour a jugé que l’article 34 de la Convention habilite les particuliers à soutenir qu’une loi viole leurs droits par elle-même, en l’absence d’actes individuels d’exécution, s’ils risquent d’en subir directement les effets (arrêts Johnston et autres c. Irlande du 18 décembre 1986, série A n° 112, p. 21, § 42, et Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, série A n° 31, pp. 13-14, § 27).
En l’espèce, la législation incriminée n’a jamais été appliquée au détriment du requérant, dont le recours s’apparente à une action populaire au travers de laquelle il cherche à faire contrôler in abstracto, au regard de la Convention, la législation contestée.
Cela étant, il s’agit maintenant de déterminer si, à raison de la législation incriminée, le requérant peut être considéré comme une victime potentielle, au sens de l’article 34, d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n° 1, ces deux articles étant les dispositions qui se trouvent au cœur de la présente espèce.
La partie pertinente de l’article 34 de la Convention est ainsi libellée :
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne (...) qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. (...) »
D’une manière générale, la loi critiquée régit le droit à obtenir la restitution de biens pris sous le régime communiste yougoslave (qui a couvert une période de quelque quarante-cinq ans), ainsi que la portée de pareille restitution et les modalités de réparation ou de restitution. Bien que le requérant conteste la loi litigieuse dans son ensemble, il en dénonce de façon plus précise les articles 9, 22, 45, 48, 53, 54, 55 et 58.
La Cour observe que les articles susmentionnés et la loi dans son ensemble définissent les catégories de biens qui peuvent ou ne peuvent pas être restitués à leurs anciens propriétaires, ainsi que les modalités d’indemnisation de ceux-ci.
L’article 9 de la loi litigieuse limite les catégories de personnes pouvant bénéficier des droits prévus par la loi en excluant l’ensemble des particuliers ne possédant pas la nationalité croate au jour de la promulgation de la loi. Toutefois, la Cour constitutionnelle a modifié cette disposition de manière à en faire bénéficier les ressortissants étrangers. En tout état de cause, le requérant lui-même est un citoyen croate et, même avant les changements opérés par la Cour constitutionnelle, il n’aurait pu être affecté par cette disposition.
L’article 22 prévoit que les appartements qui avaient été donnés en location au moyen d’un bail spécialement protégé ne peuvent être restitués à leurs anciens propriétaires, à l’exception des appartements pris sur la base de la loi de confiscation. Toutefois, d’après le paragraphe 3 de l’article 22, les anciens propriétaires ont le droit de demander à être indemnisés.
Les articles 45, 48, 53, 54 et 55 combinés excluent la restitution de certaines catégories de biens et l’application des droits reconnus par la loi. Sont ainsi visés certains biens meubles possédant une valeur culturelle, artistique ou historique (article 48), certaines catégories de biens immobiliers (article 53), certains biens qui se trouvent en possession de personnes morales chargées d’une mission de service public ou qui sont destinés à l’usage public, ainsi que ceux qui sont extra commercium (articles 54 et 55). L’article 58 prévoit que le montant de l’indemnité ne peut excéder 3 700 000 HRK.
A supposer même que les bénéficiaires potentiels des droits reconnus par la loi incriminée puissent prétendre à la protection offerte par l’article 1 du Protocole n° 1, la Cour relève que le requérant n’a pas démontré qu’il aurait pu personnellement, d’une manière ou d’une autre, être affecté par la loi litigieuse. Son grief principal consiste à dire que la loi viole le droit de propriété en tant que tel. Ce n’est qu’incidemment qu’il allègue que la loi viole ses droits fondamentaux et qu’elle l’empêche de protéger tant ses propres intérêts juridiques que ceux de ses clients. Il n’a pas démontré être le détenteur potentiel d’un droit à restitution ou à indemnisation pour des biens dérobés à leurs propriétaires sous le régime communiste yougoslave, ni que des biens lui aient été dérobés, à lui ou à ses auteurs.
La Cour observe qu’il n’existe pas un lien suffisamment direct entre le requérant en tant que tel et le dommage qu’il prétend avoir subi du fait de la violation alléguée de la Convention. A cet égard, la Cour rappelle qu’une personne qui n’est pas en mesure de démontrer qu’elle subit personnellement les effets de l’application de la loi qu’elle critique ne peut se prétendre victime d’une violation de la Convention (Association X et autres c. France, requête n° 9939/82, décision de la Commission du 4 juillet 1983, Décisions et rapports 34, p. 213).
Par ces motifs, le requérant ne peut être réputé victime d’une violation des droits consacrés par la Convention. Partant, le grief formulé par lui sous l’angle de l’article 1 du Protocole n° 1 est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention.
2.  Le requérant allègue que la procédure engagée par lui devant la Cour constitutionnelle en rapport avec des questions constitutionnelles relatives à la loi sur la réparation et la restitution des biens pris sous le régime communiste yougoslave a connu une durée excessive. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.
A cet égard, la Cour rappelle que pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer il faut qu’il y ait une contestation réelle et sérieuse sur un droit que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question. D’après la jurisprudence constante de la Cour, l’article 6 § 1 ne se contente pas, pour entrer en jeu, d’un lien ténu ni de répercussions lointaines (arrêts Masson et Van Zon c. Pays-Bas du 28 septembre 1995, série A n° 327-A, p. 17, § 44, et Balmer-Schafroth et autres c. Suisse du 26 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1357, § 32).
Si le droit de propriété en tant que tel est un droit de caractère civil, la Cour, eu égard aux considérations qui précèdent et vu la nature du grief du requérant, qui relève de la notion d’actio popularis, conclut que l’article 6 § 1 ne s’applique pas en l’espèce et que la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
Il en résulte que la requête dans son ensemble est irrecevable au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il y a donc lieu de la rejeter, conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
DÉCISION OČIĆ c. CROATIE
DÉCISION OČIĆ c. CROATIE 


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Partiellement recevable

Analyses

(Art. 35-1) DELAI DE SIX MOIS, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 8-2) PREVENTION DES INFRACTIONS PENALES, (Art. 8-2) PROTECTION DE LA SANTE


Parties
Demandeurs : OCIC
Défendeurs : la CROATIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 25/11/1999
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 46306/99
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-11-25;46306.99 ?
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