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21/03/2000 | CEDH | N°40491/98

CEDH | AFFAIRE GUICHON c. FRANCE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GUICHON c. FRANCE
(Requête n° 40491/98)
ARRÊT
STRASBOURG
21 mars 2000
DÉFINITIF
21/06/2000
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour.
En l’affaire Guichon c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :<

br> Sir Nicolas Bratza, président,   M. J.-P. Costa,   M. L. Loucaides,   M. P. Kūris,   M. W. Fuhrma...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GUICHON c. FRANCE
(Requête n° 40491/98)
ARRÊT
STRASBOURG
21 mars 2000
DÉFINITIF
21/06/2000
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour.
En l’affaire Guichon c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   M. J.-P. Costa,   M. L. Loucaides,   M. P. Kūris,   M. W. Fuhrmann,   M. K. Jungwiert,   M. K. Traja, juges
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 mai 1999 et 7 mars 2000,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre la République française et dont un ressortissant français, M. Philippe Guichon (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 17 décembre 1997, en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requête a été enregistrée le 27 mars 1998 sous le numéro de dossier 40491/98. Le gouvernement français (« le Gouvernement » ) a été représenté par son agent, M. Yves Charpentier, sous-directeur des droits de l’homme au ministère des Affaires étrangères, auquel a succédé Mme Michèle Dubrocard.
2.  Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaignait de l’équité et de la durée d’une procédure civile.
3.  Par une décision du 21 octobre 1998, la Commission (deuxième chambre) a décidé de porter le grief tiré de la durée de la procédure à la connaissance du gouvernement, en l’invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Le Gouvernement a présenté ses observations le 1er mars 1999 et le requérant a présenté les siennes le 17 mars 1999.
4.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l’article 5 § 2 de celui-ci, l’affaire est examinée par la Cour.
5.  Conformément à l’article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a attribué l’affaire à la troisième section.
6.  Le 11 mai 1999, la chambre a déclaré le restant de la requête recevable.
7.  Le 26 mai 1999, la chambre a invité les parties à lui soumettre, dans un délai expirant le 12 juillet 1999, des offres de preuves et observations complémentaires ainsi que, le cas échéant, leurs propositions de règlement amiable, et les a informées qu’elles avaient la faculté de requérir une audience ; elle a en outre invité le requérant à lui soumettre, dans le même délai, ses demandes au titre de l’article 41 de la Convention.
8.  Par un courrier du 30 juin 1999, le Gouvernement indiqua qu’il n’estimait pas nécessaire la tenue d’une audience et qu’il n’était pas favorable à un règlement amiable de l’affaire.
EN FAIT
9.  Le 1er septembre 1980, le requérant fut embauché à la Régie autonome des transports parisiens (RATP) en qualité d’ouvrier qualifié électricien.
10.  Le requérant effectua son service militaire du 4 mai 1983 au 30 avril 1984. Réintégré le 4 mai 1984, il quitta l’entreprise le 15 juillet 1985.
11.  Le 26 septembre 1988, le requérant saisit le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande en paiement de rappels de salaires et de primes, ainsi que d’une demande en dommages-intérêts. Par jugement du 23 juin 1989, le conseil de prud’hommes accueillit partiellement les demandes du requérant.
12.  Le 4 septembre 1992, le requérant saisit de nouveau le conseil de prud’hommes de Paris pour obtenir la réévaluation, à compter du 4 janvier 1985, de la soulte mensuelle prévue par le protocole d’accord du 9 juillet 1970 (instituant le versement d'une « Soulte de modernisation ou garantie modernisation » pour compenser le préjudice financier susceptible de résulter d’un changement d’emploi du fait d’une mesure de modernisation de l'entreprise), et le paiement des arriérés de soulte correspondant. Il sollicita en outre le paiement des journées du 11 et 12 janvier 1992 correspondant à des congés payés.
13.  Le 21 avril 1993, le conseil du requérant sollicita du conseil de prud’hommes le renvoi de l’audience initialement prévue le 23 avril 1993. L’audience fut donc reportée au 15 octobre 1993.
14.  Le 15 octobre 1993, le bureau de jugement du conseil de prud’hommes considéra que l’affaire n’était toujours pas en état d’être jugée, des éléments techniques nécessaires à l’examen du litige ne figurant pas dans les dossiers remis par les parties, et ordonna son renvoi au 29 mars 1994.
15.  A cette dernière date, le conseil de prud’hommes débouta le requérant de l’intégralité de ses demandes. S’agissant en particulier de sa demande tendant à la réévaluation de la soulte, le conseil observa que :
« (...) il y a donc lieu de juger bien-fondée la demande d’irrecevabilité de la partie défenderesse (...), du fait de l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du 23 juin 1989 et en raison de l’unicité de l’instance prud’homale, ce conformément aux articles 122 du nouveau code de procédure civile et R.516-1 du code du travail ».
16.  Le 1er juillet 1994, le requérant interjeta appel de cette décision.
17.  Le 15 avril 1996, la cour d’appel de Paris confirma la décision attaquée. Le même jour, le requérant se pourvut en cassation. Il déposa son mémoire ampliatif le 2 mai 1996, puis un mémoire complémentaire le 22 mai 1996. La RATP présenta son mémoire en réplique le 19 juillet 1996 et le requérant y répondit le 5 février 1997.
18.  Le 17 décembre 1997, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.
EN DROIT
i. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
19.  Le requérant dénonce la durée de la procédure devant les juridictions civiles et allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
20.  Le Gouvernement admet que l’affaire ne présentait pas en soi de difficultés juridiques particulières, même si les faits peuvent paraître, de prime abord, relativement complexes. Toutefois, il estime que l’acharnement procédural dont a fait preuve le requérant a contribué à ralentir la procédure. A cet égard, le Gouvernement rappelle qu’aux termes de l’article R.516-1 du code du travail, toutes les demandes dérivant du contrat de travail entre les mêmes parties doivent faire l’objet d’une seule instance. Or, le requérant, assisté d’un conseil, ne pouvait ignorer qu’en saisissant la justice prud’homale une seconde fois le 4 septembre 1992 pour obtenir le paiement d’un salaire, il serait débouté en vertu du principe de l’unicité de l’instance prud’homale. Par ailleurs, le Gouvernement note qu’en première instance, le conseil du requérant sollicita le renvoi de l’affaire, retardant ainsi de six mois le cours de la procédure. Le second renvoi, reportant l’affaire du 15 octobre 1993 au 29 mars 1994, est également imputable aux parties, qui n’avaient pas mis la procédure en état. S’agissant du comportement des autorités judiciaires, le Gouvernement affirme qu’elles ont statué sans retard excessif.
1. Période à prendre en considération
21.  La période à considérer a débuté le 4 septembre 1992 et a pris fin le 17 décembre 1997. Elle a donc duré cinq ans, trois mois et treize jours.
2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
22.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Richard c. France du 22 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 824, § 57, et Doustaly c. France du 23 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 857, § 39).
23.  La Cour estime que l’affaire ne présentait pas de complexité particulière. Quant au comportement des parties, elle note que le renvoi sollicité par le requérant devant le conseil prud’homal est à l’origine d’un retard de six mois. Par ailleurs, elle note que le requérant a mis plus de trois mois pour interjeter appel de la décision rendue en première instance et que le dépôt de conclusions des parties devant la Cour de cassation s’est étalé sur une période de neuf mois. Le Gouvernement ne saurait être tenu responsable pour ces délais.
24.  La Cour rappelle à cet égard que seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du « délai raisonnable » (voir, entre autres, l’arrêt Proszak c. Pologne du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2774, § 40).
25.  En l’espèce, la Cour ne voit aucune période importante d’inactivité imputable aux autorités internes. En effet, elle considère que la durée de la procédure devant le conseil des prud’hommes (un an, six mois et vingt-cinq jours), la cour d’appel (un an, neuf mois et quinze jours) et la Cour de cassation (un an et huit mois) ne prête pas à critique. Eu égard à la durée globale de la procédure, la Cour estime que les autorités ont fait preuve de toute la diligence requise dans la conduite de l’affaire du requérant.
26.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
par ces motifs, la cour
Dit, par 4 voix contre 3, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 mars 2000 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
S. Dollé N. Bratza   Greffière Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement de la Cour, l’exposé de l’opinion dissidente commune à Sir Nicolas Bratza, MM. Loucaides et Fuhrmann.
N. B.  S. D.
Opinion dissidente commune a Sir NicolaS Bratza, MM. Loucaides et Fuhrmann, Juges
Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à la décision de la majorité selon laquelle il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Selon la jurisprudence de la Cour les litiges en matière de droit du travail requièrent une célérité particulière et il appartient à l’Etat d’organiser son système judiciaire de telle manière qu’une affaire prud’homale comme en l’espèce, ne présentant pas de complexité particulière, n’atteigne pas une durée de plus de cinq ans et trois mois.
Pour cette raison nous estimons que le délai ne peut être considéré comme raisonnable et en conséquence nous sommes d’avis il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
ARRêT Guichon DU 21 mars 2000
ARRêT Guichon


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 40491/98
Date de la décision : 21/03/2000
Type d'affaire : Arrêt (Au principal)
Type de recours : Non-violation de l'Art. 6-1

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : GUICHON
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2000-03-21;40491.98 ?
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