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27/04/2000 | CEDH | N°45023/98

CEDH | BEN SALAH ADRAQUI et DHAIME contre l'ESPAGNE


QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 45023/98  présentée par Habida Bent Abderrahmane BEN SALAH ADRAQUI,
Jamal DHAIME, Tarik DHAIME, Bedrine DHAIME et Hakime DHAIME  contre l'Espagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 27 avril 2000 en une chambre composée de
M. M. Pellonpää, président,   M. G. Ress,   M. A. Pastor Ridruejo,   M. L. Caflisch,   M. J. Makarczyk,   M. I. Cabral Barreto,   M. V. Butkevych, juges,
et de M. V. Berger, greffie

r de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 11 décembre 1998 et enregistrée le 17 décembre 1...

QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 45023/98  présentée par Habida Bent Abderrahmane BEN SALAH ADRAQUI,
Jamal DHAIME, Tarik DHAIME, Bedrine DHAIME et Hakime DHAIME  contre l'Espagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 27 avril 2000 en une chambre composée de
M. M. Pellonpää, président,   M. G. Ress,   M. A. Pastor Ridruejo,   M. L. Caflisch,   M. J. Makarczyk,   M. I. Cabral Barreto,   M. V. Butkevych, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 11 décembre 1998 et enregistrée le 17 décembre 1998,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants sont des ressortissants marrocains, nés respectivement en 1948, 1963, 1969, 1971 et 1972, et résidant à Roche-la-Molière (France). Ils sont représentés devant la Cour par Me Francisco Puchol-Quixal y de Antón, avocat au barreau de Valence (Espagne).
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
Le 22 août 1987, l’époux de la première requérante et père des autres requérants, décéda dans un accident de la route. Il fut renversé par un véhicule.
La garde civile du trafic instruisit le dossier de l’accident et entendit la déposition de certains témoins, dont le deuxième requérant, fils de la victime, qui avait indiqué son adresse en France. Cependant, dans la déposition effectuée devant le juge, cette donnée ne figurait pas, seul fut indiqué le fait qu’il n’avait pas de domicile fixe en Espagne.
Une enquête pénale fut ouverte devant le juge d’instruction de Fuengirola (Málaga), qui, par une décision du 27 août 1987, considéra que les faits n’étaient pas constitutifs de délit mais, estimant qu’ils étaient susceptibles d’être constitutifs d’une contravention, transmit le dossier au juge d’arrondissement compétent.
Le 22 janvier 1988, le juge d’arrondissement de Fuengirola fixa la date des débats oraux au 18 mars 1988. Les requérants furent convoqués à l’audience au moyen de la publication de la citation dans le Journal officiel de la province de Málaga. Domiciliés en France, les requérants n’eurent pas connaissance de cette citation. Le ministère public comparut à l’audience et pencha pour l’acquittement de la personne dénoncée.
Par un jugement du 21 mars 1988, le juge d’arrondissement acquitta le conducteur du véhicule responsable de l’accident du fait qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments pour déterminer la culpabilité de la personne dénoncée. Le 12 octobre 1988, le jugement fut publié au Journal officiel de la province. Les requérants n’en furent pas informés.
Sans nouvelles de la procédure et après s’être renseignés sur les références du dossier, les requérants sollicitèrent, par un écrit du 13 novembre 1990, d’être considérés comme parties à la procédure, et d’être informés des démarches effectuées. Le 27 novembre 1990, le juge d’arrondissement rejeta la demande des requérants, la procédure étant classée depuis le 26 octobre 1988, le jugement du 21 mars 1988 ayant entre-temps acquis la force de chose jugée, faute de recours.
Les requérants présentèrent un recours de reforma et, subsidiairement, un appel, demandant, en vertu de l’article 240 de la Loi organique relative au Pouvoir judiciaire, que le jugement attaqué fût déclaré nul.
Par une décision du 1er février 1991, notifiée le 6 février 1991, le juge d’instruction de Fuengirola (successeur des anciens tribunaux d’arrondissement) rejeta le recours de reforma et débouta les requérants, mais les informa toutefois, dans le cadre de la procédure pour contravention d’imprudence ayant causé le décès d’un de leurs parents, de la tenue des débats oraux et du jugement d’acquittement rendu le 21 mars 1988 par le juge d’arrondissement, de la notification de ce dernier au moyen de sa publication dans le Journal officiel, de la force de chose jugée acquise par ce jugement le 26 octobre 1988 et du classement du dossier, ainsi que de leur droit de prendre connaissance des démarches effectuées, ordonnant que les copies des documents qu’ils demandaient leur soient fournies. L’appel présenté à titre subsidiaire fut aussi rejeté, en application de l’article 217 du code de procédure pénal, dans la mesure où un tel recours n’était pas prévu par la loi.
Les 20 mars 1991, 30 mars 1993 et 21 septembre 1994, les requérants demandèrent que la décision du 27 novembre 1990 fût exécutée et, le 8 novembre 1994, ils reçurent copie du dossier judiciaire.
Le 9 novembre 1994, les requérants firent appel, demandant que la procédure fût déclarée nulle depuis la fixation de la date des débats oraux par le juge d’arrondissement de Fuengirola, conformément à l’article 240 de la Loi organique relative au Pouvoir judiciaire. Par une décision du 11 novembre 1994, le juge déclara l’appel irrecevable, dans la mesure où le jugement attaqué avait acquis force de chose jugée, « sans porter toutefois préjudice au droit des requérants de faire valoir la demande en nullité au moyen de la procédure pertinente ».
Le 2 décembre 1994, les requérants saisirent alors le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo fondé sur un moyen tiré de la violation de l’article 24 de la Constitution (droit à un procès équitable).
Le ministère public pencha pour l’octroi de l’amparo dans la mesure où le juge, chargé de l’instruction de l’affaire, n’avait pas recueilli au moins l’adresse du domicile du fils de la victime qui avait fait une déposition, n’avait pas fait de recherches à cet égard concernant les autres membres de la famille, et n’avait pas non plus essayé de tenir les requérants informés, par d’autres moyens, de la procédure en cause. Il sollicita la rétroaction de la procédure au moment de la citation des parties aux débats oraux.
Par un arrêt du 22 janvier 1995, le Tribunal constitutionnel rejeta toutefois le recours pour tardiveté, au motif que, conformément à l’article 44 § 2 de la Loi organique relative au Tribunal constitutionnel, le recours d’amparo aurait dû être présenté dans un délai de vingt jours à compter de la notification de la décision du juge d’instruction du 1er février 1991, qui avait informé les requérants des démarches ayant eu lieu depuis la tenue des débats oraux et du jugement d’acquittement rendu, de la notification de ce dernier au moyen de sa publication dans le Journal officiel, de la force de chose jugée de ce jugement, et du classement du dossier.
Le Tribunal constitutionnel se référa à sa jurisprudence constante selon laquelle, le dies a quo du délai pour la présentation du recours d’amparo était le moment où ceux qui auraient dû comparaître en tant que parties à la procédure devant les juridictions ordinaires, avaient eu suffisamment connaissance de l’existence et du contenu matériel du jugement qu’ils prétendaient attaquer. Cette prise de connaissance équivaudrait en effet à la notification de ce jugement. Or, en l’espèce, ce moment correspondait au 6 février 1991, date à laquelle la décision du 1er février 1991 fut notifiée aux requérants. Malgré le contenu de cette décision, qui informa les requérants des démarches effectuées dans la procédure, de l’existence du  jugement d’acquittement passé entre-temps en force de chose jugée, et du classement de l’affaire, ces derniers demandèrent à avoir accès au dossier judiciaire et, après des délais certes non justifiables, se virent attribuer les documents en cause, pour faire ensuite appel du jugement d’acquittement, passé en force de chose jugée six ans auparavant.
Le Tribunal constitutionnel insista sur le fait que lorsque les requérants, assistés par un avocat, demandèrent finalement devant lui la protection de leurs droits, leur action était déjà caduque ; il ajouta qu’ils auraient dû le saisir d’un recours d’amparo dans le délai légal de vingt jours à compter de la date à laquelle ils avaient été informés de l’existence et du contenu du jugement qui avait mis fin à la procédure ordinaire. La présentation d’un recours tendant à la nullité de la procédure lorsque ce jugement était devenu définitif ne saurait ni interrompre ni élargir le délai pour la présentation du recours d’amparo établi par l’article 44 § 2 de la Loi organique relative au Tribunal constitutionnel. Par ailleurs, la fixation du dies a quo ne saurait non plus être laissée au libre choix des requérants.
Sans excuser ni justifier la conduite peu diligente du juge d’arrondissement, la haute juridiction, en vertu de son caractère spécifique et extraordinaire, conclut au rejet du recours pour tardiveté, se référant toutefois aux recours possibles contre les irrégularités ou le fonctionnement anormal de la justice, et signalant que les faits de l’espèce étaient susceptibles de « constituer une base effective de réparation pour le préjudice moral subi, ainsi que d’une indemnisation pour le mauvais fonctionnement de la justice pénale ».
B. Le droit et la pratique internes pertinents
Article 240 de la Loi organique relative au Pouvoir judiciaire
(en vigueur au moment des faits)
« 1. Dans tous les cas, la nullité de plein droit, et le non-respect de formalités dans les actes de procédure qui impliquent l’absence des conditions indispensables à leur finalité ou qui déterminent une situation effective d’impossibilité de se défendre, seront attaqués par le biais des recours établis par la loi contre la décision en cause ou par les autres moyens établis par les lois de procédure.
2. Sans préjudice des dispositions qui précèdent, le juge ou le Tribunal pourra, avant qu’une décision définitive n’ait été prise – pour autant qu’aucune réparation ne soit recevable et après avoir entendu les intéressés –, déclarer d’office la nullité de tout ou partie des actes de la procédure. »
GRIEFS
Les requérants allèguent la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Ils se plaignent de n’avoir pas été informés du déroulement de la procédure pénale suivie pour le décès de leur parent dans un accident da la route, et de ne pas avoir été cités aux débats oraux ni reçu notification du jugement rendu par le juge d’arrondissement de Fuengirola, alors que l’adresse d’au moins un d’entre eux figurait au dossier. Ils estiment que le Tribunal constitutionnel, en leur refusant la voie du recours d’amparo, a méconnu leur droit à un procès équitable, assorti de toutes les garanties procédurales.
EN DROIT
Les requérants se plaignent, en l’absence de toute notification, de n’avoir pas été informés de la procédure pénale diligentée contre le conducteur du véhicule ayant causé le décès de leur parent. Ils estiment aussi que le Tribunal constitutionnel a méconnu leur droit à un procès équitable, et invoquent l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales et, notamment, aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2955, § 31, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33, et, en dernier lieu, Pérez de Rada Cavanilles du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII , p. 3255, § 43). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Ceci est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2796, § 31). La Cour estime par ailleurs que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées.
En l’espèce, la Cour relève que le juge d’instruction précisa, dans sa décision du 1er février 1991, que le jugement attaqué avait acquis la force de chose jugée et que le dossier était classé depuis le 26 octobre 1988. Par ailleurs, l’appel présenté à titre subsidiaire par les requérants fut aussi rejeté dans la mesure où un tel recours contre un jugement devenu définitif n’était pas prévu par la loi. La Cour note que les requérants demandèrent à plusieurs reprises les documents du dossier qu’ils voulaient conserver et que, lorsque leur demande fut satisfaite le 8 novembre 1994, ils firent à nouveau appel du jugement d’acquittement le 9 novembre 1994, bien qu’ils eussent été représentés, à tout moment, par un avocat.
La Cour constate que le Tribunal Constitutionnel rejeta toutefois, pour tardiveté, le recours d’amparo présenté, le 2 décembre 1994, par les requérants, après avoir conclu que le dies a quo pour la présentation de ce recours ne pouvait être que la date à laquelle ils avaient eu connaissance de l’existence et du contenu matériel du jugement qu’ils prétendaient attaquer. Cette date équivaudrait en effet à la notification qu’ils n’ont jamais reçue, puisqu’elle ne se fit qu’au moyen de la publication du jugement au Journal officiel de la province de Málaga, alors qu’ils résidaient en France. Le délai de vingt jours prévu par l’article 44 § 2 de la Loi organique relative au Pouvoir judiciaire commençait donc à courir, pour le Tribunal constitutionnel, le 6 février 1991, date de la notification de la décision du juge d’arrondissement du 1er février 1991, les informant des démarches ayant eu lieu depuis la tenue des débats oraux et du jugement d’acquittement rendu, de la notification de ce dernier, et de la force de chose jugée qu’il avait acquise entre-temps, ainsi que du classement du dossier. La Cour relève, en outre, que le Tribunal constitutionnel considéra que l’annulation du jugement définitif rendu dans la procédure en cause aurait dû être sollicitée directement dans le cadre d’un recours d’amparo présenté le dies a quo susmentionné, et elle constate que le juge d’instruction avait déjà précisé dans sa décision du 1er février 1991 que le jugement du 21 mars 1988, devenu définitif, n’était pas susceptible d’appel.
La Cour estime que la fixation du dies a quo ne saurait en tout état de cause être laissée au libre choix des requérants, qui disposeraient ainsi d’une grande liberté d’action, selon leur propre convenance, pour élargir de façon illimitée l’exercice du droit à l’ouverture de la procédure constitutionnelle.
La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 de la Convention, elle ne peut être saisie d’une requête qu’après l’épuisement des voies de recours internes. A cet égard, la Cour rappelle la jurisprudence constante des organes de la Convention selon laquelle il n’y a pas d’épuisement lorsqu’un recours a été déclaré irrecevable à la suite du non-respect d’une formalité (n° 6878/75, déc. 6.10.1976, D.R. 6 p. 79, et n° 18079/91, déc. 4.12.1991, D.R. 72 p. 263). Or, la Cour constate que le recours d’amparo présenté devant le Tribunal constitutionnel a été rejeté par la haute juridiction comme étant tardif, les requérants ayant laissé s’écouler le délai en exerçant des recours non pertinents (voir Flaquer Melis y Moll Espinosa, S.A c. Espagne (déc.), n° 40259/98, 14.10.1999).
Les requérants n’ont, dès lors, pas épuisé conformément à l’article 35 § 1 de la Convention les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes en droit espagnol. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Vincent Berger Matti Pellonpää   Greffier Président
45023/98 - -
- - 45023/98


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 33) REQUETE INTERETATIQUE


Parties
Demandeurs : BEN SALAH ADRAQUI et DHAIME
Défendeurs : l'ESPAGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (quatrième section)
Date de la décision : 27/04/2000
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 45023/98
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2000-04-27;45023.98 ?
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